Protection de la production audiovisuelle et cinématographique

Intervention de Mathilde Fiquet au colloque organisé par Marie-Noëlle Lienemann le samedi 20 novembre 2021 au Sénat sur l’intelligence économique et la réindustrialisation.

Mathilde Fiquet est Directrice du cabinet Europe Analytica.

Le secteur de la culture et plus particulièrement de l’industrie audiovisuelle et cinématographique (les films, les séries, l’animation, les documentaires) est en plein bouleversement. On constate un changement dans la manière dont les citoyens regardent les contenus audiovisuels. Il y a une adoption extrêmement rapide des modèles de plateformes de streaming, de vidéo à la demande. On est passé d’une approche où l’on possède le contenu (DVD, VHS…) à une approche d’accès au contenu, à n’importe quel moment, sur n’importe quel support (TV, ordinateur, téléphone).

L’audiovisuel européen, un secteur largement dominé

En 2020, les plateformes de vidéo à la demande ne représentent que 6% du revenu total du marché européen de l’audiovisuel. En revanche, au niveau européen, sur les 6 dernières années, on observe que les revenus des plateformes de vidéo à la demande ont été multipliés par 30. Ces services ont eu une croissance générale de 40% en 10 ans. Cette croissance passe à 95% lorsqu’il s’agit uniquement les services de VOD avec abonnements. En 2020, en Europe, la vidéo à la demande c’est 11,6 milliard d’euros de revenus, dont 84% pour les services avec abonnement. [i]

Avec les derniers 18 mois, la crise du COVID a créé une accélération des évolutions qui existaient déjà dans le secteur de l’audiovisuel. Il y a une augmentation du nombre de services de vidéo à la demande, mais également une augmentation de la concurrence entre celles-ci, qui se mènent un guerre pour avoir le meilleur contenu à offrir aux téléspectateurs.

Parmi les services VOD, ce sont les services mondiaux qui sont leaders sur ce marché. Les 3 premiers services de VOD en France sont

  • Netflix
  • Amazon Prime
  • Apple TV

Ensemble, ils possèdent 92% de parts de marché. [ii]

Des opportunités et des faiblesses pour l’industrie audiovisuelle française

Une fois ce constat fait, il faut se poser la question des enjeux et des opportunités que ces changements créent pour l’industrie audiovisuelle française.

D’abord, il s’agit d’une opportunité. Une opportunité pour le public d’avoir accès à du contenu varié, qui provient du monde entier, avec des contenus venant d’Asie, d’Amérique latine et de nombreux pays européens… Ces services offrent aux spectateurs une flexibilité et une diversité de contenu.

C’est également une opportunité pour les producteurs audiovisuel français de pouvoir atteindre un public mondial, de voir nos films et séries diffusés dans d’autres pays, de faire rayonner notre culture.

Mais ces changements créent également des enjeux. La production française fait face à des nouveaux acteurs du marché, des nouvelles pratiques commerciales inspirées des Etats Unis. Mais surtout, des streamers qui de plus en plus deviennent eux même producteurs de films, de séries, de documentaires et de films d’animations. En 2020, Netflix est devenu le plus grand commanditaire de contenus scénaristiques européens avec 72 séries.

Cette intégration verticale des plateformes, depuis la distributions jusqu’à l’exploitation des œuvres sur des fenêtres qu’ils contrôlent, voir même des accords avec des fabricant de télévision, crée également un autre enjeu : celui de la data.

En effet, les chiffres d’audience sont essentiels aux producteurs pour pouvoir déterminer le succès, mais également la valeur de leurs œuvres. Pour arriver à comprendre ce que les téléspectateurs regardent aujourd’hui et donc ce qu’ils vont vouloir regarder demain. Ces data, ne sont pas, ou trop peu disponibles pour le producteur indépendant. Lorsqu’une plateforme a la possibilité de prendre la décision de produire un film en s’appuyant sur des data, le producteur indépendant est dans le noir. 

Cet été le service de vidéo à la demande d’Amazon, Prime, a racheté les studio américains MGM. Il s’agit d’un signal fort montrant qu’Amazon Prime va augmenter ses investissements dans la création, pour développer des contenus qui vont venir alimenter la plateforme Prime.

La France, en tête sur la protection de sa production indépendante

Face à ces plateformes géantes et leurs capacités de financement énormes, ainsi que leur capacité à avoir accès à la connaissance extrêmement détaillée de ce que le public regarde et souhaite regarder, il faut penser à la capacité de nos producteurs indépendants à pouvoir continuer à créer du contenu unique et divers dans cet environnement, qui fait partie de notre patrimoine.  

