Par Olivier de MAISON ROUGE
Avocat – Docteur en droit
« Ce qui, donc, est de la plus haute importance dans la guerre, c’est de s’attaquer à la stratégie de l’ennemi. »
« Or, la guerre est fondée sur la tromperie. Déplacez-vous lorsque c’est votre intérêt et créez les changements de situation par des dispersements et des concentrations de forces ».
Sun Tzu
L’avènement du cyberespace a largement révolutionné la guerre informationnelle en termes d’accès aux ressources et de manipulation de l’information. Depuis lors, ce n’est pas tant le manque d’information qui fait défaut que le surplus, ce qui conduit parfois à parler « d’infobésité ».
Pour autant, l’information véhiculée sur les réseaux n’est pas neutre ; elle concourt de manière substantielle à façonner les esprits et à gagner « la guerre par l’information » ou plus largement la bataille des idées.
Si le terme de « propagande » semble banni, il n’en demeure pas moins que la fabrique de l’opinion reste un espace de conflictualité très disputé et qu’il faut désormais pénétrer avec une nouvelle grille de lecture adaptée au cyberespace pour comprendre les nouvelles rivalités systémiques dans ce domaine. Sans toutefois oublier que la maîtrise de l’information obéit à des règles immuables, dont l’objet demeure de communiquer un message à un public.
I – L’INFORMATION, OBJET DE COMMUNICATION
- L’information, notion étymologique
Etymologiquement, l’information, qui provient de la locution latine informatio, contient un double sens. Elle évoque originellement une représentation graphique, tels un dessin, un croquis, une esquisse, d’une part.
Prise dans son sens second qui se veut plus affiné, elle traduit aussi un concept, une idée, une production, une œuvre de l’esprit, d’autre part. Partant de cette dernière approche, elle est ainsi qualifiée de représentation d’une idée par l’image d’un mot ; il s’agit de notion de « carte et de territoire » qui représentent un même lieu par des dimensions distinctes.
Dans un sens moderne, plus précisément dans la pratique courante et de manière très large, il s’agit d’une connaissance, constituée d’un renseignement factuel peu ou prou véritable, mais au-delà c’est aussi la prise en considération des moyens mis en œuvre pour se renseigner, s’informer. Une information peut également s’entendre comme étant l’analyse des mêmes renseignements.
« Un fait n’est pas une information.
Un fait ne devient information que lorsqu’un informateur en informe un informé. « Il pleut » n’est pas une information tant que, par exemple, je ne vous ai pas téléphoné pour vous dire qu’il pleuvait »[i].
Ainsi, un même vocable recouvre trois sens convergents.
Toutefois, l’information n’est pas seulement une idée, comme vu ci-dessus, mais aussi, indépendamment de son support, la communication, la transmission et la diffusion de cette idée. Ainsi, le journal télévisé, cette grand’messe du 20h00, est-il un vecteur d’informations. En ce sens, l’information se traduit comme étant le renseignement que l’on porte à la connaissance d’un tiers par voie de divulgation. Il s’agit de la diffusion de l’expression. Cette information suppose une action reposant sur la dynamique quant à la circulation de l’information. On parlera dès lors de « l’information-communication ».
Enfin, dernière acception du terme, l’information constitue un ensemble d’éléments pouvant être transmis au travers d’un support, suivant un langage connu et reconnu. Cette information suppose un procédé technique. Ce sont ce que l’on nomme aujourd’hui les systèmes d’information (SI) de l’ère numérique que nous traversons. C’est le concept très large de « médiatisation ».
Pour achever cette approche conceptuelle, il convient de poser comme postulat qu’une information n’est jamais vraie en soi, dès lors qu’elle repose sur un mode d’émission, et qu’elle a ainsi été travestie et antérieurement interprétée par son auteur : autrement dit, une information n’est jamais neutre. Cette affirmation vaut, même en l’absence d’intention trompeuse. En effet, l’information repose sur un contenu qui évolue au fur et à mesure qu’il est échangé, communiqué, chacun lui appliquant les résultats de son adaptation et de sa propre perception.
- L’information, objet juridique
Après ces digressions quasi sociologiques[ii], mais néanmoins nécessaires compte tenu du sujet embrassé, l’autre question essentielle est la suivante : « L’information seule, c’est-à-dire l’information envisagée indépendamment de son support matériel, est-elle un bien ? »[iii].
