Quand les petites entreprises s’unissent face aux géants de l’économie moderne

Par Arnaud CLUZEL                                                       

Associé Gérant du cabinet Aeque Principaliter

« Il n’y a de justice qu’entre égaux. »

De nos jours, cette proposition est souvent comprise comme l’affirmation de la nécessité d’une égalité en droit.

Il s’agit pourtant d’un dangereux anachronisme.

Elle exprime avant tout la conception hellène du contentieux, globale et réaliste ; laquelle a trouvé sa meilleure expression sous la plume de Thucydide :

« Nous le savons et vous le savez aussi bien que nous, dans le monde des hommes les arguments de justice n’ont de poids que si les forces des adversaires sont égales. Dans le cas contraire, les plus forts tirent tout le parti possible de leur puissance et les plus faibles n’ont qu’à s’incliner. »[1]

Thucydide note ainsi que, même dans des états de droits (qu’étaient les cités grecques durant les guerres du Péloponnèse), la justice n’est efficace que lorsqu’il y a égalité de force (de fait), entre les parties.  

Quelques exemples suffiront à convaincre de l’actualité et de la pertinence de cette observation

Commençons par le nerf de la guerre : un rapport de force financier favorable permet d’engager les meilleurs conseils (voire de conflicter les autres), et surtout de déployer des stratégies d’asphyxie financière (par multiplication de procédures). Il permet même, en amont de tout contentieux, d’imposer un terrain judicaire propice (droit américain, clause compromissoire d’arbitrage, etc.).

A l’inverse, un rapport de force financier défavorable pousse à l’acceptation d’une issue transactionnelle.  Dans tous ces cas la justice ne trouve pas à s’appliquer.

Autre exemple : un meilleur accès aux autorités légiférantes et aux cabinets de relations publiques permet d’obtenir un accès à l’information privilégié, d’orienter les propositions de loi, et, in fine, d’influer sur le verdict.

De même, un meilleur accès à des cabinets de communication, des fonds activistes, des entreprises de cybersécurité permet d’identifier et d’utiliser les vulnérabilités extra-judiciaires de la partie adverse, afin de la décrédibiliser, de la menacer ou d’en paralyser la gouvernance.

Nous pourrions multiplier les exemples, mais ne noircissons pas le tableau : la justice fonctionne très bien lorsqu’il y a une certaine égalité des forces entre les parties.

Une nouvelle structure qui aborde la question de la guerre économique

Sur la base de constat, nous avons fondé l’IGEJ, une association interprofessionnelle d’avocats, de financiers, de lobbystes, de journalistes et de techniciens afin de restaurer une égalité de force entre deux parties (le plus souvent au bénéfice de PME françaises contre des multinationales américaines) sur tous les plans afin de leur permettre d’obtenir justice.

Cette conception du contentieux augmenté que nous défendons vaut bien évidemment à l’échelle des nations – c’est d’ailleurs le propos premier de Thucydide.

Il est illusoire d’espérer une égalité de traitement, sinon de compétences, de la part des Etats-Unis ou de la Chine, sans se doter de moyens d’actions comparables aux leurs (y compris sur le plan juridique).

Nous pensons, entre autres, à l‘intégration des enjeux d’attribution de compétence et d’extraterritorialité, à l’internationalisation de cabinets français dans des barreaux étrangers, à la recherche de la souveraineté numérique, à la sécurisation de l’espace bousier national, à l’exploitation des contradictions et vulnérabilités étrangères (notamment sur le plan des class actions et du droit de la concurrence).

L’IGEJ a également vocation à défendre l’ensemble de ces propositions afin de doter le pays de véritables leviers d’actions en matière de contentieux dans un environnement international de guerre économique.


[1] Thucydide, Guerre du Péloponnèse, Livre I.