L’Union européenne de doit pas affaiblir le financement de la Défense de la France

par Nicolas Ravailhe

La crise sanitaire COVID, aussi dramatique et anxiogène soit-elle, a néanmoins quelques mérites sur un plan économique, en particulier la suspension des effets nocifs du semestre européen. Dans l’attente d’un retour plein et entier du semestre européen, la Commission européenne, ne particulier la DG ECFIN, a examiné les plans de relance nationaux.

Doit-on craindre, en particulier pour notre Défense, le retour du « semestre européen » ?

Extrêmement redouté des Etats membres, le semestre européen consiste en une analyse orientée de leur situation économique par la Commission européenne. Ainsi, avec pour objectif de coordonner les politiques économiques européennes, l’Union européenne débat des plans économiques et budgétaires de chaque pays.

Il en ressort une mesure des « progrès » effectués dans les ratios de dépense publique ce en quoi même les budgets de la défense ne font pas exception. Pour la France, objet d’une surveillance renforcée permanente – plus ou moins exprimée afin de ne pas fâcher ou humilier nos décideurs politiques – il s’agit d’un exercice très contraignant.

Une impasse inhérente à une France contributeur net du budget européen qui ne retrouve sa mise par des excédents commerciaux

Pendant des années, faute d’avoir comme ses voisins du Nord des excédents commerciaux qui financent ses dépenses publiques ou comme ses voisins du Sud et de l’Est une solidarité européenne qui y contribue, la France avait pour aspiration que les dépenses de défense ne soient pas intégrées dans ces calculs.

En l’espèce, notre pays arguait du fait que sa défense servait à protéger l’UE et que donc, à ce titre, il fallait sortir son effort de défense du calcul de ses dépenses publiques. Nos partenaires européens sont restés sceptiques. Selon eux, la démarche s’apparentait à un subterfuge accompagné d’une difficulté d’identifier ce qui relève de la protection de l’UE et ce qui s’apparente à des missions d’intérêt national.

Surtout, davantage concurrents économiques que partenaires, plusieurs Etats membres de l’UE n’ont aucun intérêt à s’abstenir de jouer avec ce cadre contraignant contre nous et qui nous contraint à des dilemmes budgétaires. 

Quand France protège l’Europe, c’est à l’Europe de payer et évitons un pugilat franco-français Sortir les dépenses de défense de cette analyse européenne relève donc du concept de « fausse bonne » idée.

En premier lieu, quand la France protège l’Europe, c’est à l’Europe de payer et pas uniquement aux contribuables en France. D’où l’idée – à relancer – d’un fonds européen défense non limité à quelques financements de R&D dans le secteur et qui pourrait co-financer des mesures de protection des frontières de l’UE (cf. la crise gréco-turque).

En second lieu, isoler les dépenses de défense tend à créer des oppositions très invalidantes avec d’autres secteurs économiques, par exemple dans le numérique, l’énergie… Lesquels sont alors fondés à expliquer qu’ils sont tout aussi importants et doivent être aidés en France pour mieux projeter nos intérêts économiques dans le marché intérieur.

Exprimé autrement…, là où l’industrie de défense française est bloquée pour vendre en Europe face à la concurrence, principalement non-européenne, d’autres secteurs demanderont des soutiens publics pour conserver leur performance dans le marché intérieur ou à titre d’une utilité tout aussi légitime que la défense, à l’instar de la transition écologique et de la transition numérique.

Plusieurs Etats européens redoutent également que cette neutralisation de la dépense publique de défense française des analyses du semestre européen, permette d’octroyer – par les quelques marges budgétaires retrouvées – davantage de soutien public à des secteurs concurrentiels en Europe.

La France serait alors en suspicion d’inventer alors un nouveau concept d’aide d’Etat à peine déguisée. Situation étrange quand on note que la France pratique moins les aides d’Etat que bon nombre d’autres Etats européens, notamment l’Allemagne, en données de PIB comparables.

