La guerre informationnelle entre la Chine et les Etats-Unis d’Amérique sur la 5G

par Jean Jacques T. SEBGO

Head ALM at Ecobank International (EBI SA France)




2020, pour la première fois, la Chine est devenue la première puissance économique mondiale avec 21 334,2 milliards de dollars, devançant les Etats-Unis avec seulement 20 837,3 milliards selon une étude du Figaro publiée le 13/10/2020 (fondée sur les prévisions du FMI). Son ambition est claire : consolider sa position, ce qui est inacceptable pour Washington.

Si depuis mars 2018, la réalité de la guerre commerciale entre les Etats-Unis d’Amérique et la Chine n’est plus à démontrer, elle recouvre cependant une autre guerre plus stratégique : les deux pays se disputent la suprématie scientifique et technologique, clé de la suprématie économique et militaire convoitée. A défaut d’un conflit militaire ouvert, les deux géants s’affrontent sur les plans économiques et informationnels.

Ainsi, la liste des conflits entre la Chine et les Etats-Unis s’allonge d’année en année. Aux batailles géostratégiques comme le statut de Hong Kong ou encore Taïwan, vient s’ajouter aujourd’hui l’affrontement sur la 5G.

Comment et pourquoi la 5G se retrouve-t-elle au cœur de cette guerre de l’information sino-américaine ? Quelle est la stratégie déployée par les deux protagonistes et comment évolue-t-elle ? Qui sortira vainqueur de ce bras de fer ?

Comment et pourquoi la 5G se retrouve-t-elle au cœur de cette guerre de l’information Sino-américaine ?

La 5G est la cinquième génération des standards pour la téléphonie mobile, elle succède à la quatrième génération, appelée 4G, et prolonge l’exploitation technologique. L’enjeu de la 5G est principalement de renforcer la compétitivité des entreprises en permettant l’innovation incrémentale ou de rupture, en développant de nouveaux modèles d’affaires.

Selon Nicolas Simonneau, de la Fondation Concorde, la 5G présente trois intérêts économiques :

  • Soulager les réseaux de télécommunications mobiles qui vont arriver à saturation, et ainsi éviter un phénomène d’engorgement des données ;
  • Permettre aux entreprises d’optimiser certains processus, à travers l’automatisation et la fluidification de tâches (prenant l’exemple de la réalité augmentée utilisée dans des usines pilotes d’Ericsson pour aider la détection de défaut de fabrication) ;
  • Permettre le développement de nouvelles applications s’appuyant sur les nouvelles performances (par exemple la télé chirurgie permise par un temps de latence très court et garanti).

De ce fait, les premiers entrants sur le marché de la 5G auront un avantage compétitif qui pourrait s’avérer décisif face à ceux qui prendront le train en marche.

Dans les faits, les opérateurs de télécommunications doivent choisir l’équipementier qui prendra en charge la fourniture du matériel nécessaire au déploiement de la 5G. Derrière ce choix, il s’agit en réalité de savoir qui va définir le modèle, l’architecture et l’agenda de la prochaine génération de réseaux mobiles. Cette décision revêt donc une importance stratégique majeure.

Au-delà de cette dimension stratégique, d’importantes considérations commerciales sont en jeu puisqu’en 2035, la 5G devrait permettre une production économique mondiale de 12,3 billions de dollars. Son impact potentiel « pour l’économie » serait, selon la Commission européenne, de 113 à 225 milliards € de bénéfices par an en 2025.

La 5G apparait donc comme une technologie cruciale tant pour l’avenir des infrastructures que des économies nationales, ce qui explique la lutte que se livrent les États-Unis et la Chine pour dominer ce marché. Dans cette lutte informationnelle, deux types de propagandes se font face : le TINA (There is no alternative) technologique et la propagande occidentale face à la Chine, nouvel ennemi désigné des États-Unis.

Quelle est la stratégie déployée par les deux protagonistes et comment évolue-t-elle ?

Sur le marché de la 5G, Huawei est devenu un acteur incontournable et semble avoir pris une avance significative avec une force de travail et une technologie supérieure à la concurrence revendiquant près de 30% de part de marché et un chiffre d’affaire de 92,55 milliards de dollars en 2017, soit plus du triple de ses concurrents Nokia et Ericsson sur la même année.

Fort de cette position de leader sur le marché, Huawei a réalisé des tests pré-commerciaux 5G avec plus de 30 opérateurs leaders au Canada, en Chine, en Allemagne, au Japon, en Russie, à Singapour, en Corée du Sud, au Royaume-Uni, etc.

La ligne d’attaque informationnelle des Etats-Unis d’Amérique

Sous fond de guerre commerciale, Huawei se voit accusé par les Etats-Unis d’espionnage pour le compte du gouvernement chinois. En février 2018, six agences américaines dont le FBI, la CIA et la NSA mettent en garde contre les téléphones ZTE et Huawei, considérant qu’il existe un risque d’être espionné par la Chine. Dans la foulée, Washington décide de bloquer les ventes des deux équipementiers chinois aux opérateurs américains. Huawei se retrouve alors écarté du marché américain de la 5G.

La deuxième phase de la communication vise à faire pression auprès de leurs alliés pour que ces derniers suivent leur démarche et empêchent l’accès à leur marché aux deux entreprises chinoises. En août 2018, Huawei et ZTE se voient alors exclus du marché australien de la 5G tandis que peu de temps après la Nouvelle-Zélande et le Japon en font de même.

