L’importance stratégique du blé

Par Didier Gix

Managing Director (Manosque, Provence-Alpes-Côte d’Azur).

En 2021, 723 millions d’hectares de céréales ont été cultivés dans le monde, soit 52 % des terres arables, 14 % de la surface agricole mondiale et 5 % des terres émergées du monde (Passion céréales une culture à partager)

2008 et la crise alimentaire, où l’on retrouve un alignement entre la hausse du baril de pétrole, et la consommation des produits agricoles ayant dépassé la production au niveau mondiale. A cela s’ajoute, de mauvaises récoltent liées à la sécheresse, qui ont touché des pays développés (Australie), ainsi que des pays en développement (Soudan, Ethiopie), ayant déjà un déficit en eau et une carence en matière de production agricole.

Un élément vital dans le fonctionnement alimentaire de la planète

Le maïs, le blé et le riz, sont les trois (3) premières céréales produites dans le monde. Elles ont un double emploi, elles sont utiles à l’homme et aux animaux, dans le cadre de leurs propres alimentations. Ainsi 60 % du maïs produit, sert à l’alimentation animale, qui lui-même sert à alimenter l’homme. Une partie des résidus de production de blé sert également à la production « d’aliment bétail », quant au riz, lors de son usinage, on en retire un résidu, la brisure, qui peut elle aussi être commercialisée. Le Sénégal est un pays importateur de brisure de riz, première céréale consommée dans le pays, a raison de ± 400 000 T par an.

Il y a l’or, le pétrole, et il y a le blé, qui depuis des siècles permettent à toutes sociétés un développement social et sociétal des peuples. La géographie de certains continents en permet la culture, quand d’autres sont tributaires des importations en raison d’une géographie déficiente en eau, terres arables et autres progrès techniques, le blé est de l’or ou du pétrole que l’on produit chaque année, ainsi, ce sont 780 Mt de blé (prévis FAO 2022), qui sont produites dans le monde, pour une population de ± 7.8 Mrd d’habitant.

Le blé est l’une des céréales ayant bénéficié des avancées technologiques en matière de récolte et des modifications agronomiques pour en faire une céréale plus résistante et elle se transporte facilement, ainsi entre les années 1880 où la production atteignait 50 Mt, et aujourd’hui, la production à été multipliée par 14, (Sébastien Abis : Le blé au cœur des enjeux géostratégiques mondiaux)

Les enjeux de demain, seront de nourrir la planète avec les problèmes climatiques, et les ressources naturelles déficientes comme l’eau, les terres. Essayer de produire mieux et plus, car d’ici à 2050 la planète comptera quelque neuf (9) milliards d’habitants.

A l’échelle de la planète, La production de blé est « perpétuelle », nous pouvons trouver du blé à n’importe quel moment de l’année sur les quatre (4) continents, il y a toujours un continent qui moissonne, Le blé est un levier de négociation ou de pression géopolitique des pays producteurs, il entre dans la stratégie de pouvoir géostratégique. 

L’autosuffisance alimentaire : sécurité et souveraineté

Dans la pratique, chaque pays du monde devrait pouvoir couvrir les besoins élémentaires de bases, l’autosuffisance alimentaire est une expression[1] d’un Etat pour le contrôle de son système alimentaire, en augmentant le niveau de production afin de réduire la dépendance extérieure, tout en restant dans le système économique des échanges au niveau mondial. L’autosuffisance alimentaire est un marqueur d’indépendance, de développement humain et de la puissance d’un état.

Les facteurs non maitrisés par l’homme, comme les sècheresses, ou les catastrophes naturelles ne permettent pas d’endiguer de façon intrinsèque la faim dans le monde, si ces mêmes populations avaient des ressources d’alimentation annexe pour y faire face. On peut entrevoir une réponse lorsqu’un Etat est en insécurité politique, que le développement social de la population est inexistant et que les droits les plus élémentaires ne sont pas respectés. L’accroissement de la faim dépend du degré de stabilité politique et de la sécurité de santé des populations (Thomas Basset : The Atlas of World Hunger,2010).

