par Christophe Kuntz (ancien étudiant de l’Ecole de Guerre Economique)
« Les idées audacieuses sont comme les pièces que l’on déplace sur un échiquier : on risque de les perdre mais elles peuvent aussi être l’amorce d’une stratégie gagnante. »
Johann Wolfgang Goethe.
Tout comme plusieurs voies menaient sur les rives du Tibre, au cœur du pouvoir romain, les nations en quête de puissance ont pu emprunter plusieurs chemins au fil des siècles. En fonction de multiples caractères particuliers liés par exemple à sa situation géographique ou à la religion de son peuple, chaque pays va en effet déployer son effort stratégique selon des modalités très diverses. L’empire britannique, puissance insulaire s’il en est, a ainsi pu marquer les esprits en développant une stratégie visant à maîtriser les communications maritimes. Ces principes anglo-saxons de stratégie maritime ont par la suite été reçus en héritage par des Etats-Unis comblant petit à petit des vides hégémoniques dans les Caraïbes et dans le Pacifique pour parvenir au statut de superpuissance puis à celui d’hyperpuissance en enrichissant leur culture stratégique d’une maîtrise incontestable des airs.
Le « miracle hollandais » est pour sa part assis sur le fait religieux calviniste qui, par le truchement de la prédestination permet de dédouaner la vénalité des marchands et de libérer de la sorte l’esprit d’entreprise. L’empire ottoman était dans la même veine basé sur les prétentions hégémoniques de l’Islam, modérées par l’intégration et l’interaction vertueuse de la mosaïque culturelle que représentait les peuples conquis par la Sublime Porte. Dans un autre registre, le Japon saura faire table rase du passé pour tenir compte de l’arrivée sur les côtes de l’Empire du Soleil Levant des « vaisseaux noirs » du commodore Perry.
À la suite de la révolution Meiji qui en découla, les Japonais allèrent chercher à l’étranger les facteurs clefs du développement et purent rapidement donner le change et avoir de sérieuses prétentions hégémoniques. Les exemples pourraient être multipliés, le moindre pays ayant, à son échelle, sa propre logique de « puissance » pouvant le cas échéant être liée à sa survie. Que penser en effet de ces paradis fiscaux qui font couler tant d’encre à l’heure actuelle et qui évoquent des cimes enneigées –tel le Liechtenstein- ou quelque îlot pour robinsons –tels Nauru ou Vanuatu- alors que bon nombre de personnes ne pourrait les situer sur une carte ? En plus d’être le fief de sociétés offshore aux ramifications mystérieuses, certains de ces pays –au premier rang desquels figurent le Libéria ou Panama- se sont par ailleurs spécialisés dans l’octroi de pavillons maritimes de complaisance ou dans le commerce lucratif des positions stratégiques sur l’orbite géostationnaire situées au-dessus du Pacifique qui leur reviennent de droit comme le fait le royaume des Iles Tonga.
En gardant tous ces éléments à l’esprit, nous nous efforcerons au cours de ce bref exposé de mettre en exergue le « génie » stratégique propre à l’Allemagne, abstraction faite de l’Autriche qui ne connaîtra pas les mêmes fortunes et qui nous conduirait à notre sens ultra petita dans des considérations souvent antinomiques. L’Allemagne –stricto sensu- croisant en effet sur les chemins de la puissance un empire austro-hongrois, jadis centre de tous les regards en ce qui concerne les affaires touchant à la Mitteleuropa, mais qui, gangrené par des dissensions internes finit par pourrir sur pieds en 1918 après avoir sonné quatre années auparavant l’hallali qui initia le naufrage de l’Europe dans un ouragan de feu et d’acier ayant irrigué la terre de fleuves de sang.
Il est par ailleurs capital de saisir le fait que la dynamique de la construction de la puissance allemande n’est en rien linéaire. Le monolithisme stratégique n’est en effet pas de mise tant l’alternance entre les guerres ouvertes et la « paix belliqueuse » chère à Raymond Aron est une constante à laquelle l’Allemagne, aussi bien que les autres Nations, s’est vue contrainte de s’adapter dans l’optique d’affirmer ses velléités de puissance. Nous verrons que l’Allemagne s’est révélée particulièrement à l’aise sur ces différents échiquiers.
Considérations sur le bras armé de la puissance allemande
Les forces armées lato sensu représentent la pièce maîtresse du jeu stratégique prussien puis allemand. Il ne s’agit pas – tel Benoist-Mechin[i] – de faire une apologie tendancieuse du bras armé de la puissance allemande mais bien de comprendre et d’analyser quels sont les fondements stratégiques qui ont amené une Allemagne longtemps désunie a être un maillon essentiel des rapports de force au sein du concert des Nations.
« Travailler pour le roi de Prusse »
Les talents de fin stratège de Frédéric II (1712-1786) ont été reconnus par ses pairs et sa doctrine d’emploi des forces a fait des émules durant toute la seconde moitié du XVIIIe siècle[ii]. Le roi de Prusse a montré tout son génie militaire –qu’on peut selon lui acquérir et perfectionner, « pour peu qu’on soit né avec le génie heureux pour la guerre » –dans son Instruction pour les généraux de 1750. Ce manuel a la particularité de ne pas se focaliser uniquement que sur la tactique militaire propre au champ de bataille stricto sensu. Soucieux de ne pas gaspiller inutilement la vie de la fine fleur de ses troupes dans une « affaire grave » – c’est à dire une bataille dont l’issue pourrait être incertaine –, Frédéric II invite ses généraux à faire montre d’une certaine habileté politique sur les territoires qu’ils traversent. En pays neutre, il s’agira par exemple d’inciter la population à se mettre du côté des Prussiens en prévenant tout débordement intempestif de la part de la troupe sur les autochtones et leurs biens. Une armée qui fait bonne figure peut ainsi plus facilement véhiculer des rumeurs sur le camp adverse. Ces rumeurs sont d’autant plus crédibles qu’elles peuvent être fondées.
Le Palatinat se souvient en effet encore des exactions perpétrées par les armées françaises de Louvois durant l’hiver 1688-1689. Frédéric le Grand –qui se pose en protecteur de la religion luthérienne- préconise également de manipuler le petit peuple en lui inspirant le fanatisme religieux si le pays en cause est protestant –telle la Saxe-. Le discours sera tout autre en pays catholique où tolérance et modération seront de mise en faisant montre d’un œcuménisme de façade. La manipulation psychologique consiste à « remuer le ciel et l’enfer pour son intérêt » avec pour dessein de diviser pour imposer les vues prussiennes selon le principe divide et impera.
Rien ne doit être laissé au hasard et la démagogie devra être employée pour peser sur le cours des évènements une fois un signal faible mis à jour dans le dispositif adverse. Le roi de Prusse donne en l’espèce l’exemple de la Bohême-Moravie où l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche venait d’augmenter les impôts de façon notable. Frédéric II se propose de toucher les cœurs et de marquer les esprits de ces populations en leur signifiant qu’il les traiterait avec plus de mansuétude dans l’hypothèse où ils seraient rattachés à la Prusse. En raison de ses talents dans la conduite des affaires touchant à la sécurité de la Prusse, Frédéric II sera considéré comme un « despote éclairé » par Voltaire.
La Guerre de Succession d’Autriche (1740-1748) fut l’occasion pour un Frédéric II fraîchement couronné de faire montre de son habileté. Alors qu’il faisait partie d’une coalition -comprenant en sus de la Prusse, la France, la Bavière, la Saxe, l’Espagne, la Pologne et la Sardaigne qui voulaient dépecer une Autriche affaiblie en raison d’une succession contestée- le roi de Prusse signa un traité bilatéral –à Berlin- avec Marie Thérèse d’Autriche le 28 juillet 1742 qui lui concéda la Silésie. Aucun des autres belligérants –la France encore moins que les autres- n’obtint d’avantages transcendants suite au traité d’Aix la Chapelle du 18 octobre 1748. C’est ainsi que l’expression « travailler pour le roi de Prusse » a pu passer à la postérité…
Frédéric le Grand excellait par ailleurs dans l’art du subterfuge militaire. Le roi de Prusse, pour lequel « le secret est l’âme de toute entreprise » savait en outre cacher ses desseins de façon magistrale. Sa doctrine d’emploi des forces et son fameux ordre de bataille oblique lui ont permis de remporter des succès exceptionnels dans un rapport du faible au fort alors que ses troupes étaient en infériorité numérique notable. La bataille de Rossbach –5 novembre 1757- lors de la Guerre de Sept Ans (1756-1763) constitue un cas d’école pour le stratège prussien qui trouva en l’espèce matière à mettre en pratique son Instruction aux généraux. L’audace et la ruse auront raison des troupes franco-impériales -conduites par Soubise- qui seront leurrées par une fausse retraite prussienne.
Cette manœuvre est désignée par le roi de Prusse sous le nom d’attaque sur deux lignes en échiquier. Elle consiste pour la première ligne à n’ « attaquer que faiblement et à se retirer par les intervalles de la seconde afin que l’ennemi, trompé par cette retraite simulée se mette à les poursuivre et abandonne son poste ». Les troupes prussiennes doivent ensuite « marcher fièrement à l’ennemi qui, au lieu d’attaquer, est attaqué lui-même, et voit son projet renversé ». Tout en différenciant les contextes, il ne paraît pas antinomique de rapprocher cette manœuvre du sen no sen – littéralement action dans l’action – japonais consistant à frapper l’ennemi lorsque celui-ci entreprend son effort[iii].
En marge de notre analyse, mentionnons par ailleurs le fait que certains auteurs allemands au premier rang desquels figure Rudolf Von Thadden[iv], n’hésitent pas à affirmer que le royaume de Prusse serait une création – voire une « créature » – française par ricochet. La stratégie louis-quatorzienne de révocation de l’Edit de Nantes a en effet eu pour conséquence de provoquer l’émigration massive de huguenots français vers des terres plus hospitalières. Les luthériens prussiens -qui ne s’intéresseraient qu’au salut de leur âme- accueilleront leurs frères calvinistes –pour lesquels la question du salut est réglée par la prédestination- qui s’occuperont des affaires publiques en habiles juristes et en redoutables hauts administrateurs. Cette manne intellectuelle va permettre à la Prusse de développer une stratégie empirique d’affirmation de ses intérêts au sein du concert européen. La France, qui a de tous temps « travaillé pour le roi de Prusse », fera ultérieurement et à maintes reprises les frais de son intransigeance suite à ces retours de flamme dont l’Histoire a le secret…
Guerre totale ou stratégie d’usure ?
Evoquer la culture stratégique allemande sans parler de Clausewitz reviendrait à envisager la culture stratégique italienne sans mentionner Machiavel ou la culture stratégique chinoise sans mentionner Sun Tzu. Celui qui, pour Lidell Hart, fait figure de « mahdi des masses et des massacres mutuels[v]» a marqué d’une empreinte indélébile la doctrine stratégique allemande. Bien que son œuvre majeure -Vom Kriege[vi]-, soit restée inachevée en raison de sa mort prématurée, qui ne connaît pas la célèbre citation de Clausewitz qui brandit en talisman le fait que « la politique est la continuation de la guerre par d’autres moyens » ? Cet ennemi-admirateur[vii] de Napoléon, qui « préférait la lourde épée au fleuret » s’est fait le chantre du recours à la force brute dans une ascension aux extrêmes –Steigerung bis zum Äußerten- due à l’action réciproque des belligérants.
Tout en affirmant que « la guerre absolue ne constitue nullement un idéal auquel l’homme d’Etat ou le stratège devrait aspirer ou se conformer », il ne se cachait pas de penser que « les pires erreurs sont précisément celles causées par la bonté ». Faisant fi du jus gentium, Clausewitz envisage la guerre comme un duel qui met en exergue le pouvoir de coercition du fort sur la partie ayant succombé. Il part du postulat selon lequel l’entreprise guerrière constitue un « acte politique » en ce sens que l’intention politique et la guerre sont indissociables l’une de l’autre. La guerre représente en effet le moyen de réalisation des fins politiques.
Clausewitz a également mis en lumière une dichotomie opposant deux types de stratégie. La guerre d’anéantissement –Vernichtungsstrategie- et son corollaire, la guerre de renversement – Niederwerfungsstrategie– visent à annihiler les forces de l’ennemi pour pouvoir lui imposer une paix contraignante flanquée de dommages de guerre importants. D’un autre côté, la stratégie d’usure – Ermattungsstrategie– a pour objectif de ramener l’ennemi à la raison et lui faire conclure une paix négociée.
Cette stratégie se révèle particulièrement adéquate dans les rapports du faible au fort ou lorsque les armées impliquées ont des performances pour le moins similaires. L’exemple le plus flagrant de l’utilisation de cette dernière stratégie est sans aucun doute la volonté affichée en 1916 par le Haut Etat major allemand de « saigner l’armée française » par le truchement d’une guerre de position éreintante. Cette ambition masque mal l’échec de la guerre d’anéantissement, matérialisée par le plan Schlieffen, qui devait permettre de prendre à défaut les armées franco-britanniques.