Une question se pose alors : Comment ferons-nous pour assurer un haut niveau de protection du budget de la défense et des choix budgétaires quand le semestre européen reviendra ?

En effet, considérant que déjà avant la crise de la COVID, la situation était très tendue ; Que depuis la forte augmentation des dettes publiques rendra encore plus compliqué l’exercice de réduction des dépenses ;

Considérant également que la solidarité européenne n’existe pas dans le plan de relance européen. La France devra couvrir 67 milliards d’euros de dette européenne alors qu’elle n’en perçoit que 40 Mds et que nos représentants ont également accepté de payer un rabais de 700 000 millions d’euros principalement au profit de l’Allemagne et des Pays-Bas.

Considérant également que la forte augmentation de la contribution de la France au budget européen en raison du Brexit affectera ses finances publiques … alors, comment éviter une situation infernale ?

Faudra-t-il choisir entre le budget de la défense et la protection sociale, la santé, la justice … ? Devra-t- on craindre une nouvelle guerre de l’information par des jeux d’oppositions stériles entre budget de la défense et/ou ceux de la santé, l’éducation, la justice tout autant prioritaires … ?

Prendre le risque de fracturer une possible et nécessaire unité pour protéger et redresser le pays, son économie étant en chute libre dans l’UE depuis plus de 20 ans ?

Le débat a déjà été lancé sur fond de « remarques européennes » à propos de la reforme de retraites. En tout état de cause, même si elle a lieu, cette dernière ne suffira pas à faire face aux exigences européennes. Idem pour la scandaleuse vente des actifs de l’Etat dont on peut louer la crise de la Covid d’avoir conduit à leur suspension, à commencer par Aéroport de Paris.

De plus, une hypothétique croissance ne devrait pas non plus permettre l’éviction de coupes budgétaires « douloureuses ».

Pourtant, nous ne découvrons rien. La manœuvre a déjà été employée.

Instrumentaliser des arguments économiques afin d’influer sur les choix de défense n’est pas récent. Pierre Mesmer, alors ministre de la défense, a parfaitement décrit le processus Cf. son témoignage dans le documentaire « L’ami américain, l’Amérique contre de Gaulle ». Ainsi, Robert Mc Namara, Secrétaire à la défense des Etats-Unis, utilisait abondamment le registre « vous n’avez pas les moyens économiques » pour tenter d’éviter le développement de la bombe H par la France.

Le semestre européen s’inscrit dans cette logique. Il est, en outre, cocasse de relever une question parlementaire européenne.

Des eurodéputés, militants indépendantiste catalans, ont « instrumentalisé » le semestre européen afin d’en appeler à l’intervention de l’Europe contre un marché de défense conclu récemment par leur gouvernement.

Ils auraient d’ailleurs pu être rejoints – certes sur d’autres fondements – pour décourager l’Espagne, en cette période de crise où elle sollicite beaucoup la solidarité européenne, d’acheter… américain ! Un raisonnement identique pourrait également être appliqué à l’égard de la Belgique qui a commandé un nombre de F35 américains bien supérieur à ses moyens et à ses besoins.

Le semestre européen s’appliquera à d’autres Etats dont la situation économique est similaire à la nôtre, pas aux gagnants dans l’UE, ni au partant.

Par exemple en Grèce, sous influence de l’Europe du Nord, on pourrait indiquer que l’achat de matériels de défense français récemment décidé est une luxe que les Grecs ne peuvent pas s’autoriser en totalité. Resterait alors à la France de décider de les offrir – gloups ! – ou de renoncer à les livrer. Cette brutalité peut aussi recouvrir une forme plus « délicate » en expliquant au gouvernement grec que c’est une bonne idée mais pour une quantité moindre…

On imaginera alors la jubilation de la Turquie ! Également celle de nos partenaires / concurrents européens en Turquie qui profitent déjà de la situation pour renforcer leurs positons économiques quand le Président turc s’en prend à notre pays. Précisons que cela ne remet pas en cause la stratégie de la France dans cette crise mais qu’il est impérieux d’en assurer les arrières « à Bruxelles ».

