Urgence de repenser les relations France-Afrique : autopsie d’un échec historique et nouvelle approche stratégique

par Yves Plumey Bobo, journaliste pour Jeune Afrique. Ancien élève de l’École supérieure de journalisme (ESJ) de Lille, de l’Institut d’études politiques (IEP) de Lille, de Sup’de Com à Lyon, ainsi que de l’École supérieure des sciences et techniques de l’information et de la communication (Esstic) et de l’Université de Yaoundé 2, il a activement soutenu la démocratie au Cameroun au sein de la société civile. 

La présente note d’intention, qui n’est en aucun cas, un cadre normatif mais un simple paradigme, met en avant l’importance de revisiter les relations franco-africaines en dépassant le prisme colonial grâce à une nouvelle approche stratégique, ancrée dans le temps et dans la tumultueuse actualité internationale. Cette approche qui part du constat d’un échec de la politique étrangère de la France en Afrique, bien plus orienté vers le hard power que le soft power, permettrait d’en tirer toutes les conséquences afin de bâtir un partenariat solide basé sur la confiance, la coopération et le respect mutuel, ouvrant la voie à un avenir prometteur pour ces relations.

Afin de pouvoir efficacement réussir à s’imposer comme premier partenaire en Afrique, il est urgent de penser l’action stratégique à trois niveaux : étatique, entrepreneurial et militant.

Pour renforcer les institutions africaines, la France devrait promouvoir la transparence, l’efficacité administrative et la stabilité politique, au lieu de se focaliser uniquement sur les ressources naturelles. En matière de diplomatie économique, il est crucial d’encourager les échanges bilatéraux, de faciliter les investissements et de promouvoir des partenariats durables ;

Soutenir l’entrepreneuriat local est essentiel. La France peut aider (comme c’est déjà le cas) à la création d’entreprises en Afrique par des formations adaptées, un accès au financement et la promotion de l’innovation, tout en investissant dans des secteurs porteurs comme les technologies de l’information, les énergies renouvelables et l’agriculture durable ;

Les médias doivent informer objectivement sur les relations franco-africaines, en évitant les stéréotypes coloniaux et en soulignant les opportunités de coopération. Enfin, impliquer la société civile dans les débats et décisions est crucial, via des dialogues ouverts et des échanges culturels.

I- AU NIVEAU DU RAPPORT INTER-ÉTATIQUE

De la nécessité d’insuffler à l’Afrique une réelle démocratie

La France a historiquement entretenu des relations étroites avec certains régimes autoritaires en Afrique. Elle a fourni un soutien politique, économique et militaire à ces dirigeants, parfois au détriment des droits de l’homme et de la démocratie.Des jeunes Africains expriment leur frustration face à ce double standard, où la France se présente comme le pays des droits de l’homme tout en soutenant des régimes répressifs sur le continent.

Des dirigeants africains ont acquis des biens immobiliers en France, souvent de manière opaque. Cette situation a conduit à des accusations de complicité de la part de la France, qui est accusée de protéger ces “dictateurs amis” au plus haut niveau. Pour améliorer cette relation, il est essentiel de promouvoir la démocratie, la transparence et le respect des droits de l’homme, tout en reconnaissant les défis historiques et géopolitiques auxquels les deux parties sont confrontées.

De la présence militaire française en Afrique

La présence militaire française en Afrique, bien que motivée par des objectifs de sécurité et de coopération, présente certaines insuffisances et alimente des controverses. La France a historiquement maintenu des bases militaires dans plusieurs pays africains, notamment au Sénégal, au Tchad, au Gabon et à Djibouti. Cependant, cette dépendance vis-à-vis des bases a contribué à entraîner des tensions avec les gouvernements locaux et susciter des critiques sur la souveraineté nationale.

Il n’est donc pas saugrenu de penser, comme le croit une forte opinion africaine, que ces bases constituent un vestige du colonialisme et doivent être réévaluées, sur le prisme d’un transfert de compétence militaire aux forces de l’ordre et de défense plutôt que d’intervenir directement.

Si nous posons le principe de transfert de compétence comme une nécessité, c’est parce que les interventions militaires françaises en Afrique sont souvent complexes en raison de la diversité des conflits régionaux. La lutte contre le terrorisme au Sahel, les tensions en Centrafrique, les conflits au Mali et les rivalités entre groupes armés rendent difficile la mise en place d’une stratégie militaire cohérente.

La France, en plus de mettre sur pied une stratégie qui consiste à naviguer entre des intérêts sécuritaires, diplomatiques et humanitaires, doit aussi se rendre compte que la simple compétence militaire seule ne suffit pas, il faut en plus une parfaite maîtrise de la composition ethno-sociologique des territoires ou l’armée intervient.

