La résonance internationale de la réflexion française sur la guerre économique du temps de paix

Par EPGE

Samedi 26 octobre s’est tenu à Paris au Palais du Luxembourg, le premier colloque international sur la guerre économique du temps de paix. Cet évènement a été un succès marquant sur lequel nous allons bientôt revenir.

Mais pour commencer, nous publions aujourd’hui la préface de la future édition en langue espagnole de l’ouvrage de Christian Harbulot, intitulé La guerre économique au XXIè siècle, édité par VA Editions en .

Cette préface a été rédigée par Iris Speroni qui est une économiste argentine.

Présentation d’Iris Speroni. Diplômée en économie à l’Université Nationale de Buenos Aires (UBA), titulaire d’un diplôme de troisième cycle en finance de l’Université du Centre d’Études Macroéconomiques d’Argentine (UCEMA), ainsi que d’un diplôme de troisième cycle en industrie agroalimentaire de la faculté d’agronomie (UBA). Après vingt-sept ans passés dans le secteur privé, où elle a occupé des postes financiers et administratifs dans des entreprises et des fonds d’investissement appartenant à des groupes internationaux, elle est actuellement missionnée au sein du service public de l’État fédéral où elle est Directrice générale de l’audit et du contrôle de gestion au Sénat de la République argentine. Elle anime par ailleurs le blog https://restaurarg.blogspot.com.

 » Ce livre, écrit par Christian Harbulot, est une agréable surprise. Il est concis, facile à lire, direct, suggestif et complet. Il réunit une série de vertus qui rendent sa lecture agréable, fluide et surtout enrichissante. On termine le livre en étant plus sage que lorsqu’on l’a commencé.

La Guerre économique au XXIe siècle définit précisément les différents domaines impliqués dans les conflits, les rapports de force, les compétitions et les guerres dont nous sommes les témoins, en tant que citoyens contemporains.

L’abandon d’une vision purement territoriale et l’incorporation de toutes les approches, les niveaux, les gradations et les subtilités de cette problématique nous permettent de nous rapprocher de la vérité objective et d’incorporer les outils essentiels pour élaborer une stratégie, d’abord défensive, contre les nombreuses attaques extérieures et, maintenant plus assertive, pour imaginer le long chemin de l’offensive vers un avenir plus prospère.

La guerre économique au XXIe siècle aborde un tel état des lieux sous différents angles d’étude.  Il commence par une analyse de la théorie clauzewitzienne de la guerre afin de mettre en évidence ses insuffisances pour comprendre la réalité actuelle. Puis, comme une bonne recette, il passe en revue chacune des disciplines dont il faut nécessairement tenir compte.

Que tel groupe politique ou telle nation pense que la guerre économique n’existe pas, c’est-à-dire que les Nations étrangères n’utilisent pas divers stratagèmes pour diminuer un adversaire sur le plan économique, ne signifie pas qu’elle n’existe pas.

À mon sens, le livre réussit, étape par étape, à décortiquer tous les outils de l’ennemi qui affaiblissent la France, ainsi que de nombreuses Nations à travers le monde.

Les outils au service de cette finalité sont pluriels.