Pour Clausewitz, une défense bien préparée peut constituer une forme de combat très efficace pour peu que l’intention négative que soit la résistance puisse être soutenue sur une longue durée. L’historien militaire Hans Delbrück[viii] s’est efforcé de contester le bien-fondé du postulat clausewitzien sur la guerre d’anéantissement en avançant le fait que le succès militaire peut également être obtenu par la manœuvre. Ne traduit-il pas pour autant en d’autres termes l’autre pendant de la dichotomie stratégique de Clausewitz qu’est la guerre d’usure ? Dans la même veine, la vision du géographe Friedrich Ratzel sur les modalités de la guerre est pour le moins atypique dans ce contexte. Ratzel axe en effet sa réflexion stratégique sur la question du sol. A ses yeux, toute velléité guerrière ne peut se révéler positive que dans l’hypothèse de l’accroissement de la valeur foncière par une colonisation efficace des territoires conquis. Les guerres d’annihilation – Vernichtungskrieg-, de razzia – Raubkrieg- et de conquête brute – Eroberungskrieg– tendent par conséquent à ne résoudre aucun problème d’ordre (agri)-culturel.
Dans le sillage d’un Clausewitz biaisé, dont seule la partie sur la guerre d’anéantissement a été retenue, les auteurs allemands se sont lancés dans une fuite en avant stratégique après la victoire de 1870 et durant la première moitié du XXe siècle. Cette doctrine, axée sur la démesure des moyens, et du mimétisme qu’elle implique chez l’ennemi va aboutir à ces ouragans de feu et d’acier que sont les deux conflits mondiaux. La stratégie allemande a souvent été excessive et a causé la propre perte des intérêts qu’elle était censée défendre. La surenchère ayant entraîné le recours a des moyens disproportionnés[ix] –telle la fameuse « Grosse Bertha »- ou fallacieux tels les gaz ou les lance-flammes ont ramené l’humanité à l’époque de la guerre du feu. La guerre devenait donc totale et un auteur tel Ludendorff pouvait avancer que « l’œuvre clausewitzienne représente le résultat d’une évolution historique aujourd’hui anachronique et en tout point dépassé[x] ».
Une doctrine d’emploi des forces souvent décisive
L’armée est un corps qui doit souvent se remettre en question et se réformer pour être toujours apte à accomplir sa mission. Selon les époques, certaines armées se sont montrées plus à même de faire basculer la balance en leur faveur. C’est par exemple le cas de la France révolutionnaire et impériale ou de l’Allemagne de l’entre-deux-guerres. La blitzkrieg préconisée par Von Seeckt (et qui consiste à coupler l’arme aérienne avec la force blindée), représente en ce sens le point d’orgue de la doctrine allemande d’emploi des forces. L’Allemagne était sortie vaincue du premier conflit mondial. Elle était donc contrainte d’innover si elle voulait se ressaisir.
Les options stratégiques pouvaient donc bousculer les schémas préétablis et faire une place à la pensée d’un Guderian sur le recours à l’arme blindée. Un De Gaulle en France, un Lidell Hart ou un Fuller au Royaume-Uni ne pouvaient pas espérer se voir prêter la même oreille attentive par leurs Etat majors respectifs car ils étaient dans le camp des vainqueurs. Pourquoi remettre en question une équation gagnante ?
L’Allemagne a souvent eu recours a une stratégie du faible au fort. Les meutes de sous-marins des amiraux Tirpitz – durant le premier conflit mondial – et Donitz durant la seconde guerre mondiale – ne sont qu’un exemple parmi d’autres. La Kriegsmarine n’étant pas maîtresse des océans, il s’agissait de donner une dimension sous-marine aux hostilités dans l’optique de briser le blocus britannique et de couper les communications maritimes, vitales pour Londres. Dans la même veine, les stratégies indirectes ainsi que la culture du renseignement font également partie de l’arsenal stratégique allemand…
Une culture du renseignement bien ancrée
La maîtrise du renseignement est un facteur clef pour la réussite des opérations militaires ou économiques sous-jacentes. En vue de mener ses ambitions à terme, l’Allemagne peut s’appuyer sur une culture du renseignement de premier plan. Frédéric II ne se plaisait-il déjà pas à dire que « Monsieur le Maréchal de Soubise se faisait suivre de 100 cuisiniers » alors que le roi de Prusse se faisait « précéder de 100 espions » ? Depuis l’établissement par Stieber du Central Nachrinchtenbüro prussien en 1855, les services de renseignement allemands se sont illustrés dans diverses opérations clandestines visant à collecter des renseignements de premier ordre ou à empêcher l’ennemi d’en obtenir sur l’Allemagne. Le Nachrichtendienst –également appelé III b-, a obtenu des succès marquants durant la première guerre mondiale.
Qui n’a pas entendu parler des confidences sur l’oreiller obtenues par une Mata Hari ? Par ailleurs, en permettant à Lénine de quitter la Suisse via l’Allemagne et la Suède, les hommes du colonel Nicolaï ont réussi le coup de force de fomenter la révolution bolchevique de 1917 aux dépends de la Russie tsariste. Nicolaï –qui aurait été agent double au profit du GRU soviétique- a également été l’instigateur du réseau Die Spinne – « la toile d’araignée » – destiné à faire fi des obligations incombant à l’Allemagne selon la lettre du Traité de Versailles.
Par une stratégie de contournement du Traité de Versailles, ce réseau va permettre à l’Allemagne de remettre sur pieds sa machine militaire en faisant fabriquer clandestinement ses avions en URSS à Samara et à Fili et ses U-Boots à Leningrad. A la veille de la seconde guerre mondiale, l’Abwehr obtint un succès certain en faisant passer le prometteur maréchal soviétique Toukhatchevski[xi] pour un agent des services de renseignement allemands. Cette opération d’intoxication fit douter Staline de la fidélité de son Etat major qu’il fit passer par les armes en 1937. Les grandes purges de l’Armée Rouge vont considérablement appauvrir cette dernière d’un point de vue stratégique. Les services de renseignement du Troisième Reich – le triptyque Abwehr, Gestapo et Sicherheitsdienst- vont cependant trouver leurs maîtres incarnés par les services anglo-saxons. L’orchestration par ces derniers de l’opération Fortitude visant à préparer le débarquement allié en Normandie fait en effet figure de modèle incontesté en matière d’intoxication.
Le Kriegsspiel, corollaire de la pensée stratégique allemande
Cette expression traduisible littéralement par « jeu de guerre » est un élément non négligeable et original de la culture stratégique allemande. Sous des airs ludiques, il permettait en effet aux officiers prussiens d’analyser, de valider ou d’infirmer les différentes tactiques qu’ils comptaient appliquer sur les théâtres d’opération. Cette pratique est à rapprocher de l’utilisation faite au Japon du jeu de go –inventé en Chine au second millénaire avant notre ère- dans le but d’analyser la dextérité tactique des officiers. Signalons simplement ici qu’après l’unification du Japon en 1603, le jeu de go, soutenu par les militaires et le shogun Tokugawa, a vu sa pratique formalisée au sein de trois grandes académies qui s’affrontaient pour se voir octroyer les postes de généraux et de fonctionnaires richement dotés.
Inventé en 1664 par Christof Weikhmann, le Kriegsspiel au Koenigspiel –littéralement « jeu du roi » – était à l’origine tout simplement une variante des échecs classiques. Il mettait en effet aux prises des pièces appelées roi, maréchal, colonel, capitaine, lieutenants, hérauts, courriers, chevaliers, gardes du corps, hallebardiers, adjudants ou encore soldats. Une étape notable fut franchie en 1780 lorsque C. Helwig -maître des pages du Duc de Brunswick- a introduit l’emploi d’un échiquier polychrome de 1666 cases représentant les incidents géographiques par un code de couleur bien précis. Le principe d’agrégation permit en outre la représentation par une seule pièce d’un nombre déterminé de combattants ou d’unités. Ces « échecs militaires » vont servir à éveiller à la science militaire les jeunes gens de la petite noblesse et feront des émules jusqu’en France ainsi que dans les provinces dominées par les Habsbourg.
Les Règles pour un nouveau jeu de guerre à l’usage des Ecoles militaires mises au point en 1797 par Georg Venturini comprendront un échiquier de 3600 cases –d’un mile carré- représentant concrètement les territoires situés sur la frontière Nord-Est de la France, théâtre de maints affrontements au fil des siècles. Cette dernière évolution apporte plus de réalisme au jeu. Les trains logistiques, les dépôts de ravitaillement et les batteries d’artillerie sont en effet enfin pris en considération. Par la suite, le baron von Reisswitz –conseiller à la cour du roi de Prusse- profita des progrès réalisés par la cartographie[xii] militaire pour donner un tour résolument stratégique au Kriegsspiel en utilisant comme aire de jeu une carte topographique au 1/8000. L’établissement d’une table des dégâts infligés au cours des combats –en fonction de l’armement ultra précis des différentes troupes et des aléas moraux auxquelles elles étaient exposées – par le truchement de calculs ad hoc était cependant d’une complexité telle que la rapidité de la simulation s’en trouvait fortement enrayée.
Le roi de Prusse, impressionné, a recommandé en 1824 l’usage du Kriegsspiel par la Kriegsakademie dans le numéro 402 du Militar Wochenblatt. Les travaux de Reisswitz ont été publiés la même année sous le titre d’Instructions pour la représentation de manœuvres tactiques sous l’apparence d’un jeu de guerre. Notons que le vainqueur de Sedan, Helmuth von Moltke l’Ancien, s’entraîna dès 1828 sur ce type de simulateur de campagnes militaires et s’en est servi au Grand Etat-Major lors de la guerre franco-prussienne de 1870.
L’éclosion soudaine de l’appareil militaire prussien à la suite des humiliations infligées aux armées autrichiennes -bataille de Sadowa en 1866- et françaises –lamentable capitulation de Napoléon III à Sedan en 1870 alors que Bazaine s’était enfermé dans Metz sans combattre- forcèrent l’admiration des observateurs étrangers. D’aucuns cherchèrent la clef des succès des troupes portant le casque à pointe dans la pratique assidue du Kriegsspiel par les officiers supérieurs prussiens. Le grand Etat-Major s’était en effet efforcé de simuler au préalable toutes les manœuvres envisagées et les hypothétiques réactions que l’on prêtait à l’ennemi en fonction de sa culture stratégique propre.
Dans la même veine, le plan Schlieffen de 1914 –consistant à envelopper les troupes françaises par un large mouvement violant la neutralité de la Belgique- avait par ailleurs été longuement travaillé au moyen de séances de Kriegsspiel. Ces dernièresoctroyaient la victoire aux troupes du Second Reich. La fameuse « désobéissance de Von Kluck[xiii] » mise en évidence par Charles De Gaulle au sein du chapitre premier de son essai sur La discorde chez l’ennemi dénatura considérablement le plan Schlieffen et entraîna une première lourde défaite allemande sur les coteaux de la Marne.
A l’opposé, le maréchal Hindenburg remporta en 1917 une victoire décisive sur les Russes à Tannenberg en faisant respecter scrupuleusement les conclusions des longues simulations préparatoires alors qu’en 1918, Ludendorff lançait sur le front Ouest les offensives de la dernière chance en dépit des simulations qui le faisaient toujours succomber devant le poids des Alliés. La défaite infligée au second Reich en 1918 ne remettra pas en cause l’utilisation des simulations de campagne au sein de l’armée allemande dans la mesure où des séances de Kriegsspiel seront organisées par le maréchal Von Blomberg pour analyser l’interopérabilité de la Wehrmacht Heer avec la Luftwaffe et la Kriegsmarine dans des situations tant offensives que défensives.
Ces simulations poussaient le vice à son paroxysme en envisageant une attaque de l’Allemagne par…la Pologne ! En 1938, le général Ludwig Beck[xiv] tenta par ailleurs de démontrer au moyen de séances de Kriegsspiel que la situation des troupes allemandes serait plus qu’hasardeuse en cas de riposte à l’Ouest de la coalition franco-britannique en écho à une attaque de la Tchécoslovaquie par le Reich. Il fallut toute l’inertie d’un Daladier ou d’un Chamberlain à la conférence de Munich pour laisser transparaître entre les lignes que Hitler avait les mains libres pour venir à bout de son entreprise.
La pratique systématique du Kriegsspiel donna en outre un ascendant tactique non négligeable aux officiers allemands eu égard aux performances de leurs homologues alliés- exception faite des généraux Montgomery côté anglais et Patton côté américain qui avaient été initiés à la pratique du wargame, qui sera intégrée dans le cursus des études militaires à Sandhurst ou à West Point après la Seconde guerre mondiale-. La réactivité surprenante des officiers allemands s’explique en partie par la simulation –souvent en temps réel- des opérations en cours.