Enfin, alors que la Grande-Bretagne libérée du semestre européen et l’Allemagne riche de ses excédents commerciaux décident d’augmenter de 10 % leur budget de la défense pour faire face à des menaces qui ne diminuent pas, il serait paradoxale d’affecter le budget défense de la France.

Cette réalité est d’autant plus vive que l’Europe dans ses arbitrages n’investît pas dans sa défense.

La réduction récente des montants alloués au fonds européen dédié à la défense en témoigne sans compter l’ouverture de son utilisation, comme pour la coopération structurée permanente, à des pays non européens.

Néanmoins, les crises ont des vertus et il convient de s’en saisir.

Il ne suffit pas d’affirmer que rien ne sera plus comme avant pour que tout recommence. Le semestre européen, principale épée de Damoclès sur notre défense et plus largement le budget de la Nation, doit être abandonné ou profondément revu. Il est temps d’affirmer que l’endettement public ne peut pas continuer à être comparer avec une dette contractée par un particulier.

Nos dirigeants ont refusé de suivre la demande italienne d’annulation des dettes. Alors, si le retour du semestre européen a pour effet d’affecter notre défense comme d’opposer des politiques publiques essentielles à la Nation, ils en porteront la responsabilité, même après les élections de 2022.

Cela aura pour effet direct une nouvelle remise en cause du projet européen en France et au-delà.

En conséquence, à défaut d’une action maintenant pour bloquer les mécanismes du semestre européen, qui pourra de manière responsable et acceptable demander « des sacrifices » aux Français sans effet positif sur leur avenir ? Qui pourra assumer des orientations européennes invalidantes pour reconstruire notre industrie, à commencer par la commande publique de défense libre de contraintes européennes ou l’énergie si stratégique ?

Quid de la présidence française de l’UE ?

Elle ne devrait rien régler, tout juste permettre de gagner du temps. Et encore, faute d’avoir demandé à l’UE – qui l’aurait compris – de la décaler de 6 mois en raison des élections présidentielles, notre pays sera paralysé en période électorale et dans une situation compliquée en cas de changement de majorité après.

En effet, les mécanismes de décision et les intérêts en Europe ne changeront pas. Nous devons donc prendre conscience des échecs successifs et non assumés de notre diplomatie économique afin de changer les cadres macro-économiques européens et à comprendre les articulations avec les décisions européennes micro-économiques.

Sans rapport de force et sans stratégies de filières et d’entreprises, contre les intérêts d’autres Etats européens, producteurs et importateurs – par exemple de « made in Asia » pour revendre ensuite dans le marché intérieur européen – , rien ne changera.

Comme depuis des années, les victoires seront à la Pyrrhus, faites de concessions successives avec pour conséquence : – de diviser le pays tout en, comme en matière de magie, opérant des détournement d’attention éloignés des enjeux essentiels ; – de l’affaiblir dans sa capacité à relancer ses outils productifs. 

Notre pays en Europe est isolé, sans alliés, pour changer les « règles du jeu ». Sa situation unique, sans excédent commerciaux pour absorber sa contribution au budget de l’UE et sans bénéficier de la solidarité européenne pays alimenter par les Etats qui ont des excédents commerciaux, fige toute évolution.

La règle du jeu est ainsi : les déficits publics sont sanctionnés – même s’ils servent à alimenter les excédents commerciaux d’autres Etats européens – et les excédents des pays qui s’enrichissent au détriment des autres sont proscrits mais non sanctionnés

Les cadres européens défendus « bec et ongles » par des Etats concurrents comme notre incapacité à travailler ces sujets, sont la cause des manques de moyens pour l’ensemble de nos politiques publiques.

En Europe, la France n’est pas un pays qui connait trop de dépenses publiques. C’est un pays qui n’investit pas et ne gagne pas assez !