Chaque Etat veut une sécurité alimentaire dans son pays, en obtenant par sa politique, l’autosuffisance nécessaire à son indépendance, d’un point de vue, sanitaire, social et sociétal. La création d’un indice en 2011 (Global Food Security Index) permettant de mesurer la capacité et le niveau de sécurité alimentaire de 113 pays, identifié d’après une liste de marqueur, comme les normes nutritionnelles, les Infrastructures agricoles, la corruption et la stabilité politique, ce sont 18 indicateurs qui placent les pays par ordre de niveau de sécurité alimentaire.

On retrouve majoritairement des pays ayant un taux de développement élevé, ainsi l’Irlande est en tête du classement 2021 avec un taux de 84%, la France est 9 -ème avec les Etats Unis avec un taux de 79.1%, l’Allemagne est 11 -ème 78.7%, et le Royaume Uni est 3 -ème avec un taux de 81%.

L’excellent taux du Royaume Uni peut s’expliquer par l’insularité des populations et du territoire, et des efforts pour pallier des défauts de production (climat), d’approvisionnement ou d’importation, mais l’Autriche qui est 2 -ème avec 81.3% d’indice, vient contrarier cette possibilité.

La question de la souveraineté alimentaire

La notion de « souveraineté », créée par un mouvement social « Via Campesina », au sommet de Rome en 1996, définit « La souveraineté alimentaire est le droit des peuples à une alimentation saine et culturellement appropriée, produite par des méthodes écologiquement respectueuses et durables, et leur droit à définir leurs propres systèmes alimentaires et agricole »

Dans les faits, la souveraineté s’obtient par l’autonomie stratégique alimentaire, par les politiques publiques mises place dans chaque Etat. Une conférence à été mise en place en France suite au Covid 19 le 13 et 14 mars 2022, les carences en matière de produits, comme les masques sanitaires, et autres produits médicamenteux, et alimentaires, ont défini les manques de souveraineté de la France.

La souveraineté, c’est bien là, le nœud du problème, les populations ont le droit d’avoir à disposition une alimentation sécurisée et théoriquement choisie, mais le choix stratégique en revient aux dirigeants des Etats qui sont « souverains ». Ainsi les définitions des stratégies de développement alimentaires des pays, même si elles se font sur fond d’obligation des peuples, de l’UE, des ONG, l’ONU et ses règles, il est en demeure que les pays sont souverains dans l’édification de leur propre politique de développement alimentaire de leur population.

De plus, la souveraineté et l’autosuffisance alimentaire sont une sécurité en période de guerre, les Etats ayant une autosuffisance alimentaire du fait d’une stratégie et d’une sécurité alimentaire, pouvant faire face à une fermeture totale du pays, et des importations, ainsi « l’arme alimentaire » ne peut être utilisée.

Le pouvoir du blé : Stratégie des Etats

Les plus gros producteurs de blé dans le monde sont la Chine, l’Inde et la Russie, pour un total ± 300 Mt (2018) par an, soit près de 39 % de la production mondiale de blé dans le monde. La France est cinq -ème producteur de blé avec ± 35 Mt.

Les trois pays dans le monde qui importent les plus grosses quantités de blé, sont l’Egypte, l’Algérie et le Nigéria, soit ± 20% du continent africain, avec ± 343 millions d’habitants. L’Egypte dépend des importations de blé a hauteur de 61% de Russie et 23% d’Ukraine, sa sécurité alimentaire est engagée pour 84%, la consommation de blé par personne atteint 200 kg/an, le pain fabriqué, fait partie d’un  aliment de base, et 50% des pays d’Afrique soit 25 pays, dépendent des importations de blé en provenance de Russie et d’Ukraine.

L’Afrique et ses disparités en matière de pluviométrie, de terres cultivables, d’infrastructure agricole et de matériels de pointes, ne lui permet pas une sécurité alimentaire. A cela s’ajoute, les politiques liées aux diverses guerres qui rendent dépendant le continent à hauteur de 50% de sa population, soit ± 600 Millions de personne.

A cela s’ajoute, la sécheresse dans les pays producteurs et exportateurs, la guerre russo-ukrainienne (40% du blé mondial exporté par les pays de la mer Noire), ainsi la production de blé pourrait chuter pour la récolte 2022, alors que cette seule céréale rentre comme aliment de base pour 35% de la population mondiale.