Les interventions peuvent stabiliser temporairement une région, mais la durabilité des gains reste incertaine tant il n’existe très souvent pas des mécanismes de suivi. De plus, la militarisation excessive peut parfois aggraver les tensions et radicaliser certains groupes. La France doit adopter une approche plus subtile, combinant la sécurité militaire avec des efforts diplomatiques, économiques et de développement. Cela implique de travailler en étroite collaboration avec les gouvernements africains, les organisations régionales et les partenaires internationaux pour résoudre les problèmes sous-jacents qui alimentent les conflits. Partant de ce constat, la France doit repenser sa stratégie militaire en Afrique en tenant compte de ces défis et en recherchant un équilibre entre la sécurité, la coopération et la diplomatie. Les accords de défense doivent être réexaminés pour servir l’intérêt des populations locales tout en respectant les principes du droit international.

De la coopération décentralisée

La coopération décentralisée entre la France et l’Afrique est cruciale pour le développement et les échanges entre ces deux régions. Cette coopération doit se fonder sur un partenariat égalitaire, où les collectivités locales des deux côtés collaborent pour des projets de co-développement et d’investissement commun.

Il est essentiel que les collectivités françaises intègrent davantage les associations de migrants dans la négociation et la mise en œuvre des projets. Leur expertise et leur expérience peuvent grandement enrichir la coopération. En outre, il est important d’identifier des programmes d’action impliquant étroitement les entreprises privées, notamment artisanales, des deux régions. Cela permettrait de mieux répondre aux besoins globaux des communautés. Enfin, la coopération décentralisée peut également servir d’instrument pour renforcer la francophonie, en mettant l’accent sur des programmes culturels.

Du sentiment anti-français, résultat de la politique étrangère de la France en Afrique

Le sentiment anti-français en Afrique de l’Ouest est manifeste à travers divers incidents tels que les attaques contre l’ambassade de France à Ouagadougou et l’Institut Français de Bobo Dioulasso, ainsi que les manifestations au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Cependant, il est important de reconnaître que cette perception va au-delà d’une simple opposition à la présence française, impliquant des dynamiques historiques et politiques plus profondes.

Les médias et les réseaux sociaux jouent un rôle amplificateur dans ces débats politiques, mais ils ne reflètent pas toujours l’opinion de la population dans son ensemble. La réalité des populations rurales du Sahel diffère considérablement de celle des capitales, où les débats sont plus médiatisés. Cette divergence souligne la nécessité de comprendre les perspectives variées et souvent nuancées des différentes communautés africaines, plutôt que de se fier uniquement aux représentations médiatiques.

Pour établir une nouvelle approche relationnelle fondée sur le respect, la France pourrait s’inspirer du marketing relationnel, qui vise à construire des relations durables en respectant les spécificités culturelles, historiques et économiques de chaque pays. Les banques, par exemple, ont adopté cette approche pour fidéliser leurs clients en répondant à leurs besoins spécifiques. De même, la France pourrait repenser sa relation avec l’Afrique en évitant le paternalisme, en écoutant, en apprenant et en collaborant avec les pays africains. Une communication respectueuse et non condescendante de la part des responsables politiques et militaires français est essentielle pour améliorer cette perception et bâtir des relations authentiques et équilibrées. En écho avec le segment précédent concernant la présence militaire Française en Afrique, la volonté des locaux et leur souhait du respect de leur souveraineté doivent être entendus. A cet égard, la présence française visant à assurer la sécurité de lieu et de population doit adopter un modèle à empreinte minimum – un modèle où l’objectif sécuritaire est assuré, sans imposer une présence trop visible au population. En ce sens, l’usage d’acteurs privés comme des Entreprises de Services de Sécurité et de Défense Française est à valoriser, et à normaliser. Cette option est à la rencontre de l’objectif de permettre à assurer la stabilité d’un environnement tout en répondant à une volonté africaine toujours plus présente – celle d’être reconnu comme un acteur commercial souverain et partenaire, et non plus d’une région à parenter

De la question des valeurs

Pour éviter le paternalisme et la violence, il est important de ne pas tenter de donner l’impression que l’on veut imposer des valeurs occidentales sans tenir compte des contextes locaux, en privilégiant le dialogue et la diplomatie plutôt que les sanctions ou les menaces. A ce sujet, d’autres puissances étrangères – comme la Russie et la Chine – tirent les leçons de ces écarts de cultures en n’en faisant tout bonnement pas un facteur des relations économiques qu’ils entretiennent avec les acteurs africains. Ces enjeux de valeurs, la France doit les défendre sans en faire un critère commercial.