  • Un outil monétaire. Les États-Unis ont réussi à établir le dollar comme monnaie de quasi-monopole du commerce international après la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit d’une arme puissante qui manipule les gagnants et les perdants. Elle n’est que timidement remise en question par les BRICS. Le seigneuriage dont bénéficie l’Allemagne dans ses échanges intra-communautaires est le cheval de Troie de la prépondérance industrielle allemande.
  • Un outil informatique et cognitif. La gestion des bases de données, de l’Internet, des applications et des communications est un point essentiel. Au cours des dernières décennies, les États-Unis ont consacré de gigantesques ressources monétaires et matérielles à l’obtention d’un monopole sur l’information internationale. La plupart des serveurs qui stockent ces données sont situés sur le sol américain. Le livre décrit avec précision l’ensemble des lois qui ont fait de la Silicon Valley l’un des fleurons du pays, ainsi que sa position asymétrique par rapport à toute autre Nation grâce à son avantage concurrentiel, avantage qu’elle a conçu, construit et défendu. Il explique également les mesures de protection dans lesquelles la Chine a investi.
  • Un outil géopolitique. L’ouvrage décrit sans euphémisme les problèmes internes de l’Union européenne, les différentes stratégies que chaque pays choisit pour l’emporter sur les autres. L’accent est mis sur une vérité jusqu’ici niée : l’Union est née de la volonté des États-Unis de contrôler, contenir et dominer les États membres. La révélation des manipulations diplomatiques américaines visant à corseter les Nations européennes affaiblies dans l’Après-guerre est décrite avec détails dans l’ouvrage de Christopher Booker et Richard North, The Great Deception : the True Story of Britain and the European Union, mais sa lecture est laborieuse. En revanche, le présent ouvrage, avec simplicité, parvient aux mêmes conclusions et les expose intelligemment au lecteur. Le classement des différents États membres dans les rôles qu’ils ont adoptés s’avère particulièrement riche. Il permet de saisir les iniquités de leur système douanier et la façon dont la France a été en permanence minée par le jeu étranger, en particulier par l’Allemagne et les Pays-Bas, sans jusqu’à présent générer de réaction de la part des dirigeants du pays. Le coût pour les Français a été une baisse du PIB par habitant.
  • Un outil juridique. Les États-Unis ont tenté par divers moyens de promouvoir l’extraterritorialité de leur système juridique. Ils ont utilisé différents mécanismes pour y parvenir, l’un d’entre eux étant l’OCDE.
  • Un outil de propagande. S’il n’y a rien de nouveau à financer des groupes rebelles pour déstabiliser un autre pays afin de l’affaiblir, ou à mener des campagnes de propagande dans le même but – parmi les exemples de l’ère moderne, citons la campagne de diffamation néerlandaise et britannique contre l’Espagne des Habsbourg appelée la « légende noire » ou le financement des bolcheviks pour déstabiliser le tsar russe – ce livre décrit avec rigueur l’utilisation de soi-disant fondations, activistes et partis politiques pour affaiblir d’autres pays. Il est extrêmement salutaire de le lire aussi concrètement, noir sur blanc.
  • Un outil énergétique. Les guerres pour le pétrole se sont étalées sur l’ensemble du XXe siècle dans des lieux aussi différents que le Chaco, lors de la guerre entre la Bolivie et le Paraguay mentionnée dans la note du traducteur, jusqu’au brasier permanent qu’est le Moyen-Orient. N’est-ce pas le pétrole qui est derrière l’origine du « Printemps arabe » organisé par la CIA en Afrique méditerranéenne ? N’est pas le pétrole qui est à l’origine de l’assassinat de Kadhafi ? N’est-ce pas le pétrole qui est encore en jeu lorsque la Grande-Bretagne et les États-Unis ont pulvérisé l’Irak et tué des centaines de milliers de personnes dans leur quête pour conserver le contrôle du marché pétrolier ? La Grande-Bretagne et les États-Unis ont pulvérisé l’Irak et assassiné des centaines de milliers de personnes dans leur quête de contrôle du marché pétrolier. La guerre économique du XXIe siècle expose habilement la dépendance de l’Allemagne à l’égard du gaz russe, la réticence des Américains à son égard qui a finalement abouti au bombardement et à la mise hors service du gazoduc Nordstream 2. Encore plus astucieuse et savoureuse est l’explication de l’utilisation par l’Allemagne du carburant russe bon marché pour obtenir des avantages concurrentiels pour son industrie et imposer ainsi ses produits au reste des pays de l’Union européenne au détriment des autres États membres, quand ce n’est pas pour les revendre à ses partenaires avec un bénéfice. Je demande au lecteur d’être particulièrement attentif à la description de l’utilisation de groupes d’agitateurs, de publicistes, de la presse et d’organisations prétendument à but non lucratif, financés par des entités allemandes, dont le but était et est de discréditer l’utilisation de l’énergie nucléaire en France en l’affaiblissant irrémédiablement. Pour la France, l’énergie nucléaire est une source d’énergie propre, bon marché et fiable. Elle améliore la qualité de vie des ménages et rend son industrie compétitive. Discréditer son utilisation par des particuliers financés par l’Allemagne ne profite pas seulement à l’industrie allemande au détriment de l’industrie française. C’est aussi une manœuvre habile et lâche de la part d’un soi-disant partenaire politique et commercial. Il est salutaire de la mettre en lumière.
  • Un outil juridique. Les États-Unis ont réussi à mettre en œuvre un changement législatif international, générant l’extraterritorialité de leur propre système juridique. En outre, ils influencent la promulgation de lois dans les pays de leur sphère d’influence, soit par l’intermédiaire de leurs diplomates, soit par celui des fondations et des associations civiles qu’ils financent.
  • Un outil agricole. L’agriculture française est attaquée, avec des conséquences fatales pour la population rurale française. Une bonne description de cette débâcle a été fournie par Christophe Guilluy, dans son ouvrage La France périphérique. En effet, toutes les ruralités de la zone d’influence anglo-saxonne, y compris la population américaine elle-même, sont assiégées. Nous souffrons d’un cycle de production contrôlé par des facteurs externes, qu’il s’agisse d’entreprises ou de l’État, où l’on réglemente les semences à semer et les engrais à utiliser, le nombre de têtes de bétail à élever, les vaccins à appliquer et la manière de transporter les intrants et les produits. La famille rurale est aujourd’hui servile sans que son statut soit légalement reconnu comme tel. Le fait que de grands groupes économiques dominent l’ensemble du cycle de production d’agriculture et d’élevage, et qu’aucun d’entre eux ne soit français (ou argentin), ni américain, ni allemand, fait certainement partie de la guerre économique de ce siècle. Ce livre décrit clairement comment des facteurs externes ont participé à l’affaiblissement des secteurs ruraux : les défenseurs de l’environnement, les réglementations restrictives et étouffantes, la presse, la bureaucratie étatique au niveau national et communautaire, etc. Tous ces facteurs contribuent à vider les cultures, à déposséder les propriétaires terriens et à laisser la production entre les mains de quelques personnes anonymes. Ce n’est d’ailleurs pas nouveau pour les Anglais qui, il y a des siècles, ont quitté une partie de l’Irlande pour y installer leur propre population. L’histoire par laquelle les Anglais ont imposé la monétisation de l’impôt à l’Écosse, mécanisme par lequel ils l’ont vidée de ses Écossais, puis ont acheté de vastes étendues de terres, est déchirante. Ce processus est nommé « The Scottish Clearances ». Aujourd’hui, nous assistons à l’accaparement de l’Ukraine, l’une des plaines les plus fertiles de la planète. Ses terres sont désormais entre les mains de quelques fonds d’investissement.
  • Un outil social. Ce livre attire à juste titre l’attention sur les divisions internes, qui sont toujours stimulées par des agents externes ou, à défaut, par des agents internes financés de l’extérieur. La discorde entre compatriotes est la meilleure manœuvre de diversion qui soit. Les Anglo-Saxons, s’ils ne sont pas les seuls, sont passés maîtres dans l’art de diviser pour régner.