Notons par ailleurs que le Haut Commandement nippon –empreint à maints égards d’une certaine germanité dans la mesure où les Japonais avaient calqué, à partir de l’ère Meiji, leur système militaire sur celui des armées victorieuses du Deuxième Reich- avait planifié son attaque du 7 décembre 1941 sur Pearl Harbor par une séance de Kriegsspiel. En 1942, l’attaque sur Midway fut également préparée de la sorte mais le résultat fut quelque peu biaisé en raison du fait que les officiers japonais raisonnaient trop en samouraïs, ce qui avait pour conséquence de les couper du mode de pensée propre à la culture stratégique américaine. Ils furent par conséquent logiquement défaits et leur flotte stratégique lourdement amputée de pièces cardinales pour la maîtrise de l’Océan Pacifique…
« Ordnung muss sein »
Pour le Comte de Mirabeau, « La Prusse n’est pas un État qui a une armée, mais une armée qui a un État ». Sa mission diplomatique à la cour de Frédéric II le conduira à ajouter que la Prusse n’est « ni un Etat, ni une Nation, mais une armée qui a conquis l’esprit et l’âme d’un peuple »[xv]. Ordre et discipline sonnent comme un leitmotiv que le général anglais Henry Lloyd, en tant qu’acteur de la Guerre de Sept Ans, a parfaitement retranscrit dans son Histoire des guerres en Allemagne[xvi]. En se reportant à ses écrits, on apprendra que les magasins de l’armée prussienne étaient –même en temps de paix- toujours approvisionnés de manière drastique. Pour Charles de Gaulle, « Frédéric II forge l’Etat, dirige la diplomatie et mène les troupes de façon que tout concoure au dessein qu’il s’est formé[xvii] ». Et August Von Kageneck de dépeindre « ce magnifique édifice fait d’oriflammes, de cuirasses étincelantes et de casques à pointe, construite par une longue lignée de rois prussiens et d’empereurs germaniques. Cet « Etat-armée » qui a à la fois émerveillé et terrorisé l’Europe, avec ses généraux rutilants rangés en rangs serrés autour de leur empereur ou de leur Führer, avec ses défilés superbes le long des artères de Berlin, son pas de l’oie et ses chants virils, avec sa discipline de fer[xviii]».
Il faut toute la crédibilité du Général pour mettre un bémol à ce postulat irréductible dans les cœurs et les esprits de la pléthore de pays qui ont vu se déchaîner à leur encontre la furia d’une chevauchée des Walkyries lancée par le dieu Thor du haut de l’ « enclos de la puissance » de Prudvangar. De Gaulle estimait en effet que les désastres militaires français de 1870 « étaient dus beaucoup moins au déploiement de talents incomparables chez l’ennemi qu’à l’accumulation de nos propres fautes » et que les troupes allemandes n’ont échappé à la défaite qu’à cause de l’absolue passivité de généraux français tels Bazaine. Et De Gaulle de renchérir in La discorde chez l’ennemi en mettant très justement le doigt sur le fait que « l’histoire militaire allemande, cédant à l’orgueil national s’était contraint à ne pas discerner, dans l’étude des victoires, les fautes commises, à n’en point tirer d’avertissements. Ce qui avait réussi contre un Benedek ou un Bazaine, un Joffre le rendit fatal ».
Une Nation en quête de puissance doit se donner les moyens de ses ambitions. Pour le général Von der Goltz[xix], « une civilisation florissante s’associe à une haute valeur militaire ». L’éducation lato sensu joue par conséquent un rôle moteur quant à l’affirmation ou la décadence d’un pays. La « Nation qui prendrait l’initiative d’un ralentissement dans cet entraînement général, perdrait aussitôt sa situation, sa puissance et son crédit ». A une époque où la France pratiquait encore la conscription, l’invention par la Prusse d’un service militaire obligatoire permettant d’éduquer la population au maniement des armes donna un avantage décisif au pays.
Von der Goltz se plaisait à dire que « le mouvement des masses ressemble à la marche lente du bœuf devant la charrue. On croit qu’il est bien facile de les maintenir dans la direction voulue. Pour une main exercée, cela est facile en effet. Mais qu’un profane essaye, et ce qui paraissait un pas traînant devient une vitesse vertigineuse ». Pour Moltke, le maître d’école est le maillon central de la chaîne ayant amené la Prusse à vaincre en 1870 une France qui manquait surtout d’éducation militaire en sus d’un défaut patent d’éducation individuelle et politique.
Jaurès aura parfaitement compris le message lorsqu’il lancera ses « hussards noirs de la République » à la reconquête de la puissance de la France par l’éducation. Ce diagnostic paraît tout à fait transposable à notre temps dans la mesure où les pays romano-germaniques se sont laissé asservir par les mirages du système éducatif anglo-saxon et le drainage des cerveaux au profit de la Nouvelle Rome américaine qu’il induit. Comment ne pas être inquiet par ailleurs lorsque l’on observe la pathétique inertie de certains représentants desdits fleurons de l’éducation française préférant se voiler la face et faire fi des nouveaux paradigmes de la puissance ?
Avatars d’une économie d’espace vital.
Subissant les avatars d’une économie d’espace vital, l’Allemagne a toujours été contrainte d’adopter une posture nécessairement offensive. Cette conquête passe par des stratégies purement militaires, dans lesquelles les canons Krupp jouent leur macabre partition, ou un grignotage méthodique des positions à conquérir par le truchement d’une colonisation physique et économique latente. L’Allemagne se différencie en cela des pays d’économie de subsistance qui, tels la France ou la Russie, disposent d’un espace suffisant pour régler les problématiques relatives au développement harmonieux de la Nation. Bien qu’assise sur une géographie physique plutôt favorable, l’Allemagne n’en est cependant pas moins une « Nation encerclée ». Ces facteurs ont, au cours des siècles, très nettement déterminé les orientations de la stratégie allemande.
Avantages et écueils de la géographie allemande en matière stratégique.
Dans Vers l’Armée de métier, Charles de Gaulle désespérait de voir la frontière Nord Est de la France « béante et offrant aux coup son corps sans armure » et estimait appréciable la situation de l’ennemi d’Outre-Rhin en remarquant fort à propos que les centres actifs de l’Empire allemand sont lointains et répartis. « Pour pouvoir les atteindre, il faut traverser, d’abord, les obstacles du massif schisteux : vallées étroites, pentes escarpées, forêts profondes, fées et brouillards, lutins et maléfices. (…) Le sol par tous ses accidents, lutte contre l’envahisseur. (…) En cinq heures de vol par l’avion Berlin-Paris, le voyageur voit marquées au sol les sûretés allemandes et les faiblesses françaises ».
Des ingénieurs militaires français tels Vauban au XVIIe siècle ou Séré de Rivières après l’humiliation de 1870 durent faire étalage de tout leur art pour protéger cette frontière poreuse. La construction de la Ligne Maginot entre les deux guerres mondiales marqua le point d’orgue de cette entreprise. D’autres nations eurent la même tendance à se protéger à l’ombre de fortifications pour le moins chimériques –citons par exemple les forts belges de Liège et d’Eben Emael emportés méthodiquement par les troupes aéroportées allemandes – en ayant des destins plus ou moins favorables. Il semble qu’à ce titre, le Réduit National suisse, construit à partir de juillet 1940 alors que leur « puissant » voisin mettait les deux genoux à terre, ait prémuni la Confédération helvétique de se voir infliger un sort similaire.
Cela étant et bien que disposant d’une intéressante culture de la fortification –en témoignent les Festen, pendant germain des fortifications Séré de Rivières-, la stratégie allemande s’est souvent révélée bien plus audacieuse et plus offensive que celle de ses voisins. Dans son Rapport sur l’armée allemande, le major russe Kaulbars n’affirmait-il pas que « les Prussiens doivent toujours attaquer » ? Les fortifications allemandes n’apparaissent que comme des points d’appuis autorisant le Haut Commandement allemand à dégarnir certains secteurs et à disposer de la sorte de troupes qui pourront peser de tout leur poids sur les supposés points névralgiques détectés chez l’ennemi. C’est le cas de la frontière franco-belge. Le Westwall –baptisé ironiquement Ligne Siegfried par les Alliés-, construit à la hâte à partir de 1936 était bien loin d’être assis sur des ouvrages aussi complexes et redoutables que ceux de la Ligne Maginot.
Il n’avait pour vocation que de dissuader toute velléités franco-anglaises sur la frontière Ouest du Reich pendant que l’Allemagne menait ses entreprises de gains territoriaux empiriques – « stratégie du salami » – sur d’autres théâtres –Anschluss de l’Autriche et annexion du territoire des Sudètes en 1938-. La propagande nazie pouvait se targuer haut et fort de monter la garde sur le Rhin –die Wacht am Rhein– en foulant au pied les dispositions du diktat de Versailles mais l’OKW n’en menait pas bien large en 1939 car il craignait une riposte de la coalition franco-britannique. L’érection de l’Atlantikwall –qui s’étendait des fjords norvégiens aux contreforts des Pyrénées- à partir de mars 1942 était simplement une manière de retarder l’ouverture d’un nouveau front à l’Ouest par les leaders du monde libre en frappant leur psyché alors que l’effort de la Wehrmacht se portait dans les plaines soviétiques. Bien que composé en partie de batteries d’artillerie de marine, les faiblesses intrinsèques du Mur de l’Atlantique –percé en une seule journée par les troupes alliées le 6 juin 1944- ne pouvaient que laisser pantois un fin stratège tel que le maréchal Erwin Rommel qui n’était pas dupe des performances réelles de ces fières mais non moins vulnérables fortifications.
Une quête perpétuelle d’« espace vital » pour une « Nation encerclée ».
Le peuple allemand s’est de tout temps senti quelque peu engoncé dans un carcan territorial qui ne lui suffisait pas. L’exemple le plus intéressant de cette quête perpétuelle du Lebensraum est sans conteste l’Ordre des Chevaliers teutoniques[xx] qui a bâti sa légende l’épée à la main sur les marches de l’Europe centrale et orientale. Avant de s’établir à compter de 1226 sur les pourtours de la Baltique sur un territoire couvrant l’ancienne Prusse orientale et les provinces baltes – à l’exception notoire de la Lituanie-, l’ordre monastique et militaire tenta une première fois de poser pied en Transylvanie à son retour des Croisades en Terre Sainte. Ils répondirent en 1211 à une invitation du roi de Hongrie qui avait pris pour habitude de recevoir des hôtes étrangers pour peupler et mettre en valeur ses vastes terres mais se montrèrent par trop gourmands en prenant littéralement ces terres in jus et propriatatem.
L’Ordre des chevaliers teutoniques finit par être expulsés de Transylvanie en 1225 mais son attitude est symptomatique en ce sens qu’elle portait déjà les germes de la colonisation allemande des contrées orientales et du Drang nach Osten. Au cours des siècles qui suivirent, la colonisation allemande qui s’étendit jusque sur les bords de la Volga et en Asie centrale servit tour à tour les intérêts habsbourgeois et tsaristes. Les Allemands constituaient en effet un glacis protecteur contre les incursions ottomanes. Leur poids économique était relativement important et au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, l’équilibre géopolitique de ces régions pouvait s’en trouver fortement affecté. Dans la même veine, l’émigration massive de colons allemands vers les Etats-Unis à partir du XVIIIe siècle ou vers le Brésil au XIXe siècle n’est que la conséquence de ce besoin d’espace vital. Au Brésil, des pans entiers de la province de Santa-Catarina passent ainsi de fait sous influence allemande, la très germanique ville de Blumenau constituant l’épicentre de cette colonisation méthodique.
Dès 1897, le géographe Friedrich Ratzel s’évertua dans sa Politische Geographie à mettre en exergue cette nécessaire quête du Lebensraum. La Geopolitik, qui « est depuis longtemps habituée à faire entrer en ligne de compte la grandeur du territoire à côté du chiffre de la population » prescrit la colonisation extérieure une fois que le Naturgebiet et la colonisation intérieure initiale ne répondent plus aux besoins vitaux du peuple –Volk-. Cette situation se produit lorsqu’un peuple connaît un accroissement démographique important et que le besoin d’occuper de nouvelles terres se fait par conséquent sentir une fois que la colonisation initiale a mis en valeur chaque parcelle du Naturgebiet. C’est un processus que l’historien peut en autres observer en Chine ou en Allemagne, avec les grands défrichages du Moyen Age et la mise en valeur des vallées alpines à compter du XIIe siècle. L’installation de colons souabes et saxons en Transylvanie relève du même projet de « colonisation intérieure » au même titre que la politique de l’« ère agronomique », amorcée en France vers 1850. Le peuple en croissance doit le cas échéant se résoudre à aller chercher ailleurs -en guerroyant si besoin est- les subsistances qu’il ne peut plus trouver sur son territoire d’origine. Dans un article de L’année sociologique[xxi], Ratzel considéra qu’« un peuple régresse en tant qu’il perd du terrain » et que « l’attachement au sol est moindre chez ceux qui, par peur de peuples qui menacent leur existence, n’osent pas se lier trop fortement à la terre ».