Cet appel sur twitter et les médias traditionnels au boycott résonne différemment en Europe. En effet, en mars 2019, la Commission européenne annonce vouloir renforcer la sécurité des réseaux 5G mais n’exclut par Huawei de son marché. De nombreux pays européens : Allemagne, France en tête, en décident de faire confiance à Huawei.

Le 16 mai 2019, cette guerre informationnelle escalade quand Donald Trump signe un décret empêchant les entreprises américaines de travailler avec les entreprises étrangères présentant un risque pour la sécurité des Etats-Unis et visant clairement Huawei. L’objectif de cette campagne relayée par les média américains (Fox News, Washington Post, …) et les réseau sociaux (Facebook, twitter) est de présenter Huawei comme un cheval de Troie de la Chine et jouer sur l’opinion publique des pays européens et américains.

Face à ces manœuvres visant à déstabiliser son géant national, le gouvernement chinois décide de réagir et de riposter.

La réaction chinoise

Dans un premier temps, la réaction chinoise a consisté essentiellement à démentir les accusations d’espionnage portée contre Huawai. Ainsi, en entre janvier et octobre 2019 Ren Zhengfei le PDG du groupe a accordé plusieurs interviews à CNN, CNBC, Euronews, Bloomberg News déclarant : « Huawei est une entreprise indépendante, nous nous engageons à être du côté de nos clients en matière de cybersécurité et de protection de la vie privée » et ajoutant que « Apple est un exemple qui inspire en termes de protection de la vie privée. Nous allons apprendre de la firme ».Derrière ces propos à l’apparence élogieux pour Apple, la Chine fait comprendre qu’il pourrait également sanctionner ce dernier en Chine où l’essentiel de la production est effectué et où plus de 30% du chiffre d’affaire est réalisé.

La deuxième phase de la riposte chinoise intervient au niveau étatique. Un éditorial de l’agence officielle Chine Nouvelle, publié le 23 juillet 2019, dénonce une « hystérie anti-Chine » de Mike Pompéo accusant l’administration américaine de campagne sans preuve contre l’entreprise chinoise Huawei alors même qu’en 2014, Edward Snowden révélait un vaste système d’espionnage américain.

Pékin compte sur la 5G pour se hisser à la pointe de la prochaine révolution industrielle selon les analystes du cabinet Sanford C. Bernstein. Dans cette optique, le gouvernement chinois décide d’accélérer le calendrier chinois pour le déploiement de la 5G pour soutenir Huawei.

31 Octobre 2019, les Echos titrent : « La Chine lance le plus grand réseau mobile 5G au monde ». Cette nouvelle met davantage la pression aux pays européens qui craignent une avance décisive des entreprises chinoises.

Au même moment, Pékin commandite de nombreuses études visant ses détracteurs. Ainsi, le rapport de la GSMA, association regroupant les principales entreprises de l’industrie des télécommunications, estime que bannir Huawei du déploiement de la 5G en Europe serait lourd de conséquences : retard dans la construction des infrastructures pouvant aller jusqu’à 18 mois, engendrant par la même occasion un surcoût de l’ordre de 55 milliards d’euros pour les opérateurs européens et 45 milliards d’euros à l’échelle de l’économie de l’Union Européenne.

De façon générale, la stratégie de communication chinoise vise à présenter le risque pour les pays qui se passeront des services de Huawei de se retrouver dépassés par ceux qui se fourniront auprès du géant chinois : notamment en Russie. Cette communication a eu un impact puisque fin 2019, les entreprises américaines tirent la sonnette d’alarme et souhaitent que le gouvernement américain annule sa sanction à l’encontre de Huawei. Cela a poussé l’administration américaine à faire volte-face en annonçant début juillet 2020 l’assouplissement de ses restrictions et affirmant que ces dernières ne s’appliqueront qu’aux produits liés à la sécurité nationale ; ce qui ouvre la porte à un retour des échanges entre les entreprises américaines et Huawei sur le marché du smartphone, a priori non concerné par ces restrictions.

Qui ressortira vainqueur de ce bras de fer ?

La question se pose au futur tant à ce jour rien n’est gagné pour aucun camp même si chacun revendique au coup de médias interposés la victoire. Pour le moment, la nouvelle de cette éclaircie est la bienvenue puisqu’en définitive, ce contexte de crise est une situation que ni Huawei, ni les entreprises américaines ne peuvent supporter très longtemps. Le nouveau président américain Joe Biden affirme pourtant vouloir maintenir le cap sur cette question.

Il est difficile, dans ce contexte, de ne pas faire de parallèles entre les débats actuels entourant la 5G et d’autres, plus anciens, concernant le nucléaire et la course à la conquête de l’espace entre les Etats-Unis d’Amérique et l’URSS. Une chose semble sure : tout comme la course à la conquête de l’espace a été décisive pour la guerre froide Etats-Unis-URSS, la course à la suprématie technologique avec la 5G sera peut-être décisive dans la nouvelle guerre froide sino-américaine.

Si la quasi-totalité des analystes s’arrêtent aux enjeux économique et stratégique de cette lutte, il est important d’y ajouter un enjeu sociétal tout aussi important : celui de deux pays fiers et pour lesquels la suprématie est un objectif culturel qui justifie tous les sacrifices. Dès lors se pose la question : jusqu’où seront-ils prêts à aller pour gagner ?

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