Tentative d’Influence autour du SCAF



Par Benoit Barrat, MSIE 38 de l’Ecole de Guerre Economique.

Le SCAF (Système de Combat Aérien du Futur) est un projet international d’un ensemble de systèmes d’armes aériens interconnectés. Il devrait exister dans un futur proche un SCAF pour chaque pays ou communauté de pays qui connectera ses capacités actuelles (Dassault Rafale pour la France, mais aussi drone, avions de surveillance et de ravitaillement) et les futurs appareils et capacité au sein d’un cloud de combat.

Le marché

Dans de nombreux pays, on note des flottes vieillissantes d’appareils, allant du F-16 au F-18 américains au Mirage 2000 et AV-8B Harrier II, conçus à la fin des années 80 jusqu’aux Eurofighter Typhoon et Dassault Rafale pour l’Europe, conçus dans les années 90.

Il y a donc un marché se développant vis-à-vis du remplacement nécessaire de ces appareils, que l’on peut estimer à environ 3 000 avions de chasse sur les variantes autant conventionnel qu’aéronaval.

On peut distinguer trois axes majeurs dans cette logique de remplacement :

  • Sur le plan stratégique afin de garder une supériorité technologique face à l’adversaire.
  • Sur le plan financier et opérationnel dans le but de limiter les difficultés d’entretiens et assurer une sécurité des pilotes lors des vols.
  • Pour les grands constructeurs conserver une maitrise du marché et pour les pays une souveraineté de leurs technologies dans un but d’exportations futures et de maintien des usines de construction.

L’offre américaine

En haut de cette pyramide nous avons le F-35 Lightning II, qui est un avion militaire monoplace, furtif, de cinquième génération crée pour l’offensive terrestre et les missions de supériorité aérienne. Cet appareil est développé depuis 1996 par le constructeur Lockheed Martin sous trois variantes principales :

  • Le F-35A (CTOL) à décollage et atterrissage conventionnel,
  • Le F-35B (STOVL) à décollage et atterrissage courts et à atterrissage vertical
  • Le F-35C (CATOBAR) est la version embarquée (aéronaval), à décollage et atterrissage conventionnels, il est néanmoins plus grand et a une capacité en carburant supérieure.

Le F-35 est le produit du financement et de la réalisation d’une dizaine de pays de l’OTAN. Cet avion devrait être produit à plus de 2 000 exemplaires (625 exemplaire au 8 avril 2021) et distribué principalement aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni.

Le programme de développement, qui ne prévoyait pas de séries de prototypes, a accumulé un important retard par rapport au calendrier initial et un dépassement de budget estimé à 74 % au mois de juillet 2016. Les premiers exemplaires ont finalement été livrés en 2018.  

La plupart des modèles d’exportation en Europe sont le F-35B STOVL permettant le décollage et l’atterrissage sur des portes avions.

Cette dynamique pourrait s’accélérer avec la baisse de tarif prévu entre 2020 et 2022 (le prix unitaire d’un F-35B devrait passez de 108 millions à 101,3 millions de dollars.

Le chasseur américain a néanmoins eu plusieurs incident depuis son début de carrière :

  • En septembre 2018, un F-35B s’est écrasé en Caroline du Sud en raison d’une pièce défectueuse.
  • En avril 2019, un F-35A des Forces aériennes d’autodéfense japonaises s’était abîmé en mer lors d’une mission d’entraînement.
  • En mai 2020, un F-35A s’est écrasé à l’atterrissage, au retour d’une mission d’entraînement.
  • En mars 2021 la mitrailleuse gatling d’un F-35 s’est mise à tirer toute seule lors du décollage de l’appareil pour une mission d’entrainement endommageant gravement l’appareil.
  • En novembre 2021 un F-35B de l’armée britannique s’est abimé en mer Méditerranée.

 L’offre européenne

L’Europe compte elle aussi développer un appareil de nouvelle génération. 7 acteurs industriels européens sont impliqués dans ce programme :

  • Pour la France : Dassault (coordinateur), Thales, Safran, MBDA.
  • Pour l’Allemagne : Airbus (coordinateur), MTU Aero Engines.
  • Pour l’Espagne : Indra Sistemas (coordinateur).

Depuis quelques années plusieurs tentatives de déstabilisation ont affecté ce programme, principalement par le biais de la presse. On peut y lire des difficultés d’entente entre Dassault qui considère qu’il détient un savoir-faire qu’il ne veut pas céder. Et en face l’Etat allemand qui finance une partie du projet et qui estime que, sans ce savoir-faire, il aguerrira un objet sans en avoir la maîtrise. Ces deux points de vue sont légitimes mais non rien à faire dans un débat public hormis si l’on ne veut mettre en défaut le développement d’un projet qui pourrait rivaliser avec d’autre appareil concurrentiel.

Le premier vol du démonstrateur devrait avoir lieu vers 2027, un retard de 2 ans par rapport au planning initial (notons que le F-35 a accumulé lui aussi eu un très sérieux retard lors de son développement).