Le peuple allemand n’a, on l’aura compris, pas pour habitude de bercer dans la faiblesse et son attachement au sol ainsi que la conquête d’un espace vital pour qu’il puisse se développer harmonieusement et maintenir ses attributs de puissance font figure de leitmotiv dans le discours du géographe. Ratzel sait toutefois se monter sous un visage humaniste –et sans doute prophétique quant à l’attitude de ses compatriotes- en constatant que « c’est dans le sol enfin que s’alimente l’égoïsme politique qui fait du sol l’objectif principal de la vie publique ; il consiste, en effet, à conserver toujours et quand même le territoire national, et à toutfaire pour rester seul à en jouir, alors même que des liens de sang, des affinités ethniques inclineraient les cœurs vers des gens des choses situées au-delà des frontières ».
En 1927, le général Karl Haushofer considéra pour sa part in Grenzen in ihrer geographischen und politischen Bedeutung (les frontières et leur signification géographique et politique) que « les frontières sont des corsets juridiques, qui correspondent peut-être à des frontières anciennes (mais) sont des résidus, devenus au fil des temps hostiles à la Vie ». Le destin de Karl Haushofer est d’avoir inspiré, par son darwinisme géopolitique qui érigeait en postulat de base le fait que « l’avancée ou la chute des Etats et des peuples se manifestent dans l’expansion ou, au contraire, la contraction des espaces qu’ils dominent », les régimes les plus détestables. Le nazisme et le bolchevisme stalinien[xxii] tireront en effet la quintessence de la pensée du général Haushofer.
Le grand drame de l’Allemagne est d’être une Nation assise sur l’Europe centrale. Une alliance opportune de l’« ennemi héréditaire » français et de la Russie éternelle pouvait le cas échéant menacer l’Allemagne sur deux fronts. Ce complexe de « Nation encerclée » est profondément et durablement ancré dans la psyché des dirigeants allemands. Dans l’exercice de ses fonctions, Bismarck vivait de manière permanente le « cauchemar des coalitions » et se voyait constamment dans l’obligation de composer pour se protéger tantôt de l’Autriche en s’alliant à l’Italie garibaldienne, tantôt de la France en se s’accordant les bonnes grâces de Vienne et de Rome –voire de Moscou-.
Le tout en ayant la diligence de ménager les susceptibilités de Londres qui faisait figure d’arbitre qu’il ne fallait surtout pas contrarier pour faire pencher la balance en faveur d’un équilibre précaire des positions allemandes. La constitution de glacis protecteurs et sur-militarisés tels le Reichsland d’Elsass-Lothringen visait –outre à créer une synergie entre les différents Etats parties à l’Empire allemand- à disposer d’une marge de manœuvre en cas d’attaque ennemie. La préoccupation de l’encerclement a toujours été une constante des gouvernements allemands jusqu’à ce qu’un Klaus Kinkel –alors ministre des Affaires étrangères- affirme que l’Allemagne réunifiée ne se considère plus que comme « cernée d’amis ». Cette formule sibylline tend à indiquer que le syndrome de l’encerclement n’a pas été relégué aux oubliettes de l’histoire et que Berlin, tout en étant l’un des éléments moteurs de l’Union européenne, ne baisse pas pour autant la garde.
Entre Realpolitik et « Irrealpolitik », lauriers et turpitudes d’une diplomatie de combat.
Tout analyste s’intéressant à la problématique de la puissance allemande ne devrait pas pouvoir faire l’économie d’une lecture téléologique du chapitre X de Mein Kampf[xxiii] sur les Causes de la chute du Second Reich. Cet ouvrage est sans doute le titre le plus connu après la Bible. S’est-on pour autant donné la peine d’en saisir la quintessence dans la mesure où celui-ci n’est malheureusement lu que par quelque néonazi primaire ou une poignée de chercheurs cherchant à comprendre les problématiques de puissance et les écueils qu’il convient d’éviter en la matière ? Est-on par définition un dangereux marxiste lorsqu’on se lance dans la lecture du Manifeste du Parti communiste ?
Il s’agit en l’occurrence de faire montre d’une certaine maturité intellectuelle dans l’optique de tirer quelque enseignement du passé. Adolf Hitler estimait de manière quelque peu triviale que « la chute d’un corps est toujours mesurée par la distance entre sa position temporaire et celle qu’il occupait à l’origine. Ce principe se vérifie pour les Nations et les Etats ». Hitler a par ailleurs fort justement pointé du doigt le fait que la plupart de ses contemporains n’avaient pas la bonne grille de lecture pour analyser la chute du Second Reich. Le déclin allemand était selon lui dû à la dégénérescence de la société wilhelmienne dans ses composantes politiques, culturelles, éthiques et morales alors que l’intelligentsia estimait que seuls les facteurs économiques étaient à prendre en compte. Le principal « symptôme de cette maladie » est une diminution de l’instinct de survie des Allemands qui sapa les fondations mêmes du Second Reich.
Transposition faite de ce raisonnement à notre temps, la montée des extrémismes en Europe n’est pas anodine tant ceux-ci font leur lit sur les contradictions et les turpitudes d’une intelligentsia incapable de sortir du cercle vicieux des « affaires » et des querelles de clocher sur des questions bénignes. Enfermée dans ses réflexes pavloviens, cette intelligentsia se révèle donc incapable de comprendre les véritables enjeux du durcissement des rapports de coopétition dans le cadre de la mondialisation. Si le diagnostic posé par Hitler s’est révélé terriblement exact, le remède préconisé par ses soins était d’une incommensurable ignominie. En taxant les Juifs et les Marxistes des pires forfaits, ce dernier a cependant montré les limites de son raisonnement. Sa clairvoyance sur de nombreux points s’est en effet heurtée à sa folie pathologique et morbide qui, lorsqu’elle eut atteint son paroxysme a pu libérer les plus sombres instincts meurtriers du peuple allemand.
La Realpolitik : l’envol de l’aigle prussien, instrumentalisé par un « chancelier de fer ».
Il est toujours très instructif d’analyser par le truchement de la science héraldique les velléités d’un peuple qui se traduisent dans l’inconscient collectif par l’animal auquel il s’identifie. La Prusse impériale et la Grande Allemagne ont pris pour emblème l’aigle, animal dominateur s’il en est, alors que les Français sont représentés par le volage et ô combien prétentieux coq gaulois[xxiv]. Comme le veut la légende germanique, l’aigle impérial allait par trois fois fondre et serrer entre ses griffes l’« ennemi héréditaire[xxv] » après avoir trempé son aile droite dans le sang de l’empereur Conradin Von Hohenstaufen, victime au XIIIe siècle de l’ignominie du duc d’Anjou[xxvi]. Le chancelier de fer –der Eiserne Kanzler-, Otto Von Bismarck aura le redoutable honneur d’être ce pourfendeur de Welches tant attendu par les Etats allemands. Ceux-ci se sentaient encore humiliés d’avoir été la marionnette revêtant les oripeaux de la Confédération germanique d’une étoile filante nommée Napoléon, servi par cette Grande Armée qui arborait alors fièrement l’aigle en étendard. Cette glorieuse épopée impériale marquera le chant du cygne pour une France emportée par les tourbillons de l’Histoire qui passera lentement mais sûrement, en obéissant au rythme d’un sablier, le témoin de la prééminence continentale à cette Allemagne naissante que le stratège corse avait tenté d’instrumentaliser. En jouant avec le feu, celui-ci a pourtant sans le vouloir contribué à créer cette irrésistible machine -que les rois de France s’étaient évertués à diviser pour régner- à la suite de la mise sur les fonts baptismaux de la Confédération germanique et en introduisant le germe du nationalisme allemand dans l’esprit d’un Fichte, auteur en 1806, après la défaite d’Iéna, du Discours sur la Nation allemande.
Entre son arrivée au pouvoir en 1862 en tant que Ministerpräsident de la Prusse et l’Entrevue de Potsdam en 1872 scellant l’Entente des Trois Empereurs, Bismarck eut le temps de mettre à genoux un roi et deux empereurs qu’en fin stratège il aura tour à tour instrumentalisés dans l’optique de réaliser ce grand dessein qu’est l’unité allemande, scellée le 18 janvier 1871 au sein de la galerie des Glaces du château de Versailles. A compter de cet instant, « le mot allemand Realpolitik (allait remplacer) l’expression française Raison d’Etat, sans pour autant en modifier le sens[xxvii]». Son premier fait d’armes fut la formidable partie de poker qu’il joua en 1864 dans l’affaire des duchés danois et où il eut en main tous les atouts. Les duchés de Holstein, de Lauenburg et du Schleswig tiennent en effet depuis de nombreuses années le rôle de pomme de discorde entre le royaume du Danemark et la Confédération germanique qui veut intégrer ces trois territoires au sein du Bund. L’annexion en 1863 du Schleswig par la Couronne danoise va mettre le feu aux poudres et donner une première occasion à Bismarck de faire étalage de tout son génie stratégique. Il va convaincre sa future proie, l’Autriche, de lancer contre le Danemark une opération combinée avec la Prusse que la paix de Vienne de 1864 viendra sceller une fois les duchés en cause conquis et le voisin scandinave ramené à la raison. La convention de Gastein -août 1865- attribue le Schleswig à la Prusse et le Holstein à l’Autriche qui, trop certaine de sa force, va fomenter des troubles dans la province tenue par les Prussiens.
Gagnant du temps dans l’optique de laisser Moltke et Roon achever la mise au point de la machine de guerre prussienne avant la guerre inéluctable contre l’Autriche qu’il sent poindre à l’horizon, Bismarck va réussir le tour de force d’obtenir la non-ingérence de la France de Napoléon III dans les affaires à venir lors de l’entretien de Biarritz et le ralliement à sa cause de l’Italie garibaldienne. En fin manipulateur, Bismarck aura donc réussi à déployer une stratégie visant à rendre de manière empirique la Prusse plus puissante en protégeant ses arrières tout en en frappant de façon précise et décisive au moment opportun. Cette « stratégie du salami » -que le général Beaufre a baptisé « stratégie de l’artichaut » en ce qui concerne les conquêtes réalisées par le régime nazi entre 1938 et 1939- va faire passer la Prusse du statut de puissance régionale de référence à celui d’empire dominateur. Le chancelier de fer a bien quelque peu hésité à l’idée de faire parler les armes dans une « guerre fratricide » contre l’Autriche en raison de la levée de boucliers qu’une telle posture guerrière a pu provoquer au sein de l’« opinion publique » des Etats allemands. Une guerre courte et rondement menée s’imposait donc.
La décision fut emportée en juillet 1866 lorsque les troupes prussiennes mirent en déroute les armées habsbourgeoises à Sadowa. Bismarck fut très modeste dans son succès et eut la présence d’esprit de ne pas humilier inutilement –contrairement aux vues de Guillaume Ier- les Autrichiens en ne leur imposant qu’une paix honorable paraphée à Prague. Par ce traité, l’Autriche ne se voyait amputée d’aucun territoire mais devait se résoudre à accepter son éviction des affaires allemandes.
Sur la frontière Ouest, Napoléon III gênait considérablement les plans prussiens depuis qu’il s’était fait le chantre de la souveraineté des Etats du Sud à la suite de la paix de Prague contre les prétentions du Norddeutscher Bund, instrumentalisé par la Prusse. Bismarck entrepris d’abord une campagne de discrétisation de la politique de Napoléon III qui consistait à demander des compensations territoriales pour la neutralité française dans la guerre austro-prussienne. Les prétentions françaises portaient en particulier sur le Luxembourg. Tout en ne projetant pas encore à cet instant précis de faire la guerre, cette attitude d’aubergiste qui présente sa note et demande un pourboire a été on ne peut mieux utilisée par un Bismarck calculateur pour faire monter la francophobie au sein du peuple allemand. La question de la succession d’Espagne, à laquelle le prince prussien Léopold Von Hohenzollern, téléguidé par Guillaume Ier va prétendre ne pouvait laisser indifférente une France qui se retrouverait alors encerclée.
Jugeant le conflit armé irréversible et disposant d’informations sur l’impréparation notoire des troupes françaises, le chancelier Bismarck va pousser à la faute un gouvernement français par trop sanguin et arrogant. La fameuse dépêche d’Ems[xxviii] –manipulée par les soins du chancelier- agira selon Bismarck[xxix] « comme un drap rouge sur le taureau gaulois » qui déclara aussitôt la guerre à la Prusse le 19 juillet 1870. Le 2 septembre de la même année, l’empereur Napoléon III était fait prisonnier à Sedan après une série de revers militaires qui ne trouveront leur équivalent que dans l’effondrement de juin 1940. Le traité de Francfort en date du 10 mai 1871 ampute la France des riches provinces de l’Alsace et de la Moselle et exige une lourde indemnité de guerre de cinq milliards de francs qui permettront de financer l’industrie allemande.
