Mobilisons-nous concrètement pour notre souveraineté économique !

Accident De Train, Accident, Gare, Déraillement

par Nicolas Ravailhe, Ali Laïdi, Nicolas Moinet, Christian Harbulot et Olivier de Maison Rouge

La crise que nous traversons révèle ce que nos dirigeants refusent de voir depuis des années. Nous sommes en guerre économique. Notre pays souffre parce qu’il ne maîtrise plus tous les leviers de sa souveraineté économique. Il nous faut réagir pour défendre nos intérêts sans honte, sans visée « impérialiste » et dans le cadre d’une Europe-puissance qui s’assume. La France doit agir vite en définissant une double stratégie qui consiste à contribuer à renforcer l’Europe sans s’affaiblir. Notre pays en les moyens et de nombreux acteurs de l’intelligence économique[i] sont opérationnels dès maintenant.

Faire face à la guerre économique

Certes, nous n’appelons pas à la guerre économique. Au contraire, nous voulons éviter qu’elle ne dégénère en guerre tout court. Seule la prise de conscience de la violence économique permet aux sociétés d’évoluer à leur rythme et de préserver leur modèle socio-culturel. 

Depuis des années, notre pays se désindustrialise et s’appauvrit. Aujourd’hui, notre PIB par habitant est inférieur à celui de la moyenne européenne dans toutes les régions françaises à l’exception de l’Ile de France.

Pendant que nous décrochons, nos partenaires se réarment sur le plan économique. La quasi-totalité des Etats met en œuvre des logiques d’intelligence économique pour défendre leurs intérêts.

La France souffre d’un déficit annuel de son commerce extérieur endémique de plus de 60 milliards, réparti pour moitié dans les échanges au sein du marché intérieur européen et pour l’autre moitié dans le commerce avec la Chine. Cela affecte les possibilités d’investissements dans les politiques publiques utiles comme la santé, l’éducation ou la sécurité ainsi que dans les technologies d’avenir.

Les causes de notre effondrement économique sont multiples ; les analyses sont souvent justes mais invalidantes. Il convient de les dépasser pour vaincre les réticences naïves, les reniements et les trahisons.

Se retrouver dans un combat commun

Notre pays doit se reconstruire à partir d’un récit national à rédiger sur la base d’une nouvelle grille de lecture. Cette dernière doit être structurée autour du modèle républicain de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Un tel récit est un point de passage obligé pour faire face aux guerres informationnelles dont la France fait l’objet sur son histoire, ses valeurs et ses potentialités à l’intérieur comme à l’extérieur de nos frontières.

Le défaut de compétitivité internationale de la France n’est pas inhérent à ses modèles culturels, sociaux ou économiques, ni aux engagements en faveur de l’environnement ou d’un monde humaniste. Il est la conséquence d’un défaut d’organisation et de volonté, de capacité à travailler ensemble de manière pluridisciplinaire en retrouvant les vertus d’une planification efficace. Démarche collective qui vise l’agilité par un usage stratégique de l’information (renseignement ouvert, sécurité économique et influence), la finalité politique de l’intelligence économique est d’être souverain en matière économique afin de garantir la maîtrise de la propriété intellectuelle et de nos savoir-faire comme de la production industrielle avec des emplois sur le territoire national.

Compter d’abord sur nos propres forces

Depuis une vingtaine d’années, des hommes et des femmes formés à l’intelligence économique[ii] travaillent au sein de l’Etat, des collectivités territoriales, des entreprises pour défendre les intérêts de leur organisation. Un certain nombre se tient prêt aujourd’hui à servir notre pays. Les compétences existent.

D’autres forces sont en train de prendre conscience de la nécessité de s’engager dans une telle voie. Elles sont de nature syndicale ou appartiennent à la société civile. De nouveaux liens se nouent de manière transversale et laissent présager de nouvelles pistes d’action constructive. Reste à les rassembler.

Pour l’instant, le pouvoir politique diffuse de belles paroles mais pour les actes, qu’en est-il ? Les initiatives que certains tentent d’initier vers l’Union Européenne ne doivent pas nous faire oublier qu’elles se heurtent à une réalité incontournable : l’Europe est sous la dépendance des Etats-Unis d’Amérique depuis 1947. Autrement dit, les marges de manœuvre sont excessivement étroites. La France doit d’abord apprendre à se mettre au niveau de pays qui ont parfaitement intégré cet état de fait et qui mènent plusieurs stratégies en parallèle. Ces derniers tentent de construire l’Europe certes mais tout en défendant le mieux possible leurs propres intérêts. L’Allemagne est sur ce point précis un cas d’école :

  • En privilégiant par exemple ses relations bilatérales avec les Etats-Unis dans certains secteurs industriels au détriment d’une démarche d’intégration européenne (en particulier dans l’armement).
  • En signant avec la Russie des accords gaziers qui faussent toute approche unitaire d’une politique européenne de l’énergie.
  • En pratiquant très habilement un protectionnisme dilué au sein des Länder, tout en se présentant comme le pays modèle dans l’application des critères de respect de la concurrence édictée par l’Union Européenne.

Agissons avec lucidité

Mais ne nous trompons pas, l’Allemagne n’est pas le seul Etat membre à agir ainsi. Les Pays-Bas se présentent eux aussi comme un pays modèle pro-européen alors qu’ils sont un des principaux points d’entrée de produits chinois sur le vieux continent. Il est donc difficile d’imaginer pour l’instant un processus européen d’intelligence économique dans un contexte aussi contradictoire.

La crise sanitaire COVID-19 a montré les dangers de notre abandon de souveraineté économique à tous les échelons : local, national et européen. Elle expose des filières économiques, des acteurs économiques publics comme privés, à de possibles cessations d’activités et/ou à des prédations.

Que se passera-t-il lorsque prendront fin les dispositifs d’aides économiques nationaux et qu’il faudra retourner aux cadres européens contraignants (politique de concurrence, semestre européen / restrictions de politiques publiques, démantèlements industriels, enjeux législatifs et normatifs, financements…) ? Notre tissu économique sera plus fragile et donc plus exposé.

L’urgence d’un programme national d’intelligence économique

  • Former plus amplement en matière d’intelligence économique ; ouvrir le champ de la recherche académique aux problématiques interdisciplinaires de l’intelligence économique et de la guerre économique.
  • Organiser l’Etat et les territoires pour anticiper, comprendre et agir face aux menaces ou pour exploiter les opportunités économiques.
  • Mettre en place des programmes territoriaux de réindustrialisation en ayant recours à des contractualisations Etat-territoires au service de la production et de l’emploi local.
  • Mobiliser les forces vives du pays, des champs de la recherche scientifique et de l’expertise technologique, aux compétences sociales et juridiques, à la stratégie politique…face aux défis du marché intérieur européen comme à ceux des relations de l’Union européenne avec les pays tiers.
  • Développer une stratégie d’influence autonome, dans le cadre des relations internationales multilatérales ou bilatérales, afin de défendre les valeurs et les intérêts de notre pays.
  • Protéger et accompagner le développement des opérateurs économiques de nos territoires par des moyens financiers souverains et en permettant à tous ceux qui le souhaitent, par des moyens de participations citoyennes, de soutenir et d’investir dans les entreprises de leurs territoires.

[i] Quand on tape « intelligence économique sur LinkedIn, on obtient 39000 résultats.

[ii] Si on comptabilise toutes les personnes qui ont été formées à l‘intelligence économique par tous les canaux de formation français, nous ne sommes pas loin d’atteindre le chiffre de 10 000 personnes.