Des Etats-Unis d’Amérique et de l’OTAN dans la guerre russo-ukrainienne

Helmet, Munitions, Cartridge

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Les questionnements suivants n’ont pas pour but d’abonder une thèse complotiste d’influence servant les intérêts des Etats-Unis d’Amérique vis-à-vis de l’Union européenne en profitant de l’agression Russe en Ukraine. Mais force est de constater, que l’avenir de l’Europe de la défense risque de passer par une phase de renforcement de l’OTAN tant sur le plan horizontal (extension de la zone géographique : Suède, Finlande…) que vertical (intégration des équipements américains de défense : F35, Patriot, THAAD…).

Paradoxalement, les Américains, dans une attitude de « lead from behind » se désengagent de la protection de l’Europe depuis plusieurs années, car leur préoccupation première est bien d’éviter la perte de leur suprématie mondiale « America First » au profit de la Chine.

Annexion de la Crimée en 2014 et le traité sur la non-prolifération nucléaire

Un premier blanc-seing a été délivré à la Russie sur ses volontés expansionnistes quand nous ne sommes pas intervenus pour garantir à l’Ukraine le respect de son indépendance et de sa souveraineté dans ses frontières lors de la crise de la Crimée. Les Américains n’ont pas réagi à la violation manifeste des garanties de sécurité, accordées par le mémorandum de Budapest sur (certes, ce n’était qu’un mémorandum) signé le 5 décembre 1994 par l’Ukraine. Ces garanties comportaient, entre autres, l’intégrité territoriale en échange de la ratification du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). En ratifiant ce traité, l’Ukraine a renoncé à la possession d’armes nucléaire (transfert de son arsenal nucléaire à la Russie), partant, de toute capacité de dissuasion pouvant garantir l’intégrité de sa nation.

Invasion de l’Ukraine en 2022 et intervention militaire

Quelle crédibilité pouvons-nous accorder à la possibilité d’intervention militaire quand des clauses d’assistance prévues dans une Charte fondée sur des principes fondamentaux d’intégrité territoriale et d’inviolabilité des frontières ne sont pas respectées ?

Le préambule du texte de la Charte de partenariat stratégique entre les États-Unis et l’Ukraine signée par le secrétaire d’État américain Antony J. Blinken et le ministre ukrainien des Affaires étrangères Dmytro Kuleba le 10 novembre 2021, souligne l’engagement inébranlable en faveur de la souveraineté, de l’indépendance et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues, y compris la Crimée et s’étendant jusqu’à ses eaux territoriales face à l’agression russe en cours, qui menace la paix et la stabilité régionales et sape l’ordre mondial; et affirme les engagements entre les présidents Zelenskyy et Biden du 1er septembre 2021.

Sun Tzu donne raison au président Poutine : « L’art suprême de la guerre, c’est soumettre l’ennemi sans combat. » Les Américains se sont soumis à la volonté du président Poutine en déclarant clairement qu’il n’interviendrait pas directement en engageant des GI’s en cas d’attaque de l’Ukraine.

Que faut-il pour que les Américains s’engagent dans une guerre physique ?

La problématique est simple : tant que les intérêts et le peuple américains ne sont pas directement concernés, l’interventionnisme américain n’est pas envisagé sur des théâtres d’opérations extérieurs. L’expérience afghane et irakienne a conforté les politiques américains dans une retenue extrême. 

En cas d’enjeux nucléaires stratégiques, une intervention, même conventionnelle est-elle possible en Europe ?

Depuis la doctrine Mc Namara de la riposte nucléaire graduée, les États-Unis ont comme préoccupation première de ne pas mettre en péril leur population. La vision du général de Gaulle est toujours pertinente dans un affrontement de la Russie en Europe :« les Américains ne sacrifieront pas Boston pour les beaux yeux des Hambourgeoises ».

En aucun cas, il ne peut être question d’une escalade avec un risque nucléaire pour défendre l’Ukraine.

« Honnêteté » du président Trump vis-à-vis des Européens

Le président Trump est le seul président américain qui n’a pas explicitement approuvé l’Article 5 du traité de Washington (Traité de l’Atlantique Nord) qui prévoit assistance à la partie ou les parties attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord.

Associé à ces doutes sur l’application de l’Article 5, le président Trump a tweeté en juillet 2018 pour sensibiliser les dirigeants européens à leurs responsabilités en matière de défense et plus spécialement le chancelier allemand. L’Allemagne doit payer immédiatement 2% du Pib, pas d’ici 2025.

 « À quoi sert l’OTAN si l’Allemagne paie à la Russie des milliards de dollars pour le gaz et l’énergie ? Pourquoi n’y a-t-il que 5 pays sur 29 qui ont respecté leur engagement ? Les États-Unis paient pour la protection de l’Europe, puis perdent des milliards sur le commerce. ».  

