La culture stratégique des Etats-Unis

par Bruno Colson, agrégé en philosophie classique et en histoire, docteur en sciences politiques, assistant et chercheur aux Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix à Namur et responsable d’un séminaire de questions stratégiques à l’Université catholique de Louvain.

Le concept de culture stratégique n’a pas encore donné lieu à une littérature très abondante mais, depuis son apparition dans les années 1970, il oppose une « première génération » essentiellement représentée par Colin S. Gray et les travaux plus récents d’Alastair Iain Johnston[i]. L’approche du premier était plus empirique et davantage basée sur une accumulation de précédents historiques. Celle du second se veut plus sociologique et plus abstraite. Elle prétend à plus de rigueur mais pèche peut-être par une dissociation excessive entre les idées et les comportements. Les pages qui suivent s’appuient davantage sur la première approche. La seconde nécessiterait une enquête de longue haleine et des développements qui ne trouveraient pas leur place dans les limites de cet ouvrage. Nous définirons donc la culture comme un ensemble persistant, bien que non éternel, d’idées, d’attitudes, de traditions, d’habitudes de pensée et de moyens d’action privilégiés, transmis socialement et plus ou moins spécifiques à une communauté de sécurité géographiquement située et dont l’expérience historique est unique.

La culture stratégique peut changer avec le temps, au fur et à mesure qu’elle absorbe, codifie et transmet de nouvelles expériences, mais ce processus est nécessairement lent. Une culture stratégique ne change pas tous les dix ans. La référence empirique essentielle d’une culture stratégique est une gamme définie, hiérarchisée, de préférences stratégiques constantes dans le temps. Notre contribution ne prétend nullement épuiser le sujet à propos des Etats-Unis. Elle ira du général au particulier, suivant la stratégie théorique du général Poirier. Elle descendra les différents échelons de la « structure stratégique «, de la politique générale à la stratégie des moyens[ii].

Grande stratégie et mission démocratique

Une première constante de la culture stratégique américaine tient à la nature politique de la République américaine, née d’un contrat passé entre les membres d’une société civile libre, pétris de culture antique et de références bibliques. Cela induit depuis les origines un plus large degré d’ouverture à propos des grands enjeux politiques internationaux et de la stratégie à son plus haut niveau, à commencer par une formulation explicite et publique de celle-ci. Le discours d’adieu de George Washington (1796), où il mettait en garde ses concitoyens contre les « alliances où l’on s’empêtre », la doctrine de Monroe (1823) ou les Quatorze points de Woodrow Wilson (1918) furent quelques-uns des jalons les plus célèbres de cette grande stratégie déclaratoire.

L’article de la revue Foreign Affairs en 1947 où George Kennan, sous le pseudonyme de Mr. X, énonçait la stratégie du containment (endiguement) de l’Union soviétique, s’est inscrit dans cette tradition, même si l’expérience ne fut guère répétée jusqu’à ce qu’Henry Kissinger rédige ses rapports sur l’état du monde (State of the World) sous la présidence de Richard Nixon. Depuis 1986, la loi Goldwater-Nichols sur la réorganisation du département de la Défense requiert du président un rapport régulier devant le Congrès et le peuple américain à propose de la stratégie de sécurité nationale. John Lewis Gaddis se plaît à souligner le caractère typiquement américain de cette démarche et, Pères fondateurs obligent, établit un parallèle avec les discours de Périclès, rapportés par Thucydide, seul précédent non américain. Qu’une nation énonce publiquement sa grande stratégie avant de la poursuivre aurait bien surpris Metternich, Bismarck ou Lord Salisbury[iii]. La séparation est d’emblée affirmée avec l’Europe et ses pratiques. Un objectif essentiel de la loi Goldwater-Nichols était de garantir un plus grand contrôle civil sur les militaires et leur planification. Même si dans certaines versions de son document National Security Strategy, la Maison Blanche a pu se montrer réticente à dévoiler toutes ses options au Congrès, les Etats-Unis se caractérisent par une profusion de documents à caractère « stratégique » entièrement libres d’accès[iv]. De même les très nombreuses publications et revues spécialisées des forces armées américaines sont marquées par des discussions très libres d’officiers d’active sur les questions de stratégie et de tactique.

Après la volonté d’assurer la sécurité des Etats-Unis, le but ultime de la grande stratégie américaine est de répandre la démocratie dans le monde. Ce fut affirmé régulièrement par Woodrow Wilson, Franklin D. Roosevelt, Bill Clinton et George W. Bush. L’endiguement de l’Union soviétique n’était pas le seul objectif durant la guerre froide. L’espoir d’un changement de régime à Moscou a toujours habité les dirigeants américains. Il en est de même vis-à-vis de Pékin. Lorsque George W. Bush, en janvier 2002, a parlé d’un « axe du mal » (axis of evil) à propos de l’Irak, de l’Iran et de la Corée du Nord, il a exprimé un sentiment américain ancien et profondément enraciné.

La doctrine Truman d’endiguement du communisme était de la même veine, avec une ambition encore plus grande et jugée démesurée à l’époque par des analystes « réalistes » comme George Kennan et Walter Lipmann[v]. La grande stratégie développée après les attentats terroristes du 11 septembre 2001 se présente comme « basée sur un internationalisme typiquement américain ». Elle entend d’abord promouvoir « les aspirations à la dignité humaine », qui ne sont pas négociables et sont valables pour toute société : le règne de la loi, des limites à la toute-puissance de l’Etat, la liberté de parole, la liberté de religion, une justice égale pour tous, le respect de la femme, la tolérance ethnique et religieuse et le respect de la propriété privée[vi]. Les Américains se sont toujours considérés comme « une nation morale ».

Les Pères fondateurs partageaient le rationalisme et l’optimisme des Lumières, en particulier l’idéalisme de John Locke[vii]. La possibilité de tout commencer en niant l’histoire et de ne prendre ses références que dans l’Antiquité et dans la Bible leur donnait un sentiment de liberté totale pour construire un monde meilleur[viii]. « Il est en notre pouvoir de recommencer complètement le monde », disait Thomas Paine en janvier 1776[ix]. Dans la foulée, les Américains ont très tôt considéré leur pays comme une terre d’élection, a city upon a hill. Cela les a souvent conduits à se sentir seuls (defiantly alone), dans une position de défi et avec une mission à remplir[x].

Toute nation se considère d’une certaine façon comme exceptionnelle. Mais selon Stanley Hoffmann seuls les Etats-Unis ont vraiment essayé de développer une politique étrangère reflétant cet exceptionnalisme. Alors que les autres puissances devaient se contenter ou étaient forcées de rechercher un équilibre des forces, les dirigeants américains, depuis l’Indépendance, ont avancé que leur pays, étant donné sa position géographique unique et la supériorité ou le caractère universel de ses valeurs, pouvait et devait poursuivre une politique plus altière. Ce sens de la mission n’a jamais empêché les Etats-Unis de rechercher leur intérêt national comme tout autre pays mais il les a aussi conduits à passer d’un extrême à l’autre, de l’isolationnisme à l’esprit de croisade[xi].

S’il a parfois contribué à limiter les tendances agressives, les Américains se repliant alors sur la « nouvelle Arcadie » pacifique et vertueuse, chère à Thomas Jefferson, il a aussi été utilisé, à l’occasion, pour justifier un certain expansionnisme. Dans les années 1840, Albert Gallatin, l’ancien secrétaire au Trésor de Jefferson, appelait ainsi ses compatriotes à entreprendre une guerre contre le Mexique : « Votre mission est d’améliorer l’état du monde, d’être la ‘république modèle’ pour montrer que les hommes sont capables de se gouverner eux-mêmes, et que la forme simple et naturelle de gouvernement est celle qui confère aussi le plus de bonheur à tous, qui engendre le plus grand développement des facultés intellectuelles et par-dessus tout, qui se caractérise par le plus haut niveau de vertu et de moralité, privée et publique[xii]. » Ce sens de la mission a reçu le nom de manifest destiny. Dans les années 1880, il était à la base de la politique impérialiste des Etats-Unis dans le Pacifique et les Caraïbes[xiii]. Il est réapparu, en 1917, sous la forme d’une responsabilité nationale pour sauver la démocratie en Europe : Woodrow Wilson s’est fait le champion de ce messianisme en plaidant pour une Société des Nations (SDN). C’est dans la même optique que sont nées les Nations unies et qu’a été lancé le plan Marshall, après la Seconde Guerre mondiale.

Un internationalisme idéaliste, moraliste et unilatéraliste

L’enthousiasme pour le multilatéralisme des organisations internationales semble limité aux lendemains de guerre. On se souvient du rejet de la SDN par le Sénat en 1920. Lorsque la primauté américaine risque d’être contestée, le multilatéralisme est mis en question[xiv]. C’est que l’internationalisme américain est un internationalisme nationaliste. La politique étrangère américaine a toujours été marquée du sceau de l’unilatéralisme, même aux plus beaux jours du multilatéralisme. L’internationalisme américain veut « faire du bien » (global meliorism) et guérir les maux de l’humanité[xv]. Il recherche un ordre mondial libéral et démocratique mais avec la puissance américaine au centre, avec l’Amérique comme la nation indispensable[xvi]. Woodrow Wilson s’est fait le champion d’un système de sécurité collective mais pour lui les Etats-Unis étaient des « associés », pas des alliés de la France et de la Grande-Bretagne. Pour lui, l’Amérique avait une mission exceptionnelle à remplir. Il voulait garder les mains libres et n’a jamais promis aux Alliés de ne pas conclure une paix séparée. Il était convaincu que les intérêts du monde coïncidaient avec ceux de l’Amérique et que la paix ne pouvait être fondée que sur l’américanisation de la vie politique et des rapports économiques.

Pour la première fois depuis leur indépendance, les Etats-Unis, en 1918, étaient capables de traduire ces aspirations en actes[xvii]. Les présidents F. D. Roosevelt et Truman, au cours de la Deuxième Guerre mondiale et au lendemain de celle-ci, voulaient un monde unifié, doté d’une économie internationale libérale et d’un système de sécurité collective. Cela devait permettre aux Etats-Unis de projeter leurs propres conceptions sur un monde où la dépression et la guerre avaient manifesté la banqueroute des idées européennes de sphères d’influence et de nationalisme économique. Si les Etats-Unis ne pouvaient plus s’isoler des affaires du monde, ils devaient changer les termes de la politique internationale. A cette condition seulement le Congrès et l’opinion publique accepteraient de jouer le jeu de l’internationalisme. Il fallait réformer et remodeler les politiques de puissance européennes d’après les critères américains. Il fallait exporter l’exceptionnalisme américain ou ne pas s’engager du tout. C’était tout ou rien[xviii].