La collaboration avec des organisations locales et des leaders d’opinion peut aider à promouvoir le respect des droits humains. Un dialogue constructif peut être engagé en organisant des forums de discussion entre les gouvernements, les ONG et les communautés locales, mettant en avant les avantages sociaux, économiques et culturels de l’inclusion et de la diversité.

La question de l’homosexualité entre les pays africains réfractaires et la France est complexe et sensible, nécessitant une approche nuancée et respectueuse. Il est essentiel de comprendre le contexte en reconnaissant que les lois et attitudes envers l’homosexualité varient considérablement d’un pays à l’autre, influencées par des facteurs culturels, religieux et historiques. La France peut jouer un rôle crucial en investissant dans l’éducation et la sensibilisation, en encourageant des programmes éducatifs inclusifs qui abordent la diversité sexuelle et les droits LGBTQIA+, et en sensibilisant les jeunes générations à la tolérance et au respect.

Soutenir les activistes locaux est également crucial, en travaillant avec des défenseurs des droits LGBTQIA+ en Afrique pour renforcer leur voix et leur impact, tout en évitant de dicter des solutions depuis l’extérieur et en soutenant les initiatives locales. Reconnaître que le changement prend du temps et nécessite une approche respectueuse et collaborative est essentiel. L’objectif doit être de créer un dialogue ouvert et de promouvoir l’égalité des droits pour tous, sans imposer de normes spécifiques.

II- AU NIVEAU ÉCO-ENTREPRENEURIAL

1- La monnaie

La question du franc CFA, cette monnaie utilisée par les pays africains liés à la France, suscite des débats passionnés. Depuis sa création en 1945 par la France pour ses colonies africaines, le franc CFA est devenu la monnaie de la Communauté Financière Africaine (UMOA) et de l’Union Monétaire de l’Afrique Centrale (UMAC) après les indépendances en 1960. Cependant, certains le considèrent comme un vestige colonial, limitant la souveraineté économique des pays africains et perpétuant une dynamique de dépendance linguistique et culturelle vis-à-vis de la France.

Le franc CFA est lié à l’euro par une parité fixe, avec la France garantissant cette convertibilité. En retour, les pays africains doivent déposer une partie de leurs réserves de change auprès du Trésor français. Cette dépendance économique limite leur capacité à mener une politique monétaire indépendante et à réagir de manière adéquate aux chocs économiques. De plus, certains économistes et militants critiquent le franc CFA comme un frein au développement, arguant que la stabilité monétaire ne suffit pas si elle entrave l’investissement et la croissance.

Des exemples concrets illustrent ces critiques, notamment lors de la crise de la zone euro en 2008, où les pays africains utilisant le franc CFA ont dû suivre une politique monétaire inadaptée à leurs réalités économiques. Certains pays, comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire, ont exprimé leur volonté de rompre avec le franc CFA pour gagner en autonomie et favoriser leur développement. La récente réforme du franc CFA en créant une nouvelle monnaie, l’eco, pour huit pays d’Afrique de l’Ouest, montre une prise de conscience des enjeux et une volonté de changement. En somme, la France devrait sérieusement envisager une transition vers une monnaie plus adaptée aux réalités africaines pour renforcer la souveraineté monétaire des pays africains tout en préservant la stabilité économique.

La société civile

La collaboration entre la société civile africaine et française est essentielle pour relever les défis mondiaux. Des forums internationaux comme le Forum de l’ONU sur la société civile permettent aux acteurs de la société civile, aux gouvernements et aux jeunes de se réunir pour discuter des priorités mondiales et des solutions. Il est crucial que ces acteurs écoutent mutuellement leurs voix et travaillent ensemble pour un avenir plus juste et équitable. Des initiatives telles que le programme de soutien à la société civile africaine favorisent l’émergence d’organisations capables d’influencer les politiques publiques et le secteur privé, permettant ainsi des actions concrètes sur le terrain.

Les plateformes de coordination, telles que la plateforme régionale de coordination pour la société civile en Afrique francophone, renforcent l’engagement des acteurs locaux et facilitent leur participation aux procédures internationales, encourageant ainsi la collaboration entre les parties prenantes. De plus, la société civile française peut partager son expertise en matière de gouvernance, de droits de l’homme et de développement durable avec ses homologues africains. Des partenariats de formation et d’échange d’expériences peuvent renforcer cette collaboration. En somme, la coopération entre la société civile africaine et française est cruciale pour un monde plus solidaire et équilibré. Elles doivent travailler ensemble pour relever les défis mondiaux et promouvoir le bien-être de tous.