Nous pouvons affirmer que l’information n’est en tant que telle pas définie dans le droit positif français. Or, cette notion précise nous fait cruellement défaut, dès lors que l’information, que nous qualifions tantôt d’essentielle, d’économique, de confidentielle ou de stratégique, constitue notre matériau de base et il est plus que nécessaire de bien appréhender les composantes et les fondations pour bâtir un édifice solide et durable.
Au sein de la doctrine, outre celle exprimée ci-dessus, nous rencontrons plusieurs opinions. Une affirmation pragmatique tout d’abord retenant l’information comme étant « l’action consistant à porter à la connaissance d’un public certains faits ou opinions à l’aide de procédés visuels ou auditifs comportant des messages intelligibles pour le public : l’information est également le résultat de cette action sur les destinataires. »[iv]. C’est le sens de la médiatisation.
En revanche, de manière très audacieuse, Pierre CATALA a su parfaitement cerner, avant tout le monde, la véritable problématique et les enjeux, énonçant que : « l’information est un bien en soi, immatériel certes, mais constituant un produit autonome et antérieur à tous les services dont elle pourra être l’objet »[v] Poursuivant : « Aujourd’hui comme hier, l’article 1er du Droit de l’information pourrait toujours affirmer : « Tout message communicable à autrui par un moyen quelconque constitue une information » (…) L’information est un bien créé et non pas donné. C’est un produit de l’activité humaine (…) Mais les éléments régulièrement captés ne deviennent information véritable qu’à travers le deuxième terme de l’appropriation : la formalisation qui les rend communicables »[vi]. Ainsi, véritable création de la pensée, l’auteur retient l’information en tant que bien intellectuellement façonné, assimilable à une activité à part entière.
Précédent cette analyse, un autre auteur a auparavant précisé que « l’information est quelque chose de primaire qui, souvent, a une valeur plus par l’exclusivité de sa source que par sa nature, et qui est protégée soit dans son environnement, son circuit de diffusion, soit comme élément de la personne, soit, rarement, comme élément de patrimoine »[vii].
Michel VIVANT confirme encore cette analyse par un propos sensiblement plus nuancé estimant « que la notion de chose ou de bien est une représentation intellectuelle et que la qualité d’objet de droit peut être attribuée à un bien immatériel pourvu que ce bien soit considéré comme tel économiquement et qu’il soit digne de protection juridique »[viii]. Ainsi, selon cette conception, l’information est incontestablement un bien dès lors que l’on tient compte de sa valeur économique. Nous sommes en adéquation avec ce principe juridique établissant que toutes les informations ne sont pas des biens. Les circonstances et la valeur de l’information font le droit.
Enfin, plus récemment, le Professeur Jean-Christophe GALLOUX constate pour sa part que « L’information entre donc dans la catégorie des choses avant de pouvoir être considérée comme bien car toutes les choses qui existent ne sont pas des biens pour le droit »[ix] Et continuant sa pensée ainsi : « Le droit, et singulièrement le droit des biens, doit s’adapter à ses transformations conceptuelles : moins d’immeuble, plus de meubles, disait-on, voici quelques années pour caractériser le changement de contenu du patrimoine ; moins de corporel, plus d’incorporel, devrait-on dire aujourd’hui »[x] (…) Toutes ces choses-informations ont, a priori, la même aptitude à entrer dans la catégorie des biens (…) elles circuleront plus ou moins librement selon que la société éprouvera le besoin d’organiser leur appropriation temporaire par une forme du droit de propriété ».
Il faut garder à l’esprit que ces études parfaitement légitimes, dissimulant parfois des querelles académiques, ont été réalisées il y a plus d’une dizaine d’années, en un temps où l’information n’étaient pas diffusée sur les mêmes supports, en un temps où ce que l’on nommait encore les « autoroutes de l’information » n’étaient encore qu’un concept émergent, et où, plus largement, la dématérialisation et la numérisation de l’économique n’avait pas la même ampleur qu’à l’heure actuelle. Les défis n’étaient donc pas les mêmes. En outre, notre sujet est confronté à cette évolution technique et il est probable que nos affirmations soient obsolètes d’ici quelques décades, nous l’admettons volontiers à ce stade.