Cette « philosophie » se retrouve dans le type de guerre qui peut susciter l’adhésion du peuple américain. Lorsque l’Amérique part en guerre, elle doit se sentir une supériorité morale sur son adversaire. Toute idée de modération est supprimée : il faut punir l’adversaire en lui livrant une guerre totale ; il ne mérite aucune considération ; il est un criminel dont on ne doit exiger qu’une capitulation sans conditions[xix]. Ce fut le sort des Indiens, de la Confédération en 1865, de l’Allemagne et du Japon en 1945. Cela explique aussi pourquoi les Etats-Unis doivent avoir des forces armées « sans rivales » (beyond challenge) et une gamme d’options aussi vaste que possible[xx]. Les Américains ont du mal à appréhender, malgré le temps et l’énergie qu’ils y consacrent, les « conflits de faible intensité « ou ce qu’ils appellent les « opérations autres que la guerre «[xxi]. L’Amérique préfère partir en guerre avec un esprit de croisade et livrer des guerres totales au nom de principes moraux : une cause suffisamment noble justifie l’emploi de moyens violents[xxii]. Pour susciter l’adhésion de l’opinion publique, les hommes politiques américains ont toujours tendance à simplifier les situations, à noircir davantage l’ennemi[xxiii]. Avant de déclencher l’opération « Tempête du Désert « en 1991, le président Bush a invoqué la doctrine chrétienne de la guerre juste. Il s’est attaché, dans ses déclarations et ses discours, à peindre le conflit du Golfe comme un face-à-face entre le bien et le mal. Il a incité les Américains à lire le rapport d’Amnesty International sur les atrocités irakiennes au Koweit, et il a comparé celles-ci à celles des nazis et des Japonais pendant la Deuxième Guerre mondiale. Son fils évoquera un « axe du mal » en 2002, comme Ronald Reagan avait parlé d’un « empire du mal » pour qualifier l’Union soviétique. L’opinion publique soutient plus facilement une guerre totale dont l’objectif est clair et où il s’agit d’abattre un ennemi identifié avec le mal, comme ce fut le cas dans la Seconde Guerre mondiale. En revanche, elle comprend difficilement l’enjeu d’une guerre limitée, surtout si elle se prolonge : la Corée et surtout le Viêt-nam l’ont montré. Les Américains n’aiment pas les expéditions lointaines prolongées. La durée de leur résolution est inversement proportionnelle à la distance, à la durée et à la dimension du déploiement.

La culture américaine est fondée sur la gratification instantanée : s’il faut faire la guerre, celle-ci doit être courte, rapide et décisive. Pendant les mois qui ont précédé l’action de force pour libérer le Koweit en 1991, les dirigeants ont dû tenir compte d’une double exigence de l’opinion publique : celle-ci ne pourrait tolérer un taux élevé de victimes américaines et ne supporterait pas un retour de la conscription. Le patriotisme, spontané au départ, n’y survivrait pas[xxiv]. Cette impatience de l’opinion constitue un frein aux engagements américains dans des opérations de « maintien de la paix « ou de « rétablissement de la paix «[xxv]. La situation fut différente en 2003 durant la deuxième guerre du Golfe : l’opinion américaine était prête à accepter davantage de pertes militaires pour venger les attentats du 11 septembre 2001.

L’idéalisme américain a toujours été en tension avec un certain réalisme. Selon Arthur Schlesinger, l’histoire de la politique extérieure des Etats-Unis s’explique à la lumière de cette tension[xxvi]. Tout président américain doit, s’il cherche l’approbation de sa politique, faire appel et à la réalité et à l’idéologie, et combiner les deux courants non seulement dans ses discours mais aussi dans son esprit. Franklin Roosevelt, qui fut à la fois le disciple de l’amiral Alfred Thayer Mahan et celui du président Wilson, était passé maître dans l’art de marier l’intérêt national à l’espérance idéaliste, même si, dans les moments critiques, le premier l’emportait toujours. La plupart des présidents de l’après-guerre, Truman, Eisenhower, Kennedy, Nixon, Reagan, ont reconnu, bon gré mal gré, la primauté de la politique de puissance sur l’idéologie, mais leur discours a continué d’être empreint de moralisme. Ainsi la doctrine Truman, destinée à affirmer la relève de la Grande-Bretagne par les Etats-Unis en Méditerranée, a-t-elle été présentée comme la défense des nations libres contre toute agression directe ou indirecte. Un intérêt américain concret pour une région limitée a été transformé en un principe général universellement valide, et devant être appliqué sans considérer les limites des intérêts et de la puissance de l’Amérique.

 En fait, le soutien du Congrès et du peuple n’était possible que pour une croisade anticommuniste. Cette approche ambivalente, combinant le réalisme géopolitique et l’idéalisme rédemptif, était bien adaptée à l’expansion territoriale américaine, aux guerres mondiales et à la guerre froide. Elle a retrouvé un nouveau souffle avec la guerre contre le terrorisme. Les Européens ont du mal à croire à cet idéalisme américain et n’y voient qu’un paravent qui cacherait des appétits de puissance bien concrets. Ceux-ci existent mais l’idéalisme aussi. Si les Américains ont approuvé l’intervention militaire contre l’Irak en mars 2003, c’est parce qu’ils y voyaient vraiment une action bénéfique pour la sécurité et le bien du monde[xxvii]. George W. Bush n’a cessé de tenir un discours moraliste à cette occasion, retrouvant les accents de ses prédécesseurs Woodrow Wilson et Franklin Roosevelt. Les Pères fondateurs croyaient fermement que l’expérience américaine devait être menée au nom de l’humanité entière et les Américains d’aujourd’hui continuent de le croire. Si les yankees et les rebels se sont affrontés si durement pendant la guerre de Sécession, c’est parce qu’ils croyaient, chacun dans leur camp et de bonne foi, défendre le véritable héritage des Pères fondateurs, au premier rang desquels figurait la liberté, exprimée dans la Constitution fédérale pour les uns, dans les droits des Etats pour les autres. Mais ils s’imaginaient aussi que leur combat avait des implications pour le monde entier et que leur cause était celle de l’humanité[xxviii].

Une des caractéristiques de la culture stratégique américaine est qu’elle parvient à marier dans une curieuse alchimie l’idéalisme et le réalisme. Car celui-ci, nonobstant les discours à l’usage du peuple américain, est solidement implanté dans la « communauté stratégique » de Washington, qui désigne la plupart des conseillers, chercheurs et experts travaillant dans les forces armées, les universités, think tanks et autres fondations. Parmi les Pères fondateurs, Alexander Hamilton était incontestablement un réaliste. Mais le réalisme s’est surtout développé à partir de 1944-1945, quand les Etats-Unis ont dû assumer un rôle de premier plan dans le monde[xxix]. Derrière quelques grandes figures de proue réalistes comme Hans Morgenthau, Henry Kissinger, Zbigniew Brzezinski, dont certains sont passés de l’université à la politique, ce sont plusieurs générations d’intellectuels américains qui se sont mis à l’étude des relations de puissance et de la stratégie, se consacrant en particulier, comme l’a fait Kissinger dans sa thèse de doctorat, à l’étude de l’histoire de l’Europe classique, celle d’avant les guerres mondiales.

 La communauté stratégique américaine s’est donc mise à étudier le passé guerrier de l’Europe au moment où celle-ci tentait de le renier pour se lancer dans une autre voie, celle de la « construction européenne » à la Monnet, qui néglige les dimensions proprement politiques et militaires pour se concentrer sur l’économie et le commerce. Le résultat, c’est que les Etats-Unis vivent encore selon les règles de la Realpolitik et considèrent la menace militaire, la coercition et la guerre comme des instruments essentiels de la diplomatie[xxx]. Les Européens, eux, estiment ces comportements dépassés et entendent fonder leur politique étrangère sur le seul droit international. Le paradoxe est à double sens. Si l’Amérique incarne aujourd’hui la power politics européenne du XIXe siècle, l’Europe « post-moderne » semble devenir aussi légaliste que l’Amérique de Woodrow Wilson. La question est secondaire de savoir si les Etats-Unis sont aujourd’hui plus ou moins clausewitziens que les Européens. Il suffit de se rendre compte à quel point les études stratégiques et l’histoire militaire, dont fait partie Clausewitz, sont aujourd’hui dominées par les universitaires et chercheurs américains.

Une géostratégie des flux, de l’insularité et des grands espaces

Les Etats-Unis sont d’abord « la puissance du flux «[xxxi]. Ils tirent leur puissance et leur prospérité de la libre circulation des flux de populations, de marchandises, de liquidités, de moyens financiers, d’informations, dont ils contrôlent une bonne partie. L’Amérique est une nation commerçante, maritime et échangiste ; elle a besoin d’un accès libre à tous les coins du monde pour s’approvisionner en ressources et trouver des marchés. C’est aussi une nation insulaire, avec une situation privilégiée, loin des autres puissances qui pourraient lui être hostiles. Son insularité lui a toujours permis de prendre son temps pour réagir face à un problème. L’Amérique n’a jamais connu de menace véritable. Le recours à la violence, elle l’a toujours perçu comme un libre choix fondé sur une morale, non comme une dure nécessité de l’histoire des voisinages[xxxii]. Ce que l’on a longtemps qualifié d’isolationnisme n’a jamais correspondu à un isolement des affaires mondiales mais plutôt à une volonté de garder une totale liberté d’action[xxxiii]. La décision de s’engager militairement appartient entièrement au gouvernement et au peuple des Etats-Unis. La nécessité d’une osmose parfaite entre les deux est une caractéristique fondamentale de la culture stratégique américaine. Elle constitue une contrainte majeure pour un président désireux, par exemple, de mettre des troupes américaines à la disposition des Nations unies[xxxiv].

Ce sont les nécessités du commerce qui ont justifié l’extension de la marine américaine, jusqu’à faire de celle-ci la « première ligne de défense «. En 1801, la première réunion de l’administration Jefferson fut consacrée à l’envoi d’une escadre en Méditerranée pour protéger les navires marchands américains des Barbaresques de Tripoli[xxxv]. Entre 1870 et 1900, les exportations américaines furent multipliées par trois, et la nécessité d’une forte marine fut ressentie. L’amiral Alfred Thayer Mahan vint à point nommé pour développer une argumentation dans ce sens. Le rapport du Naval Policy Board, en 1890, soulignait la nécessité d’une flotte capable de protéger les « grand-routes du commerce «[xxxvi]. Sur ce plan, l’Amérique a chaussé les bottes de l’Angleterre. On peut parler en effet d’une tradition maritime anglo-américaine qui formule la politique et la stratégie nationales en termes d’usage à la fois commercial et naval des mers. La recherche de l’équilibre des forces (balance of power) a toujours été un objectif pour les Anglais et ensuite pour les Américains, mais cet équilibre, il faut le noter, n’a jamais concerné les mers, où les Anglo-Saxons ont l’habitude de revendiquer une sorte d’hégémonie[xxxvii].

