Des associations françaises en guerre contre la pêche néerlandaise

par Alban Foissier (MSIE 38 de l’EGE).

Le secteur français de la pêche fait face depuis de nombreuses années à plusieurs difficultés le fragilisant régulièrement : hausse des coûts du carburant, mise en place de quotas et de zones protégées, concurrence féroce ou encore plus récemment les effets du Brexit.

Mais depuis plusieurs années, une nouvelle cible semble se dessiner et fait l’objet de l’attention de plusieurs associations ainsi que des pêcheurs français : les Pays-Bas. Des associations comme Bloom et Pleine Mer, ouvertement en faveur d’un modèle plus écologique et d’une économie plus responsable, s’attaquent sans relâche à la pêche néerlandaise et en particulier à ses grandes entreprises. Elles lui reprochent une pêche industrielle qui dévaste les océans, un désastre écologique, une prédation économique pour accaparer ressources et quotas des autres pays européens, une influence et un lobbying prédominant au sein de l’Union-Européenne voire une pêche illégale. Deux entreprises sont particulièrement ciblées : Parlevliet & Van der Plas (P&P) et Cornelis Vroljik.

Ces attaques régulières et ciblées ont un objectif bien précis : mettre en lumière, par une exposition médiatique importante et des coups d’éclats, un modèle qui met en danger la pêche française.

Focus sur le secteur de la pêche néerlandaise

Selon l’Office Néerlandais des Produits de la mer, en charge des relations publiques pour le secteur de la pêche aux Pays-Bas, ce dernier représente 4 milliards de chiffre d’affaires pour 300 entreprises et 6200 emplois.

La pêche néerlandaise est l’une des plus actives et représente un poids majeur au sein des pays de l’Union-Européenne selon les données d’Eurostat. En effet, les Pays-Bas se classent 3ème en termes de captures en 2019 (320 000 tonnes poids vif en 2019) et 4ème en termes de tonnage de flotte (117 000 jauge brute en 2020).

Source : Eurostat

Cependant, le pays n’est positionné qu’en 15ème position en nombre de navires (834 en 2020) ce qui dévoile sa composante particulière à savoir un faible nombre de navires mais des navires de gros tonnage. Le navire moyen des Pays-Bas se mesure ainsi à 132 jauge brute contre 28 pour un navire français soit près de 5 fois plus…

Source : Eurostat

Le combat contre la pêche électrique : la victoire de l’association Bloom contre le lobby de la pêche néerlandaise.

La pêche électrique est une pratique qui consiste à envoyer un courant électrique dans les mailles du filet. Cela permet alors de faire ressortir les poissons plats et les crustacés pour les faires remonter dans les filets, ce qui facilite grandement la pêche. Cette technique est essentiellement utilisée par des pays du Nord de l’Europe tel que les Pays-Bas ou la Belgique. Les avis sont partagés sur les conséquences de cette pêche. Ses défenseurs y voient un avantage pour l’environnement car cette technique évite de racler les fonds marins et permettrait également de réduire la consommation de carburant. Ses détracteurs la condamnent au contraire pour ses impacts sur la faune marine.

Au niveau législatif, la pêche électrique a connu de nombreux rebondissements. D’abord interdite au sein de l’Union-Européenne en 1998 par le Conseil de l’Europe, la pratique est cependant à nouveau autorisée, par dérogation à titre expérimental, en 2007 suite à la pression des lobbies notamment néerlandais. En 2013, une nouvelle dérogation permet alors d’équiper jusqu’à 5% de la flotte nationale avec des électrodes. Les Pays-Bas n’hésitent pas également à demander au fil du temps des dérogations supplémentaires sous couvert de « recherche scientifique » (réduction du carburant, pêche durable, etc). En 2017, la Commission Européenne vote en faveur de son développement mais le parlement européen rejette ensuite massivement en 2018 cette pratique. De plus, en 2019, le parlement européen vote finalement l’interdiction de cette pratique, interdiction entrée en vigueur au 1er juillet 2021.