Les effets de la guerre russo-ukrainienne

Depuis le début de la guerre russo-ukrainienne en février, La stratégie de l’Inde, deuxième producteur de blé au monde, est d’interdire les exportations, suite à des récoltes déficientes dues à la sècheresse ( l’Inde récolte son blé en avril), elle veut assurer la sécurité de ses ± 1.4 Milliard d’habitants, et limiter les spéculations et anticiper l’envolée du prix du blé sur les marchés. L’inde pourra constituer son stock de sécurité de 19 Mt et faire face à la durée de l’instabilité de la guerre et ainsi préserver sa population.

Même si elles étaient marginales, l’inde exporte ± 1.1 Mt, mais elle à participé à plus de 250 % soit 7.7 Mt dans l’exportation depuis le début de l’année 2022.Nous retrouvons une guerre d’influence de proximité. La France étant le premier producteur de céréales en Europe, vend son blé en Afrique du nord, Maroc et Algérie, quand la Russie étend son influence sur les pays d’Afriques du Nord-est, où l’on retrouve l’Egypte, le Soudan qui dépendent à hauteur de 90 % du blé russe.

Les récoltes en Europe de blé et de céréales en générale s’étalent sur la période de juin à aout, et au Etats Unis, sur la période de ± mai à juillet, l’Asie quant à elle étend ses récoltes sur une période démarrant ± en avril. Nous avons l’hémisphère nord de la planète qui récolte le blé sur une période de cinq (5) mois (avril à aout), avec toutes les disparités climatiques, doublé d’une instabilité politique et la guerre en Ukraine, qui vient créer une contraction des échanges.

La météo étant le premier indicateur des spéculations futures, ainsi suivant le niveau de production des pays d’Europe, les pays doivent assurer leur stock stratégique en blé. Ainsi l’Algérie qui était le premier importateur de blé en prévenance de France, doit composer avec d’autres pays exportateurs comme l’Allemagne, la Pologne, lorsque la France à une risque de baisse des ses productions, ainsi l’Algérie anticipe l’inflation des prix du blé sur les marchés.

Les enjeux sont importants, chaque pays veut pouvoir bénéficier d’un stock stratégique, et produire du blé en fonction de ses possibilités. Les opérateurs publics et privés doivent permettre les échanges, tout en évitant qu’une minorité puisque spéculer et contrôler l’accès à cette ressource vitale.

Nous avons depuis quelques mois une augmentation du prix du blé sur les marchés, qui est directement lié à la guerre en Ukraine, ainsi en mars 2022, le cours était de 380 €/T et le 17 mai 2022 le cours du blé atteignait 437€. Nous avons également un paradoxe sur les productions/consommations Européennes, en effet l’Europe produit ± 138 Mt de blé, mais n’en consomme que 72 Mt. Ainsi nous devrions y voir une stabilité de prix, puisque le stock serait d’environ 66 Mt.

Les contradictions européennes

C’est sans compter sur la disparité des pays producteurs européens, les tractations entre pays membres, les exportations en raison des problématiques du climat, et la constitution des stocks stratégiques plus important en raison de la guerre en Ukraine.

« Le blé est le pétrole des pays qui n’en n’ont pas ». On pourrait faire un parallèle sur les problématiques de production entre le blé et le pétrole, qui seraient liées à la consommation, à son stockage… La différence entre le pétrole et le blé, c’est que les producteurs de blé sont plus nombreux, ainsi les jeux des échanges, la spéculation, les infrastructures, et les opérateurs, rendent la visibilité du marché plus prévisible (météo) et à la fois plus difficile à manœuvrer. Mais les deux produits sont liés, le premier pour nourrir la planète, le second pour la transporter.

Le blé est une composante géopolitique, elle permet de donner aux pays producteurs un pouvoir, sur les pays soumis aux importations. Produit vital, le blé est une ressource stratégique lorsqu’elle est exportée. Nourrir son peuple et exporter, sont les deux composantes de l’influence internationale des pays producteurs.


[1]1985 – Michel Labonne : L’autosuffisance alimentaire en question