Les écrits de l’amiral Mahan ont constitué le fondement de la stratégie navale des Etats-Unis. Cette stratégie était offensive en termes militaires mais se voulait au service d’une politique défensive. Mahan prônait la bataille décisive entre flottes de haute mer, alors que la politique générale des Etats-Unis ne visait qu’à garantir la liberté des mers. Ce que l’on ignore souvent, c’est qu’il y a une filiation entre la stratégie navale de Mahan et les doctrines américaines de la dissuasion nucléaire, fondées elles aussi sur des capacités offensives[xxxviii]. Au cœur de la culture stratégique américaine, il y a la capacité de « projeter la puissance «. Cette capacité a d’abord été navale et se matérialise toujours dans les groupes de porte-avions qui patrouillent toutes les mers du monde. Elle est aujourd’hui de plus en plus aérienne et même spatiale, « aérosatellitaire » comme dit Alain Joxe[xxxix] : les guerres du Golfe et d’Afghanistan ont montré que l’observation par satellite et le ciblage en temps réel du champ de bataille par l’aviation étaient désormais les principaux instruments du global reach stratégique, c’est-à-dire de la capacité stratégique de transporter la force sur l’ensemble de la planète.

Si la culture stratégique américaine a repris des traditions britanniques, elle s’est rapidement singularisée par ce phénomène fondamental que fut la conquête de l’Ouest. La prise de possession d’un territoire vaste comme un continent et l’expérience de la « frontière » ont donné un sens aigu de l’espace aux Américains et à leur façon de concevoir la stratégie. Une fois explorés, administrés, exploités par eux, les grands espaces ont donné aux Américains un sentiment d’assurance et de force qui les a portés vers d’autres conquêtes, même si celles-ci n’ont plus nécessairement revêtu une forme territoriale. Les horizons infinis, où n’apparaît aucune trace de propriété, laissent présager des appropriations faciles, presque illimitées. En Europe, la majorité des futurs colons n’appartenaient pas à la classe des possédants. L’Océan franchi, les voici possesseurs de terres immenses. L’espace a exalté les imaginations, et les dirigeants américains ont exprimé les sentiments de la population en assignant à leur pays la première place. « La république fédérale pure, vertueuse, inspirée par le peuple, disait le président John Adams, gouvernera le globe et y introduira la perfection de l’homme[xl]. » Les grands espaces des Etats-Unis, ajoutés à leur insularité, ont conféré à la culture stratégique américaine une orientation à la fois maritime et continentale, ce qui se rencontre rarement[xli].

Une expansion continue et une suite de guerres victorieuses

L’histoire stratégique des Etats-Unis peut être envisagée comme celle d’une expansion continue. Du XVIIe au XIXe siècle, l’Amérique du Nord est une petite puissance dans la sphère stratégique britannique, comme colonie puis comme nation indépendante, détachée du Canada, malgré les intermèdes belliqueux de 1776-1783 et de 1812-1814. L’expérience coloniale établit un certain nombre d’habitudes comme le système des milices, la défense côtière et la police de la frontière contre les Indiens[xlii]. Ces guerres indiennes sont le creuset où se forge l’US Army, composée de professionnels. Elle se pose en alternative plus efficace aux miliciens indisciplinés. La guerre de Sécession déchire cette période de continuité stratégique. Mais, à côté des innovations et des prouesses momentanées exigées par cette première guerre industrielle, certaines habitudes persistent : l’US Navy saisit la maîtrise des mers presque par défaut et fait le blocus des côtes sudistes, tandis que les Confédérés pratiquent les méthodes traditionnelles de défense côtière et de guerre de course. La conquête de l’Ouest s’achève vers 1890, après les derniers grands affrontements de Little Big Horn et de Wounded Knee contre les Sioux.

Une deuxième période démarre en 1898 avec la guerre contre l’Espagne à propos de Cuba. Quand elle se termine, les Etats-Unis ont acquis les Philippines, ils ont des intérêts stratégiques en Asie et exercent une hégémonie sur le continent américain. Débute également une coopération stratégique anglo-américaine. L’US Navy se dote d’une flotte de bataille capable d’assurer la maîtrise des mers. Dans l’Atlantique nord, celle-ci est toujours assumée par la Royal Navy mais les Caraïbes deviennent zone d’influence américaine[xliii]. La troisième phase est celle des guerres mondiales. L’intervention décisive de l’U.S. Army sur le front européen s’ajoute à l’acquisition de la maîtrise des mers, qui reste la stratégie fondamentale. L’essentiel de la guerre terrestre a été mené par de puissants alliés continentaux : les armées française, britannique et russe de 1914 à 1918, l’armée soviétique de 1941 à 1945. Ce n’est que lorsque l’ennemi a été chassé des mers et s’est vu contraint à la défensive stratégique sur terre que l’intervention de l’U.S. Army a emporté la décision.

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, cette stratégie ne fut pas acceptée d’emblée par tous les membres du haut commandement américain. L’armée, en la personne de son chef d’état-major, le général George C. Marshall, préconisait une invasion immédiate de l’Europe, une attaque directe de l’Allemagne. Le Premier ministre britannique et l’amiral Ernest J. King, au nom de l’US Navy, imposèrent globalement leur conception mais un compromis dut être trouvé. Il faut dire qu’un facteur nouveau renforçait l’idée d’une attaque directe : le développement de l’aviation de bombardement. En appui de la stratégie terrestre, elle joua le rôle d’une artillerie à longue portée, affaiblissant l’économie allemande et interdisant les mouvements de troupes. Dans le cadre de la stratégie maritime globale, l’aviation assurait la maîtrise de l’air et de la mer, indispensable à la protection des lignes de communication dans l’Atlantique. Dans la guerre du Pacifique, la stratégie américaine fut évidemment à dominante navale. En 1947, l’U.S. Air Force arracha son autonomie en faisant valoir que les bombardements de l’Allemagne et du Japon avaient été décisifs. Ce point de vue fut renforcé avec l’impression produite par l’utilisation de deux bombes atomiques. Les Etats-Unis professèrent alors une stratégie d’un type nouveau, basée sur la dissuasion nucléaire assurée par les bombardiers à longue distance. Mais la stratégie maritime ne fut pas abandonnée pour autant[xliv]. La Pax Americana s’étendait désormais pleinement à l’Europe occidentale et au bassin Pacifique. La guerre froide la consolida tout en lui donnant des limites. Celles-ci n’étaient que temporaires. Une nouvelle phase d’expansion s’ouvrit avec la chute du Mur de Berlin et de l’Union soviétique en 1989-1991. Les Etats-Unis étendirent encore leur influence en Europe centrale puis orientale par le biais de l’élargissement de l’OTAN. Pour Robert Kagan, la guerre contre l’Irak en 2003 pourrait bien marquer une nouvelle phase d’expansion, en direction du golfe Persique et du Moyen Orient[xlv].

L’expansion des Etats-Unis, territoriale d’abord, économique, politique et culturelle ensuite, n’a été possible qu’avec une succession de guerres victorieuses. Sur deux siècles, les succès militaires de l’Amérique ont été sans pareil dans l’histoire, à l’exception peut-être de ceux de Rome. Les Américains eux-mêmes ont du mal à le reconnaître. Ils aiment entretenir le mythe de leur impréparation militaire. Il correspond à l’héritage de Jefferson et à la foi dans les milices. Il est vrai que les Etats-Unis n’ont eu qu’une armée extrêmement modeste pendant une grande partie de leur histoire. Lorsque Napoléon rassemblait 180.000 hommes sur le champ de bataille de Wagram en 1809 pour affronter l’archiduc Charles d’Autriche, l’U.S. Army comptait en tout et pour tout 3.000 soldats[xlvi]. En 1940 encore, les forces américaines étaient très réduites comparées à celles des grands pays européens.

 Et pourtant depuis 1775 les Etats-Unis ont livré neuf guerres majeures, en neuf générations. « Les guerres de l’Amérique, écrit Geoffrey Perret, ont été comme les barres de l’échelle qui a permis son ascension. Aucune nation n’a triomphé si longtemps, d’une manière si substantielle ou sur une si vaste échelle, par la force des armes. Dire que chaque grande puissance a été d’une certaine manière ‘faite’ par la guerre, c’est refuser de voir l’évidence. Ne faut-il pas, au contraire, admettre que les cinq autres grandes puissances de ces deux derniers siècles – la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, le Japon et la Russie – ont été plutôt faites par la guerre ? […] Seuls les Etats-Unis se sont élevés de façon ininterrompue vers la prospérité et la puissance globale depuis le début de leur histoire[xlvii]. » L’idée de l’impréparation garde un attrait : les braves gens ne se préparent pas à la guerre. I

l y a un côté antimilitariste chez les Américains qui les rend soupçonneux de l’ambition des hommes en uniforme et qui les pousse à critiquer l’action des forces armées, même si elles sont victorieuses. En Corée et au Viêt-nam, les échecs américains n’ont été que des défaites locales limitées. Rien de comparable avec Waterloo ou Stalingrad. Aucune armée ennemie n’est venue défiler sur la Cinquième avenue à New York, aucun président ne s’est rendu[xlviii]. Cela explique peut-être pourquoi, contrairement aux Européens, les Américains ont gardé une certaine fascination pour les épopées militaires. Ils n’ont jamais connu l’amertume de la défaite ni surtout de l’occupation. Seuls les Américains continuent à réaliser des films de guerre exaltant leurs gloires nationales. L’histoire militaire américaine n’est pas aussi riche que celle de la France ou de l’Allemagne, parce que plus récente, mais elle est la mieux représentée au cinéma, au point d’occuper une position de quasi-monopole.