En conclusion, même si celle-ci doit être provisoire, il semble acquis que l’information constitue effectivement un bien, fruit d’une réflexion humaine, économiquement valorisable. La doctrine s’étant rangée derrière cette appréciation, la jurisprudence paraît tout autant admettre cette nouvelle réalité.
- Qu’est-ce que l’influence informationnelle ?
« L’homme est bâti de manière que les fictions font beaucoup plus d’impression sur lui que la vérité ». Erasme
L’influence, telle que nous souhaitons l’aborder sous cette analyse, renvoie davantage à l’idée de message dans son contenu et de circulation de l’information. La pratique n’est pas nouvelle et constitue l’un des fondamentaux des activités humaines, depuis que l’homme sait parler probablement, si ce n’est même avant.
Toutefois, l’influence en tant que telle fait appel à d’autres ressorts. A défaut de les sonder, elle vient frapper les cœurs et les esprits, elle vient, pour reprendre encore l’expression désormais consacrée, s’adresser au « temps de cerveau disponible ». Le principe tel que retenu repose donc sur une action sur l’esprit, tantôt individuelle, tantôt collective, en vue de véhiculer une idée tenue pour certaine, sinon plausible.
Les techniques, les méthodes et le mode opératoire sont globalement largement identifiés, et ont accompagné l’émergence de ce que l’on nommait encore il y a quelques décennies les « mass médias », devenus depuis lors les « médias » tout court, sous toutes ses formes (TV, radio, Internet, SMS, twitter, réseaux sociaux…), constituant d’exceptionnelles caisses de résonnance.
Cela étant, convenons que la pratique de la communication par l’influence est issue en premier lieu des enseignements tirés de la conquête des esprits appliqués par les états totalitaires du XXe siècle en vue d’orienter et de diriger les foules, d’une part, et des techniques de guérillas et des actions psychologiques qui ont chronologiquement fait suite avec les luttes de décolonisation, d’autre part. En témoigne, dans l’histoire de France, le 5e bureau d’action psychologique du colonel Gardes, institué durant la guerre d’Algérie pour conquérir les populations.
Dénaturée, galvaudée et vulgarisée par les démocraties modernes, l’influence est passée de l’agitation-propagande, de la subversion, de la corruption des esprits[xi] à la déstabilisation commerciale et à la désinformation économique accentuée par la communication à grande échelle.
Michel Albert ne s’était pas trompé en prétendant que le sacre du capitalisme anglo-saxon d’essence ultralibérale passait par le pouvoir et l’emprise des médias[xii].
Il ne nous appartient pas de juger. De fait, indépendamment de ces aspects négatifs, il nous faudra reconnaître que l’influence peut se faire positive.
Selon François-Bernard HUYGHE :
« L’influence apparaît comme une « stratégie indirecte visant à obtenir d’autrui un assentiment ou un comportement, soit par le prestige de son image, soit par une forme quelconque de persuasion ou de « formatage » des critères de jugement, soit, enfin, par la médiation d’alliés ou de réseaux ».
(…)
« La notion d’influence nous fait toucher du doigt la complexité sans cesse croissante des relations entre les mondes politique, économique et culturel. Dans la société de l’information qui est la nôtre, l’un des enjeux majeurs réside en la conquête des esprits, donc dans la maîtrise des perceptions. »
II – LA DÉSINFORMATION
- Qu’est-ce que la désinformation ?
« Technique permettant de fournir à des tiers des informations générales erronées les conduisant à commettre des actes collectifs ou à diffuser des jugements souhaités par les désinformateurs. » in V. Volkoff, Petite histoire de la désinformation, du cheval de Troie à Internet, Editions du Rocher, 1999
«La désinformation consiste à propager délibérément des informations fausses, prétendues de source neutre, pour influencer une opinion et affaiblir un camp
F.B Huyghe, La désinformation, les armes du faux; Armand Colin, 2016.
Parmi les spécialistes des questions de désinformation, Vladimir VOLKOFF décrit tout d’abord ce que n’est pas la désinformation[xiii].
En ce sens, il la diffère de la propagande entendue comme « l’action exercée sur l’opinion pour l’amener à avoir certaines idées politiques ou sociales, à vouloir ou soutenir une politique, un gouvernement, un représentant ».