Et pour cela, la France a travaillé sur 2 points : le financement et la visibilité. On doit pouvoir financer la production indépendante, et nos œuvres doivent pouvoir être vues.

La France a pris une longueur d’avance sur ces 2 sujets, grâce à sa transposition de la directive européenne SMA adoptée en 2018 et le décret français SMA entré en vigueur le 1 juillet 2021.

Concernant la visibilité des œuvres européennes, le décret SMA impose que 60% des catalogues VOD soit consacré à des œuvres européenne, dont 40% à des œuvres française. La directive européenne prévoyait uniquement un quota à 30%.

Concernant le financement, le décret SMA impose qu’entre 20 et 25% du chiffre d’affaires des VOD soient réinvestis dans de la production d’œuvres européennes. A l’exception de l’Italie, les autres pays choisissent des taux beaucoup plus bas. La directive n’en prévoyait que la possibilité sans aucune obligation. De plus, la France est allée plus loin en imposant des sous-quota, 85% de ces investissement doivent aller vers des œuvres en français, dont 2/3 vers de la production indépendante.

On a pu observer également une réflexion poussée unique en Europe sur la définition d’une production indépendante dans le cadre du décret SMA. La France a défini des conditions très strictes concernant la capacité des plateformes d’acquérir les droits de diffusions des œuvres indépendantes dans lesquelles elles investissent (limitée à 1/3ans), ainsi que les mandats de distribution qu’elles peuvent obtenir pour la distribution à l’international (0 ou 1), enfin, elles ne peuvent pas avoir de participation directe ou indirecte au capital de la société de production. 

Bien que l’on doive encore évaluer l’impact pratique de ce décret sur le secteur audiovisuel français, son adoption démontre un effort vers le maintien et le développement d’un tissu productif français et d’un patrimoine. Il s’agit d’un pas dans la bonne direction, mais cela ne doit certainement pas être le seul.

Quatre recommandations pour le futur :

  1. Il faut maintenir le haut niveau de qualification du secteur audiovisuel existant en France. Nous avons la chance d’avoir des talents qui nous sont enviés dans le monde entier. Il faut continuer à les soutenir, les encourager, les former, les encadrer.
  2. Il faut continuer notre réflexion sur les questions de concurrence dans le domaine culturel. Réfléchir à l’importance de la data, son utilisation par les plateformes, son rôle dans la création de géants dans notre secteur, l’importance pour la production indépendante d’y avoir accès. Il faut également travailler sur les questions de la transparence des algorithmes. Dans un monde ou les téléspectateurs peuvent avoir accès à des catalogues de contenus énormes, l’algorithme prend une place prépondérante dans le choix du film ou de la série qui serait présenté en premier sur l’écran.
  3. Il faut avancer au niveau européen. La France a été longtemps seule sur ces sujets. Elle n’est plus seule, elle est la première. On peut un mouvement général dans la même direction de la part de nos voisins européens. Le Portugal impose maintenant une obligation d’investissement pouvant aller jusqu’a 4% aux plateformes. C’est 2% en Croatie. Ce n’est peut-être pas grand-chose face à nos 20 et 25%, mais c’est bien plus qu’il y a quelques années. Il faut accompagner ce mouvement européen afin d’être plus forts.
  4. Enfin, il faut se poser la question de la souveraineté. Il y a un besoin de développer une réflexion sur la souveraineté culturelle. En quoi consiste-t-elle ? faut-il et comment la protéger ? Quelle sont ses points d’ancrage ? Je pense qu’il y a des questions comme la définition de l’œuvre européenne, et l’importance de la propriété intellectuelle qu’il faut revoir à l’aune de la souveraineté culturelle.

Pour terminer, je voudrais rajouter une petite touche de philosophie. La production audiovisuelle, les films, les séries, l’animation, les documentaires. Ce ne sont pas de simples produits de consommation, de l’entertainment. L’humanité a toujours eu besoin de récits. Nous nous racontons des histoires depuis la nuit des temps. Notre secteur audiovisuel n’est que le prolongement de ce besoin d’histoires de notre société. Il faut le garder le plus riche possible.  

Notes


[i] European Audiovisual Observatory, trends in the VOD market in the EU 28, Janvier 2021. 

[ii] European Audiovisual Observatory, trends in the VOD market in the EU 28, Janvier 2021.