L’approche directe : la recherche de l’anéantissement de l’ennemi

L’ouvrage désormais classique de Russell F. Weigley sur la « façon américaine de faire la guerre » constitue certainement la meilleure introduction à l’étude de la culture stratégique des forces armées américaines. L’idée maîtresse de cet ouvrage est que la stratégie américaine, au cours de l’histoire, a toujours consisté à aborder directement l’ennemi : une fois défini le centre de gravité de ce dernier, il est attaqué directement et de façon massive. Ce constat se base essentiellement sur les opérations du général Grant pendant la guerre de Sécession et sur celles du général Eisenhower en Europe, en 1944-1945[xlix]. Avant de développer les caractéristiques de cette approche, il n’est peut-être pas sans intérêt de rappeler l’originalité des premières expériences guerrières de l’Amérique. La learning theory postule que plus un événement est ancien, plus sa valeur fondatrice et donc explicative est grande. Au XVIIe siècle, les colonies britanniques du Nouveau Monde s’implantèrent dans un contexte de violence et d’insécurité. De 1650 à 1750 environ, tandis que les Etats européens adoptaient progressivement un code de conduite militaire et diplomatique qui limitait les effets les plus désastreux de la guerre, les colons anglais d’Amérique du Nord revivaient, à l’échelle de leurs conflits avec les Indiens, les horreurs de la « pacification de l’Irlande » sous Elisabeth Ire et celles de la guerre de Trente Ans[l]. La différence entre les expériences européenne et américaine, à cette époque, est fondamentale.

 Au début, les colons n’avaient pas les moyens de créer une force militaire composée de spécialistes pour protéger la population. Une telle force, d’ailleurs, se serait sans doute révélée inefficace pour contrer la tactique indienne. Lorsque les colonies, grâce à l’afflux incessant des immigrants, acquirent un potentiel militaire supérieur à celui des plus puissantes tribus indiennes, elles ne se dotèrent pas pour autant d’une capacité de défense supérieure. Il y avait donc un hiatus entre la force potentielle et la capacité défensive. En cas de guerre, les citoyens étaient soumis à un service militaire obligatoire, et la mobilisation se faisait au prix d’un grand désordre social. C’était le système des milices. Les colons ont ainsi acquis une conception particulière de l’art de la guerre.

Pour eux, il s’agissait moins de se protéger, d’isoler la société contre toute menace extérieure, comme cela se faisait de plus en plus en Europe, que de se venger, d’entreprendre des actions de représailles pour une violence déjà commise par l’ennemi. Guidées par des informateurs indigènes, les forces coloniales se jetaient sur les villages indiens, massacrant les vieillards, les femmes et les enfants, incendiant les habitations et détruisant le cheptel et les récoltes[li]. Pour chacun des adversaires, il s’agissait d’une véritable lutte pour la survie. Ce n’était pas le cas des guerres européennes du 18e siècle. Les Etats entraient en compétition pour des forteresses ou des provinces, mais ils gardaient conscience de leur participation à une civilisation commune.

Pour les Américains, il s’agissait d’une opposition entre la civilisation et la sauvagerie. Cela ne les empêchait pas d’utiliser des techniques de guerre européennes pour vaincre les Indiens[lii]. Les Américains n’ont jamais cessé de s’intéresser aux développements de l’art de la guerre en Europe, y compris au niveau théorique de la pensée militaire. Mais l’expérience des guerres indiennes a renforcé les Américains dans leur conviction, héritée des libertés saxonnes du haut Moyen Age anglais, que tout citoyen a le droit constitutionnel d’être armé (2e amendement). Elle contribua également à façonner la culture des forces armées des Etats-Unis, une fois que ceux-ci reconnurent la nécessité d’une profession militaire. L’Académie militaire de West Point fut fondée en 1802.

Les guerres contre les Indiens avaient suscité l’idée que tout ennemi devait être complètement détruit. Lorsque l’Amérique eut les moyens militaires adaptés aux grandes guerres qu’elle eut à livrer, elle pratiqua une stratégie de l’approche directe, traduction dans le domaine stratégique du sens de la « mission » et de l’internationalisme idéaliste, moraliste et unilatéraliste. S’inspirant de Clausewitz, l’historien militaire allemand Hans Delbrück avait distingué deux types de stratégie militaire : la stratégie d’anéantissement (Vernichtungsstrategie) ou de renversement (Niederwerfungsstrategie), où l’on cherche à dicter une paix de victoire après avoir détruit les forces de l’ennemi, et la stratégie qui vise simplement à fatiguer l’ennemi pour l’amener à conclure une paix négociée, ou stratégie d’usure (Ermattungsstrategie)[liii]. Weigley reprend cette distinction. L’adoption de l’une ou l’autre stratégie dépend en premier lieu des ressources dont on dispose. La stratégie d’usure est la stratégie du pauvre. Elle est employée lorsque manquent les moyens d’aborder directement l’ennemi : on se résout alors à une approche indirecte. Au contraire, la stratégie d’anéantissement est celle du riche. Pendant la guerre d’Indépendance, Washington dut pratiquer la stratégie d’usure car ses ressources militaires ne lui permettaient pas autre chose. Mais l’expérience de ce type de stratégie fut vite oubliée. Le pays se développa à une allure vertigineuse et cette prospérité, jointe à l’adoption de buts de guerre absolus, fit de la stratégie d’anéantissement la première caractéristique de l’American Way of War. La stratégie relative aux armes nucléaires s’est inscrite dans le prolongement de cette stratégie d’anéantissement. La doctrine des « représailles massives » peut être interprétée dans ce sens. Mais la capacité de destruction était multipliée dans de telles proportions que la mise à exécution de la menace en vint à manquer de crédibilité lorsque l’arme atomique cessa d’être un monopole américain. Alors apparurent les théories de la « guerre limitée »[liv]. Elles furent officiellement adoptées par l’US Army, qui voyait là un moyen de défendre sa raison d’être face au rôle grandissant de l’US Air Force. Mais l’armée fut incapable de faire les ajustements nécessaires pour pratiquer une stratégie de guerre limitée. Au Viêt-nam, les généraux Wheeler et Westmoreland restèrent dans la ligne de l’approche directe et recherchèrent avant tout la destruction complète de l’armée nord-vietnamienne, alors que la nature particulière du conflit exigeait que l’on sortît des sentiers battus. La vieille tradition de la stratégie d’anéantissement était profondément enracinée[lv].

Elle avait pour principale conséquence que les généraux n’envisageaient la guerre qu’en termes strictement militaires de destruction de l’ennemi. Les considérations politiques étaient exclues, induisant une définition étroite de la stratégie. Pour les militaires américains, la distinction entre la tactique et la stratégie se limitait à la direction des forces avant et pendant la bataille. On a par ailleurs reproché à l’administration Roosevelt d’avoir subordonné les considérations politiques aux nécessités immédiates de la stratégie militaire pendant la Deuxième Guerre mondiale.

La poursuite de la victoire militaire par les moyens les plus directs ne doit pas faire l’objet d’un reproche systématique. Mais selon Weigley, de 1941 à 1945, les Etats-Unis ne possédaient pas vraiment de stratégie nationale gouvernant l’emploi de la force pour atteindre des buts politiques[lvi]. Ils ne connaissaient que l’utilisation directe de la force. Les Etats-Unis n’avaient pas été suffisamment impliqués dans la politique internationale au cours de leur histoire pour que se développât une stratégie nationale cohérente, poursuivant des objectifs précis au moyen de la diplomatie et de la force armée. Cette situation a d’ailleurs pour conséquence que les civils n’ont jamais eu de problème avec une éventuelle interférence des militaires dans les questions politiques[lvii]. Ceux-ci concevaient la stratégie en termes si étroitement militaires que la tentation d’intervenir dans la formulation de la politique nationale en était réduite d’autant[lviii].

Il n’est peut-être pas de meilleure illustration de l’approche directe que les fameux mots du général MacArthur pendant la guerre de Corée : « There is no substitute for victory ». Son désir de recourir aux armes atomiques et d’étendre la guerre au territoire chinois procédait bien de la recherche de l’anéantissement de l’ennemi. Mais, outre que le président Truman réaffirma la supériorité du pouvoir civil en limogeant MacArthur, les événements forcèrent les Etats-Unis à sortir de leurs habitudes historiques et à réfléchir davantage à la dimension politique de la stratégie. Voyant qu’ils étaient impliqués dans un conflit prolongé avec le communisme international, ils sentirent la nécessité d’une stratégie nationale pour la défense et la promotion des valeurs et des intérêts américains. Un formidable effort de réflexion sur la stratégie se développa dans certains centres de recherche spécialisés puis dans les universités. Il en résulta un élargissement de la conception traditionnelle. Mais il ne faut pas perdre de vue que cette extension du débat a surtout été due à des civils et que les militaires restent souvent attachés à une conception de la stratégie en termes d’anéantissement pur et simple de l’ennemi.

Leur comportement au Viêt-nam et dans les guerres du Golfe a montré qu’ils ne s’étaient pas départis de cette attitude fondamentale. Ken Booth s’est ingénié à réfuter les propositions généralement admises à propos de l’American Way of War. Il s’en est naturellement pris aux assertions sur l’approche directe[lix]. Celle-ci, d’après lui, est loin d’être l’apanage exclusif des Américains et a même été la forme la plus répandue de la stratégie au cours de l’histoire. On trouve aussi des exemples d’approche indirecte dans l’histoire militaire américaine : George Washington et Nathanael Greene pendant la guerre d’Indépendance, Winfield Scott pendant la guerre du Mexique. Booth considère que l’on a gardé du général Grant une image par trop stéréotypée. Sa réputation repose sur sa campagne de Virginie (1864-1865), où il chercha à anéantir l’armée du général Lee par des assauts frontaux. Mais il s’était rendu compte qu’il ne pouvait pas faire autrement. Il s’était révélé beaucoup plus habile manœuvrier dans les opérations autour de Vicksburg en 1863. Nous reviendrons plus loin sur ce débat.

La préférence pour l’offensive opérationnelle et tactique

L’offensive domine les doctrines opérationnelles et tactiques des forces armées américaines. Jomini, Mahan et Douhet sont généralement considérés comme les premiers maîtres à penser de l’Army et des Marines, de la Navy et de l’Air Force. Ils ont tous les trois insisté sur les avantages de l’offensive[lx]. En ce qui concerne les armes nucléaires, on peut considérer que la stratégie américaine a toujours consisté à faire peser une menace offensive crédible sur le territoire soviétique. Alors qu’il était technologiquement et politiquement possible d’organiser des systèmes défensifs, les Etats-Unis ont longtemps repoussé les occasions de le faire.