Par l’impact des sanctions économiques, un nouvel (dés)équilibre commercial au profit des Etats-Unis risque d’apparaitre par arrêt des approvisionnements de matières premières en provenance de la Russie.

L’Article 5 n’est-il pas qu’un argument de marketing US (impératif de 2% du Pib pour améliorer, par leurs investissements en matériel US de défense, la vassalité des Européens) ?

Notre ministre des Armées, lors d’un discours très réaliste à l’Atlantic Council, Washington, le 18 mars 2019 a clairement défini ce risque de vassalité : « The Alliance should be unconditional, otherwise it is not an alliance. NATO’s solidarity clause is called article 5, not article F-35».

                                                                 (Extrait document Lockheed Martin)

En plus des pays européens apparaissant dans le tableau (Royaume-Uni, Pays-Bas, Italie, Norvège, Danemark, Belgique, Pologne, Finlande) il faudra, sans aucun doute, ajouter l’Allemagne pour l’emport de la bombe H tactique et stratégique B61-12 (dont la puissance peut varier de 0,3 Kt à 50 Kt) et l’Espagne dans la version F35 B, à décollage court et atterrissage vertical, pour être embarquée sur porte-aéronefs.

Nota : il est à remarquer que la version de la bombe B61-3/-4 en dotation en Europe est emportée, actuellement, en Allemagne sur l’avion européen Tornado PA-200 et que l’aptitude d’emport du F/A-18 E/F précédemment retenu pour remplacer le Tornado a été enlevée en novembre 2021 (retrait après accord entre l’Administration américaine et la coalition allemande…).

Comme le disait le chef d’état-major de l’armée de l’air israélienne : « ce n’est pas l’intégration du F35 dans notre force aérienne, mais c’est le F35 qui est l’intégrateur de nos forces armées ».

Nous avons une bulle étanche de communication et d’échanges de données autour du quaterback des avions de combat européen (qui est le F35) ; pour les autres avions de combat (et éléments interarmées) nous serons dans une planification « annexe » !

Les achats d’armement US dans les nouvelles enveloppes budgétaires (par exemple en Allemagne 20 Md€ par an pendant cinq années pour un total de 100 milliards d’Euros) concerneront aussi des systèmes de défense sol-air totalement intégrés dans un même système de commandement et de contrôle. En plus des systèmes Patriot (MIM-104) déjà déployés en Europe (Pays-Bas, Allemagne, Grèce, Espagne, Roumanie, Suède, Pologne) l’Allemagne envisage de se doter du système THAAD (Terminal High Altitude Area Defense) de Lockheed Martin.

Quel est l’art de la guerre américaine menée par le Proxy ukrainien contre l’invasion russe ?

Le président Biden a annoncé aujourd’hui une aide supplémentaire de 800 millions de dollars en matière de sécurité à l’Ukraine, portant l’aide totale des États-Unis en matière de sécurité engagée en faveur de l’Ukraine à 1 milliard de dollars la semaine dernière, et à un total de 2 milliards de dollars depuis le début de l’administration Biden. L’aide prendra la forme de transferts directs d’équipement du ministère de la Défense à l’armée ukrainienne pour les aider à défendre leur pays contre l’invasion non provoquée et injustifiée de la Russie.

Extrait de la fiche d’information sur l’assistance américaine en matière de sécurité pour l’Ukraine (16 mars 2022)

Cette aide comprend, entre autres : 800 systèmes antiaériens Stinger ; 2 000 Javelin anti-char, 1 000 armes légères anti-blindage et 6 000 systèmes anti-blindage AT-4 ; 100 systèmes aériens tactiques sans pilote ;

En plus des armes énumérées ci-dessus, l’aide antérieure des États-Unis à l’Ukraine comprend déjà : plus de 600 systèmes antiaériens Stinger; environ 2 600 systèmes anti-blindage Javelin; cinq hélicoptères Mi-17; trois patrouilleurs; quatre radars de poursuite de systèmes aériens de contre-artillerie et de contre-aéronefs; Quatre systèmes radar de contre-mortier; 70 véhicules à roues polyvalents à haute mobilité (HMMWV) et autres véhicules; communications sécurisées, systèmes de détection de guerre électronique; matériel de neutralisation et de déminage des explosifs et munitions; imagerie satellitaire et capacité d’analyse.

En plus des systèmes de défense aérienne à courte portée produits par les États-Unis que les Ukrainiens utilisent avec beaucoup d’efficacité, les États-Unis ont également identifié et aident les Ukrainiens à acquérir des systèmes supplémentaires à plus longue portée sur lesquels les forces ukrainiennes sont déjà entraînées, ainsi que des munitions supplémentaires pour ces systèmes. (S- 300 slovaques… ?)