L’association Bloom a joué un rôle prépondérant dans cette campagne de lutte contre la pêche électrique. Dès 2017, l’association se mobilise sur de nombreux terrains. Elle intervient auprès des institutions dans les débats effectués lors d’une conférence au parlement européen, elle joue sur le terrain juridique en portant plainte contre les Pays-Bas auprès de la commission Européenne, elle occupe le terrain médiatique afin de sensibiliser les politiques de l’époque, elle lance une campagne en ligne pour mobiliser l’opinion publique et apparait dans différentes reportages. Si cette première démonstration ne donne pas de résultat auprès de la Commission Européenne, l’association ne renonce pas pour autant et le mouvement va s’amplifier. Les pêcheurs et les distributeurs français se joignent au mouvement ainsi que de nombreuses ONG. Avant le vote au parlement, l’association redouble d’effort : elle lance une seconde pétition à l’échelle européenne cette fois, organise un évènement au Parlement Européen et publie des communiqués. Suite au vote du parlement, l’association va continuer son travail de lutte contre la pêche électrique : nombreuses plaintes contre les Pays-Bas, publications en faveur de l’interdiction, plateforme en ligne, protestations dans les ports européens, etc.

Ce lobbying intense de Bloom, avec l’aide d’autres associations et ONG, a mis en lumière ce sujet quelque peu méconnu et mis la pression sur les parlementaires afin de les inciter à interdire cette pratique. Bien que le secteur de la pêche néerlandaise, aidé par les Pays-Bas, ait répondu présents dans ce combat de plus de 3 ans, les dérogations accordées jusqu’à présent vont alors être retirées. Ce sont d’ailleurs ces mêmes dérogations qui ont signé la perte de la pêche électrique. Largement supérieur au seuil autorisé, elles ont poussé ses détracteurs tels que Bloom à s’engager afin d’en combattre les dérives. En profitant au maximum du système, les Pays-Bas se sont exposés. Les justifications de cette pêche (officiellement à titre expérimental) n’ont plus été crédibles une fois l’attention du public attirée par Bloom.  

La remise en cause du modèle de la pêche industrielle néerlandaise : l’exemple de la senne danoise

D’autre part, les associations françaises telles que Bloom ou Pleine Mer alertent également sur le risque pour la pêche artisanale française face aux mastodontes dont s’équipent les armateurs néerlandais. Ces navires, qui demandent peu de main d’œuvre mais sont capables d’amasser des quantités considérables de poissons, représentent une menace pour la pêche française qui ne peut pas rivaliser et qui voit ses eaux pillées.

L’ONG TNI (Transnational Institute), en partenariat avec les associations Pleine Mer et Urgenci, dénonce dans son rapport au titre évocateur (Une pêche industrielle dangereusement efficace : comment les multinationales néerlandaises menacent la pêche artisanale européenne) les chalutiers de plus de 80 mètres des entreprises néerlandaises Cornelis Vrolijk B.V. et Parlevliet & Van der Plas (P&P). Ces derniers ne cessent d’améliorer les capacités motrices afin de se déplacer plus loin ainsi que les technologies de réfrigération afin d’en accroitre les capacités de transport. Ces navires pêchent en toute légalité jusqu’à 6 miles nautiques de côtes française grâce aux accords de pêche de 1972. C’est par exemple le cas des navires de la compagnie P&P.

Mais ces navires peuvent également battre pavillon français bien qu’ils appartiennent en définitive à des entreprises néerlandaises. C’est le cas du navire Scombrus de la société France Pélagique (cette société étant une filiale de l’entreprise néerlandaise Cornelis Vroljik). Ce navire a fait couler beaucoup d’encre dans la presse française lors de son lancement en 2020. Les associations Bloom et Pleine Mer ont d’ailleurs protesté, accompagnées par des pêcheurs locaux, contre son lancement à Concarneau. Cet exemple est l’illustration parfaite du malaise de la pêche française face à son concurrent néerlandais que dénonce les associations environnementales et les pêcheurs français.