Apparemment, il y a donc eu continuité dans la préférence pour l’offensive. Mais la nouvelle dimension des armes nucléaires n’avait-elle pas changé la nature du débat ? En 1964, Herbert York et Jerome Wiesner, deux scientifiques qui avaient conseillé les administrations Eisenhower et Kennedy, affirmaient qu’à l’âge nucléaire des défenses efficaces étaient non seulement impossibles mais dangereuses[lxi]. Le souci de trouver un équilibre stable entre les deux superpuissances était à la base de ce paradoxe. L’équilibre ne pouvait se fonder que sur la certitude que toute attaque déclencherait des représailles foudroyantes de la partie adverse : cela débouchera sur le constat de la « destruction mutuelle assurée » ou MAD (mutual assured destruction). Cet équilibre de la terreur ne pouvait se maintenir que si les deux parties étaient assurées de disposer d’au moins une fraction de leur arsenal nucléaire après toute attaque.

 La possibilité d’exercer des représailles après une « première frappe » devait être, en quelque sorte, garantie. La reconnaissance mutuelle de ce droit à une deuxième frappe devait donc conduire les Etats-Unis et l’Union soviétique à renoncer aux armes défensives destinées à neutraliser une telle riposte. Ce raisonnement sous-tendit depuis lors toute la dissuasion nucléaire. Mais il ne rencontra jamais beaucoup d’enthousiasme chez les militaires américains, ce qui, d’une certaine manière, montrait que le caractère offensif de la dissuasion n’était pas de même nature que celui des opérations conventionnelles. Depuis la fin des années 1950, les données avaient changé : les Soviétiques disposaient de missiles intercontinentaux et les Américains étaient de ce fait confrontés à un problème inédit dans leur histoire. Ils découvraient la vulnérabilité absolue de leur territoire. La pensée stratégique américaine a alors cherché à résoudre, ou pour le moins à contourner, ce problème. Mais certains théoriciens, comme Albert Wohlstetter ou Fred Iklé, n’ont jamais accepté la logique de la MAD. Pour eux, il fallait rejeter le tabou selon lequel les défenses à l’âge nucléaire étaient « déstabilisantes » et mettre en place des systèmes de protection passive (abris) et active (armes de défense contre les missiles).

La Strategic Defense Initiative (SDI) lancée par Ronald Reagan en 1983 s’est inscrite dans cette foulée, de même que l’actuel programme de National Missile Defense. Mais les Etats-Unis, contrairement à l’URSS, n’ont jamais mis au point un véritable système de défense civile. C’est tout simplement contraire à l’esprit américain. Aux yeux de l’opinion publique, il est inconcevable de devoir se terrer dans un abri tandis que les villes et les champs seraient ravagés par des explosions nucléaires[lxii]. Ce sentiment va de pair avec la préférence accordée à l’offensive par les forces armées. Le territoire des Etats-Unis n’a jamais été envahi : la seule défense est active, à l’extérieur, dans l’espace, ou alors elle prend la forme d’une action offensive[lxiii].

Pour lutter contre le terrorisme, l’administration Bush a mis sur pied, ce qui est inhabituel pour les Américains, un secrétariat à la homeland security, tout en reconnaissant, culture stratégique oblige, que « la meilleure défense, c’est une bonne offense »[lxiv]. Ce besoin d’offensive est bien apparu en 2003 avec l’attaque de l’Irak, alors qu’aucun lien n’avait été démontré entre le régime de Saddam Hussein et les auteurs des attentats du 11 septembre 2001. Il est difficile pour les Américains de se résoudre à développer des capacités purement défensives. « A cause de leur position géographique et de leur puissance militaire, écrit Barry Posen, les Etats-Unis sont habitués à être sur l’offensive, mais dans cette campagne la défensive doit assumer une importance égale sinon plus grande[lxv]. »

Tendance à l’attrition et redécouverte de la manœuvre

La recherche de l’anéantissement de l’ennemi et la préférence pour l’offensive sont encore des caractéristiques très générales. Quand on examine l’approche américaine des opérations terrestres, des traits distinctifs supplémentaires apparaissent. En effet, la destruction de l’ennemi s’effectue le plus souvent par une concentration massive de la puissance de feu et par l’accumulation de succès tactiques remportés au cours d’une avance prudente sur un large front. Cela contraste avec les approches napoléonienne et allemande, assimilées ensuite par les Russes. Ces approches consistent à concentrer ses forces sur les points faibles de l’ennemi, à y réaliser une percée en bénéficiant des effets de surprise et de choc, puis à exploiter rapidement les succès locaux. Cette approche cherche la décision par la manœuvre au niveau opérationnel plutôt que par l’accumulation de succès au niveau tactique. Elle a reçu le nom de « stratégie de manœuvre relationnelle », par opposition à la « stratégie d’attrition » pratiquée par les Américains.

Cette dernière expression appelle quelques commentaires. Tout d’abord, il ne faut pas la confondre avec l’Ermattungsstrategie définie par Delbrück et traduite « stratégie d’usure » par Raymond Aron. Comme nous l’avons précisé plus haut, celle-ci désigne une stratégie où l’on ne cherche pas à anéantir l’ennemi mais simplement à le fatiguer pour l’amener à une paix de compromis. La stratégie d’attrition est au contraire une modalité particulière de la Vernichtungsstrategie, la stratégie d’anéantissement. Quand on mène la guerre de cette façon, l’ennemi est traité comme un simple inventaire d’objectifs : tout le problème consiste à rassembler des ressources supérieures pour détruire les forces de l’adversaire, uniquement par la puissance du feu et le poids du matériel[lxvi]. L’attrition s’oppose à la manœuvre. Celle-ci est plus que le simple mouvement. C’est une action relationnelle, c’est-à-dire guidée par un examen attentif de l’ennemi et de sa manière d’agir. Le but est de réunir des forces supérieures en un point où l’ennemi est plus faible, même si ce dernier possède une supériorité globale. La manœuvre nécessite une plus grande activité intellectuelle et une meilleure collecte de renseignements que l’attrition.

Elle est aussi plus risquée. Mais, alors que celui dont la force matérielle est supérieure peut choisir entre les deux stratégies, celui dont les ressources sont inférieures ne peut espérer l’emporter que par la manœuvre. La manœuvre « fait » l’art opérationnel ou l’opératique, niveau intermédiaire entre la stratégie et la tactique. Si les Américains et les Britanniques ont longtemps négligé ce niveau, c’est que ni les uns ni les autres n’ont une tradition de maintien d’une armée de masse nécessitant un niveau de commandement opérationnel, c’est-à-dire celui d’un général d’armée ou de groupe d’armées. Leur insularité leur permettait de confier leur stratégie à leur flotte, qui constituait leur première ligne de défense. Quant à leurs forces terrestres, elles se contentaient de patrouiller dans les plaines de l’Ouest ou aux confins de l’empire. Ce n’était pas là une bonne école pour le développement de l’art opérationnel nécessaire pour manier de grandes armées[lxvii].

Ulysses S. Grant serait à l’origine de la préférence américaine pour l’attrition. Au cours de la guerre de Sécession, il avait constaté que les batailles de type napoléonien ne pouvaient plus emporter la décision. Les armes à canon rayé multipliaient à ce point les pertes qu’aucun des antagonistes ne pouvait espérer obtenir un avantage décisif. Il décida donc de concentrer ses forces au maximum et de profiter de la supériorité numérique et matérielle du Nord. Il cherchait à garder constamment l’armée ennemie à portée de la sienne, à ne lui laisser aucune occasion de manœuvrer et à l’accabler jusqu’à ce qu’elle se désintègre. Contrairement à son adversaire en Virginie, le général Robert E. Lee, Grant n’entretenait aucune illusion sur la possibilité de détruire l’armée ennemie en une seule bataille. Contrairement aussi à Robert E. Lee, il avait les moyens de réaliser une stratégie d’anéantissement en faisant avancer ses forces concentrées sur un large front. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, le général Eisenhower pratiqua la même approche sur le front européen. Cette stratégie du moindre risque se justifiait par l’écrasante supériorité des alliés en matériel et les difficultés de la direction d’une coalition[lxviii]. Elle convenait au souci de préserver autant que possible la vie des boys. Les aspirations de Montgomery à percer les lignes allemandes sur un front étroit comportaient de nombreux risques militaires pour des avantages stratégiques douteux. Le désastre d’Arnhem l’a prouvé[lxix].

A la fin des années 1970, Edward Luttwak a souligné le fait que les Etats-Unis ne pouvaient plus se contenter de pratiquer la stratégie d’attrition. Car les forces américaines ne jouiraient plus d’une supériorité automatique sur les forces soviétiques. Cet argument a donné lieu à un vaste mouvement de réflexion sur l’art opérationnel et la manœuvre. L’histoire militaire américaine a été revue dans cette perspective, et on y a trouvé des exemples de manœuvre, comme celle de Grant à Vicksburg ou celles de Patton en Normandie. La doctrine Air Land Battle a été le fruit de cette réflexion. Elle a été appliquée au cours de la guerre du Golfe en 1991. Comme dans l’opération COBRA qui leur a permis de sortir du bocage normand en juillet 1944, les Américains n’ont cependant lancé leurs blindés à l’assaut qu’après avoir déversé un « tapis de bombes » sur l’ennemi. L’art opérationnel américain ne se fie pas à un effet de surprise ou à la découverte d’un point faible dans la ligne ennemie : il repose d’abord sur une puissance de feu massive et sur une supériorité matérielle[lxx]. La manœuvre opérationnelle conçue par le général Schwarzkopf a reproduit la manœuvre de Grant à Vicksburg en 1863, semblable à celles de Napoléon à Ulm et à Iéna. Cette manœuvre a été enseignée dans toutes les académies militaires pendant des générations, et notamment à West Point, à travers les écrits de Jomini. Le niveau opérationnel de la guerre remis à l’honneur par la doctrine Air Land Battle provient de la stratégie de Jomini, étudiée par des générations de cadets et d’officiers américains. Fondée sur le grand style de Napoléon, cette stratégie opérationnelle fut aussi celle des colonnes convergentes, pratiquée par les Américains pour conquérir les grands espaces. Grant et Sherman l’ont utilisée pour vaincre les Confédérés. C’est ainsi que l’U.S. Army a anéanti les Indiens dans les plaines de l’Ouest. Le Pacifique fut reconquis sur les Japonais de façon similaire[lxxi].