La France mise à genoux sous une pluie de « fer et de sang », celui pour lequel « la force prime sur le droit » -Macht geht über Recht- pouvait enfin savourer en 1871 la fondation de l’empire allemand, fruit de la volonté et de la pugnacité –d’aucuns diront la folie- d’un seul homme. La grandeur d’une Nation repose souvent sur des « chefs providentiels » -au panthéon de cette race d’hommes, citons par exemple l’action d’un Mustapha Kemal en Turquie, d’un Churchill en Angleterre ou encore d’un Georges Washington aux Etats-Unis en n’omettant pas, plus près de nous, l’apport capital d’un Charles De Gaulle pour la France. Ce sont souvent des destins individuels qui font sortir de la torpeur et de l’inertie ambiante certains peuples qui se découvrent alors quelque vertu non exploitée jusque-là qui leur permettra de se mettre en branle avec plus ou moins de réussite sur les chemins de la puissance.
La Weltpolitik : l’ascension aux extrêmes d’un aigle trop vorace.
Le chancelier de fer restera au pouvoir jusqu’en 1890, année où il sera congédié par l’arrogant Guillaume II. A compter de cette période, la Realpolitik prit le tour de ce que l’on pourrait appeler une « Irrealpolitik » en se voyant supplantée par les sirènes pangermanistes du nouveau Kaiser pompeusement théorisées sous le vocable de Weltpolitik –politique globale-. C’est l’irrémédiable problème du joueur invétéré qui, après avoir suffisamment gagné aspire toutefois à faire « sauter la banque » et qui se retrouve avec des dettes de jeu que ses créanciers se feront un plaisir de lui rappeler à souhait. Tout ce qu’il trouvera à dire est qu’il « n’a pas voulu ça[xxx]»… Après la fondation de l’empire allemand, Bismarck eut en effet une politique très mesurée et de façon très pragmatique, avait très bien compris le danger que représentaient les tendances pangermanistes déjà formulées sous une forme vague par divers auteurs allemands.
Il ne consentit à l’établissement des colonies allemandes de Namibie, du Tanganyika, du Cameroun, du Togo et du nord-est de la Nouvelle-Guinée qu’une fois certain que la puissance maritime anglaise, en conflit avec la France et la Russie, ne pourrait pas réagir à bon escient. L’éviction de Bismarck des affaires de l’Empire à peine consommée, la gangrène du pangermanisme était déjà bien avancée puisque ces extrémistes –souvent issus du corps des officiers prussiens- dont les écrits se révèlent « vite insupportables quand on ne partage pas le délire de leurs auteurs[xxxi] » préconisaient tout simplement la création d’un Empire allemand universel[xxxii] sous la coupe de la Prusse. La Alldeutscher Verband[xxxiii] va jouer sur le sentiment de la communauté d’origine et l’hypothétique désir d’unité de la diaspora allemande alors que le Kaiser lui-même va se laisser prendre au jeu dans la mesure où il stipule dans un discours en date du 28 août 1898 que « l’unité et la coopération de toutes les tribus germaniques sont nécessaires ».
En 1895, les pangermanistes mettent sur pied un plan machiavélique visant à rattacher à l’Empire allemand de nombreuses provinces autrichiennes et à étendre le Zollverein à tous les Etats limitrophes de l’Allemagne susceptibles d’être satellisés et dont les ressources seraient profitables aux intérêts allemands. Le rayonnement de l’Empire doit en particulier se faire sentir dans les Balkans et sur l’Empire ottoman. Ce plan prospectif est exposé de façon magistrale dans l’essai Großdeutschland und Mitteleuropa um das Jahr 1950[xxxiv] au sein duquel l’auteur anonyme considère comme inévitable une guerre contre la Russie. Cette guerre devra le cas échéant permettre à l’Allemagne d’annexer les pays baltes, la Livonie et la Courlande. Il s’agirait alors de former un Etat polonais et un royaume ruthène destinés à recevoir les Juifs et les Slaves qui seraient expulsés de l’Empire allemand. A la lecture de ce plan diabolique, on constatera que les nazis n’ont pas inventé la « purification ethnique » et que ses racines sont plus profondes et pernicieuses qu’on ne le pense…
Pour compléter le tableau, une nouvelle Confédération germanique –qui comporterait 86 millions d’habitants- serait portée sur les fonts baptismaux et devrait englober –outre l’Empire allemand originel- le Luxembourg, les Pays-Bas, la Belgique, la Suisse alémanique ainsi que l’Empire austro-hongrois. Un Zollverein –qui abriterait 131 millions d’âmes- devrait en outre englober la Confédération germanique, la Pologne, le pays ruthène, les principautés baltes ainsi que la Grande Serbie et la Grande Roumanie que l’Allemagne aurait laissé prospérer aux dépends du grand rival autrichien qui serait démembré comme l’indique le courageux auteur, comme toujours anonyme, de l’essai Österreichs Zusammenbruch und Wiederaufbau[xxxv]. L’auteur du plan « Großdeutschland »affirme en point d’orgue que « les Allemands ne peupleront pas seuls le nouvel empire allemand mais (que) seuls ils gouverneront, seuls ils exerceront les droits politiques, serviront dans la marine et dans l’armée, seuls ils pourront acquérir la terre. Ils auront comme au Moyen Age, le sentiment d’être un peuple de maîtres ; toutefois ils condescendront à ce que les travaux inférieurs soient exécutés par les étrangers soumis à leur domination ». Bien loin du mythe aryen, les nazis ne feront pas tant de manières puisqu’ils se résoudront à enrôler au sein de la Wehrmacht des peuples aussi hétérogènes que les Géorgiens ou les Ouzbeks…
Le plan pangermaniste de 1895 devait trouver de nouvelles bases en 1911 dans les écrits d’Otto Tannenberg[xxxvi]. L’exécution du plan de 1895 avait été initialement envisagée sous une forme pacifique en isolant la France et en la réduisant à l’impuissance à la faveur du détournement de l’activité russe vers l’extrême Orient. En raison de la perte des illusions russes en Asie qui la fit s’intéresser de nouveau à l’Europe, l’Allemagne considéra qu’il fallait mener une guerre préventive contre la France et la Russie avant que cette dernière n’ait pu reconstituer ses arsenaux et construire ses chemins de fer stratégiques en Pologne. Cette guerre devait être poussée dans ses conséquences militaires, financières et territoriales les plus extrêmes afin d’assurer l’anéantissement, en tant que puissances, de la France et de la Russie.
Pour ce faire, il s’agissait de mettre à genoux la Russie par son isolement de l’Europe au moyen d’un cordon sanitaire établit en coupant ses accès aux mers d’Occident par l’octroi de la Finlande et de la région de St. Petersbourg à la Suède. Cette dernière devait être manipulée pour être lancée à l’assaut de l’empire tsariste aux côtés de la Roumanie –qui devait se voir attribuer la Bessarabie et Odessa- et de l’empire ottoman. En fomentant des jacqueries et en soutenant les mouvements séparatistes, l’Allemagne voulait également aboutir à la création de la Pologne et d’un Etat petit-russien destinés à former un glacis protecteur contre la Russie.
Sur le front Ouest, la France devait être anéantie et épuisée économiquement en détruisant ses armées par le truchement d’une action militaire aussi rapide que violente. Il s’agissait de plus de lui imposer une indemnité de guerre éreintante une fois la victoire acquise en sus de l’annexion des bassins industriels et miniers du Nord-Est. Au terme d’une analyse ad litteram de ce plan, on constate que la « Pangermanie » devait être composée de 162 millions d’habitants, dont 85 millions qui ne seraient pas des Volksdeutschen…Pour André Chéradame, « ce chiffre fantastique de non Allemands à introduire dans la future Confédération germanique démontre à lui seul le degré de folie morbide inouï auquel en étaient arrivés les pangermanistes[xxxvii] ». Frobenius[xxxviii] pouvait estimer en 1914 que l’« heure décisive de l’Empire allemand » était enfin venue et qu’il s’agissait de « hisser le pavillon de tempête sur les rives du Kanal » -la Manche- pour que l’Allemagne puisse occuper plus de place dans le monde et s’octroyer plus de débouchés pour son activité en s’étendant de Hambourg à Trieste.
Il ne fait aucun doute que l’Allemagne a voulu l’effroyable massacre de la Première conflagration mondiale en ce sens qu’elle n’a absolument rien fait pour retenir Vienne sur la pente fatale qui l’entraîna au suicide de l’Empire austro-hongrois par sa folle agression contre la Serbie. Considérant la défaite des troupes habsbourgeoises comme inexorable en raison de leur inaptitude patente au combat, l’Allemagne se considérerait comme créancière privilégiée dans la chirurgicale entreprise de démembrement de l’Autriche qui ne manquerait pas de suivre les hostilités. Les troupes françaises, flanquées de la puissance maritime anglaise et soulagées par l’entrée en guerre tardive mais décisive des Etats-Unis, vont s’évertuer à enrayer le mécanisme bien huilé de la machine élaborée par l’Allemagne.
Le leitmotiv de la maîtrise des communications.
La Weltpolitik initiée par le Kaiser Guillaume II va trouver son point d’orgue dans la politique navale déployée par l’Allemagne dans l’optique de maîtriser les communications maritimes stratégiques. Il s’agissait alors de concurrencer une thalassocratie anglaise qui avait la haute main sur l’élément marin depuis la victoire de Trafalgar remportée par l’amiral Nelson sur la flotte franco-espagnole en 1805. Friedrich Ratzel –membre de ce puissant lobby qu’était la Ligue navale (der Deutsche Flottenverein)– se déclare comme un fervent partisan de cette nouvelle stratégie navale au détour d’un article publié en 1901 sur La mer, source de la grandeur des peuples. Il y expose la théorie selon laquelle l’Angleterre serait en perte de vitesse et ne pourrait pas résister à une coalition des secondes et troisièmes flottes qui auraient raison des communications maritimes anglaises. Dans l’optique de dégager la typologie de la puissance maritime, il ajoute que « le commerce maritime ne suit pas le drapeau et le drapeau ne le suit pas, ils vont de pair ».
Comment en effet ne pas se remémorer l’ouverture de force du marché japonais sous la contrainte des « vaisseaux noirs » du Commodore Perry ? Si elle voulait être en mesure d’affirmer ses velléités coloniales, l’Allemagne devait se donner les moyens de disposer de bases et de stations charbonnières sur les routes maritimes où ses navires pourraient relâcher. C’est en ayant à l’esprit cette grille de lecture que l’ambitieux amiral Tirpitz va s’employer à faire de la Kriegsmarine une épée de Damoclès pendue au-dessus de la tête de l’amirauté britannique. Tout en s’intéressant in Dai Nihon[xxxix] –le Grand Japon- à la vocation hégémonique du Japon et à la création d’un ensemble continental regroupant l’Allemagne, la Russie et le Japon –Pan-Ideen[xl]-, le général Karl Haushofer va également orienter son effort sur le développement de la stratégie maritime allemande par le truchement de sa Geopolitik des Pazifischen Ozeans et d’un ouvrage intitulé Weltmeere und Weltmächte[xli]. Il développe dans ce dernier ouvragela thèse selon laquelle les thalassocraties, au premier rang desquelles figure Venise, déploient leur puissance au départ d’un territoire réduit et conquièrent des comptoirs et des bandes littorales qui constituent autant de « ventouses aspirantes » reliées à la métropole par des tentacules mouvantes et élastiques.
Il soutient également que l’idée de mare liberum formulée par le juriste hollandais Grotius est hypocrite dans la mesure où la Grande-Bretagne s’empare ipso facto de larges portions de territoire marin en recourant de manière récurrente au blocus maritime et en s’emparant des câbles sous-marins de télécommunications. Les meutes de U-Boot « lâchées » au cours des deux conflits mondiaux sont la réponse du faible au fort pour briser les blocus mis en place par la Royal Navy et chercher à trouver la décision en étouffant le cœur même de l’empire britannique.
Les chemins de fer constituent également un vecteur de communication pris très au sérieux par les Allemands dans la mesure où Moltke l’Ancien explique sans détour au sein du chapitre consacré dans ses mémoires aux conditions de la guerre future[xlii] que « la gare de Dalheim, très peu importante au point de vue du trafic, offre un exemple frappant du soin avec lequel l’Allemagne a fait ses préparatifs : dix-huit voies chacune de mille mètres, avec quais d’embarquement pour la cavalerie et pour l’artillerie, y ont été construites sous les yeux du Grand Etat-major. Ces voies sont raccordées aux voies principales vers Gladbach, et en cul- de-sac vers Klodrop, sur la frontière limbourgeoise-hollandaise. En quelques heures, les XIIIe, XIe et VIIe corps d’armée peuvent être réunis et dirigés vers Bruxelles et Maubeuge par quatre voies ».