La propagande remonterait à la Contre-réforme instituée par le Vatican pour lutter contre les idées protestantes, avec la création de la Congrégation pour la propagation de la foi (ou congregatio de propaganda fide). En ce sens, la propagande est destinée à susciter l’adhésion des foules, et ne sous-entend pas nécessairement l’usage du mensonge institutionnalisé malgré les travers du XXème siècle avec les régimes dictatoriaux.
Il s’agit davantage d’un message destiné à l’opinion émis par la sphère politique. A cet égard, certains partis politiques utilisent encore le terme de propagande et le Code électoral lui-même évoque la Profession de foi des candidats ainsi que le matériel de propagande électorale. Le terme n’est donc pas tant décrédibilisé malgré les excès des instrumentalisations des masses par les pouvoirs autoritaires. Dans ce cadre, les élèves du Dr Goebbels ont usé des ressorts irrationnels et passionnels pour galvaniser des foules, parfois avec bluff ou mensonges d’Etat. Mais l’illusion de la vérité n’est toutefois pas le principal levier de la propagande qui peut relever du populisme par des sentiments exacerbés sans pour autant user de fausses informations.
Pour l’officier théoricien David GALULA[xiv] :
« L’existence d’une asymétrie entre les deux camps [gouvernemental / insurgé NDLA] a des répercussions importantes dans l’utilisation que chacun des adversaires peut faire de la propagande. L’insurgé, détaché de toute responsabilité, peut en faire jouer tous les rouages ; il peut, en tant que de besoin, mentir, tricher ou embellir la réalité. Il n’a pas l’obligation de prouver les informations qu’il avance. » (p.25)
« Tout comme le terrorisme, les opérations de propagande ont une tendance regrettable à générer des retours de flamme. On peut même dire que, de toutes les armes de guerre, la propagande est la plus délicate : son utilisation requiert de la prudence, un solide sens des réalités et une bonne anticipation. » (p. 181)
De même, la désinformation ne s’apparente pas à la publicité, même si cette dernière emprunte parfois des travers destinés à toucher un large public en vue de susciter l’envie d’acheter.
Selon le Robert, c’est « le fait d’exercer une action psychologique sur le public à des fins commerciales ». La publicité mensongère – ou trompeuse – est d’ailleurs réprimée à ce titre. Mais la publicité comparative, bien que strictement encadrée, demeure tolérée, même si elle est parfois contre-productive pour son auteur.
Elle se doit d’être irréprochable, et par conséquent teintée de sincérité. Le message publicitaire est en lui-même une forme de communication à grande échelle et trouve sa cible parmi les masses. Il reprend à son compte les moyens utilisés parfois en politique, et notamment des éléments de propagande. Pour autant, la publicité ne se fonde pas sur une vérité travestie.
Enfin, toujours selon Volkoff, la désinformation se distingue de l’intoxication (on dira désormais « infox »), assimilée à empoisonnement en matière de champ sémantique, qui peut se traduire comme étant une « action insidieuse sur les esprits, tendant à accréditer certaines opinions, à démoraliser, à dérouler » (Le Robert). Ce procédé s’apparente à la « déception » utilisée par les forces armées, à savoir une opération destinée à tromper l’ennemi. C’est-à-dire user d’une part de vérité pour introduire le doute ou la perte d’assurance chez l’ennemi. C’est une forme de ruse[xv].
Pour Sun Tzu, « tout l’art de la guerre est fondé sur la duperie ». Parmi les exemples les plus célèbres on citera l’opération « Fortitude » destinée à tromper la vigilance allemande et à faire croire à un débarquement allié dans le Nord de la France. Ainsi l’intoxication porte sur le lieu, tandis que la croyance d’un débarquement imminent sur les côtes françaises (en Normandie in fine) demeurait acquise. Ses synonymes sont stratagèmes, subterfuge, mystification etc.
A la différence, notamment, de la désinformation, l’intoxication ne vise pas les foules, mais davantage des acteurs ciblés, pour mieux les tromper. En revanche, cette ruse de guerre emploie le mensonge car précisément c’est la duperie qui est ainsi actionnée. Les agents doubles en sont les meilleurs acteurs.
Selon Machiavel : « Quoique la tromperie soit détestable en d’autres domaines, elle est louable et glorieuse dans la conduite de la guerre, et celui qui triomphe de son ennemi par tromperie est aussi digne d’éloge que celui qui le fait par la force. ».