Le contraste entre l’attrition et la manœuvre a peut-être été exagéré pour souligner les particularités de la culture stratégique américaine. Il a suscité des comparaisons entre les performances de la Wehrmacht et celles de l’U.S. Army. Martin Van Creveld a insisté sur les différences dans le processus de sélection et les études des officiers américains et allemands avant la guerre. Pour dire brièvement les choses, les officiers américains apprenaient plutôt à bien gérer leur unité et à assurer son approvisionnement en matériel, tandis que leurs collègues allemands étudiaient, quasi exclusivement, comment prendre en main une situation réelle de combat[lxxii]. Cette préférence pour la gestion dans l’éducation militaire supérieure américaine est liée à la pratique de la stratégie d’attrition : à la limite, le raffinement stratégique est inutile lorsque l’application massive et brutale d’une force quantitativement supérieure suffit à emporter la décision. Nulle arme ne pouvait mieux s’adapter à ce style de guerre que la bombe atomique. Quel meilleur outil, en effet, que cette arme de destruction massive, capable de résoudre d’un seul coup tous les problèmes d’un conflit[lxxiii] ? Le trait est sans doute forcé.

Comme l’a souligné Geoffrey Perret, l’U.S. Army a donné, de 1941 à 1945, une nouvelle dimension à la guerre de l’âge industriel et c’est sur l’ensemble de ses performances qu’il faut l’évaluer, pas uniquement sur les situations de combat au sens strict. Il est vrai que les Allemands étaient très forts dans les actions de combat de petites unités d’infanterie ou de blindés aux objectifs limités. Jugés sur ce critère étroit, les Allemands étaient sans doute les meilleurs et le sommet du combat moderne fut atteint en 1940-1941. Mais l’excellence de l’U.S. Army était basée sur des considérations beaucoup plus larges, incluant une approche systématique de l’entraînement, de la logistique et du combat. Sur le terrain, cela conduisait à des opérations interarmes combinées qui se révélèrent et sont encore aujourd’hui la forme la plus efficace de la guerre conventionnelle. Lorsqu’une division ou un corps d’armée américain entreprenait une attaque en 1944-1945, l’artillerie, les chasseurs-bombardiers, les chars, les véhicules anti-chars et l’infanterie opéraient comme une seule équipe : cela représentait une performance de combat supérieure à tout ce que les Allemands ou d’autres belligérants ne réalisèrent jamais au cours de la Seconde Guerre mondiale. Ce n’était pas qu’une question de supériorité en matériel. Celle-ci fut souvent exagérée par les Allemands pour expliquer leur défaite. Si l’U.S. Army a disposé de cet avantage, c’est parce qu’elle se l’est procuré elle-même.

 La production allemande d’armements n’a jamais été aussi élevée qu’en 1944 mais l’organisation n’était pas aussi rationnelle. L’armée américaine ne s’est pas contentée de gagner des batailles tout autour du globe, des forêts ardennaises à la jungle des Philippines. Elle a aussi mis au point la bombe atomique, géré le programme prêt-bail, réglé le trafic portuaire aux Etats-Unis et outre-mer, guidé la production de guerre, nourri des millions de personnes dans les pays libérés, entraîné et équipé des millions de soldats alliés, de la France à la Chine. L’armée américaine est devenue une armée modèle pour le monde entier durant la Deuxième Guerre mondiale et elle l’est restée depuis[lxxiv].

Une supériorité des moyens fondée sur l’éducation, la puissance de feu et les technologies duales

La recherche d’une écrasante supériorité des moyens est une caractéristique indiscutable de la culture stratégique américaine. Les guerres du Golfe, du Kosovo et d’Afghanistan ont bien montré que la stratégie génétique américaine, celle qui conçoit et invente les forces, table avant tout sur la supériorité technologique. Il s’agit là d’une véritable stratégie, suivie par le Pentagone depuis plusieurs décennies, et selon laquelle la supériorité technologique est le meilleur moyen de s’assurer une suprématie totale sur n’importe quel ennemi potentiel, même supérieur en nombre. Le recours à la technologie permet aussi de substituer les machines aux hommes[lxxv]. La France a toujours été généreuse avec la vie de ses fils, particulièrement durant les guerres de la Révolution et de l’Empire et de 1914 à 1918. Les Etats-Unis ont toujours été plus avares. Non seulement la notion de liberté individuelle y a été affirmée dès le départ et elle est peu compatible avec la conscription, mais c’est un pays de pionniers, où chaque mètre carré de terre est un don de Dieu et où chaque paire de bras pour l’exploiter compte.

Pour repousser les attaques des Indiens, lorsque les chariots des pionniers formaient le cercle, chaque fusil comptait aussi. Comme en témoignent la vente libre des armes à feu et le maintien de la peine de mort, les Américains tolèrent plus de violence que les Européens à l’intérieur de leurs frontières, estimant qu’il s’agit d’une question de liberté individuelle. Mais ils sont beaucoup plus réticents à risquer la vie de leurs soldats à l’extérieur. Ils cherchent à remplacer le risque physique par la technique. Ceci explique pourquoi l’arme aérienne est devenue leur arme privilégiée. Avec le général William Mitchell, les Américains ont été parmi les premiers à développer une doctrine de la guerre aérienne[lxxvi]. La révolution de l’informatique a vraiment consacré la prééminence de l’U.S. Air Force. La première guerre du Golfe en 1991 a conféré une telle « mystique » à la puissance aérienne que certains ont pensé réorienter le budget de la défense en faveur d’une structure de forces à forte prédominance aérienne[lxxvii]. Mais la technologie ne peut à elle seule expliquer le succès aérien. Ce fut aussi une question de stratégie et de logistique.

Par rapport aux autres armées du monde, les Américains ont une expérience inégalée dans le domaine de la logistique nécessaire à des déploiements lointains. « Bouclier du désert » en 1990-1991 a été à la fois la plus grande opération de transport maritime depuis la Seconde Guerre mondiale et le plus gigantesque pont aérien de l’histoire. Plusieurs commentateurs ont fait la comparaison avec le débarquement de Normandie en 1944. Une telle capacité de projeter la puissance caractérise en fait la culture stratégique américaine depuis la guerre de Sécession. A cette époque, le colonel suisse Ferdinand Lecomte, ami et biographe de Jomini, avait noté « la remarquable facilité des opérations combinées sur terre et sur eau », ainsi que « l’aisance des grands embarquements et débarquements » par rapport à ce que les Français et les Britanniques avaient fait en Crimée[lxxviii]. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les Américains ont démontré que la guerre de l’ère industrielle était avant tout une affaire de logistique[lxxix]. Le souci de la dimension logistique de la guerre a toujours caractérisé la culture stratégique américaine. Il provient de la nécessité qu’il y eut de conquérir de grands espaces sur le continent américain puis de monter des forces expéditionnaires pour faire la guerre « au-delà « (over there). Il faut dire aussi que le « GI « est un soldat exigeant, issu d’une société où l’aisance matérielle est apparue plus tôt qu’en Europe[lxxx]. Durant la guerre de Sécession, l’armée du général Sherman, pour un nombre d’hommes équivalent, emportait trois fois plus de bagages que la Grande Armée de Napoléon. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, leur meilleure logistique a donné aux Américains une supériorité sur les Allemands. « Si nous avions eu la logistique américaine, a dit un jour le général Ulrich de Maizière, ancien chef d’état-major de la Bundeswehr, nous aurions battu les Russes[lxxxi]. « L’importance des moyens dans la culture stratégique américaine en est venue à exercer une véritable dictature sur les fins, ainsi que certains s’en sont inquiétés à propos de la première guerre du Golfe[lxxxii].

Pour Geoffrey Perret, la supériorité des armes américaines repose sur un triple héritage tout à fait unique dans l’histoire militaire. Le premier consiste en un acte de foi dans l’éducation militaire. Dès sa création, West Point a été plus qu’une institution militaire. C’était aussi le premier établissement d’enseignement scientifique aux Etats-Unis, la première école d’ingénieurs[lxxxiii]. Annapolis et l’Air Force Academy ont suivi dans la même direction. Ces établissements ont été dès le départ les équivalents d’universités. Le développement intellectuel n’était pas poursuivi avec la même intensité dans les écoles militaires d’Europe. Aujourd’hui encore le nombre d’officiers détenant une maîtrise ou un doctorat « civil », en plus de leur diplôme militaire, est très élevé aux Etats-Unis. Le deuxième héritage, c’est la foi dans la puissance de feu. Combinée avec la foi dans l’éducation, elle a produit le troisième héritage : la technologie duale. Une profession militaire instruite a naturellement recherché les armes les plus performantes et les plus sophistiquées. L’abondance et la complexité de la machinerie utilisée par les forces armées américaines a toujours impressionné les observateurs étrangers.

Bien souvent, cette machinerie a été le produit d’industries nouvelles, créées pour rencontrer les besoins des militaires. Au XIXe siècle, le « système américain » de production de masse et de pièces interchangeables a été mis sur pied à la suite de contrats militaires et grâce à des inventeurs d’armes comme Whitney, Hall et Colt. Les militaires n’ont pas été les seuls à bénéficier de ces innovations. Elles ont fait prospérer toute l’économie américaine, créant bien plus de richesses que ce que les forces armées consommaient. Cette tradition continue[lxxxiv]. Son dernier avatar est la « Révolution dans les affaires militaires »[lxxxv]. L’industrie de l’électronique a démarré avec des contrats militaires durant la Deuxième Guerre mondiale. Le son digital résulte de la volonté de traquer les sous-marins soviétiques durant les années 1960. Aux Etats-Unis, il y a longtemps que les dépenses militaires ne sont plus de l’argent perdu[lxxxvi].

Le revers de cette médaille est peut-être une trop faible prise en compte du facteur humain, notamment en matière de renseignements. Les faillites du renseignement sont un phénomène récurrent dans l’histoire américaine, de Pearl Harbor aux attentats du 11 septembre 2001[lxxxvii]. Il est frappant de constater combien la volonté d’améliorer les services de renseignement suite à ceux-ci continue à envisager le problème en termes d’organisation et de moyens techniques et n’évoque pas tellement le facteur humain[lxxxviii].

Conclusion

Comme l’histoire même des Etats-Unis, la culture stratégique américaine est d’abord celle d’un essor : celui d’une petite colonie lointaine devenue, en l’espace de deux siècles, une immense nation d’immigrants et la première puissance politique, économique, diplomatique, culturelle et militaire de notre époque. Cette culture stratégique est celle d’une « nation-phare », première colonie auto-libérée et première république constitutionnelle du monde moderne, laboratoire exceptionnel où furent inaugurés, de façon pratique, les grands principes de la démocratie occidentale. C’est aussi celle d’un rêve, hétéroclite certes, composé d’égalité et de prospérité, de vertu et de progrès, de liberté individuelle et de culte du droit, de puritanisme et d’aspiration au bonheur, de conformisme et de respect des différences, d’unité nationale et de droits des Etats[lxxxix]. Mais cet essor a été aussi expansionniste et militaire. Il s’est d’abord fondé sur l’élimination des Indiens. Comme le pays lui-même, la culture stratégique des Etats-Unis est traversée par des contradictions. « Il n’y a pas de société ni de politique sans contradictions, écrit Pierre Hassner, mais certaines sont plus contradictoires que d’autres.

