Le marathon chinois de cent ans pour devenir la nouvelle superpuissance

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par Hasnae Chami-Boudrika, spécialiste en financement de l’innovation et auteure de synthèses sur le leadership et sur l’économie pour la plateforme Koober.

Comment les Etats-Unis doivent-ils réagir face à la Chine ? Michael Paul Pillsbury (1) nous livre à travers ce compte rendu une analyse américaine de la stratégie chinoise (2), en sortant des sentiers battus par le monde des affaires américains qui s’évertue encore à ne penser qu’à court terme sans prendre en compte la dimension réelle des intérêts de puissance de l’empire du Milieu.

En octobre 1949, la République Populaire de Chine a pris les pouvoirs après une guerre civile entre le Parti Communiste Chinois et le Parti Nationaliste Chinois Guomindang. Depuis lors, les dirigeants du Parti Communiste Chinois dont le premier fut Mao Zedong sont surnommés les ‘faucons chinois’. Leur objectif serait de planifier un ‘Marathon de cent ans’ afin de retrouver dès 2049 la gloire passée du temps des empereurs de Chine.  

L’histoire impériale de la Chine remonte à 221 avant J.-C. avec la naissance de la dynastie fondée par Qin Shi Huang et qui a d’ailleurs donné le nom actuel de la Chine. Par la suite, il y a eu 14 dynasties chinoises dont 10 d’entre elles ont eu une longévité plus importante que la durée totale d’existence des Etats-Unis.

Le malentendu américain concernant les motivations de la Chine

La langue chinoise est assez complexe. Ainsi, les mots sont issus de la combinaison de petits mots sans pour autant y avoir d’alphabet. De plus, le contexte et la tonalité avec laquelle les mots sont prononcés leur fait changer de sens. Alors, cette barrière linguistique fut l’une des raisons pour lesquelles les Américains n’ont pas directement percé à jour les ambitions marathoniennes de la Chine.

D’autres raisons se sont ajoutées à la difficulté de la langue. En effet, les Américains étaient optimistes sur les bienfaits de leur collaboration commerciale et technologique avec les Chinois. Mais la Chine aurait par la suite partagé ce savoir-faire avec des pays à risque comme par exemple en aidant l’Iran et la Corée du Nord sur les questions du nucléaire.

Et pour bercer les illusions d’une Chine affaiblie, les intellectuels et les experts qui s’intéressent à la Chine sont souvent manipulés. On leur transmet une image d’une Chine submergée par des problématiques de corruption, de gestion des minorités ethniques et de protection de l’environnement. Alors qu’en réalité, la Chine est loin d’être en déclin vu son Produit Intérieur Brut qui dépasserait presque celui des Etats-Unis (augmentation de 7 à 8% du PIB chinois).

Enfin, la Chine pratique une culture de la duperie en laissant croire qu’elle aspire à la démocratie libérale par un ‘scénario apaisant’. Mais selon le journaliste d’investigation James Mann, la Chine se renforcera tout en restant une dictature communiste. Le but ultime et secret de la Chine serait de se venger contre l’humiliation que les Américains lui ont fait subir tout en tirant profit de toute aide de leur part en attendant le grand jour. 

Les conséquences du rapprochement américain entamé sous Nixon

En 1971, le président américain Richard Nixon a décidé d’officialiser les relations entre la Chine et les Etats-Unis. Mais en 1985, l’agent de la CIA Larry Wu-Tai Chin avouera avoir transmis à la Chine des documents confidentiels en vue d’un plan de réconciliation Chine/Etats-Unis préparé par la Chine.

Afin d’influencer le président Richard Nixon et le pousser à réconcilier la Chine et les Etats-Unis, le plan consistait dans un premier temps à l’inviter à Pékin. La deuxième partie du plan étant de démontrer aux Etats-Unis la détermination de la Chine à s’éloigner du cercle Soviétique. Pour cela, la Chine a lancé deux tests de bombes à hydrogène près des frontières Soviétiques sans prévenir.

Malgré tout, le président Richard Nixon a résisté à ces tentatives car il voulait éviter les représailles de la part des Soviétiques. Mais il a fini par céder en juillet 1971 lorsque son concurrent Ted Kennedy, sénateur du Massachusetts, a exprimé sa volonté d’être le premier homme politique américain à visiter Pékin. 

Donc, en février 1972, Richard Nixon a rendu visite à Mao Zedong à Pékin. S’en est suivis quelques « cadeaux » à la Chine comme la fin du programme américain d’aide de la CIA au Dalaï-Lama ou encore la reconnaissance par les Etats-Unis en 1978 de la Chine Communiste comme gouvernement légitime.

Sans oublier la collaboration scientifique entre les deux pays. Ainsi, l’administration Reagan a soutenu la Chine dans le développement de huit centres de recherche nationale sur différents enjeux scientifiques majeurs tels que la robotique, l’intelligence artificielle et les technologies de l’espace.