Ce faisant, à l’issue de ces dissociations, Vladimir Volkoff nous livre sa définition de la désinformation :
Elle suppose la réunion de trois éléments[xvi] :
- Une manipulation de l’opinion publique, sinon ce serait de l’intoxication ;
- Des moyens détournés, sinon ce serait de la propagande ;
- Des fins politiques, internes ou externes, sinon ce serait de la publicité.
Pour sa part, Alain JUILLET s’est exprimé ainsi sur la guerre informationnelle et le retard français :
« Contrairement à d’autres formes conflictuelles, la guerre de l’information qui se conduit dans le cyberespace n’a ni début ni fin. Elle peut être menée de tous les coins du monde avec la même efficacité. Elle donne un avantage d’autant plus fort à l’attaquant que la cible n’a pas prévu ou ne sait pas répondre. De surcroît le fort comme le faible peut l’utiliser utilement sous réserve d’en maîtriser les techniques. Il est étonnant de constater que contrairement aux Américains, aux Chinois, aux Russes ou aux Israéliens, nous n’avons toujours pas réagi, en dehors du Ministère de la Défense, et commencé à nous doter d‘éléments de réponse. »[xvii]
La désinformation participe depuis toujours aux ruses de guerre. Elle permet de frapper le moral du combattant ennemi. Les calomnies comme les tromperies permettent d’affaiblir et semer le doute chez l’adversaire[xviii]. Elle relève au fond de l’action psychologique de manière à parvenir à :
- Miner la capacité de résistance de l’adversaire ;
- Saboter les décisions gouvernementales ;
- Utiliser à leur insu les intellectuels ;
- Répandre la peur de la trahison dans le public.[xix]
La désinformation économique peut alors être définie comme un ensemble de techniques utilisant l’information pour tromper volontairement une masse de personnes ciblées dans un but d’influer sur les flux produisant de la richesse.
Le fonctionnement de la désinformation économique doit au préalable établir une thématique simple, permettant d’être facilement accessible et compréhensible. Une fois la thématique mise en place, l’instigateur de la démarche de désinformation va devoir cibler une population concernée par le thème abordé mais qui a une part d’ignorance sur le sujet. Cette part d’ignorance les met donc dans un état pouvant être influencé/manipulé à des fins désirées.
La campagne de désinformations va notamment devoir mettre en place des supports d’informations sur lesquels se base la communication. Ces “supports” sont constitués de faits vrais et/ou de faits censés être vrais construisant ainsi une argumentation dédiée à la thématique abordée. Les éléments “censés être vrais” sont par ailleurs parfois basés sur une origine véridique, permettant d’appuyer la thèse face aux cibles voire aux détracteurs, ou tout simplement invérifiables.
Enfin, une fois l’argumentation établie, la diffusion de l’information va se baser sur des relais. Ces derniers peuvent être des journaux ou autres médias, mais internet et les réseaux sociaux restent l’outil le plus efficient permettant une diffusion rapide et efficace des informations.
En conclusion, « la désinformation est une manipulation de l’opinion publique, à des fins politiques, avec une information, véridique ou mensongère, traitée par des moyens détournés »[xx]
- Les sanctions de la désinformation :
Internet étant un vaste espace de communication transnationale, à l’ère du web 2.0 et plus encore celle des réseaux sociaux, chaque individu est en mesure de s’approprier un lieu d’expression électronique. Il y est même largement incité, les supports étant légion en la matière, aussi bien par messagerie, vidéo, etc.
Le monde cyber est également un milieu de résonnance plus ou moins flexible pour des propos échangés en fonction de l’auditoire que l’on peut capter : « amis », « followers », « relations », … Dès lors, en raison de la qualité comme de la quantité du public, selon le mode de « confidentialité » choisi ou de propagation « virale » voulu, toute communication est susceptible d’engager la responsabilité de son auteur.
Ainsi, Internet n’est pas « une autoroute de l’information » – selon l’expression consacrée à son origine – sans limites.
Parmi les limites à la liberté d’informer ou de désinformer, nous relevons :
Article 27 loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse :
La publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler, sera punie d’une amende de 45 000 euros.
Les mêmes faits seront punis de 135 000 euros d’amende, lorsque la publication, la diffusion ou la reproduction faite de mauvaise foi sera de nature à ébranler la discipline ou le moral des armées ou à entraver l’effort de guerre de la Nation.