La question démographique. J’ajouterais à cette analyse l’approche démographique. L’imposition de l’avortement aux États membres de l’Union européenne devrait faire l’objet d’un examen politique, géopolitique et militaire sérieux. En particulier, nous devrions nous concentrer sur le fait qu’elle a été dictée par la puissance anglo-saxonne. Comme dans le cas de l’énergie atomique, la propagande négative qui a entouré le traitement de la question est venue comme toujours des mêmes acteurs : activistes, rémunérés ou non, presse, universitaires et lobbyistes. Pourtant, qu’il s’agisse de centrales nucléaires, de consolidation de la famille ou de la population, les conséquences militaires, économiques, démographiques, industrielles, commerciales, diplomatiques et géopolitiques sont gigantesques. Comme le décrit très justement Christophe Guilluy, les campagnes ont été dépeuplées, et c’est l’État français et ses fonctionnaires qui en sont à l’origine. C’est l’administration du président François Hollande qui a privé les zones rurales de services obstétriques, par exemple. Nous devrions évaluer en termes militaires ce que signifie pour une Nation de ne pas renouveler sa population génération après génération. C’est aussi inquiétant que de ne pas produire sa propre nourriture. Une analyse similaire devrait être faite des grandes masses migratoires imposées par l’élite anglo-saxonne à tous les peuples de sa zone d’influence.

Le trafic de drogue. Je propose par ailleurs d’évaluer les drogues légales et illégales comme une forme d’agression militaire. Les drogues ont un triple effet. Pour le pays agresseur, d’une part, elle affaiblit les populations, en fait de faibles soldats, altère les relations familiales et détruit les liens sociaux à la base. D’autre part, elle rend les familles et les sociétés insolvables. Pour le pays agresseur, elle réussit à aspirer d’énormes ressources du pays attaqué, tout en obtenant d’énormes rendements économiques qui lui permettent de financer des armements, des investissements et d’acheter la volonté de son propre pays et des pays assujettis. Ce phénomène est bien connu et a été longuement étudié, par exemple comme l’un des facteurs ayant entraîné la chute de la monarchie chinoise. Il serait intéressant de l’évaluer dans le contexte du XXIe siècle. Combien de richesses la drogue draine-t-elle chaque année en France ? Qui en profite ? Qui gère la fortune de ce commerce ? Au début du XIXe siècle, l’un des principaux bénéficiaires du commerce de l’opium était la Couronne britannique de la reine Victoria. Qu’en est-il aujourd’hui ? Qui sont ses financiers et ses dépositaires ? Le commerce international des drogues illégales – ou légales entre les mains des laboratoires pharmaceutiques – est un angle d’analyse qui mérite d’être examiné dans le cadre de la guerre économique.