De même qu’en 1981, Donald Reagan a signé la onzième Décision de la Directive de Sécurité National qui autorise la vente de navires et de technologies de missiles à la Chine. Les Etats-Unis vendaient aussi des armes à la Chine et les aidaient dans leurs programmes de nucléaire civil à travers la coopération pour le nucléaire.

La stratégie marathonienne de la Chine inclut de se méfier des Etats-Unis

Dans le cadre de sa stratégie pour devenir une superpuissance, la Chine n’a pas misé sur un investissement miliaire excessif. A la place, elle s’intéresse aux armes qui permettent d’annuler les effets des armes de l’ennemi. Par exemple, la Chine développe une technologie antisatellite et une technique contre les missiles, les bombardiers et la cyber intrusion.

A noter que la Chine se méfie des Etats-Unis pour deux raisons principales. La première est la paranoïa installée en Chine à la suite de la victoire américaine contre l’Union Soviétique. Et la deuxième trouve ses sources dans le soulèvement des étudiants sur la place Tian’anmen en 1989. En effet, les nationalistes chinois accusent les Etats-Unis d’avoir manipulé ces étudiants pour tenter de dominer la Chine. Ces tendances anti-américaines se voient aussi dans les programmes scolaires chinois et dans le traitement réservé à des journalistes américains sommés de quitter la Chine à cause des lignes éditoriales de leurs journaux.

Une ambition longtemps masquée par un double langage

Ce n’est qu’en mars 2013 que les vraies ambitions de la Chine sont apparues au grand jour à travers le discours de Xi Jinping, nouveau président de la République Populaire de Chine. Il a notamment évoqué sa volonté de voir se réaliser en 2049 son « rêve d’une nation forte » (qiang zhongguo meng). Pourtant, la Chine avait déjà tenté cette stratégie de duperie avec les Soviétiques sans succès.

En bref, le plan chinois, pour mener le marathon de 1949 à 2049, se résume en quelques points clés :

  • La Chine cache aux puissances étrangères son ambition de devenir une superpuissance afin de ne pas alerter trop vite ses adversaires.
  • En attendant, elle influence les experts et autres parties prenantes extérieures afin d’attirer leur sympathie et leurs faveurs.
  • La patience est primordiale pour atteindre les objectifs. Donc, la Chine suit les traces de ses 14 dynasties impériales en prenant le temps pour ruser et déceler le bon moment, la fameuse force du ‘shi’, pour attaquer.
  • Et au lieu de perdre du temps et de l’argent à développer ses moyens militaires, la Chine préfère viser les points faibles de l’adversaire quitte à lui voler au passage quelques idées et technologies stratégiques.

La préparation du terrain cognitif par la Chine

La Chine s’intéresse à la stratégie du lawfare, une guerre juridique utilisant les lois internationales pour limiter la liberté d’action et les choix législatifs des Etats-Unis. Les décideurs étrangers (hommes d’affaire, politiciens et personnalités médiatiques) seraient cartographiés par la Chine selon leur degré de sympathie et d’adhésion à la Chine. Selon William C. Triplett II (3) , cette adhésion est de couleur rouge Red Team pour les personnes pro-Chine et bleue Blue Team pour les décideurs contre la Chine.

De ce fait, les Red Team sont des « chers amis » bienvenus en Chine pour lesquels les rencontres avec les leaders et intellectuels chinois sont très faciles. De plus, ces Red Team accèdent de manière privilégiée aux contrats d’Etat et aux investissements. En échange, ils doivent propager l’image d’une Chine pacifiste qui a besoin d’aide et ne représentant pas de menaces dans son ambition de devenir une puissance globale.

Mais de leur côté, les Blue Team sont vite marginalisés et leur influence est neutralisée par la Chine. Pour cela, la Chine bloque leurs accès aux visas ou entrave toute discussion ou échange d’information entre les Blue Team et les personnalités chinoises.

La guerre de l’information chinoise

En plus de l’influence de sa Red Team à l’étranger, la Chine mène également des actions directes et indirectes à l’encontre des médias occidentaux. Ainsi, les actions directes sont menées par les diplomates chinois et par les personnalités liées à la Chine en vue de limiter les publications d’informations compromettantes pour la Chine. Quant aux actions indirectes, c’est la stratégie de pression exercée sur les médias par les annonceurs publicitaires, les entreprises partenaires de la Chine et les gouvernements étrangers. Chaque publication critique expose ces médias au risque de voir bloquée une partie des publicités qui leur permettent de se financer. 

Enfin, les agressions physiques et les cyberattaques (4) sont également utilisées par la Chine contre toute personne gênante.

Les scénarii de la domination chinoise sur le monde et les pistes de ripostes américaines

Au vu de sa situation politico-économique actuelle, la Chine fera à coup sûr partie des superpuissances mondiales en 2049. Mais trois scénarios sont à envisager. Le premier est celui d’un monde unipolaire avec l’hégémonie chinoise. Le deuxième est celui de deux superpuissances qui sont les Etats-Unis et la Chine. Et le troisième est celui d’un partage tripolaire entre les Etats-Unis, la Chine et l’Inde.