L’article 4 de la loi sur la presse du 27 juillet 1849, adoptée par l’Assemblée nationale législative de la deuxième république établissait déjà que « la publication ou reproduction, faite de mauvaise foi, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers, lorsque ces nouvelles ou pièces seront de nature à troubler la paix publique, sera punie d’un à deux ans d’emprisonnement, et d’une amende de cinquante francs à mille francs »
Sur le fondement de l’article L. 97 du Code électoral, il est possible de poursuivre quelqu’un pour diffusion de fausses nouvelles : « Ceux qui, à l’aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manœuvres frauduleuses, auront surpris ou détourné des suffrages, déterminé un ou plusieurs électeurs à s’abstenir de voter, seront punis d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 15 000 euros. »
De même, le Code pénal bénéficie d’un arsenal judiciaire complet qui permet de sanctionner :
- l’élaboration et la diffusion de “fake news” et/ou de la réalisation de faux montages (article 226-8 du Code pénal) ;
- l’usurpation d’identité sur les réseaux sociaux (article 226-4-1 du Code pénal) ;
- la dénonciation calomnieuse (article 226-10 du Code pénal) ;
- la divulgation de fausses informations faisant croire à un sinistre (article 322-14 du Code pénal).
ILLUSTRATION[xxi] :
L’affaire laboratoires THEA : le tribunal sanctionne une manœuvre de déstabilisation économique
Ayant mis au point, en 1996, un procédé phare nommé « Abak » permettant d’instiller un collyre sans conservateur, totalement stérile, la société auvergnate « Laboratoires Théa », un fleuron de l’industrie ophtalmique, découvre en décembre 2005 que son produit fait l’objet d’une campagne de dénigrement.
La procédure judiciaire mise en œuvre dans le cadre de la plainte déposée en février 2006 par l’industriel, démontre effectivement une tentative de déstabilisation tendant à anéantir de manière scientifique l’avancée technologique du laboratoire.
Il ressort ainsi des débats à l’audience du 23 juin 2010, que la tentative d’influence aurait été décidée par un concurrent monégasque qui avait mandaté à cet effet une société parisienne depuis lors à l’origine des rumeurs. Pour ce faire, un faux rapport d’étude d’infectiologie portant sur ledit produit a été établi et divulgué. Les conclusions de cette étude se montrent bien évidemment sévères pour « Abak » et émanent de prétendus chercheurs. En outre, la rumeur est abondamment relayée et alimentée sur Internet (fausses adresses e-mails usurpant l’identité du président du Syndicat national des ophtalmologistes de France, …).
Il n’en demeure pas moins que les laboratoires Théa ont du lutter âprement contre les séquelles de ces fausses informations répandues dans la profession et auprès de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.
Il était avéré que cette opération d’intoxication, en vue de jeter le discrédit sur ce collyre innovant, avait été initiée par un concurrent monégasque, la société « Europhta », qui avait, pour ce faire, mandaté une société parisienne dénommée « Institutions et Entreprises ».
Pour réaliser sa mission de propagande mensongère, le tribunal a constaté que le prévenu avait dressé un faux rapport d’étude d’infectiologie prétendument scientifique portant sur ledit produit dénommé « Abak » et l’avait largement diffusé auprès des acteurs du marché concerné (cliniques, hôpitaux et personnel scientifique). En outre, la rumeur est abondamment relayée et alimentée sur Internet. Or, il va sans dire que les conclusions de cette analyse – signée par des prétendus chercheurs – se montraient bien évidemment implacables pour le produit « Abak ».
L’ensemble des protagonistes ont donc été poursuivis et jugés pour faux et usage de faux (en application des articles 441-1, 441-9, 441-10, 441-11 du Code pénal), usurpation d’identité (articles 434-23, 434-44 du Code pénal) et dénonciation calomnieuse (articles 226-10, 226-11 et 226-31 du Code pénal).
A juste titre, le procureur a souligné cette influence comme étant « une arme de guerre économique » et a requis contre les intéressés de deux à quatre mois de prison avec sursis et de 1.000 € à 10.000 € d’amende, selon les faits imputés à chacun, leurs conseils sollicitant la relaxe, sauf pour celui dont la culpabilité paraissait la plus admise.
