Note stratégique 3 : la France qui gagne

Par Olivier de MAISON ROUGE

Avocat – Docteur en droit

Dernier ouvrage publié : « Gagner la guerre économique. Plaidoyer pour une souveraineté économique & une indépendance stratégique » VA Editions, mars 2022

Tout ne doit pas être sujet au déclinisme ambiant. Et c’est à l’aube de cette nouvelle année 2023 que nous devons trouver un regain d’optimisme et de rebond. Il faut cependant bien admettre que la France n’est pas au mieux de sa forme et se voit emportée dans la chute de l’Europe que nous avions mise en exergue : www.epge.fr/une-europe-tierce-partie-ou-tiers-monde/

Et il est incontestable que la France est depuis 40 ans en voie d’affaiblissement, nous avions présenté ici ses principales faiblesses : www.epge.fr/la-france-qui-sombre/ Son PIB par habitant la classe désormais au 24e rang mondial. Elle n’est plus la cinquième puissance mondiale comme aimait tant le rappeler le président Jacques Chirac. Elle a décroché par rapport à l’Allemagne et son commerce extérieur et déficitaire depuis près de 20 ans.

Elle a fort heureusement toujours connu des périodes de déclin ayant donné lieu à des sursauts salvateurs. Henri IV, Jeanne d’Arc, François Ier et tant d’autres dans l’histoire montrent que la France a toujours su relever la tête, malgré les humiliations infâmantes.

Les forces françaises économiques

En matière économique, la France a longtemps su, malgré certains retards patents dans des domaines industriels, œuvré à fonder son indépendance commerciale. Le passé nous enseigne que ce fut la gloire de certains roi (Louis XIV, mais aussi auparavant Louis XI), et que ce fut par conséquent la quête de la souveraineté économique déjà qui avait largement prévalu.

En vérité, le modèle économique de la France a de tout temps été, malgré une forme d’anachronisme à le dire, le Colbertisme, à savoir le développement d’une économie manufacturière, dans un pays apaisé, où règne la concorde, et commercialement fort et uni, sous l’égide d’un État moderne et structuré. Voilà à quoi peut globalement se résumer ce qui a longtemps fait la force et la puissance de la France. En d’autres termes, c’est un Etat stratège qui offre les garanties d’une paix intérieure et d’une réussite industrielle et commerciale.

Ce modèle – s’il en est un – repose sur des institutions assurant la pérennité et la continuité des affaires publiques, dans un cadre doté d’autorité en matière industrielle et commerciale, et permettant l’essor des entreprises et investissements privés.

Outre ce schéma intérieur, la France a su gagner des parts de marchés et façonner des débouchés privilégiés que furent tout à tour l’Amérique du Nord, l’Afrique, puis les pays de l’Est de l’Europe, et maintenant davantage le Brésil et l’Inde (au seuil de ses « trente glorieuses »), au gré de l’histoire des liens forgés à travers notamment la colonisation. La Francophonie est à cet égard un magnifique outil de culture commune, de rayonnement et d’échanges, mais encore d’influence.

De toute évidence, ce fut le succès et la grandeur de la France, sous Napoléon III (dont 2023 sera une année de commémoration), la 3e République, et enfin arrivé à son firmament sous le Général De Gaulle.

La France a joui d’une école telle que l’ENA permettant de s’assurer de grands serviteurs de l’État outre dans les sciences celle de Polytechnique, legs de Napoléon Ier. La France avait un ministère puissant que fut celui de l’Économie et des Finances, alors abrité au Louvre, dans l’aile Richelieu, tout un symbole.

Selon l’ancien ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine, la France détient des avantages essentiels contre la mondialisation destructrice[i] : Elle conserve des capacités technologiques aéronautiques, spatiales et nucléaires fortes.