A ces navires immenses s’ajoutent des techniques de pêche très performantes. Pour pallier la pêche électrique, les navires néerlandais se sont rabattus vers d’autres techniques afin de garder des taux de captures relativement élevés. C’est par exemple le cas de la senne danoise qui consiste à déployer un immense filet. Cependant, même si le sujet est très médiatisé par les associations françaises, les pêcheurs néerlandais œuvrent en toute légalité. Et face à la pression montante dans la Manche, Visned (la fédération nationale de la pêche néerlandaise) a décidé d’entamer des négociations avec les pêcheurs français, anglais et belges afin de règlementer la senne danoise. Poussés par des associations dont Bloom et Pleine Mer, qui dénoncent notamment les fraudes commises par les navires néerlandais et la proximité des négociateurs avec le secteur de la pêche néerlandaise, cet accord n’a pour le moment pas été signé.

Les pêcheurs français semblent bien démunis face à ces navires néerlandais qui vident les stocks de poisson près des côtes françaises, n’ayant pas d’autres choix que d’effectuer des démonstrations qui semblent bien dérisoires, par exemple en bloquant les ports.

Un rapport pour dénoncer la mainmise sur les quotas européens et l’utilisation des fonds européens

Toujours selon le rapport de l’ONG TNI, les principaux armateurs pélagiques néerlandais sont accusés de construire, en toute légalité, des empires de la pêche en s’affranchissant des quotas européens par le rachat d’entreprises françaises afin de s’approprier leurs quotas.

Si le rapport remet en cause le manque de transparence dans la prise de décision de répartition des quotas (Totaux Admissibles de Captures – TAC) entre les pays membres par le Conseil Agriculture et Pêche, c’est surtout l’influence que possèderait les entreprises Cornelis Vrolijk et P&P auprès de ce conseil qu’il dénonce. De plus, en rachetant des navires battant pavillon français, ou en rachetant ou créant des entreprises françaises, ces entreprises accaparent des quotas français en toute légalité. P&P possède 69 entreprises dans le monde dont 4 entreprises en France (PP Thon, Compagnie Française du Thon, Comptoir des Pêches d’Europe du Nord, Groupe Compagnie des Pêches Saint-Malo) soit 24 navires en France. Cornelis Vrolijk est à la tête de 95 entreprises dont 3 en France (France Pélagique, Klipper et sa filiale Tourmalet) ce qui représente 4 navires en France.

Enfin, l’utilisation des fonds européens est également mise en cause dans ce rapport. C’est par exemple le cas des subventions destinées à augmenter la capacité de pêche, des exonérations sur le carburant ou encore des subventions aux chaines d’approvisionnement. Cependant, les chiffres indiqués semblent légèrement dater et il reste difficile de différencier ce qui procède du financement légitime de ce qui pourrait être comparé à de l’optimisation des fonds publics.

L’objectif de l’association Pleine Mer, qui met en lumière ce rapport en France, est de dénoncer le modèle économique des entreprises pélagiques néerlandaises. L’association Bloom joue d’ailleurs sur le même registre avec des arguments similaires.

La dénonciation d’une pêche en partie illégale

Enfin, le dernier angle d’attaque est celui d’une pratique illégale de la pêche.

Bloom a particulièrement ciblé les dérives associées à la pêche électrique en déposant notamment de nombreuses plaintes contre les Pays-Bas. Elle pointe tout d’abord du doigt la partie la plus visible, à savoir le nombre de dérogations obtenues pour effectuer de la pêche électrique à titre expérimental. Ce dernier s’élève officiellement à 84, ce qui est largement supérieur aux 5% autorisés par la loi. Mais le rôle des représentants des Pays-Bas auprès de la Commission est également pointé pour n’avoir pas contesté des malentendus sur l’administration des licences et n’avoir jamais mis un frein à un dépassement qu’ils savaient pourtant illégal. Cependant, l’association va encore plus loin en mettant en lumière un article d’un ancien administrateur de la Direction générale des Affaires maritimes et de la Pêche de la Commission européenne, article qui serait probablement passé inaperçu sans cette intervention. Ce dernier critique des autorisations qui ne sont pas basées sur des faits scientifiques mais obtenues sous l’influence d’un état membre.

