Comment les Etats-Unis ont organisé la pénurie de gaz en Europe ?

Par Valéria Faure-Muntian (MSIE38 de l’EGE), députée de la Loire et membre de la commission des Finances


Début 2021 le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelenski lance l’initiative appelée « Plate-forme de Crimée ». Son but est de réunir l’ensemble des dirigeants du monde, notamment ses alliés occidentaux à Kyiv pour attirer l’attention sur la presqu’île annexée en tout illégalité, en 2014 par la Russie.

L’incertitude sur l’évolution de la question ukrainienne

En effet, même si cette annexion n’a jamais été reconnue par les Etats-Unis, ni l’Union Européenne, plus personne n’en parle. Dans le même temps, toute la classe politique ukrainienne : les ministres, ainsi que les parlementaires de la Rada réitèrent lors des interventions publiques et à l’occasion de tous leurs déplacements, la volonté ukrainienne d’intégrer l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord). Une idée ancienne, qui a eu un regain d’énergie lors de l’élection de Joe Biden, le changement de pouvoir aux Etats-Unis offrant une ouverture aux ukrainiens.

En représailles, Vladimir Poutine lance des manœuvres militaires aux frontières ukrainiennes et y installe dès le mois d’avril 2021 près de 100 000 hommes et un arsenal militaire d’ampleur. L’ensemble de la communauté internationale s’en est ému et en Ukraine on se demande même si la tenue de la plate-forme de Crimée, prévue pour la fin août 2021, n’est pas compromise. En effet, un certain nombre de gouvernements s’interrogent sur la pertinence de leurs venues dans un contexte aussi tendu.

L’évolution des tensions entre la Russie et les Etats-Unis

Puis la situation se stabilise, les festivités a l’occasion du 30ème anniversaire de l’indépendance de l’Ukraine et la plate-forme de Crimée ont lieu sans incidents majeurs. Les troupes russes aux frontières, n’ont pas bougé depuis avril 2021. Mais une actualité, chassant l’autre, en août 2021 tous les médias ne parlent que du coup de force des talibans en Afghanistan.

Le 1er septembre 2021, Joe Biden le président des Etats-Unis d’Amérique reçoit Volodymyr Zelensky à Washington, il apporte son soutien quant à l’intégrité et la souveraineté territoriale de l’Ukraine. Cependant, la déclaration commune ne fait mention, ni des militaires russes présents à la frontière ukrainienne depuis avril, ni de l’intégration de l’Ukraine à l’OTAN.

Coup de théâtre en novembre 2021, Joe Biden fait une déclaration très alarmante suite à un rapport de ses services. Les services de renseignements américains constatent des mouvements de troupe et des manœuvres inquiétantes aux frontières ukrainiennes. Pour les autorités ukrainiennes, comme pour les européens c’est la sidération, ils mettent du temps à réagir.

Dans l’intervalle toute la presse européenne ne parle que de cela, « l’imminente attaque russe sur l’Ukraine ». Cette déclaration semble toutefois étonnante pour les observateurs avertis. D’une part il n’y a pas d’éléments nouveaux pouvant expliquer un changement de comportement russe, d’autre part les mêmes chiffres du nombre de militaire et du type de manœuvres qu’en avril sont rapportés. Et enfin la période de l’année, le climat rudes et la typologie du terrain local ne sont pas propices à une action militaire imminente.  

Le jeu tactique de Poutine

Les pays occidentaux font des déclarations en cascade sur le besoin de désescalade, les lignes rouges à ne pas franchir et le soutien à l’Ukraine. Cependant, nous pouvons noter la mise en place d’un dialogue Biden-Poutine et une mise en attente des dirigeants européens qui scrutent les compte-rendu et déclarations des présidents américain et russe.

La réaction de Poutine n’est pas très claire, il ne nie, ni ne confirme sa volonté de marcher sur Kyiv. Il souffle le chaud et le froid, une technique éprouvée de longue date par ce dirigeant faisant usage du rapport de force dans ses négociations.

Objectivement, cette situation est plutôt confortable pour lui. En effet, il est au centre des attentions et réaffirme son poids et son importance auprès de sa population nationale, ainsi que la position de victime de la Russie, attaquée de toutes parts. Il bénéficie à nouveau de l’image d’un des plus puissants dirigeants du monde. Ceci est extrêmement intéressant dans une Russie fatiguée par la crise sanitaire qui dure et par une situation économique précaire. Il a des échanges réguliers avec Joe Biden ce qui lui permet, par ailleurs, de soulever d’autres sujets. Puis cela affaiblit l’Union Européenne en générale et la France et l’Allemagne en particulier, qui sont en plein renouvellement de gouvernants.

Les enjeux géoéconomiques qui pèsent par ricochet sur l’Europe

Toutefois, même si aucune escalade militaire n’a lieu, une escalade diplomatique et informationnelle est à l’œuvre. Du dialogue, Biden est passé aux menaces, suivi du reste du monde libre. D’une part les sanctions sont brandies et d’un jour à l’autre elles augmentent de manière exponentielle. D’autre part les pourparlers quant à l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN ont l’air d’avoir lieu, des membres du congrès américain déposent même une proposition portée par Michael McCaul de création d’un statut de membre OTAN-plus pour l’Ukraine, ce qui est censé permettre à ce pays d’acquérir du matériel militaire américain.

Cela met une pression importante sur Poutine et cet opportuniste géostratégique commence à voir moins d’avantages que d’inconvénients à jouer le rôle du méchant dans le jeu d’échecs initié par Biden.

Afin de renverser le rapport de force la Russie possède une arme de riposte infaillible : le gaz. En effet, l’Europe est fortement dépendante du gaz russe, celui-ci représente environ 40% des importations européennes. De plus nous sommes en hiver, une période de forte consommation de cette énergie fossile.

L’arme psychologique du gaz

Ainsi l’entreprise Gazprom, proche du gouvernement russe réduit drastiquement les quantités de gaz fourni à l’Union Européenne, ce qui génère deux problématiques : celle de la pénurie et celle de la flambée des prix. La quantité de gaz a été réduite de 20% et d’ici la fin de janvier elle peut tomber à 60% des volumes habituellement importés, le prix quant à lui a été multiplié par six. Etranglée l’Europe envisagerait d’augmenter les volumes de gaz importés des Etats-Unis. Cependant, les stocks disponibles sont insuffisants au regard des besoins du Vieux Continent.

De là à croire que l’Ukraine et l’Union Européenne ne sont que des pions dans un jeu destiné à démontrer que le projet Nord Stream 2 est dangereux et qu’il vaut mieux diversifier les sources de gaz, il n’y a qu’un pas.