Dans son délibéré du 8 septembre 2010, le tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand, a reconnu coupables le dirigeant de la société « Institutions et Entreprises » et son principal collaborateur pour faux et usage de faux à respectivement deux mois de prison assortis du sursis et quatre mois de prison également assortis du sursis et à 1.000 euros d’amende pour l’un et 5.000 euros d’amende pour l’autre, outre une condamnation à 10.000 euros de dommages et intérêts pour réparer le préjudice de la victime. En revanche, ils ont été relaxés pour les faits de dénonciation calomnieuse et d’usurpation d’identité.
Si la manœuvre a échoué, après plusieurs semaines d’angoisse pour les laboratoires Théa assaillis de rumeurs non fondées, rappelons que pour sa défense la victime s’est à son tour livrée à une opération de contre-influence efficace pour aboutir, en octobre 2007, à l’acquisition de son concurrent : ce fut l’histoire de l’arroseur arrosé.
Il n’en demeure pas moins que les laboratoires Théa ont dû lutter âprement contre les séquelles de ces fausses informations répandues dans la profession et auprès de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.
Notes
[i] VOLKOFF Vladimir, Petite histoire de la désinformation, du cheval de Troie à Internet, Editions du Rocher, 1999
[ii] Pour poursuivre l’analyse, le lecteur pourra notamment se reporter aux études suivantes : HUYGHE F.-B. L’information, c’est la guerre – Des missiles, des émissions, des électrons, in Panoramiques en partenariat avec Marianne, Editions Corlet, 2001 : BULINGE F. Renseignement et analyse d’informations, sur cerad.canablog/archives/2010/01/16/16541580.html
[iii] LUCAS de LEYSSAC, « Une information seule est-elle susceptible de vol ou d’une atteinte juridique aux biens ? », Dalloz, Chronique, 1985, p. 45.
[iv] AUBY et DUCOS-ADER, « Le droit de l’information », Dalloz 1982, n°1, p.1.
[v] CATALA Pierre, « Ebauche d’une théorie juridique de l’information », Dalloz, Chronique, 1984, p. 98.
[vi] CATALA Pierre, Op. cit., p.99.
[vii] LECLERCQ Pierre, Essai sur le statut juridique des informations, in « Les flux transfrontaliers de données : vers une économie informationnelle », sous la dir. D’Alain MADEC, La Documentation française, 1982, p. 123.
[viii] VIVANT Michel, A propos des « biens informationnels », J.C.P., 1984.I.3132.
[ix] GALLOUX Jean-Christophe,« Ebauche d’une définition juridique de l’information », 1994, Dalloz chronique pp. 229-234.
[x] GALLOUX Jean-Christophe, « Ebauche d’une définition juridique de l’information », 1994, Dalloz chronique pp. 229-234.
[xi] MUCCHIELLI Roger. « La subversion » C.L.C., 1976 ; VOLKOFF V. « Petite histoire de la désinformation – Du cheval de Troie à Internet », Editions du Rocher, 1999 ; HUYGHE François-Bernard, « L’information, c’est la guerre – Des missiles, des émissions, des électrons », in Panoramiques en partenariat avec Marianne, Editions Corlet, 2001.
[xii] ALBERT Michel : Capitalisme contre capitalisme, Seuil coll. l’Histoire immédiate, 1991
[xiii] VOLKOFF Vladimir, Petite histoire de la désinformation, du cheval de Troie à Internet, Editions du Rocher, 1999.
[xiv] GALULA David, Contre-insurrection. Théorie et pratique, fut traduit en français et publié aux Editions Economica en 2008.
[xv] HOLEINDRE Jean-Vincent, La ruse et la force, Perrin, 2017.
[xvi] VOLKOFF Vladimir, Petite histoire de la désinformation, du cheval de Troie à Internet, Editions du Rocher, 1999
[xvii] JUILLET Alain : “Mon rôle consiste à “débarbouzer” l’intelligence économique”, Article dans Internetactu, par Jean-Marc Manach le 26/01/2006.
[xviii] HOLEINDRE Jean-Vincent, La ruse et la force, Perrin, 2017.
[xix] MUCCHIELLI Roger La subversion C.L.C., 1976.
[xx] VOLKOFF Vladimir, Désinformations par l’image, Editions du Rocher, 2001.
[xxi] HARBULOT Christian, Fabricants d’intox, Lemieux éditeur, 2016.