L’efficacité initiale du plan Schlieffen mis en pratique en 1914 ne doit rien au hasard et ces chemins de fer –nationalisés très tôt pour plus d’efficacité par Bismarck- amèneront vers l’abattoir des millions d’Allemands qui se retrouveront plus vite que de raison mit Gott, für König und Vaterland. Signalons par ailleurs que le chemin de fer de Bagdad occupait à l’aube du XXe siècle une place cardinale au cœur de la Weltpolitik wilhelmienne qui cherchait à inféoder un empire ottoman chancelant et à faire voler l’aigle allemand au-dessus de la Mésopotamie. Abstraction faite de la diabolique logistique mise en place pour la « solution finale », les chemins de fer ont en outre joué un rôle essentiel pour la Wehrmacht au cours de la Seconde guerre mondiale dans la mesure où ils permirent à une division d’élite telle que Großdeutschland d’être transférée du front Est vers le font Ouest pour l’offensive des Ardennes de décembre 1944 et de rejoindre à nouveau le front Est pour défendre ce qui pouvait encore l’être une fois la percée effectuée.
Au niveau de l’infrastructure routière, l’intérêt stratégique des autoroutes quant à la maîtrise des communications est apparu très tôt aux ingénieurs des régimes fascistes. Dès 1909, la société Automobile Verkehrs und Übungs Strasse GmbH a construit une double voie de dix kilomètres à l’Ouest de Berlin. L’Italie mussolinienne avait par la suite marqué les esprits dès le 21 septembre 1924 après la mise en service de l’autoroute Milan-Varese –longue de 85 kilomètres- construite par la société Strade e Cave de l’ingénieur Puricelli. L’Allemagne nazie ne pouvait dans ces conditions pas rester en reste et un plan de construction de 4023 kilomètres d’autoroutes a été adopté dès l’accession au pouvoir d’Adolf Hitler en 1933[xliii]. Les travaux ont été confiés à l’inspecteur général du réseau routier Fritz Todt –qui fera parler de lui par la suite par le truchement de la tristement célèbre Organisation Todt-. Cette stratégie se place résolument à l’opposé de la posture française qui consistait à s’enterrer à l’abri de la Ligne Maginot.
Et Adolf Hitler de proclamer le 15 février 1935 que « ces routes vont devenir sous peu l’un des plus puissants vecteurs de propagande, non seulement pour l’augmentation du trafic routier et donc de la production, mais aussi un point d’attraction pour des milliers d’étrangers, car après la réalisation des autoroutes du Reich, l’Allemagne se sera doté du réseau autoroutier de loin le plus moderne au monde [xliv]». Se laissant aller à quelque élan lyrique et dans un style plus wagnérien, il ajoutait que « comme les pyramides racontent l’histoire des pharaons et comme les routes romaines témoignent de la puissance de l’empereur romain, ainsi les magnifiques routes rappelleront éternellement au peuple allemand l’extraordinaire personnalité de son histoire et que des concitoyens, jadis sans nom et sans emploi ont construit de leurs propres forces sans aucune aide extérieure, un nouveau Reich et ont insufflé à tout un peuple la volonté de réaliser son destin ».
L’acte manqué de la puissance par la diffusion de la deutsche Sprache.
Inutile de préciser l’intérêt cardinal que revêt la question de la diffusion –voire de l’universalité dans des secteurs tels que l’économie- d’une langue tant chacun aura compris que celle-ci constitue le baromètre des ambitions accomplies ou sacrifiées sur l’autel des chemins de la puissance. La langue française, qui avait le beau rôle jusque-là fut supplantée par l’anglais après la Seconde guerre mondiale à la suite de la perte de crédibilité géopolitique de la France au profit des pays anglo-saxons. Ce ne sont pas les pathétiques sommets de la francophonie qui changeront la donne pour une langue qui subit le suprême affront d’être protégée dans ses propres bastions [xlv]! Dans le même ordre d’idées, la langue allemande –die deutsche Sprache- manqua à diverses reprises ses rendez-vous avec l’histoire dans l’optique de devenir un étalon de référence. Le premier acte manqué intervint lorsque des peuplades germaniques tels les Francs abandonnèrent leur langue pour s’approprier celle des territoires nouvellement conquis. Ce phénomène est à rapprocher de la sinisation progressive des conquérants des Chinois, ces derniers disposant pour eux de la maîtrise du temps pour retourner à leur profit un postulat négatif à la base.
Bien que l’influence allemande pesât rapidement de tout son poids en Mitteleuropa –en particulier à la suite des conquêtes des Chevaliers teutoniques et à l’action de la Ligue hanséatique-, l’allemand n’obtint jamais le prestige du français, ce dernier étant même pratiqué par les officiers ressortissants de pays germanophones à compter de l’affirmation de la puissance louis-quatorzienne. Il est en ce sens tout à fait symptomatique de constater que Frédéric II rédigea entièrement en français son Instruction aux généraux de 1750. A partir de 1847, certains historiens tels Franz Loher avancent néanmoins l’hypothèse selon laquelle les Etats-Unis se seraient très sérieusement posé la question de l’adoption de l’allemand comme langue officielle lors d’un vote qui serait intervenu en 1794 à la Chambre des députés de Philadelphie[xlvi].
Le sort n’aurait tenu qu’à une seule voie, à savoir celle du président de la Chambre des députés, un émigré allemand répondant au nom de Mülhenberg. Bien que la Pennsylvanie eût été peuplée à ce moment précis de l’histoire américaine de plus d’un tiers de colons allemands, des recherches historiques méthodiques menées respectivement par Albert Bernhardt Faust[xlvii] et Otto Lohr à la bibliothèque du Congrès tendent à rétablir la vérité historique[xlviii]et à démontrer que cette rumeur n’a été colportée que par des activistes pangermanistes.
Par suite de la prise du pouvoir par Adolf Hitler en 1933, la langue allemande fut prise en otage par les idéologues nazis. Le sémiologue Victor Klemperer entreprit d’analyser la lingua tertii imperii[xlix] –LTI, langue du Troisième Reich- utilisée par le régime avec pour dessein « d’embourber la parole et la pensée dans la fange de son jargon et de sa propagande » et d’asseoir ainsi son pouvoir sur ses partisans et sur ses victimes. Il est patent de constater que la LTI –qui se rapproche de la lingua sovietica utilisée en URSS par les bolcheviques- qualifie le meurtre de « traitement spécial » –Sonderbehandlung- et l’holocauste de « solution finale » – Endlösung-. Klemperer démontra magistralement comment les nazis ont habilement eu recours à des termes tenant au registre du fanatisme pour exprimer les concepts d’« héroïsme » ou de « vertu » pour laisser entendre qu’un fanatique est un héros vertueux et que sans fanatisme, il n’est point de héros. Les fous d’Allah n’ont en la matière rien inventé…
De la genèse de la richesse de la Nation allemande.
La recherche de la nature et des causes de la richesse des nations fait office de serpent de mer de l’économie politique depuis qu’Adam Smith s’est penché de façon magistrale sur la question au Siècle des Lumières. Plus près de nous, Alvin Toffler identifie pour sa part ces trois pouvoirs que sont le savoir, la richesse et la violence[l] que toute Nation ayant quelque velléité de puissance doit absolument maîtriser pour paraître crédible et légitime sur les échiquiers géopolitiques, géostratégiques et géo-économiques. Les Allemands ont très tôt su développer et déployer diverses modalités pour imposer leurs vues par le truchement de leur puissance économique. Nous envisagerons successivement trois exemples patents de ce génie économique propre à la culture stratégique allemande. La genèse du « capitalisme rhénan » est en effet à rechercher tant dans l’esprit d’entreprise propre à un Jacob Fugger, banquier des princes et faiseur de rois, que dans la pratique de la Ligue hanséatique, qui domina durant des siècles le commerce dans le bassin de la Baltique, ou encore dans l’avènement du Zollverein au cours de la première moitié du XIXe siècle à la suite des recommandations de Friedrich List.
Fugger, banquier des princes et faiseur de rois.
Jacob le Riche, alias Jacob II Fugger, est a juste titre considéré comme étant le plus important Geschäftsmann –homme d’affaires- de la période embrassant la fin du XVe et le début du XVIe siècle. Ce banquier d’Augsbourg, issu d’une famille de grands tisserands, joua un rôle économique et politique cardinal en Mitteleuropa. En échange de prêts dont ils avaient constamment besoin pour guerroyer, les princes lui ont en effet octroyé des concessions dans l’exploitation de mines d’argent au Tyrol ou de mercure en Slovaquie. Il finit par contrôler toutes les mines d’argent d’Allemagne et une grande partie de la production du plomb et du cuivre. Il eut enfin le monopole de l’exploitation du mercure entre 1511 et 1525 et monta un réseau de succursales étendant son emprise des Pays-Bas espagnols à l’Italie et de la France à la Pologne. Ces métaux étaient principalement écoulés via le port d’Anvers, alors sous domination espagnole. Les trusts américains ne sont sans doute que des ersatz améliorés descendant en droite ligne de la culture stratégique de Fugger consistant à concentrer horizontalement et verticalement entre ses mains tous les moyens de production utiles au déploiement de son activité et à son enrichissement sans bornes.
De façon quelque peu provocante, avançons même l’idée que Fugger, dont les activités ne répondent pas « exactement » aux canons du droit communautaire de la concurrence ou aux lois anti-trusts américaines, aurait sans nul doute trouvé quelque oreille sensible à ses arguments auprès de la DG concurrence de Bruxelles et put conclure quelque occulte gentleman agreement. Nous berçons bien entendu dans une pure hypothèse d’économie-fiction… Outre des prêts consentis à Maximilien Ier d’Allemagne qui lui concéda des terres de la Couronne en hypothèque, il devint le banquier attitré des puissants Habsbourg et du Saint-Siège. En tenant les cordons de la bourse et en se mettant au service des plus puissants, il pouvait ainsi utiliser à son profit son statut d’éminence grise et tirer de la sorte les ficelles du pouvoir. Il trouvait un plaisir tout particulier à faire et à défaire les rois. La mort de Maximilien Ier en 1519 laissa le trône impérial vacant et Fugger joua un rôle déterminant dans l’élection de Charles Quint aux dépends du roi de France, François Ier.
Pour ce faire, Charles Quint contracta auprès de Fugger un prêt énorme de 900.000 florins –assis sur des baux portant sur les biens des ordres de chevalerie ainsi que sur des mines de mercure et d’argent- destiné à acheter les voix des sept princes électeurs du Saint Empire romain germanique. A sa mort en 1525, ses fils firent prospérer cette juteuse affaire et diversifièrent leur activité en étendant leur emprise sur le secteur porteur des épices, de la laine et de la soie tout en ouvrant des comptoirs au Chili et à Moscou. En 1530, la famille Fugger –qui fut anoblie- se vit attribuer la propriété des terres placées sous hypothèque et se vit reconnaître le droit de battre monnaie -pouvoir régalien et attribut de puissance s’il en est- à compter de 1534. Avant que la banque Fugger ne se déclare en faillite en 1607, le pécule accumulé par la famille –estimé à 4,7 millions de florins, soit 13 tonnes d’or, en 1550- leur permit de dominer les finances publiques des empires espagnol et portugais qui se sont « partagé le monde » le 7 juin 1494 lors du traité de Tordesillas.
La puissance de la Ligue hanséatique dans la Baltique : la mare nostrum allemande.
A une échelle collective, la Hanse –du Hochdeutsch « Hansa »- est une ligue de marchands regroupant en son sein les marchands allemands du Nord de l’Allemagne présents par ailleurs dans les Etats du pourtour de la Baltique, en Hollande, en Angleterre ainsi qu’en Russie blanche. A compter du XIIIe siècle et pour pallier à l’écueil principal pour la sécurité des échanges commerciaux que représentait l’absence d’un gouvernement central fort en Allemagne, à la différence de la situation qui prévalait dans des puissances concurrentes telles que la France, l’Angleterre l’Espagne, de puissantes villes libres allemandes –au premier rang desquelles figurent Lübeck, Brême, Rostock et Hambourg- efficacement dirigées par de « nouveaux patriciens » firent montre de leurs talents diplomatiques dans l’optique de se voir conférer quelque privilège commercial exclusif par les puissances étrangères.