Le respect des quotas de pêche ainsi que des zones de pêche est également mis en cause. Les articles dans la presse française relayant les arrestations et les condamnations de navires néerlandais sont nombreux. De plus, il semble, d’après un rapport de la Commission Européenne, que les contrôles dans les ports néerlandais ne soient pas suffisants pour donner des garanties sur l’absence de fraude aux quotas de pêches. La Commission Européenne a d’ailleurs notifié les Pays-Bas en 2020 sur ce manque de contrôle concernant le transport, la pesée et la traçabilité dans les ports néerlandais. Mais le problème serait en réalité bien plus large et toucherait l’ensemble des pays européens.

Une pêche néerlandaise organisée, active et influente

Ce combat informationnel n’a cependant pas été à sens unique. A chacune des attaques des associations Bloom et Pleine Mer, la pêche néerlandaise s’est organisée et a répondu :

. Lors du débat de près de 3 ans sur la pêche électrique, les Pays-Bas ont répondu présent. Visned (la fédération nationale de la pêche néerlandaise) a fait la promotion des avantages de cette pratique et a activé ses réseaux afin de procéder à un lobbying féroce. Les ministères des affaires étrangères et de l’agriculture des Pays-Bas (Ministry of Agriculture, Nature and Food Quality) se sont également engagés en relayant les informations en faveur de la pêche électrique comme en atteste le lien sur un site néerlandais faisant la promotion de la pêche électrique. L’association Bloom a bien évidemment fait l’objet d’un certains nombres de critique sur différentes sites néerlandais. Les Pays-Bas ont finalement, en dernier ressort, déposé un recours devant la cour de justice de l’Union-Européenne en octobre 2019, recours rejeté en avril 2021.

. Sur la controverse de la senne danoise, Visned a pris l’initiative d’engager une négociation afin d’éviter de se retrouver en position défensive comme lors des attaques sur la pêche électrique. Des représentants des pêcheurs français, anglais et belges ont donc été conviés à la table des négociations, où les négociateurs semblaient d’ailleurs avoir une certaine proximité avec le secteur néerlandais, afin de régler à l’amiable ce différent et la grogne montante.

.Pour les attaques publiées dans le rapport de l’ONG TNI émit le 25 octobre 2021, la PFA (Pelagic Freezer-trawler Association – Association des chalutiers congélateurs de pêche pélagique) qui regroupe notamment Cornelis Vrojlik et P&P, a répondu dès le 7 décembre 2021 avec une lettre contrant point par point les arguments énoncés.

Conclusion

Cet affrontement informationnel entre d’un côté des associations françaises qui utilisent une méthode de dénonciation virulente à grands renforts de moyens de communication et de coups d’éclat et de l’autre un secteur de la pêche néerlandais qui s’appuie sur des relais plus classiques (fédération de la pêche, association de représentation, politiques locaux et membres du gouvernement représentant les intérêts du pays auprès des institutions européennes) est loin d’être terminé.

L’implication de l’association Bloom, sa campagne médiatique et son lobbying agressif contre la pêche électrique ont sans doute été déterminants dans le changement de législation au niveau français et européen. La mise en lumière de certaines dérives d’une pêche néerlandaise sans doute trop gourmande a affaibli les défenseurs de la pêche électrique.

Mais le lobbying de la pêche néerlandais n’est pas en reste et continue de s’activer, notamment sur le sujet de la senne danoise. Aucun accord n’a pour le moment été signé et les pêcheurs français ne sont pas à l’abri des chalutiers néerlandais géants qui continuent de vider les côtes françaises.

Enfin, il est encore trop tôt pour évaluer l’impact du rapport de l’ONG TNI, et de son relai par l’association Pleine Mer, sur les quotas de pêches et le modèle néerlandais mais il semble bien difficile de voir évoluer à court terme le système d’attribution des quotas et les règles en place sur les prises de pêches.