 C’est certainement le cas des Etats-Unis[xc]. » La foi dans les valeurs démocratiques s’oppose d’une certaine manière à la volonté de les imposer, y compris par la force. La tentation isolationniste s’oppose à l’esprit de croisade, l’internationalisme au nationalisme et à l’unilatéralisme, l’idéalisme au réalisme. Les Américains ont cru avant les Européens à un légalisme post-moderne pour résoudre les problèmes internationaux, alors qu’ils apparaissent aujourd’hui comme les protagonistes d’une Realpolitik jugée dépassée en Europe. La liberté des mers est en contradiction avec la projection navale de la puissance, la tradition maritime avec la tradition continentale, un vieux fond d’antimilitarisme avec un plus grand respect pour l’uniforme et un indiscutable goût des armes et des insignes.

Sur le plan opérationnel, la stratégie d’anéantissement de l’ennemi s’accorde avec la préférence pour l’offensive mais la tendance à l’attrition s’oppose au souci de la manœuvre. Cette dernière contradiction est en partie résolue par la question des moyens. La caractéristique la moins contestable de la culture stratégique américaine est peut-être là, dans cette supériorité des moyens fondée sur l’éducation, la puissance de feu et les technologies duales. Au niveau politique, les contradictions s’expliquent partiellement par l’opposition entre Républicains et Démocrates, entre progressistes et conservateurs, entre le Nord et le Sud. Le Sud a toujours entretenu davantage les traditions militaires et martiales[xci]. Mais cela n’explique pas tout. Quoi qu’on dise, les contradictions américaines ne constituent pas un handicap grave. Elles sont depuis longtemps subsumées par le succès, une expansion continue, sans retrait véritable, et une suite de guerres victorieuses.

Bibliographie

BOOTH Ken et MOORHEAD Wright, sous la dir. de, American Thinking About Peace and War, Brighton, Sussex, Harvester Press, 1978.

COLSON Bruno, La culture stratégique américaine. L’influence de Jomini, Paris, FEDN-Economica, 1993.

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McDOUGALL Walter A., Promised Land, Crusader State. The American Encounter with the World since 1776, Boston, Mass., Houghton Mifflin, 1997.

MILLET Allan R. et MASLOWSKI Peter, For the Common Defense : A Military History of the United States of America, New York, Free Press, 1984.

PERRET Geoffrey, A Country Made by War. From the Revolution to Vietnam, the Story of America’s Rise to Power, New York, Random House, 1989.

PRIEST Dana, The Mission. Waging War and Keeping Peace with America’s Military, New York, Norton, 2003.

WEIGLEY Russell F., The American Way of War: A History of United States Military Strategy and Policy, New York-Londres, Macmillan, 1973.

Notes


[i] COLSON Bruno, « Culture stratégique », Dictionnaire de stratégie, sous la dir. de Thierry de Montbrial et Jean Klein, Paris, Presses universitaires de France, 2000, pp. 150 à 155 ; FARRELL Theo, « Culture and Military Power», Review of International Studies, vol. 24, 1998, pp. 407 à 416 ; GRAY Colin S., « Strategic Culture as Context : the First Generation of Theory Strikes Back », Review of International Studies, vol. 25, 1999, pp. 49 à 69 ; JOHNSTON Alastair Iain, « Strategic Cultures Revisited : Reply to Colin Gray », Review of International Studies, vol. 25, 1999, pp. 519 à 523 ; LANTIS Jeffrey S., « Strategic Culture and National Security Policy », International Studies Review, vol. 4, n° 3, automne 2002, pp. 87 à 113.

[ii] POIRIER Lucien, Stratégie théorique II, Paris, Economica, 1987.

[iii] GADDIS John Lewis, « A Grand Strategy », Foreign Policy, nov.-déc. 2002, p. 50.

[iv] http://www.defenselink.mil/pubs ; http://www.whitehouse.gov

[v] KAGAN Robert, « Strategic Dissonance », Survival, vol. 44, n° 4, hiver 2002-2003, p. 138.

[vi] The White House, The National Security Strategy of the United States of America, Washington, D.C., Government Printing Office, septembre 2002, p. 3 (http://www.whitehouse.gov/nsc/nss.pdf). Les seules analogies possibles avec les attentats du 11 septembre dans l’histoire des Etats-Unis furent l’incendie de la Maison Blanche par les Britanniques en 1814 et l’attaque japonaise sur Pearl Harbor en 1941. Ces événements ont chaque fois suscité la formulation d’une nouvelle grande stratégie.

[vii] JORDAN A. A., TAYLOR W. J., Jr. et al., American National Security. Policy and Process, Baltimore-Londres, The Johns Hopkins University Press, 1981, p. 48 ; PERKINS Dexter, The American Approach to Foreign Policy, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1962, pp. 95 et 96.

[viii] HOFFMANN Stanley, Gulliver’s Troubles or the Setting of American Foreign Policy, New York, McGraw-Hill, 1968, pp. 110 et 111 ; MARIENSTRAS Elise, Les mythes fondateurs de la nation américaine. Essai sur le discours idéologique aux Etats-Unis à l’époque de l’indépendance (1763-1800), Paris, Maspero, 1977, pp. 24, 37 à 67, 86 et 87.

[ix] Cité par HUNT Michael H., Ideology and U.S. Foreign Policy, New Haven-Londres, Yale University Press, 1987, p. 19.

[x] GADDIS John Lewis, « A Grand Strategy », p. 56 ; PRIEST Dana, The Mission. Waging War and Keeping Peace with America’s Military, New York, Norton, 2003.

[xi] HOFFMANN Stanley, « The High and the Mighty », The American Prospect, vol. 14, n° 1, 13 janvier 2003, p. 28.

[xii] Cité par MERK Frederick, Manifest Destiny and Mission in American History, New York, Knopf, 1963, p. 261.

[xiii] RAPOPORT Anatol, « Changing Conceptions of War in the United States », American Thinking about Peace and War, sous la dir. de Ken Booth et Wright Moorhead, Brighton, Sussex, Harvester Press et New York, Barnes and Noble, 1978, p. 63.

[xiv] HASSNER Pierre, Etats-Unis : l’empire de la force ou la force de l’empire ? Paris, Institut d’Etudes de Sécurité de l’Union européenne (Cahiers de Chaillot, n° 54), 2002, p. 15.

[xv] McDOUGALL Walter A., Promised Land, Crusader State. The American Encounter with the World since 1776, Boston, Mass., Houghton Mifflin, 1997, p. 10.

[xvi] KAGAN Robert, « Strategic Dissonance », pp. 138-139.

[xvii] DUROSELLE Jean-Baptiste, De Wilson à Roosevelt. La politique extérieure des Etats-Unis, 1913-1945, Paris, Armand Colin, 1960, pp. 90-91 et 173 ; KASPI André, Le temps des Américains. Le concours américain à la France en 1917-1918, Paris, Publications de la Sorbonne, 1976, p. 347.

[xviii] IKENBERRY G. John, « Rethinking the Origins of American Hegemony », Political Science Quarterly, vol. 104, n° 3, 1989, p. 382.

[xix] KENNAN George F., American Diplomacy, 1900-1950, Chicago-Londres, University of Chicago Press, 1951, pp. 100 et 101.

[xx] The White House, The National Security Strategy …, pp. 29 et 30.

[xxi] SEATON James B., « Low-Level Conflict », Society, novembre-décembre 1994, p. 14.

[xxii] HUNTINGTON Samuel P., The Soldier and the State : The Theory and Politics of Civil-Military Relations, Cambridge, Harvard University Press, 1957, p. 152.

[xxiii] BUHITE Russell D., sous la dir. de, Calls to Arms. Presidential Speeches, Messages, and Declarations of War, Wilmington, Del., Scholarly Resources, 2003.

[xxiv] Time, 10 décembre 1990, p. 41 et 18 février 1991, p. 29.

[xxv] ADAMS Martin P., « Peace Enforcement versus American Strategic Culture », Strategic Review, hiver 1995, p. 21.

[xxvi] SCHLESINGER Arthur, Jr., « Foreign Policy and the American Character », Foreign Affairs, vol. 62, n° 1, 1983, pp. 1 à 16.

[xxvii] BOOT Max, « A War for Oil ? Not this Time », The New York Times, 13 février 2003.

[xxviii] McPHERSON James M., For Cause and Comrades. Why Men Fought in the Civil War, Oxford, Oxford University Press, 1997; WOODWORTH Steven E., While God is Marching On. The Religious World of Civil War Soldiers, Lawrence, University Press of Kansas, 2001.

[xxix] COLSON Bruno, « La culture stratégique américaine », Stratégique, n° 38, 1988-2, pp. 25-29.

[xxx] KUPCHAN Charles A., « The End of the West », The Atlantic Monthly, novembre 2002 ; REPUCCI Sarah, « L’écart Europe/Etats-Unis », Le Débat stratégique, n° 67, mars 2003.

[xxxi] GERE François, « Les Etats-Unis, puissance planétaire », La lettre de la FEDN, n° 3, 1991-1.

[xxxii] JOXE Alain, L’Amérique mercenaire, Paris, Stock, 1992, p. 109.

[xxxiii] BRAUMOELLER Bear F., « The Myth of American Isolationism », Draft, version 1.2*, Harvard University, Department of Government, Cambridge, Mass., 2003, 32 p. 

[xxxiv] ADAMS M. P., « Peace Enforcement … », p. 20.

[xxxv] Les petites interventions militaires et navales non déclarées ont été nombreuses depuis cette époque (BOOT Max, The Savage Wars of Peace. Small Wars and the Rise of American Power, New York, Basic Books, 2002).

[xxxvi] CLARKE Jonathan, « America, Know Thyself », The National Interest, hiver 1993-1994, pp. 20 à 22.

[xxxvii] HATTENDORF John B., « The Anglo-American Way in Maritime Strategy », Naval War College Review, vol. 43, 1990-1, pp. 90 à 99.

[xxxviii] KLEIN Bradley S., « Hegemony and Strategic Culture : American Power Projection and Alliance Defence Politics », Review of International Studies, vol. 14, 1988-2, p. 137.