La Hanse –qui était interdite aux non-Allemands- est née de la convergence des intérêts particuliers de différentes villes libres allemandes qui se sont rendues compte que l’union faisait la force dans l’entreprise de conquête de nouveaux marchés à l’étranger après s’être livrées entre elles à une concurrence stérile comme le firent la Ligue de Cologne, l’Osterlinge –dirigée par Lübeck- et la Hansa teutoricum –sous la coupe de l’Ordre des Chevaliers teutoniques-. De la même façon que la puissance maritime de l’Arsenal de Venise permettait à cette dernière de tenir à la même époque les flux commerciaux en Méditerranée, la crédibilité de la Ligue hanséatique était due au déploiement d’une flotte imposante visant à contrôler cette mare nostrum allemande qu’était la Baltique.
A l’apogée de la Hanse au XVe siècle –baptisée Blütezeit, littéralement« âge florissant » -, les privilèges hanséatiques trouvaient à s’appliquer à plus de 72 villes d’importance ainsi qu’à leurs satellites. En sus de détenir l’imperium par l’emporium –en particulier du sel, denrée stratégique à l’époque dans la mesure où il permettait la conservation des aliments-, la Städthanse était en outre une puissance militaire régionale de premier ordre capable d’imposer la loi des armes à un pays tel que le royaume du Danemark –paix de Stralsund en 1370- et d’imposer des embargos à des provinces réfractaires à son influence telles les Flandres. Une diète hanséatique représentant les différents « courants » se démarquant au sein des villes libres coalisées se tenait à Lübeck et visait à organiser la politique globale de la Ligue et à accepter de nouveaux membres, voire à en exclure certains pour défaut de conformation avec les dispositions des différentes chartes octroyant les privilèges hanséatiques.
La pénétration des commerçants de la Hanse dans des contrées telles que la Russie blanche –où le comptoir de Novgorod servait de sas d’entrée- se doublait de façon récurrente d’une colonisation allemande sur les terres arables à la périphérie des grandes villes –la fameuse Vorstädte russe[li] -. Le lent mais inexorable déclin[lii] de la Hanse a été initié par la lourde défaite essuyée à Tannenberg en 1410 contre les Polonais et les Lithuaniens par les Chevaliers teutoniques, protecteurs de la Hansa teutoricum dont les fleurons étaient les villes de Dantzig et de Königsberg.
Un ensemble de facteurs exogènes à la Hanse tels les grandes découvertes, l’essor de l’Union de Kalmar –1397-1523- regroupant le Danemark, la Norvège et la Suède mais surtout la puissance croissante des marchands hollandais d’Anvers et d’Amsterdam suite à l’indépendance des Provinces-Unies acquise en 1648 aux dépends de l’Espagne émiettèrent lentement mais sûrement la puissance hanséatique. Les conflits récurrents opposant la Hanse à la Couronne anglaise[liii] en raison de l’affirmation des velléités maritimes anglaises et des prétentions déplacées des marchands allemands dans leur comptoir londonien parachevèrent de saper la crédibilité de la Ligue hanséatique. Celle-ci rendra son chant du cygne sous le régime national-socialiste qui mettra fin en 1934 aux privilèges des dernières villes hanséatiques que sont Brême, Hambourg et Lübeck. En dépit de sa disparition, il reste néanmoins possible d’affirmer que la Hanse est encore une référence bien vivante de la culture économique allemande. En témoigne la compagnie aérienne « porte-étendard » baptisée die Deutsche Lufthansa –littéralement « ligue aérienne allemande » – qui a repris le flambeau de la diplomatie commerciale hanséatique en prenant la tête de la Star-Alliance -la plus grande alliance du transport aérien-. Alors que la Hanse historique dominait le commerce par la voie maritime, cette « nouvelle Hanse » qu’est la Lufthansa peut se targuer d’être l’un des trois majors du transport aérien au niveau européen.
Le Zollverein : le désarmement douanier comme levier de puissance.
Ultime facette de ce triptyque ayant façonné et engendré la richesse de la Nation allemande, le Zollverein fait encore aujourd’hui figure de précurseur en matière d’intégration économique pour des entités telles que l’Union européenne, l’ALENA[liv], le Mercosur ou encore l’ASEAN. L’économiste Friedrich List est le promoteur de l’idée de l’abandon des droits de douane qui grevaient les marchandises lors du franchissement des frontières des différents Etats formant la Confédération germanique. En 1818, la Prusse devait par conséquent abolir ses droits de douane pour former le Norddeutsche Zollverein qui formera le Deutsche Zollverein à compter de 1834, année où les Etats du Nord seront rejoints par les Etats du Sud –Süddeutsche Zollverein instauré en 1828 entre la Bavière et le Wurtemberg–. L’œuvre sera parachevée en 1851 lorsque les Etats du centre de l’Allemagne faisant partie du Steurverein, organisé par la Saxe avec l’appui de l’Autriche pour contrer autant que faire se peut l’hégémonie prussienne, se joindront au Zollverein. A l’exception de l’Autriche marginalisée par la Prusse, seules les villes libres hanséatiques – jusqu’en 1888- et le Mecklenburg restaient en retrait de ce système. Un tarif douanier commun établi selon les modalités prussiennes et opposable aux Etats tiers devait voir le jour alors que les sommes ainsi récoltées étaient réparties proportionnellement aux ressources et à la population des Etats membres.
À la suite de la guerre austro-prussienne de 1866, la constitution d’un Neue Zollverein sous la coupe hégémonique de la Prusse aboutit à la création d’un conseil fédéral des douanes –Zollbundesrat-, au sein duquel siégeaient les représentants des différents Etats membres. Celui-ci était flanqué d’un Parlement des douanes –Zollparlament-. Entre les mains du chancelier Bismarck, le Zollverein devait servir de catalyseur et de pierre angulaire afin de façonner l’unité allemande. Plus près de nous, il est troublant de remarquer à quel point les dispositions du Traité de Rome, instituant en 1957 les Communautés européennes, sont calquées sur les préceptes de List traduits en pratique par le Zollverein. L’Europe serait-elle silencieusement allemande ? Notons par ailleurs que le second cheval de bataille de List était l’élaboration d’une doctrine protectionniste visant à protéger les secteurs fragiles de l’économie et prenant en compte le développement.
L’influence de ce modèle est encore curieusement présente en filigrane et à titre dérogatoire dans les dispositions du GATT de 1947 reprises dans les accords de l’OMC de 1994. Signalons en outre que l’Allemagne s’est au fil du temps forgé un dispositif douanier visant à contourner ses obligations commerciales découlant du droit international et en particulier de la clause de la nation la plus favorisée. Mentionnons à titre informatif le fameux tarif douanier allemand applicable en 1914 qui singularisait dans sa position n°107 « le gros bétail acheté de montagne ou bétail à robe brune élevé dans une localité située à 300 mètres au moins au-dessus de la mer et séjournant au moins chaque année dans des pâturages situés à 800 mètres au-dessus du niveau de la mer[lv] ».
La politique de guerre commerciale de l’Allemagne.
Dans le sillage de List, un auteur tel Herzog prônait –entre autres- le recours à l’arme protectionniste dans le cadre d’une politique de guerre commerciale destinée à assurer à l’Allemagne la prééminence économique. Son Plan de guerre commerciale de l’Allemagne[lvi]a été écrit en 1915 et représente une mine de stratagèmes et de stratégies de contournement de l’embargo économique mis en place par la machine de guerre alliée. La lecture de cet ouvrage oublié devrait être fortement recommandée tant les problèmes qu’il évoque sont d’une troublante actualité. Les institutions économiques telles l’OMC[lvii] ou la Banque mondiale[lviii] ne font-elles pas figure de nouvel échiquier où il conviendrait de faire échec au roi américain au lieu de se laisser imposer son corpus normatif sans réagir ? Il ne fait aucun doute que Herzog était un radical qui ne reculait pas devant « le risque de la haine mondiale » qu’une telle politique commerciale pouvait avoir sur les ressortissants des autres pays. On ne tire cependant jamais la quintessence des leçons du passé lorsque les auteurs qui les avancent sont dans le camp des vaincus ou classés dans une catégorie sulfureuse.
Le « crime de la transplantation » des entreprises.
Herzog s’inquiétait déjà de la délocalisation – « le crime de la transplantation » – des entreprises allemandes et préconisait de conserver des industries stratégiques au sein du Vaterland. Ces industries stratégiques représentent ce qu’il appelle les « industries protectrices » en ce sens qu’elles sont destinées à mettre les autres entreprises à l’abri des représailles commerciales alliées. Ces industries produisent les produits indispensables aux économies étrangères. Ces entreprises sont stratégiques en raison d’un monopole détenu par l’Allemagne ou d’une avance technologique déterminante en la matière. Cette politique devait permettre à l’Allemagne d’obtenir en échange les matières premières –tel l’acier suédois- dont elle avait besoin pour alimenter son effort de guerre. Les prises de participation étrangères au capital des entreprises stratégiques allemandes étaient par ailleurs vues d’un très mauvais œil par Herzog qui tenait à l’indépendance de cette industrie capitale. Ce raisonnement pourrait être aisément transposé au présent à l’heure où l’Europe se laisse dépouiller de ses plus beaux fleurons technologiques par quelque fonds d’investissement prédateur proche des services de renseignement américains. Il ne s’agit pas de tomber dans les travers d’un S. Herzog qui souhaitait couper toute relation scientifique avec les pays tiers mais bien de garder un œil sur certaines pratiques, qui sous couvert d’un juridisme de façade, pourrait entraîner la marginalisation à terme de l’Europe en tant que puissance.
Une économie de guerre forte de son unité stratégique.
L’Allemagne pouvait par ailleurs compter sur ses savants pour créer des ersatz des produits alliés en détournant au besoin les brevets afférents. En matière de traités de commerce, l’Allemagne devait chercher à obtenir quelques privilèges secrets à l’étranger –tels que des droits de douane avantageux- par le truchement d’un corps diplomatique érigé en « avant-garde de la guerre d’exportation ». Un traitement de faveur exclusif au profit de l’Allemagne devait être obtenu en menaçant les récalcitrants de payer le prix du sang. L’économiste français Henri Hauser avait parfaitement conscience de ces velléités lorsqu’il écrivit sur Les méthodes allemandes d’expansion économique[lix] en 1917. Forte de l’« unité stratégique de ses principaux centres de décision[lx] –banques, entreprises, sociétés de transport, maisons de commerce- », l’Allemagne pouvait en effet mettre sur pied des programmes communs permettant de tenir compte des intérêts impérieux de la Nation allemande. L’implication des banquiers et des sociétés d’assurance allemandes à l’étranger permettait un maillage stratégique des entreprises étrangères. Les informations ainsi glanées enrichissaient le cas échéant les fichiers des services de renseignement allemands. A la veille de la Seconde guerre mondiale, la Luftwaffe pouvait ainsi disposer d’informations de premier plan sur les cibles industrielles stratégiques grâce aux compagnies d’assurances allemandes qui avaient été sollicitées par ces entreprises. Dans la même veine, l’intégration économique du « coffre-fort » suisse au Troisième Reich[lxi] joua un rôle cardinal quant à la survie de l’économie de guerre allemande.
En plus de constituer un refuge industriel[lxii] inviolable en raison de sa neutralité, la Suisse représentait au travers de ses banques, le vecteur idéal pour blanchir l’or volé par le Reich dans les pays vaincus. Le mécanisme triangulaire de guerre économique mis en place permettait ainsi à l’Allemagne de disposer de fonds pour se procurer les matières vitales à son effort de guerre telles que le tungstène portugais. Les services de renseignement font encore office de maillon central de la machine d’expansion économique allemande. L’action du BND se fait ainsi tout particulièrement sentir dans la conquête des marchés émergents asiatiques. La pointe de diamant de l’offensive allemande en Asie est assise sur un triptyque constitué par l’interpénétration du capital industriel, des banques et des sociétés de commerce. La synergie entre ce premier cercle et les services de renseignement économique couplée à un interventionnisme géostratégique traditionnel en Asie font de l’Allemagne un redoutable coopétiteur[lxiii].
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Notes
[i] Benoist-Méchin, Histoire de l’armée allemande, 1918-1945, Albin Michel, Paris, 1954. Benoist-Méchin était un collaborateur notoire sous le gouvernement de Vichy. Il s’agit donc de lire entre les lignes quels sont les réels déterminants de la montée en puissance de la machine militaire allemande en faisant fi des considérations trop partisanes ou admiratives propres à l’auteur.
[ii] La légitimité acquise par la stratégie prussienne durant la Guerre de Sept Ans permettra à des mercenaires comme le Baron Von Steuben de faire école au sein d’autres armées. Durant la guerre d’indépendance américaine, Georges Washington fera appel à ses services pour réorganiser les troupes américaines retirées à Valley Forge en 1778. Ses Regulations for the Order and Discipline of the Troops of the United States tiendront lieu de doctrine d’emploi des forces pour l’armée américaine jusqu’en 1812. Un fac-similé intitulé Baron Von Steuben’s Revolutionnary War Drill Manual est disponible aux éditions Dover, New-York, 1985.
