De l’infobésité à l’infopulence

Apprentissage, Connaissance, Idée

par François Jeanne-Beylot

Depuis quelques années, on parle facilement d’infobésité pour évoquer la (trop) grande quantité d’information disponible, notamment grâce (ou à cause) d’Internet. Pour ma part, j’utilisais volontiers ce terme pour sensibiliser sur la nécessité d’un meilleur usage des méthodes et outils de recherche d’information sur Internet (ce qu’on appelle aujourd’hui l’OSINT). En effet, devant l’effrayante quantité d’information publiée chaque minute sur Internet, il convient de procéder avec méthode et de maitriser quelques outils afin de trouver l’information utile.

Mais revenons à l’infobésité ; Cette notion, définie comme l’excès d’information propre à l’ère du numérique, fait référence à l’obésité, maladie chronique de la nutrition. Pour filer cette comparaison, nous trouvons intéressant de relever ce que la Sécurité Sociale mentionne à son sujet : L’obésité « affecte le bien-être physique, psychologique et social des individus« . Précisant qu’elle constitue un « problème de société (…) présent dans l’ensemble des pays industrialisés« . Si l’infobésité quant à elle est bien de longue durée, évolutive, avec un retentissement sur la vie quotidienne, nous n’avons pas l’impression qu’elle soit considérée comme une maladie. Nous ne voyons pas non plus de pathologie associée pour y trouver des remèdes. Pour se limiter à l’éducation et la formation, nous ne voyons pas le niveau des apprenants évoluer depuis 20 ans. Un grand nombre d’internautes ne sait toujours pas construire un plan de recherche, utiliser un moteur de recherche de façon avancée ou valider une source d’information. Et d’ailleurs peu d’école aujourd’hui en France consacrent un module à l’un ou l’autre de ces sujets.

Le citoyen souffre-t-il d’un excès d’informations ?

Nous sommes en mesure de nous interroger sur cette question à plusieurs niveaux. Premièrement, nous pensons que peu de personnes ressentent cette abondance d’information comme une souffrance. Il s’agit là d’un petit nombre d’individus qui vont du coup modifier leur façon de s’informer et qui souvent ont été justement formés. La grande majorité des individus se satisfait de cette abondance. Elle n’y voit pas un mal ou une maladie mais plutôt une chance, une opportunité. Il n’y a donc pas lieu de parler d’infobésité mais plutôt d’infopulence. Le citoyen est face à une grande richesse, une extrême abondance d’informations, mais il n’en souffre pas. Cela explique par exemple que l’internaute ne modifie pas ses habitudes. Ne souffrant pas d’infobésité, ne voyant pas l’opulence d’information comme un problème, il n’a ni l’envie, ni le besoin de s’informer autrement.

Par ailleurs, face à cette infopulence ou opulence d’information, on peut se demander si l’individu a véritablement la capacité d’y accéder. Du fait que cette abondance est extrême, il est quasiment impossible d’avoir une vision complète, voire exhaustive. Ainsi, le principal ennemi de l’internaute devient le temps. Il fait alors confiance aux algorithmes pour sélectionner à sa place les informations pertinentes. La tendance s’aggrave parfois lorsque l’outil suggère à son utilisateur les informations dont il pourrait avoir besoin. L’utilisateur oublie finalement l’information utile abandonnant son intelligence et son discernement à l’algorithme. Et pour mieux choisir à la place de l’individu, l’outil doit bien le connaître. C’est pourquoi l’individu laisse l’outil accéder, consciemment ou non, à ses informations, ses données, ses habitudes.

Les dérives de l’infopulence

Et le cercle est vicieux, car plus l’outils a accès aux données de l’internaute, plus il peut lui donner des informations qui lui correspondent. L’individu est alors pris dans sa bulle en se concentrant dans cette infopulence sur une (toute) petite partie des informations disponibles, celle triées par l’algorithme. Mais ce tri est censé correspondre à l’individu et du coup le satisfaire. Il n’a donc décidément pas de raison de se plaindre de disposer de trop d’informations. Pire, il pense rester libre et pouvoir aller au-delà de ce tri, persuadé de pouvoir choisir lui-même les informations retenues. Certains, peut-être les plus crédules, pensent même être à l’origine de cette sélection puisqu’elle résulte de leurs données. Ils vont donc sans vergogne alimenter le système. Mais le piège est dangereux, car en sortir se payera mécaniquement par l’obtention d’informations hors cadre que l’internaute jugera immédiatement comme non pertinentes, avant de retourner se conforter avec son algorithme. On pourrait même penser que ces outils sont finalement les remèdes contre l’infobésité. Mais ils ne soignent pas le patient, il détruise la maladie. Or, si on considère que l’abondance d’information n’est pas un mal, il n’y aucune raison de vouloir la réduire. Il faut juste éduquer l’individu pour s’y retrouve, certes avec quelques outils pour l’aider, mais en conservant son libre arbitre, son discernement.

Un dernier élément de réponse à cette interrogation mérite d’être soulevé. L’individu dispose-t-il finalement vraiment d’un excès d’information ? Cette abondance n’est elle pas en fait une illusion ? Au-delà du tri évoqué plus haut que réalisent les algorithmes au titre de la pertinence, certains outils vont plus loin en éliminant les informations qu’il juge non pertinente. L’internaute n’a alors plus la capacité d’aller au-delà de cette sélection d’information et doit s’en contenter. Ce qui est à nouveau vicieux dans ce procédé, c’est qu’il n’est pas avoué, voire caché. C’est pourtant l’apanage des moteurs de recherche. En effet, si Bing et Google vous annoncent souvent plusieurs millions (voire dizaine de millions) de résultats pour une requête, ils ne vous en présenteront rarement plus de quelques centaines. Nous invitons nos lecteurs à tester en saisissant un sujet dans les deux moteurs les plus utilisés du moment. Pour un recherche sur « Ukraine« , Google annonce 2,3 milliards de résultats, mais en cliquant sur les pages suivantes de résultats, le nombre ne dépasse pas les 130 (moins de 450 si on relance la recherche pour inclure les résultats très similaires omis automatiquement par l’outil).

Pour la même requête, Bing annonce 44,5 millions de résultats et s’arrête à moins de 50. L’abondance d’information a fait long feu !

En conclusion, nous retiendrons qu’au lieu de parler d’infobésité, il est préférable, pour rester dans le néologisme, d’évoquer une infopulence. Toutefois, pour bénéficier de cette abondance d’information, il est nécessaire de ne pas limiter son usage d’Internet aux seuls outils de recherche.