[xxxix] JOXE Alain, « L’Empire américain : clausewitzien ou virtuel », Le Débat stratégique, n° 61, mars 2002.

[xl] GALLOIS Pierre M., Géopolitique. Les voies de la puissance, Paris, Plon-FEDN, 1990, p. 392.

[xli] GRAY Colin S., « Geography and Grand Strategy », Comparative Strategy, vol. 10, 1991, p. 315.

[xlii] Le système des milices s’est transformé avec le temps en une force de réserve efficace, la Garde nationale (DOUBLER Michael D., Civilian in Peace, Soldier in War. The Army National Guard, 1636-2000, Lawrence, University Press of Kansas, 2003).

[xliii] LANGLEY Lester D., The Banana Wars. United States Intervention in the Caribbean, 1898-1934, Wilmington, Del., Scholarly Resources, 2001.

[xliv] REYNOLDS Clark G., « American Strategic History and Doctrines : A Reconsideration », Military Affairs, vol. 39, 1975-4, pp. 181 à 190.

[xlv] KAGAN Robert, « Strategic Dissonance », p. 137 ; WOOLSEY James, « L’Amérique va gagner la quatrième guerre mondiale », Le Monde, 9 avril 2003.

[xlvi] Department of the Army, ROTCM 145-20. American Military History, Harrisburg, Penn., The Military Service Publishing Co., juin 1954, p. 80.

[xlvii] PERRET Geoffrey, A Country Made by War. From the Revolution to Vietnam, the Story of America’s Rise to Power, New York, Random House, 1989, pp. 558 à 560.

[xlviii] Ibid., p. 562.

[xlix] WEIGLEY Russell F., The American Way of War : A History of United States Military Strategy and Policy, New York-Londres, Macmillan, 1973.

[l] SHY John, « The American Military Experience : History and Learning », The Journal of Interdisciplinary History, vol. 1, 1971-2, pp. 205 à 228.

[li] MILLET Allan R. et MASLOWSKI Peter, For the Common Defense : A Military History of the United States of America, New York, Free Press, 1984, pp. 11 et 12. Les guerres contre les Indiens garderont ce caractère jusqu’au 19e siècle (O’BRIEN Sean Michael, In Bitterness and in Tears. Andrew Jackson’s Destruction of the Creeks and Seminoles, New York, Praeger, 2003).

[lii] CHET Guy, Conquering the American Wilderness. The Triumph of European Warfare in the Colonial Northeast, Amherst, Mass., University of Massachusetts Press, 2003.

[liii] Delbrück utilisait notamment cette distinction pour opposer la manière de Frédéric II à celle de Napoléon (ARON Raymond, Penser la guerre, Clausewitz, 2 vol., Paris, Gallimard, 1976, I, pp. 122 à 129 et 412 à 414 et II, p. 49).

[liv] LORD Carnes, « American Strategic Culture », Comparative Strategy, vol. 5, 1985-3, p. 279.

[lv] WEIGLEY R. F., The American Way of War …, p. 467.

[lvi] Ibid., pp. XVIII-XIX.

[lvii] C’est ainsi que l’on trouve plusieurs anciens généraux dans la liste des présidents américains : George Washington, Andrew Jackson, William Harrison, Zachary Taylor, Franklin Pierce, Ulysses S. Grant, Dwight D. Eisenhower. L’ex-colonel Theodore Roosevelt peut être joint à cette liste. Les généraux passés secrétaires d’Etat sont également nombreux. On songe à George C. Marshall, Alexander Haig, Colin Powell. Aucune de ces grandes figures n’a jamais « militarisé » en quoi que ce soit le pouvoir. Leurs options politiques les ont même souvent opposés aux « faucons », qui sont plus souvent des civils que des militaires (IONS Edmund, « Vigilant Ambivalence : American Attitudes to Foreign Wars », American Thinking About Peace and War, sous la dir. de Ken Booth et Wright Moorhead, Brighton, Sussex, Harvester Press, 1978, p. 87 ; HUNTINGTON S., The Soldier …, pp. 157 à 162).

[lviii] Par contre le rôle de commandant en chef des présidents américains s’est accentué au cours de l’histoire. Le président des Etats-Unis a aujourd’hui tendance à intervenir davantage dans la conduite des forces armées que ses homologues dans d’autres pays (DeCONDE Alexander, Presidential Machismo. Executive Authority, Military Intervention, and Foreign Relations, Boston, Northeastern University Press, 2002).

[lix] BOOTH Ken, « American Strategy : The Myths Revisited », American Thinking …, pp. 1 à 35.

[lx] COLSON Bruno, La culture stratégique américaine. L’influence de Jomini, Paris, FEDN-Economica, 1993 ; JENSEN Owen E., « Classical Military Strategy and Ballistic Missile Defense », Air University Review, vol. 35, 1984-4, pp. 57 et 58.

[lxi] YORK Herbert et WIESNER Jerome, « National Security and the Nuclear Test-Ban », Scientific American, vol. 211, 1964-4, pp. 27 à 35.

[lxii] SA REGO Carlos de et TONELLO Fabrizio, La guerre des étoiles, Paris, La Découverte, 1986, pp. 22 et 23.

[lxiii] CLAXTON Bernard D., « Traditional American Military Doctrine and SDI », Defense Analysis, vol. 4, 1988-4, pp. 347 à 359.

[lxiv] The White House, The National Security Strategy …, p. 6.

[lxv] POSEN Barry R., « The Struggle against Terrorism », International Security, vol. 26, n° 3, hiver 2001-2002, p. 45.

[lxvi] LUTTWAK Edward, « The American Style of Warfare and the Military Balance », Survival, vol. 21, 1979-2, p. 57.

[lxvii] GRAY Colin S., War, Peace, and Victory. Strategy and Statecraft for the Next Century, New York, Simon and Schuster, 1990, p. 159

[lxviii] GRAY Colin S., « National Style in Strategy : The American Example », International Security, vol. 6, 1981-2, p. 32.

[lxix] La stratégie d’attrition veut éviter les assauts inutiles et les pertes excessives (MALKASIAN Carter, A History of Modern Wars of Attrition, New York, Praeger, 2002).

[lxx] OBERER Wilhelm F., « The True Difference », Military Review, vol. 68, 1988-4, p. 78.

[lxxi] PERRET G., A Country Made by War …, p. 417.

[lxxii] VAN CREVELD Martin, Fighting Power : German Military Performance, 1914-1945, Potomac, Md., C and L Associates, 1980 et Fighting Power : German and U.S. Army Performance, 1939-1945, Westport, Conn., Greenwood Press, 1982.

[lxxiii] FREEDMAN Lawrence, The Evolution of Nuclear Strategy, Londres, Macmillan, 1981, p. 48.

[lxxiv] PERRET Geoffrey, There’s a War to be Won. The United States Army in World War II, New York, Ballantine Books, 1991, p. 523.

[lxxv] SMITH W. Y., « Principles of U.S. Grand Strategy : Past and Future », The Washington Quarterly, vol. 14, 1991-2, p. 68.

[lxxvi] HURLEY A. F., Billy Mitchell : Crusader for Air Power, Bloomington, Indiana University Press, 1975.

[lxxvii] COHEN Eliot A., « The Mystique of U.S. Air Power », Foreign Affairs, vol. 73, 1994-1, p. 111. Bonne réflexion sur le « Tout aérien » dans RICHARDOT Philippe, Les Etats-Unis hyperpuissance militaire, Paris, ISC-Economica (Hautes Etudes stratégiques, 14), 2002, pp. 151 à 155.

[lxxviii] LECOMTE Ferdinand, Guerre de la Sécession. Esquisse des événements militaires et politiques des Etats-Unis de 1861 à 1865, 3 vol., Paris, Tanera, 1866-1867, III, p. 290.

[lxxix] PERRET Geoffrey, There’s a War to be Won …. Le 17e chapitre de ce superbe ouvrage s’intitule « Logs, Lists, Logic … Logistics ».

[lxxx] Même durant le « terrible hiver » de Valley Forge (1777-1778), longtemps présenté comme un moment de privations et de souffrance pour les soldats de George Washington, une étude récente a montré que les approvisionnements étaient suffisants (BODLE Wayne, The Valley Forge Winter. Civilians and Soldiers in War, University Park, Penn., Penn State University Press, 2002). On peut dire que les soldats américains, d’une manière générale et proportionnellement sur la même période de leur histoire, n’ont jamais autant souffert que les soldats français.

[lxxxi] Newsweek, 11 mars 1991, p. 24.

[lxxxii] JOXE A., L’Amérique mercenaire, …, p. 237.

[lxxxiii] COLSON Bruno, « L’Ecole spéciale militaire et West Point : deux créations parallèles », CERMA Cahiers d’études et de recherches du musée de l’Armée, n° 4. Saint-Cyr, la société militaire, la société française, 2002, pp. 73-100.

[lxxxiv] Des séminaires de « jeu technologique » réunissent praticiens militaires, scientifiques civils et « technologistes » pour étudier les développements futurs (DARILEK Richard et al., Issues and Insights from the Army Technology Seminar Game, Santa Monica, Cal., RAND Corporation, 2002).

[lxxxv] BALZACQ Thierry et DE NEVE Alain, sous la dir. de, La révolution dans les affaires militaires, Paris, ISC-Economica, 2003.

[lxxxvi] PERRET G., A Country Made by War…, pp. 555 à 557.

[lxxxvii] MATTHIAS Willard C., America’s Strategic Blunders. Intelligence Analysis and National Security Policy, 1936-1991, University Park, Penn., Penn State University Press, 2001 ; CONBOY Kenneth et ANDRADE Dale, Spies and Commandos. How America Lost the Secret War in North Vietnam, Lawrence, University Press of Kansas, 2001.

[lxxxviii] The White House, The National Security Strategy …, p. 30.

[lxxxix] VINCENT Bernard, sous la dir. de, Histoire des Etats-Unis, Paris, Flammarion, 1997, p. 3.

[xc] HASSNER P., Etats-Unis …, p. 7.

[xci] CUNLIFFE Marcus, « Military Tradition », The Encyclopedia of Southern History, sous la dir. de David C. Roller et Robert W. Twyman, Baton Rouge-Londres, Louisiana State University Press, 1979, pp. 819 et 820 ; FRANKLIN John Hope, The Militant South, 1800-1861, Cambridge, Mass., The Belknap Press of Harvard University Press, 1956; LIND Michael, « Bush Whistles Dixie », Newsweek, 23 décembre 2002, pp. 50 et 51.