L’Europe rattrape néanmoins petit à petit son retard face au deux géants qui sont la Chine et les Etats Unis avec en 2022 le premier essai en vol d’un planeur hypersonique français. Le SCAF européen pourrait donc emporter avec lui des technologies supérieures au F-35 jusqu’à la finalisation de son prototype et donc se placer sur le marché de l’exportation directement face au F-35A, il n’est pas prévu à l’heure actuel de modèle pour l’aéronaval.

Il ne faut pas être pessimiste d’autant plus que de très bon appareil ont été conçu en Europe et s’exporte aujourd’hui très bien tel que le Rafale, l’Eurofighter Typhoon alors que les Etats Unis avaient des appareils équivalents sur le marché.

Tentative d’influence des Etats Unis

Le conflit qui oppose le F-35 au SCAF n’est pas seulement commercial, il repose aussi sur l’OTAN et sur des enjeux géostratégiques en Europe. En juin 2021, le général américain Tod Wolters, commandant suprême des forces alliées de l’OTAN en Europe et chef du commandement américain en Europe, a tenté de convaincre les pays partenaires du programme SCAF ainsi que le Royaume Unis (avec le projet de chasseur Tempest) de rendre compatibles les infrastructures numériques des deux projets avec celui des Etats-Unis. Il estime que du point de vue de l’alliance atlantique, les trois systèmes de combat aériens doivent pouvoir collaborer afin d’échanger des données tactiques.

Une compatibilité qui serait perçue comme un acte de faiblesse pour la souveraineté européenne en matière de défense, mais qui permettrait aussi de faire du F-35 un avion compatible avec l’Europe afin de convaincre d’autres pays de l’Union européenne de céder aux appels du pied commerciaux de Washington.

Actuellement le F-35 est intentionnellement construit sur une architecture fermée interdisant toute interopérabilité avec des systèmes de combat alliés, ce qui est absolument contraire aux principes de l’OTAN. N’étant interopérable qu’avec lui-même, le système F-35 impose aux armées alliées de se doter de cet appareil pour être en mesure d’interagir directement avec lui, à moins de consentir à une interopérabilité en mode dégradé reposant sur des relais.

 L’enjeu du remplacement des flottes aériennes en voie d’obsolescence

Pour les prochaines années le F-35 prendra probablement une part assez importante dans le remplacement des flottes d’appareil dans le monde, notamment en Europe en promettant des livraisons à l’horizon 2030. Selon l’expert Gareth Jennings, il devrait y avoir plus de 500 F-35 en Europe en 2035, soit 5 ans avant l’arrivée de l’avion européen.

Mais ce décalage temporaire est loin d’être une fatalité :

  • Le F-35A est un appareil conventionnel qui n’est qu’un parmi d’autres, il y a actuellement en Europe pour ne citer qu’eux l’Airbus DS Typhoon Tranche 4 et le Dassault Aviation Rafale F4.
  • Le F-35B est la seule variante américaine à l’exportation permettant un décollage et un atterrissage depuis un porte-avions, cette nouvelle génération d’appareil n’a aucun concurrent sur ce marché et le SCAF Européen ne proposera probablement pas de modèle aéronaval, il n’y a pour le moment aucune concurrence entre ces deux modèles.
  • Le savoir-faire historique des constructeurs aériens français et européens malgré leurs différents ont su marquer les esprits avec des appareils très robustes, maniables et omni-rôle, il est donc raisonnable de penser qu’il en sera de même pour le prochaines appareil.
  • Le SCAF, avec un temps de retard par rapport au F-35, peut tout à fait sortir son épingle du jeu avec une technologie plus moderne et réussir sur le marché de l’exportation (reprenons l’exemple du Rafale).

L’annulation du projet SCAF est souvent annoncé dans les médias depuis les dernières années, pourtant cette coopération est nécessaire pour plusieurs raisons :

  • Aucun de nos pays n’a la capacité de financer seul un tel équipement dans le futur. Une compétition destructrice entre nos industriels conduirait à la disparition de nos capacités industrielles aéronautiques militaires ;
  • L’enjeu n’est pas seulement français, allemand, européen mais mondial. Si les Etats structurent leur politique d’équipement aérien à partir de la possibilité d’une confrontation sino-américaine, il est important que l’Union Européen s’affirme sur la scène internationale afin d’avoir un réel poids sur le plan politique et industriel. Dans le cas contraire nous serions contrait de devenir un acteur subalterne des relations internationales.

Afin de conserver une souveraineté stratégique l’Union Européenne doit s’entendre sur un axe d’attaque commun, celui d’un seul projet d’avion de chasse dans le but de se préparer à une Europe toujours présente sur le plan mondial dans les horizons 2030/2050. Nous avons une industrie aérienne forte en France et en Europe et il est important de ne pas laisser passer notre chance de la conserver.