Intervention de Christian Harbulot dans le cadre des travaux du
Groupe d’études sur les enjeux de la ruralité présidé par Mme la députée Yolaine de Courson
Assemblée Nationale
La nouvelle dimension stratégique de la ruralité
La question de la résilience des territoires ruraux
La fragilisation des populations subissant les contrecoups de la désindustrialisation pose le problème de la résilience économique. A l’origine, il était surtout question d’assurer la survie des populations contre les risques de pénurie et de famine. Sous la Monarchie absolue, les provinces riches devaient stocker du grain pour venir en aide aux provinces pauvres en cas d’intempérie et de disette. Cette règle de solidarité territoriale était contraire aux logiques de marché de producteurs de grains qui cherchaient à stocker la marchandise pour provoquer une montée artificielle des prix. L’historien de la révolution française, Albert Mathiez[1], montra l’importance de la question de l’approvisionnement dans le débat entre les partisans de la liberté économique et les défenseurs de la taxation durant une période cruciale de l’Histoire de France.
Au XXIè siècle, la résilience économique des territoires est devenue une problématique qui couvre l’ensemble des enjeux c’est-à-dire les capacités de développement et d’innovation comme le cadre de vie des populations. La vision locale est indissociable de l’approche régionale, nationale, européenne et parfois mondiale. Cette notion de résilience des territoires ne peut pas se limiter à une posture défensive qui s’appuie sur des mesures protectionnistes. Le maintien, voire l’essor d’activités économiques non délocalisables, s’inscrit désormais dans une perspective ambitieuse de positionnement sur des marchés porteurs et/ou en affichant une vision nouvelle de l’enjeu industriel. Les économistes favorables à une politique industrielle entendent la notion de relance productive comme une amélioration de la compétitivité et de l’innovation des entreprises. Une minorité d’entre eux cherche à élargir la problématique en adoptant une vision transversale qui englobe les différents aspects du problème (potentiel exploitable des activités économiques locales, niveau de concertation et de coopération entre les acteurs publics et privés, évolution du dialogue social, réévaluation de la position coercitive des grands comptes à l’égard de la sous-traitance, changement de l’attitude des banques et émergence de financements régionaux). S’il s’agit d’un progrès indéniable dans la réflexion, il est encore insuffisant pour atténuer les pressions compétitives des économies de combat qui dominent aujourd’hui la mondialisation des échanges.
Prenons le cas d’école de l’agriculture et de l’industrie agroalimentaire. L’agriculture est depuis des siècles le socle de notre économie. Mais l’industrie agroalimentaire française est globalement en récession et est passée de la deuxième place au monde derrière les Etats-Unis à la cinquième place. L’Allemagne, le Brésil et la Hollande nous ont doublé. La concurrence est forte avec les pays tiers mais elle est également à l’intérieur de notre espace économique. Ces deux secteurs d’activité représentent aussi une source de problèmes nouveaux, notamment à cause d’évolutions sociologiques notables (évolution des conditions de vie et de travail, limitation de l’activité physique et des déplacements piétonniers).
Plus largement, l’agriculture et les industries agroalimentaires sont impactées par de nombreux défis :
- L’évolution de la demande (chinoise en particulier).
- La spéculation à la hausse et à la baisse sur les produits agricoles.
- La problématique du modèle alimentaire et des comportements américains.
- La montée en puissance des nouveaux entrants.
- Les problèmes de dépendance en termes d’approvisionnement.
- L’insécurité alimentaire des pays pauvres.
- La question de l’environnement.
La réponse à apporter à cette série de défis n’est pas simple et ne peut pas être de nature spécifiquement technique ou entrepreneuriale. Les stratégies de développement et de maintien d’activité sont au cœur de nombreux débats polémiques français qui divisent à la fois les producteurs, les distributeurs et les consommateurs. Jusqu’à présent l’agriculture et les industries agroalimentaires étaient considérés comme une source importante d’exportation et un moyen éventuel de préservation d’une économie locale, indispensable à la survie des territoires, de modes de vie et de liens culturels. Mais l’urbanisation de notre société et les interdépendances qui en découlent entre l’alimentation, la santé et l’environnement bousculent les réalités marchandes bien au-delà des poncifs sur le développement durable.
La France pourrait être l’initiatrice d’une grande stratégie sur l’alimentation. Elle en a la crédibilité parce qu’elle reconnue dans ce domaine par l’UNESCO comme patrimoine mondial de l’humanité. Il s’agit là d’un repositionnement possible du politique par rapport à la définition d’une démarche économique et culturelle. Enfermé dans les impératifs du court terme, le monde agricole français a du mal à se positionner dans une telle recomposition stratégique. Enlisés dans des négociations permanentes du moins disant, les dirigeants du monde agricole et agroalimentaire français ont du mal à changer de cap. L’agriculture européenne a-t-elle de son côté tiré le bilan de ses propres échecs ou de ses contradictions ? Elle a pourtant connu de multiples crises informationnelles annonciatrices de ses propres maux : la crise des farines animales et de la vache folle ou les excès sur le sel.
Le combat sur les normes de sécurité alimentaire implique une position européenne plus cohérente et offensive par rapport au fonctionnement de l’OMC et de ses déclinaisons (Codex Alimentarius, OIE) ainsi par rapport aux recommandations de de l’OMS. Autrement dit la défense d’un schéma vertueux ne doit pas se faire aux détriments de nos intérêts à partir du moment où l’Union Européenne fonctionne à l’envers des pratiques du marché mondial. La politique agricole européenne ne protège pas dans l’état actuel les intérêts de la zone européenne car le combat est déséquilibré par rapport aux concurrents du reste du monde.
Une grande stratégie sur l’alimentation impliquerait une concertation entre les parties prenantes, impulsée par le politique qui a la vocation à intégrer l’ensemble des données de la problématique. Sur un plan intérieur, le partage de la valeur de la richesse entre les agriculteurs et les intermédiaires est un sujet qui doit être approfondi. Le métier de l’agriculteur est un sacerdoce or il existe un risque réel de disparition à moyen/long des agriculteurs si une réflexion ne se développe pas sur les moyens de production nécessaires pour préserver une capacité stratégique de l’agriculture française.