Cependant, la situation mondiale en 2049 dépend grandement de l’évolution des courants modérés et réformateurs chinois ainsi que de l’aide que l’Occident aura accordé à ces courants. En effet, si ces courants ne se renforcent pas d’ici là, les problèmes actuellement observés en Chine seront globalisés :

  • La notion de « collectif » chère au Parti Communiste Chinois prendra le dessus sur les valeurs individualistes américaines. Par exemple, les Etats-Unis mettent en avant la liberté d’expression tandis que la Chine ne prend pas vraiment à cœur les droits individuels ;
  • La démocratie ne fait pas non plus partie des priorités de la Chine. Donc, les pays dictatoriaux seront encore mieux soutenus par la Chine comme c’est déjà le cas pour les présidents Robert Mugabe au Zimbabwe et Omar Al-Bashir au Soudan ;
  • La censure est une arme puissante en Chine. Par exemple, de nombreux sites internet d’organisations des droits de l’homme, de médias étrangers et de groupes politiques et culturels sont déjà bloqués en Chine. Mais officiellement, ce n’est pas de la censure mais de l’harmonisation ;
  • La pollution est en croissance continue en Chine. Ainsi, en janvier 2013, Pékin était sous un nuage de pollution si intense que les particules pouvaient être touchées et senties par les habitants. Mais cette pollution pourrait être exportée à l’ensemble de la planète d’ici 2049.

Quelle réaction américaine ?

Selon Michael Paul Pillsbury, les Etats-Unis ne doivent pas s’arrêter au bilan de la fin de la guerre froide et se préparer à relever un nouveau défi, celui de la politique d’accroissement de puissance de la Chine. Mais la difficulté réside d’abord dans le fait que la discrétion de la Chine à propos de son marathon de cent ans ne donne pas facilement conscience aux Etats-Unis de cette course déjà démarrée. Néanmoins, la meilleure riposte que les Etats-Unis devraient adopter selon cet expert américain, est celle d’utiliser à leur tour la même stratégie que celle du plan marathonien chinois de cent ans :

  1. Au niveau géoéconomique
  2. Prendre conscience du problème en faisant la différence entre le message volontairement envoyé par les chinois et la réalité du terrain.
  3. Analyser et limiter les aides financières accordées chaque année par les Etats-Unis à la Chine comme aide à la croissance.
  4. Mesurer et développer la compétitivité américaine comme le fait déjà la Chine.
  5. Identifier et dénoncer les pollueurs chinois qui causent l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre de 500 millions de tonnes chaque année en Chine.
  • Au niveau géostratégique
  • Trouver des alliés solides partageant le même objectif aussi bien au niveau national qu’au niveau international.
  • Soutenir les pays actuellement intimidés par la Chine tels que la Mongolie, la Corée du Sud, le Japon et les Philippines ainsi qu’aux dissidents chinois.
  • Aider les réformateurs prodémocratie en Chine étant donné qu’à ce stade, aucune action Occidentale n’est menée pour saboter les règles du Parti Communiste Chinois, ni pour s’opposer à la corruption et à la censure de la presse.
  • Au niveau sécuritaire
  • Renforcer la sécurité des propriétés intellectuelles et technologiques et protéger les Etats-Unis contre le cyber-espionnage.
  • Analyser les influenceurs clés de Pékin pour les catégoriser en pro-Amérique et anti-Amérique comme le fait la Chine pour les pro-Chine et anti-Chine.

Michael Paul Pillsbury est très clair dans son diagnostic : les Etats-Unis doivent opter pour une stratégie ciblée visant à maintenir l’hégémonie américaine. Ainsi, l’ambition chinoise de devenir la seule superpuissance mondiale en 2049 étant demeurée cachée, les Etats-Unis pensaient que la Chine aspirait simplement à devenir une démocratie pacifiste. Mais en réalité, la Chine prépare son hégémonie future à travers des mesures de compétitivité et des actions de lobbying.  

Notes

  1. Ancien directeur du Center on Chinese Strategy au Hudson Institute à Washington, DC depuis 2014. Cet expert de la Chine a occupé divers postes au département américain de la Défense et au Sénat américain.
  2. Les informations contenues dans cet article ont été tirées de l’ouvrage de Michael Pillsbury, The Hundred-Year Marathon : China’s Secret Strategy to Replace America As the Global Superpower, Saint Martin’s Griffin, U.S. Reprint édition, 2016, 352 pages.
  3. William C. Triplett II a été conseiller à la la Maison Blanche sous la Présidence Reagan. Il appartient à l’American Intelligence Community. Il est un spécialiste reconnu des questions de sécurité nationale. Il a rédigé plusieurs ouvrages sur la Chine. M. Decker, William C. Triplett II, Bowing to Beijing. How Barack Obama Is Hastening America’s Decline and Ushering a Century of Chinese Domination, New-York,Simon et Schuster, 2011, 256 pages.
  4. L’ouvrage Unrestricted Warfare paru en 1999 sous la plume des deux colonels chinois Qiao Liang et Wang Xiangsui traite les stratégies d’actions militaires indirectes sur les moyens de combattre la puissance militaire américaine.