Les principales filières françaises sont actuellement :

  • Industrie du luxe : HERMÈS, KERING, LVMH, L’ORÉAL unies notamment au sein du Comité Colbert (encore un nom de référence),
  • Énergies et environnement : EDF, ENGIE, TOTAL ÉNERGIES, AREVA, VEOLIA, SUEZ,
  • Médias : TF1, M6, VIVENDI, LAGARDERE, PUBLICIS, HAVAS,
  • Tourisme : ACCOR, AIR France, GROUPE ADP, TRIGANO,
  • Big Pharma : BIOMERIEUX, SANOFI, IPSEN,
  • Agriculture, alimentation et agroalimentaire : DANONE, PERNOD-RICARD, RÉMI COINTREAU, SODEXO, BONDUELLE,
  • Aéronautique, automobile et armement THALES, SAFRAN, DASSAULT, MICHELIN, RENAULT, STELLANTIS (Peugeot, DS, Citroën), VALEO,
  • BTP – immobilier : VINCI, EIFFAGE, SAINT-GOBAIN, BOUYGUES, SCHNEIDER ELECTRIC, LEGRAND, KLEPIERRE, NEXITY, SPIE, UNIBAIL, VALLOUREC,
  • Tech : CAPGEMINI, ORANGE, ATOS, STMICROELECTRONICS, SOPRA STERIA.

Avec seulement 1 % de la population, sur 1 % du territoire mondial, elle est encore la 8e puissance économique mondiale (5 % du PIB mondial).

Elle est le 3e exportateur de services et le 2e investisseur à l’étranger tout en étant le 5e pays pour l’accueil des investissements directs étrangers (IDE). Elle a un atout agricole considérable trop souvent sous-estimé. Elle rayonne par son capital culturel et architectural, contribuant aux ressources liées au tourisme qui constitue un axe fort de son PIB.

La France est désormais (depuis le Brexit) la seule puissance européenne à posséder une industrie d’armement appuyée sur une filière quasi intégrale, à disposer de l’arme nucléaire et à posséder d’une armée complète (terre, air et espace, mer, cyber), avec un règlement de discipline fort et jouit d’un siège permanent au conseil de sécurité de l’ONU.

Elle a une politique extérieure qui est susceptible de peser comme 3e voix. Elle dispose d’un réseau d’ambassades solide (158 ambassades, 97 consulats et 15 000 fonctionnaires présents dans les institutions internationales), outre une présence militaire à l’étranger dans sa sphère d’influence naturelle. Elle peut s’appuyer sur une francophonie rayonnante (collèges et lycées à l’étranger, 144 centres et instituts culturels et 283 alliances françaises).

De fait, de nombreux pays souhaitent ardemment voir la France renouer avec une position non-alignée et en être le chef de file. Elle est un modèle qui s’ignore ou demeure dans le déni.

Les défis économiques français

Face au monde de « postglobalisation », où s’affirment des hyperpuissances économiques, fort de son héritage plus que millénaire, la France dispose ainsi de ressources nécessaires pour affronter les défis contemporains.

Relevons que les défis industriels de la décennie sont désormais :

  • Le moteur à hydrogène,
  • Les batteries électriques,
  • La fusion nucléaire,
  • L’intelligence artificielle,
  • Les missiles hypersoniques,
  • L’informatique quantique.

La France a certes pris du retard faute d’impulsion stratégique, mais elle conserve des filières de recherches et d’excellence qui peuvent être mobilisées. Le récent discours public sur la relance du nucléaire devrait être encourageant à ce titre et renouer avec des connaissances industrielles qui avaient été reléguées au second plan, même si la filière est à reconstruire.

Elle a encore de grandes entreprises leaders, fleurons industriels qui investissent dans ces domaines.

Enfin, elle un savoir-faire incontournable dans le luxe (legs de Colbert) qui est une industrie fortement ancrée dans les territoires, peu délocalisable, à forte valeur ajoutée, vitrine de la culture française et qui mise sur le qualitatif. Elle est également un modèle social de transmission, de formation, d’éthique, de respect de l’environnement et de la biodiversité, et enfin d’un certain partage des richesses, car les salaires demeurent élevés.

C’est sans doute l’avantage comparatif le plus parlant de la France, qui reste pour elle un secteur d’avenir patrimonial et une chaîne de valeur précieuse.

Tous ces atouts doivent être valorisés pour permettre de retrouver une fierté économique et de renouer dans une communion nationale face à un monde en tension.


[i] VEDRINE Hubert, Rapport pour le président de la République sur la France et la mondialisation, 2007