Les nouveaux acteurs. L’ouvrage présente une excellente description de la stratégie de repositionnement de la Chine en tant que puissance mondiale, après la fin des cent années d’humiliation, initiée par l’ingérence de la Grande-Bretagne dans les guerres de l’opium. Nous pouvons y apprécier l’énumération des stratégies déployées, parmi lesquelles la Route de la soie, le Collier de perles et la barrière informatique déjà mentionnée, ou firewall, à propos des systèmes informatiques sous le contrôle des États-Unis.

Pour les lecteurs hispanophones, il est utile de fournir quelques considérations sur notre histoire commune, certaines étant évoquées dans la note du traducteur.

Le chapitre 1 présente quatre études de cas de guerre économique dans l’histoire de la France. Nous avons aussi les nôtres. L’un d’entre eux est mentionné dans la note susmentionnée : différentes nations, mais surtout l’Angleterre, ont envoyé des mercenaires pour voler l’or espagnol, ce qui a eu pour double effet d’affaiblir la Couronne espagnole et de renforcer leurs propres réserves. Mais il y a bien d’autres exemples.  Permettez-moi d’en citer quelques-uns.

Pendant des décennies, l’Empire portugais a cherché à étendre sa frontière américaine vers l’Ouest, au-delà de ce qui avait été obtenu par le traité de Tordesillas. Au Nord-est de ce qui fut d’abord la Vice-royauté du Pérou, puis la vice-royauté du Río de la Plata, des missions jésuites appelées « réductions guarani » furent établies. Outre l’occupation du territoire, elles protégeaient les tribus aborigènes des incursions portugaises. Les bandeirantes, véritables chasseurs d’hommes, qui vendaient les Indiens guarani comme esclaves aux plantations côtières, étaient particulièrement dangereux. Avec l’expulsion des Jésuites, décidée par les rois Bourbons de France et d’Espagne, cette région se retrouva sans protection et à la merci de leurs ennemis. Sept des missions ont été occupées par les Portugais et leur population fut réduite à l’esclavage. Il s’agit ici d’un cas limpide où la guerre n’a pas été menée sur le terrain militaire, mais sur le terrain de l’information, de la propagande et de la politique. Le Royaume du Portugal, informé à l’avance de l’expulsion des Jésuites en Amérique, organisa ses troupes pour occuper leur territoire.

Durant les XIXe et XXe siècles, les pays de l’Amérique espagnole ont été encouragés pour se battre les uns contre les autres. Le Panama s’est séparé de la Colombie pour que les États-Unis puissent construire le canal de Panama. L’Équateur s’est battu contre le Pérou. Le Pérou et la Bolivie sont envahis par le Chili. L’Angleterre encourage la séparation de l’Uruguay et de l’Argentine, afin que cette dernière n’ait pas le contrôle unifié de l’embouchure du fleuve Paraná. Toute l’Amérique espagnole a subi des coups d’État organisés par la CIA (Colombie, Guatemala, Chili, Argentine). La liste des faits est interminable.

La recherche de soumission à partir de la seconde moitié du XXe siècle s’est faite d’une part par le biais d’organisations multilatérales telles que l’ONU, la Banque mondiale, la BID, la BIRF et le FMI dans toute l’Amérique espagnole, et d’autre part par le biais des banques internationales et de la dette souveraine. Si tout cela échouait, le gouvernement américain interviendrait directement dans les diverses contre-insurrections en Amérique centrale et en Amérique du Sud, et formerait le personnel militaire hispano-américain à l’École des Amériques, dans l’État de la Géorgie aux États-Unis. Actuellement, ils tentent de mettre en œuvre l’Agenda 2030 et différents contrôles environnementaux, dans le but de piller le Brésil de l’Amazonie et l’Argentine de l’Atlantique Sud.