[iii] L’exemple le plus parlant en la matière est sans aucun doute l’attaque préventive lancée le 7 décembre 1941 par l’amiral Yamamoto contre la flotte américaine du Pacifique basée à Pearl Harbor.
[iv] Rudolf Von THADDEN, La Prusse en question, Actes Sud, Paris, 1992.
[v] Basil H. LIDELL HART, Stratégie, Librairie Académique Perrin, Paris, 1998.
[vi] Carl Von CLAUSEWITZ, De la guerre, Editions de Minuit, Paris, 1976.
[vii] Raymond ARON, Mémoires, Editions Julliard, Paris, 1983. Voir, du même auteur, Penser la guerre, Clausewitz, Editions Gallimard, 1976.
[viii] Hans DELBRUCK, Geschichte der Kriegkunst im Rahmen der Politischen Geschichte, Berlin, 1900-1920.
[ix] Notons que la guerre technologique était avancée comme une panacée contre les massacres inutiles par nombre de stratèges allemands de Clausewitz à Schlieffen, en passant par Moltke l’Ancien…
[x] Erich LUDENDORFF, La guerre totale, Flammarion, Paris, 1937.
[xi] Toukhatchevski était l’un des grands théoriciens des forces aéroportées et de l’arme blindée. Il représentait par conséquent un danger certain pour l’Allemagne.
[xii] Les Prussiens prêtaient une attention toute particulière à la géographie militaire –die Terrainlehre-, discipline dans laquelle ils excellaient. En témoignent les travaux de KOELER, Die Terrainlehre unter taktischen und strategischen Gesichtspunkten, 1865.
[xiii] Charles DE GAULLE, La discorde chez l’ennemi, Editions Berger Levrault, Paris, 1924
[xiv] Le général Beck est un opposant de la première heure aux plans d’Adolf Hitler. Il fit partie de la résistance au sein de l’Oberkommando de la Wehrmacht qui perpétra dix-sept attentats contre le Führer entre 1938 et 1945 – le plus célèbre étant l’attentat manqué du Wolfschantze perpétré le 20 juillet 1944 par Stauffenberg et qui impliqua le maréchal Rommel.
[xv] Comte de MIRABEAU, De la monarchie Prussienne, sous Frédéric le Grand – avec appendice contenant des recherches sur la situation actuelle des principales contrées de l’Allemagne, Londres, 1788.
[xvi] Henry LLOYD, Histoire des guerres en Allemagne, réédité aux éditions Economica, Paris, 2001.
[xvii] Charles De GAULLE, Le Fil de l’Epée, Editions Berger Levrault, Paris, 1944.
[xviii] August VON KAGENECK, La guerre à l’Est, Editions Perrin, Paris, 2003.
[xix] Colmar VON DER GOLTZ, La Nation armée, organisation militaire et méthodes de guerre moderne, Paris 1891.
[xx] Une histoire de l’Ordre teutonique a été écrite par Henry BOGDAN, Les chevaliers teutoniques, Editions Perrin, Paris, 2003.
[xxi]Friedrich RATZEL, « Le sol, la société et l’État » in revue L’année sociologique, 1898-1899, 1900.
[xxii] Karl Haushofer était en effet membre de la « Société de Thulé » basée à Munich, l’organisation embryon du national-socialisme, au début des années 20 et avait des liens privilégiés avec Rudolf Hess qui protégera un instant sa femme juive et ses deux fils avant que ces derniers ne soient finalement assassinés par les nazis. Karl Haushofer avait parallèlement une influence non négligeable au sein du Komintern et parmi les intellectuels communistes en URSS. Mentionnons simplement les relations étroites qu’il entretenait avec Richard Sorge, qui était à l’époque l’un des dirigeants du renseignement soviétique. Dépassé par la bête immonde qu’il contribua a engendrer par ses idées, il se suicidera aux côtés de sa femme au lendemain de la Seconde guerre mondiale.
[xxiii] Adolf HITLER, Mein Kampf, Munich, 1925.
[xxiv] L’aigle figure également sur le blason de nations « hégémoniques » telles que les Etats-Unis ou la Russie ainsi que sur celui du défunt empire austro-hongrois mais encore de…l’Albanie. Le lion est également un animal très prisé des pouvoirs forts – en témoignent les armoiries de la monarchie britannique et de nombreux preux chevaliers du Moyen Age-.
[xxv] Adolf HITLER, op. cit.
[xxvi] L’empereur du Saint empire romain germanique avait été fait prisonnier en Italie après un revers militaire en 1268. Le duc d’Anjou fit fi du code d’honneur des chevaliers qui stipule qu’on n’exécute par un roi fait prisonnier en guerroyant et ordonna contre l’avis général la décapitation de Conrad Von Hohenstaufen à Naples. Ce fait historique a été totalement relégué aux oubliettes de l’Histoire en France mais bon nombre d’Allemands ont gardé cet épisode en tête.
[xxvii] Henry KISSINGER, Diplomatie, Fayard, Paris, 1996.
[xxviii] Il s’agit d’un télégramme envoyé à Bismarck le 13 juillet 1870 par Guillaume Ier pour lui rendre compte de l’entrevue qu’il venait d’avoir avec l’ambassadeur de France au sujet de la succession d’Espagne. Il s’engageait en l’espèce à ne plus soutenir la candidature de Léopold Von Hohenzollern-Sigmaringen pour apaiser les inquiétudes françaises. Bismarck eu l’audace de faire publier dans la presse la fameuse dépêche en la tronquant, ce qui rendait le texte offensif L’effet est accentué par la traduction erronée à dessein du terme allemand « adjudant » par le même mot en français (alors qu’en en allemand « adjudant » se dit Feldwebel). Cette manœuvre était destinée à faire croire que l’ambassadeur de France avait été éconduit par un simple sous-officier.
[xxix] Dans Le Fil de l’Epée, Charles De Gaulle a dit de Bismarck qu’il « entraîne l’opinion et inspire la presse de telle sorte qu’à l’heure voulue la volonté du peuple unanime soutienne les armes des soldats ».
[xxx] On prête cette phrase à l’empereur déchu Guillaume II à la suite du cataclysme de la Première guerre mondiale avant qu’il ne se rende en exil aux Pays-Bas suite à l’armistice du 11 novembre 1918. Les « créanciers » de l’Allemagne –la France en particulier – présenteront leur « addition » en 1919 par le truchement du fameux diktat de Versailles.
[xxxi] Jean DOISE et Maurice VAISSE, Diplomatie et outil militaire, Editions de l’Imprimerie Nationale, 1987.
[xxxii]ANONYME, Ein Deutsches Weltreich! Lustenoder, Berlin, 1892.
[xxxiii] La Alldeutscher Verband –ligue pangermaniste- a été créé en 1895 et a hérité du « fonds de commerce » de la Allegemeiner deutscher Verband crée en 1886 par le Dr. Peters en vue d’incliner les Allemands vers la politique coloniale.
[xxxiv]ANONYME, Großdeutschland und Mitteleuropa um das Jahr 1950 (La Grande Allemagne et l’Europe centrale à l’horizon des années 1950) Thormann und Goetsch S.W Besseltrasse 17, Berlin, 1895. Une étude de ce plan prospectif a été réalisée au niveau français par André CHERADAME in L’Europe et la question d’Autriche au seuil du XXe siècle , Plon Nourrit, Paris, 1901.
[xxxv] ANONYME, Österreichs Zusammenbruch und Wiederaufbau (Le démembrement de l’Autriche et sa reconstruction), Lehmann, Munich 1899.
[xxxvi] Otto TANNENBERG, Großdeutschland, die Arbeit des 20. Jahrunderts (La grande Allemagne, l’œuvre du XXe s.), Bruno Volger, Leipzig, 1911.
[xxxvii] André CHERADAME in L’Illustration, 21 août 1915, Le dernier état de la folie pangermaniste.
[xxxviii] « Frobenius » est un pseudonyme choisi par un Oberstleutnant de l’armée impériale allemande. Il a écrit Des Deutschen Reiches Schicksalsstunde, Karl Curtius, Berlin, 1914.
[xxxix] Karl HAUSHOFER, Dai Nihon. Betrachtungen über Groß-Japans Wehrkraft und Zukunft, Berlin, 1913. Le simple fait qu’un auteur allemand se soit intéressé à la problématique de l’accroissement de la puissance japonaise est tout à fait révélateur de la conscience de la vocation hégémonique des économies d’espace vital. Le Japon rejoignait l’Allemagne sur ce point et la formation des militaires nippons par l’armée allemande découle en droite ligne de ce postulat.
[xl] Karl HAUSHOFER, Geopolitik der Panideen, Berlin, 1931.
[xli]Karl HAUSHOFER, Geopolitik des Pazifischen Ozeans, Heidelberg, 1924 et Weltmeere und Weltmächte, Berlin, 1937.
[xlii] Edouard LOCKROY, Monsieur de Moltke, ses mémoires et la guerre future, E. Dentu éditeur, Paris, 1892.
[xliii] En 1945, l’Allemagne possédait quelque 3800 kilomètres d’autoroutes. Il est tout à fait patent de constater qu’alors que les futurs pays de l’Axe bétonnaient résolument, la France a simplement décidé en 1935 de construire une double voie –avec percement du tunnel de Saint Cloud- modestement appelée « Voie du Triomphe » entre La Défense et Saint Cloud. Contrairement aux Allemands, les Français ne construiront aucune autoroute stratégique en direction des frontières…
[xliv] Ces lignes ont été traduites par nos soins à partir de la contribution du Generalinspektor Fritz Todt –Adolf Hitler und seine Stassen- dans l’ouvrage de propagande Adolf Hitler, Bilderaus aus dem Leben des Führers, Bahrenfeld, Hambourg,1936.
[xlv] Les fameuses loi 101 au Québec et loi Toubon en France ne sont que la partie émergée de l’iceberg…
[xlvi] Aymeric CHAUPRADE, Constances et changements dans l’histoire, deuxième édition, Ellipses, Paris, 2003.
[xlvii] Albert Bernhardt FAUST, The German Element in the United States, New York, Steuben Society of America, 1927.
[xlviii] Le 9 janvier 1794, les colons allemands établis en Virginie ont demandé la traduction dans leur langue d’origine des lois leur étant applicables. Cette pétition a été rejetée par 42 voix contre 41 par le Congrès –présidé par Mülhenberg- le 13 janvier 1795.
[xlix] Victor KLEMPERER, LTI, la langue du Troisième Reich, Pocket, Paris, 2003 (première édition allemande de 1947).
[l] Alvin TOFFLER, Les nouveaux pouvoirs : savoir, richesse et violence à la veille du XXIe siècle, Fayard, Paris, 1991.
[li] Lors de l’opération Barbarossa qui visait à envahir l’Union Soviétique en 1941, la Wehrmacht pouvait s’appuyer sur cette population d’origine allemande. La plupart des habitants de la Vorstädte furent déportés en Sibérie par le NKVD sur ordre de Staline.
[lii] Rainer POSTEL, The Hanseatic League and its Decline, actes du colloque tenu le 20 novembre 1996 à la Bundeswehr Universität.
[liii] T.H LLOYD, England and the German Hanse, 1157-1611: A Study of Their Trade and Commercial Diplomacy, Cambridge University Press, 2002.
[liv] L’ALENA est la matérialisation du Zollverein américain préconisé en 1901 par Edmond Thierry afin de lutter alors contre le « péril jaune » (Suzanne BERGER, Notre première mondialisation. Leçons d’un échec oublié, Seuil, Paris, 2003).
[lv] B. NOLDE in Recueil des cours de l’Académie de Droit International de La Haye (R.C.A.D.I), 1932-1.
[lvi] S. HERZOG, Le plan de guerre commerciale de l’Allemagne, Payot & Cie, Paris, 1919.
[lvii] L’Union européenne est très souvent confortée dans ses droits devant l’Organe de Règlement des Différends de l’OMC. Le problème gît dans le fait que les amendes imposées aux Etats-Unis –l’affaire des sociétés de vente à l’étranger est l’exemple le plus patent- sont tout simplement inapplicables…
[lviii] Un rapport de la Banque mondiale affirme ni plus ni moins que la supériorité de la Common Law sur le droit romano-germanique…
[lix] Henri HAUSER, Les méthodes allemandes d’expansion économique, Armand Colin, Paris, 1917.
[lx] Christian HARBULOT, La machine de guerre économique, Etats-Unis, Japon, Europe, Economica, Paris, 1992.
[lxi] Jean ZIEGLER, La Suisse, l’or et les morts, Editions du Seuil, Paris, 1997.
[lxii] Une grande partie des canons anti-aériens allemands était par exemple fabriquée en Suisse par la firme Oerlikon A.G située à Zurich.
[lxiii] La Lettre d’Asie n°22 du 3 juillet 1995 citée in Intelligence économique et développement local. Une comparaison France-Allemagne. Etude pour le Commissariat Général au Plan, Paris, 1997.