Europe : contre la cécité stratégique, le nécessaire équilibre des puissances

Par Olivier de MAISON ROUGE

Avocat associé Lex-Squared – Docteur en droit Membre fondateur de l’Ecole de pensée sur la guerre économique .

A la sortie des élections européennes, notre vieux continent se trouve face à son destin et doit se poser une question existentielle sur son essence même.

Tandis que s’affirme peu à peu un nouveau monde bipolaire, dont le centre d’impulsion s’est déplacé – certainement pour la première fois depuis plus d’un millénaire – hors de la sphère occidentale, il convient de s’interroger sur la place de l’Europe dans cette nouvelle configuration géopolitique. À l’heure où se dessine une nouvelle guerre froide économique, l’Union européenne devra prochainement être en mesure s’imposer sur ce nouvel échiquier, sous peine d’être reléguée en seconde division.

Plusieurs facteurs doivent nous interpeler :

Depuis la crise ukrainienne, largement instrumentalisée à son origine, la Russie a été rejetée vers l’Asie. Depuis lors, toute velléité de puissance continentale se trouve réduite.

De son côté, si Donald Trump dénonce l’OTAN c’est pour mieux se libérer d’un lourd fardeau budgétaire, davantage que pour renoncer à ce relai commercial de son appareil militaro-industriel.

La Grande-Bretagne se désarrime de l’Europe, pour se tourner vers Commonwealth, sa sphère naturelle d’influence, liée au monde anglo-saxons (et five eyes du renseignement).

Enfin, la Chine monte incontestablement en puissance, tissant sa nouvelle route (qu’elle nomme en réalité « ceinture » c’est tout dire) de la soie vers l’Europe, tandis que les Etats-Unis d’Amérique renforcent leur domination sur l’Europe de l’Est comme en témoigne la récente visite de Mike Pompeo, d’une part, et la relance de la négociation des accords de libre échange transatlantiques, d’autre part.

Dés lors, quelle est la place d’une Europe divisée, privée de vision stratégique ?

Pour une Europe-puissance, il faut une Europe stratège. Pas celle où l’on se refuse à taxer en commun les Gafam, ni celle où Bruxelles s’oppose à fusion Siemens-Alstom (déjà très diminuée par General Electric. Pas celle qui confie Airbus au seul bénéfice des Allemands, ni celle qui voit les mêmes Allemands revendiquer un leadership sans partage (traité d’Aix-La-Chapelle) – et ce alors que le tandem lotharingien reposait sur un équilibre savant – que l’on peut qualifier à bon escient de « Carolingien » – où la France faisait valoir son réseau diplomatique et son armée (avec l’arme nucléaire comme trait d’union) tandis que l’Allemagne était le poumon industriel et monétaire. Les dernières velléités germaniques, sans résistance française, créent une rupture systémique affaiblissant d’autant l’Europe.

Non, il faut une Europe forte qui constitue une alternative dans un monde en bascule.

Face à ce constat, il nous semble opportun de souligner les traits et caractères essentiels – sinon consubstantiels – de l’Europe pour mieux analyser sa dimension propre face à ces enjeux déterminants.

De par sa situation géographique, l’Europe est la dernière parcelle terrestre du continent avant l’Océan. Ainsi, depuis toujours, et au fil des âges qui se sont succédés, diverses peuplades s’y sont installées et fondèrent ainsi l’identité européenne. Elle n’est cependant pas monolithique et il est possible d’en cerner des frontières physiques et de dégager des blocs plus ou moins rigides.

Ayant succédé à la Rome éternelle, l’Europe fut constituée, dans les premiers temps du Moyen-Age, par le grand empire des Francs, centré sur les pays du Rhin et du Rhône (espace qui prendra ensuite le nom de Lotharingie suite au partage de l’héritage politique de Charlemagne) s’étendant des Pyrénées à l’Elbe, des îles frisonnes à la Lombardie et de la Toscane aux marches de la Bretagne, restée celte, jusqu’au territoire de l’actuelle Autriche. A peu de choses près, cette entité correspondait à l’espace des six premiers pays signataires du Traité de Rome, en 1957.

En périphérie de cette souche homogène, coexistent quatre autres formations géopolitiques, dont chacune puise ses ressources dans d’autres sphères d’influence. Satellites du cœur nucléaire européen, lequel exerce une attraction certaine et irréfutable, ces blocs constitués demeurent néanmoins animés par d’autres ressorts :

L’espace danubien qui s’étend jusqu’à la steppe ukrainienne, et qui regroupe l’Autriche, la Hongrie, la Tchéquie, la Slovaquie, les nouveaux états issus de l’ex-Yougoslavie ainsi que la Roumanie et la Bulgarie. Situés aux marches de l’Europe orientale, ils sont successivement passés, à l’exception de l’Autriche, de l’influence soviétique à l’attraction américaine, après avoir connu, pour quelques uns, une présence musulmane.

L’espace baltique est également doté de sa propre identité, blotti aux avant-postes des territoires Slaves. Cet espace rassemble ainsi la Finlande, la Norvège, la Suède, le Danemark, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la Pologne.

L’espace méditerranéen se déploie sur les trois péninsules sudistes de l’Europe : l’ibérique, l’italienne et la mer Egée. Ces deux dernières ont été les grands empires qui ont guidé l’Europe sous l’Antiquité.

Enfin, l’espace atlantique, formé du Portugal et de la Grande-Bretagne, plus fermées à l’idée européenne, et qui sont ancrés vers d’autres horizons (USA, Brésil).

Ainsi schématisée, l’Europe est un assemblage composite de plusieurs cercles concentriques concourant à l’identification d’une civilisation, homogène dont cet alliage constitue une mémoire indivise.

Par voie de conséquence, pour réussir et répondre aux nouveaux défis de la (dé)globalisation, l’unité européenne passe donc par la prise en compte de ces compartiments internes, mais elle sera toujours déséquilibrée s’il n’existe pas une union sincère et véritable franco-allemande comme point central de cet espace stratégique. C’est à cette condition que l’Europe pourra s’affirmer dans le nouveau monde qui se dessine. Nous ne devons pas être relégués au rang de supplétif des Allemands.