La France recule sur tous les « fronts »

par Christian Harbulot

Cette petite phrase n’est pas à prendre à la légère. Elle se prononce tout bas dans un certain nombre d’arcanes du pouvoir. Au Moyen-Orient, en Afrique, dans le Pacifique, les positions géopolitiques françaises s’érodent.

Une réalité difficile à esquiver par de belles paroles

Les puissances concurrentes à la manœuvre marquent contre nous des points aussi bien en termes d’influence que sur le plan économique :

  • Irak, Syrie, Libye sont des pays où notre vision du terrain s’est diluée dans les manigances de puissances anglosaxonnes qui piétinent à leur tour par faute d’avoir su appliquer une stratégie cohérente.
  • Liban : la volonté française d’aider à remettre de l’ordre dans un pays à la dérive n’a pas été suivie d’effets. Face aux manœuvres de la Turquie, de l’Iran, de la Russie, notre pays avance quelques pions en ordre dispersé et parfois contradictoire (1).
  • Afrique francophone : les avancées russes et chinoises bousculent les positions traditionnelles de la France dans cette partie du monde.
  • Au niveau européen, la prépondérance de l’influence américaine au sein des Etats-Membres de l’UE bloque toute démarche sérieuse de recherche d’autonomie stratégique aussi bien dans le domaine militaire que sur le plan diplomatique.
  • L’absence de moyens à la hauteur des enjeux limite considérablement notre capacité d’action dans la zone Pacifique de plus en plus ciblée par des initiatives chinoises.

La France doit réapprendre à se sentir seule

Dans ce contexte morose, l’annulation par le gouvernement australien du contrat des 12 sous-marins vendus par l’entreprise française Naval Group fait presque figure d’ultime avertissement (2) sur l’urgence de regarder en face la manière dont la France est en train de reculer sur de nombreux fronts géopolitiques et géoéconomiques.

Ce « coup dans le dos » donné par des alliés très proches (Etats-Unis et Grande Bretagne) l’éclaire de façon exemplaire. L’allié américain doit trancher à vif dans la gestion de ses affaires courantes. L’Amérique d’Obama, de Trump, de Biden, est affaiblie par ses divisions sociétales intérieures, par son départ caricatural d’Afghanistan, par l’échec de son projet global d’imposer au monde son modèle de démocratie.

Washington doit faire face à une Chine conquérante, une Russie en embuscade, un pouvoir iranien en résistance et une Turquie prête à toutes les turpitudes pour exister sur la scène internationale. Sans oublier les pays marionnettes tels que la Corée du Nord qui peuvent contribuer à troubler un peu plus des relations internationales déjà très fragilisées.

Cet isolement de la France commence à se diffuser lentement mais surement dans la conscience populaire. Lorsqu’on laisse entendre ici et là qu’il faut préparer notre armée à un conflit de haute intensité, une question brule les lèvres : contre quel ennemi et dans quel but ?

La France a connu en juin 1940 la plus grande défaite de son histoire. Une des raisons essentielles était que son peuple était sorti tellement traumatisé par la boucherie de la guerre de 1914-1918 qu’il ne voulait pas en vivre une autre. Qu’en est-il en 2021 ? Comment va-t-on expliquer au peuple français qu’il va devoir assumer un sacrifice aussi élevé que celui d’une guerre de haute intensité aux côtés d’alliés qui nous méprisent et en qui on n’a plus vraiment confiance…

Personne ne se pose vraiment pour l’instant la question mais il serait vain de la considérer comme un non-sens. Malgré le retour du général de Gaulle à la tête de l’Etat en 1958, nous n’avons pas su stopper le processus d’effacement progressif de notre puissance, initié par la défaite militaire de juin 1940

Le crédit très entamé de la parole de Bruxelles

La France découvre aujourd’hui à quel point elle ne peut compter sur personne pour faire avancer ses idées. Sa présidence prochaine de l’Union Européenne ne changera rien à cette évidence. La très grande majorité des Etats membres de l’UE n’a pas la moindre envie de rompre les liens de dépendance à l’égard des Etats-Unis d’Amérique.

Les gesticulations éventuelles de couloir de la délégation française troubleront temporairement la quiétude des fonctionnaires bruxellois, mais ne risquent de servir une fois de plus que de trompe l’œil. L’Europe n’a pas pour l’instant de devenir stratégique. Les mauvaises langues disent que sa seule mission « unitaire » est de tenter de réduire à sa plus simple expression les pouvoirs nationaux, régionaux et locaux afin de pourvoir contrôler la masse de ces habitants.

Faute de pouvoir courageusement amorcer une démarche de distanciation par rapport à la tutelle des Etats-Unis d’Amérique, les élites du système se rabattent sur une recomposition normative et juridique de cet espace géographique et sociétal. D’un tel reformatage naîtrait la nouvelle mouture d’un peuple européanisé. Une telle vision n’est pas forcément synchrone avec l’implacable calendrier des rapports de force entre puissances. Nos ennemis les plus proches n’attendront pas que nous soyons reconfigurés pour agir et nous nuire. N’oublions pas les leçons de l’Histoire.

Le mot combat a encore un sens

Il est illusoire d’imaginer que le monde politique français va oser changer son fusil d’épaule. Comme à d’autres époques, notre posture est défensive. Nous savons ce qu’une telle attitude nous a coûté dans le passé.  Alors comment faire lorsque le Chef et son entourage font fausse route ? Il n’y a pas d’autre alternative que de faire de la pédagogie.

Parler d’offensive ne sert à rien. Une écrasante majorité de Français ne veut plus entendre parler de ce mot. En revanche, personne ne veut être rayé de la surface de la terre pour une cause dont il ne saisit pas la finalité. La survie d’un peuple sur un territoire donné a un sens légitime que personne ne peut contester.

Ce constat élémentaire est la base du réarmement de la pensée collective, non pas pour faire la guerre sans savoir in fine pour qui on se bat mais pour être en phase avec les objectifs d’un combat vital. A Verdun, la dernière grande victoire historique de l’armée française, les Allemands ne sont pas passés parce que l’élan d’un peuple les en a empêchés, par instinct de survie territoriale.

Le défi que nous devons relever est de nature sociologique. Le système qui nous gouverne est figé dans une posture défensive quasi pavlovienne. Pour sortir de ce cul de sac stratégique, la capacité de réaction se joue désormais au niveau des couches intermédiaires de l’Etat, ainsi que dans certains espaces de la vie économique et sociale de la société française. Nous devons inventer une pertinence à des formes de combat collectif.

Sans un tel effort, il sera très difficile de sortir la France de la situation dans laquelle elle se trouve désormais. La vassalité à l’égard du plus puissant n’est pas une fin en soi. Lorsque le suzerain inquiète plus qu’il ne rassure., il est en train de perdre un atout essentiel. Et c’est d’un telle évidence que naissent les marges de manœuvre du faible.

Notes

1- Lorsqu’un groupe français ferme les yeux sur la corruption pour remporter un contrat local, il allume les feux de la contre propagande adverse qui exploite cet argument pour remettre en cause le bienfondé de la parole du Président Macron.

2) L’EGE a publié plusieurs articles sur le sujet dont les deux ci-dessous.

29 mars 2016 :

Renouvellement de la flotte sous-marine australienne : la compétition est-elle biaisée ? | Ecole de Guerre Economique (ege.fr)

14 juin 2021 :

Rex Patrick, figure de la guerre de l’information contre Naval Group en Australie | Ecole de Guerre Economique (ege.fr)