L’Argentine, en particulier, a été attaquée par des facteurs externes, tout en maintenant son désir d’être une puissance mondiale, désir qu’elle a esquissé vers la fin du XIXe siècle, non sans une certaine exagération. À de nombreuses reprises, les puissances internationales, en particulier les États-Unis, ont cherché à contrecarrer les projets de l’Argentine en matière d’énergie nucléaire, d’autosuffisance énergétique, d’investissement dans l’industrie lourde, de flotte maritime propre ou de contrôle de son commerce extérieur. Toutes ces tentatives ont eu des résultats mitigés. Mais cet équilibre a changé après la guerre de l’Atlantique Sud, nommée également la « Guerre des Malouines » en 1982. Après la défaite militaire, le pays a fait l’objet d’une quasi-intervention. La Banque mondiale et le FMI en étaient les visages visibles. Ils ont forcé l’Argentine à vendre ses entreprises de production d’énergie, qui sont toutes restées aux mains d’étrangers, qu’ils soient chiliens, brésiliens, européens ou américains. Il en a été de même pour les services publics, les usines militaires, la flotte maritime d’État, les silos, les ports et les industries stratégiques. Ce fut une sorte de traité de Versailles, mais sud-américain. La cession de l’usine d’avions militaires à Lockheed Martin a été particulièrement douloureuse. La FMA (Fabrique Militaire d’Avions) avait contribué à l’amélioration des avions militaires utilisés pendant la guerre pour couler ou endommager les navires britanniques. De même, l’industrialisation de niveau intermédiaire a été forcée de stagner, en utilisant le MERCOSUR comme levier. Les industries argentines ont été transférées au Brésil ou carrément vendues à des capitaux brésiliens qui, dans de nombreux cas, les ont tout simplement démantelées. Le commerce international de l’Argentine s’est déplacé en grande partie vers l’Uruguay, qui est devenu le port d’entrée et de sortie de la région. Buenos Aires reproduit en partie et à sa manière la répression subie par la France de la part de l’Union européenne.

Bien que le livre se concentre sur la réalité et l’histoire françaises, j’ai été frappée par les énormes similitudes entre la France et l’Argentine, en tant qu’Argentine et heureuse dépositaire de la langue espagnole. Des exemples concrets le mettent en relief : le processus simultané de désindustrialisation, la baisse du PIB par habitant, la cannibalisation du pays par de prétendus partenaires – la France par rapport à l’Allemagne et aux Pays-Bas, l’Argentine par rapport au Brésil et à l’Uruguay -, la soumission à l’agenda des organisations internationales en abandonnant les intérêts nationaux, les faiblesses macroéconomiques exploitées par les grands des unions respectives (respectivement l’Allemagne et le Brésil) et l’augmentation permanente de la dette souveraine afin de fournir des palliatifs aux faiblesses structurelles.

Le point le plus grave que les deux pays ont en commun est l’absence de stratégie pour commencer à résoudre leurs propres problèmes.

L’Espagne patauge depuis l’extinction de la Maison royale d’Autriche. Elle a été le théâtre d’opérations militaires et politiques des conflits entre puissances étrangères pendant la guerre de succession, les guerres napoléoniennes et la guerre civile. La conséquence fut la perte de l’Amérique, de Manille et de la Guinée équatoriale. Elle est passée de l’une des Nations les plus puissantes de la planète à son rôle actuel. Sa pire infamie : être une figure de proue des intérêts américains en Amérique latine ou encore participer à l’alliance internationale qui a envahi l’Irak.

Il n’en va pas autrement pour la France. Elle est passée du rôle de bastion de la Chrétienté à celui de porte-parole des intérêts américains dans leur tentative d’usurpation de l’Amazonie brésilienne.

On dit que le plus grand succès du diable est de faire croire qu’il n’existe pas. La plus grande réussite de l’empire anglo-saxon est d’avoir convaincu les francophones et les hispanophones qu’ils n’étaient pas nos ennemis. Grave erreur. Et nous en sommes donc là.

Les Nations catholiques qui parlent des langues romanes, héritières de Rome, aujourd’hui, au lieu de planifier un avenir commun et prospère, rivalisent entre elles pour s’attirer les faveurs de l’élite mondiale (alias l’empire anglo-saxon). Le résultat de cette stratégie de génuflexion est évident. Nous sommes désunis, endettés, pauvres et opprimés.

Comprendre ce qui se passe est une première étape.

La seconde est de trouver la volonté, individuelle et collective, de changer la réalité, de défendre son propre pays et de travailler à la prospérité de la Nation et de son peuple.

Un avenir commun pour les Nations catholiques et latines (française, italienne, roumaine, espagnole, portugaise, catalane, galicienne, etc.), ainsi qu’une stratégie commune, constituerait un virage dans la logique suivant laquelle nous prenons aujourd’hui des décisions souveraines. Nous en sommes loin.

Ce livre est un coup de fouet nécessaire. »