Dans ce conflit impliquant (par le biais d’une Charte de partenariat stratégique) les anciennes grandes puissances de la Guerre Froide qui restent chacune derrière un nouveau « mur » infranchissable, nous pouvons paraphraser Sun Tzu qui a sans doute été le premier à conceptualiser la guerre par Proxy (que sont les forces armées ukrainiennes) : « Parvenir à battre son adversaire sans l’avoir (directement) affronté est la meilleure conduite ».

Les Américains ont parfaitement intégré la nouvelle donne des combats modernes. Quant aux sanctions économiques, les Américains en ont une longue pratique depuis 1917 (Trading with the Enemy Act) jusqu’aux lois extraterritoriales plus récentes de 1996 (d’Amato-Kennedy et Helms-Burton) à l’encontre de Cuba, l’Iran, la Libye…

L’efficacité de ces lois de droit américain est à relativiser même si elles sont adossées pour des sanctions à la monnaie d’échange international qu’est le Dollar américain.

Y’a-t-il eu un ou des facteurs extérieurs pour déclencher à cette date cette agression ?

 Les capacités BMD (Ballistic Missile Defense) constituent un élément essentiel de l’éventail des capacités stratégiques de l’OTAN, avec les forces conventionnelles et la dissuasion nucléaire.

Les États-Unis contribuent à la BMD de l’OTAN au travers de leur programme d’approche adaptative phasée pour la défense antimissile en Europe (EPAA). La Turquie héberge un radar BMD américain à Kürecik (AN/TPY-2 opérationnel depuis 2011) ; la Roumanie héberge une station Aegis Ashore des États-Unis sur la base aérienne de Deveselu (opérationnel depuis 2016) ; l’Allemagne héberge le centre de commandement sur la base aérienne de Ramstein ; et la Pologne héberge une autre station Aegis Ashore, dont la construction sera bientôt achevée, à la base militaire de Redzikowo (devrait être opérationnel pour la fin de l’année 2022).

Sur le plan des forces nucléaires, en mai 2022, commence aux USA la production à grande échelle de la nouvelle bombe nucléaire B61-12 (la production totale sera achevée en quatre ans ; 500 bombes ?) ; elles seront remises à l’US Air Force qui les installera, tout d’abord, dans les bases en Italie (bases d’Aviano et Ghedi) puis dans d’autres pays européens hébergeant actuellement la version B61-3/-4 (opérationnelles en 2023 ?).

Le président Poutine constatant sa faiblesse en matière d’armes conventionnelles par rapport aux forces de l’OTAN, interprète la mise en service de ces nouvelles armes comme un affaiblissement relatif de ses capacités dissuasives et de coercition ; la Russie n’a toujours pas admis le retrait des Etats-Unis du traité ABM (Anti Ballistic-Missile qui avait été signé à Moscou en 1972) annoncé en décembre 2001.

Quand la période de déclenchement de l’« opération », elle a pu être retenue pour fêter, en même temps, une victoire militaire après deux à trois semaines de combat en Ukraine et l’annexion de la Crimée (8° anniversaire). Quant à la date exacte, elle correspond à l’anniversaire de la fondation du parti national-socialiste des travailleurs allemands ou parti nazi (NSDAP) le 24 février 1920.

Qu’en est-il pour l’Union ?

La politique étrangère de l’Union européenne doit prendre en compte nos dépendances et interdépendances (commerciales, énergétiques, matières premières, alimentaires, défense…), elle doit s’affirmer aussi bien vis-à-vis de la Chine, des Etats-Unis d’Amérique que de la Russie post-Poutine. Elle doit aussi intégrer la nouvelle donne d’influence en Afrique (enseignements des positions prises à l’ONU lors des votes de sanctions).

La perception des menaces et des enjeux peut être « communautarisée », une vision capacitaire partagée peut être élaborée. Toutefois, la question majeure est de faire, dans une volonté forte, décider à 27 une action unique de sanctions économiques acceptables par chaque nation européenne, voire de verser en commun le sang au nom d’une Union non fédérée.

Si l’Union veut diminuer sa vulnérabilité, elle doit faire preuve de puissance dans des domaines multiples (technologique, commercial, finances, spatial, cyber, influence…) ; elle ne peut plus se protéger derrière un article 5 qui a besoin de frontières parfaitement définies et qui ne prend pas en compte les espaces communs (espace exo-atmosphérique, abyssal, électromagnétique..) et immatériels ( cognitique, informationnel…) de plus en plus contestés où la notion de souveraineté est difficile à définir, voire inexistante.