La France et la menace djihadiste moderne 

Par Paulo Casaca (ancien homme politique portugais élu au Parlement européen, ancien diplomate, ancien universitaire, ancien consultant en développement durable et actuel dirigeant d’une association humanitaire, ARCHumankind, et d’un groupe de réflexion, le South Asia Democratic Forum..

Avec le cachet officiel des autorités françaises, bien que sans attribution spécifique, un rapport intitulé « FRÈRES MUSULMANS ET ISLAMISME POLITIQUE EN FRANCE » est apparu dans le domaine public le 20 mai.

Selon la presse (Marianne,23/05/2025),tL’ancien ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a commandé ce rapport, rédigé par deux hauts fonctionnaires français, François Gouyette et Pascal Courtade. Sa publication officielle aurait dû avoir lieu le 21 mai, à l’issue d’une réunion du Conseil National de Défense et de Sécurité Nationale. Cependant, il a partiellement fuité dans la presse la veille, possiblement comme un moyen trouvé par Bruno Retailleau, l’actuel ministre de l’Intérieur, pour éviter qu’il ne soit édulcoré (ou dilué davantage).

Le modèle britannique

Le rapport semble avoir formellement suivi le rapport « L’Islam politique » et le rapport « Revue des Frères musulmans » publié par la Commission des affaires étrangères de la Chambre des communes le premier novembre 2016, un rapport rédigé à la suite d’un autre rapport commandé en avril 2014 par l’ancien Premier ministre David Cameron pour évaluer « la philosophie, les activités, l’impact et l’influence sur les intérêts nationaux du Royaume-Uni, au pays et à l’étranger, des Frères musulmans, ainsi que la politique gouvernementale à l’égard de l’organisation ».

Seules les « principales conclusions » du rapport initial, achevé en juillet 2014, ont été rendues publiques, et avec un retard considérable, le 17 décembre 2015. Le rapport parlementaire s’écarte à plusieurs égards de celui du gouvernement par une plus grande ambivalence envers l’organisation :

  • Il nuance son caractère secret en déclarant : « Nous critiquons le manque de transparence des Frères musulmans, mais cette critique s’applique également à l’évaluation gouvernementale des Frères musulmans. L’opacité du processus, les accusations évidentes concernant les motivations de l’évaluation, et l’absence de publication intégrale de celle-ci ont ouvert la voie à la critique. » (p. 45, point 175)
  • Il approuve la décision du gouvernement, qui n’est pas explicite dans les principales conclusions, de ne pas désigner « les Frères musulmans comme une organisation terroriste ». (p. 3, Résumé)
  • Tout en concédant certaines critiques à l’égard de l’organisation, elle la considère comme un lieu potentiel pour l’instauration de la démocratie : « Certains groupes politico-islamistes ont largement constitué un pare-feu contre l’extrémisme et la violence », citant abondamment la branche tunisienne de l’organisation en exemple (point 106).

Contrairement à son homologue britannique (que l’on pourrait appeler rapport Jenkins-Farr, d’après les noms de ses deux principaux auteurs), le rapport français (que l’on pourrait également appeler rapport Courtade-Gouyette, d’après ses deux principaux auteurs) a été entièrement divulgué. Cependant, les chambres basse et haute du Parlement français pourraient suivre l’exemple britannique, en changeant de ton ou en ouvrant d’autres pistes de recherche au rapport.

Le rapport parlementaire britannique accuse le gouvernement d’avoir décidé d’entreprendre ce rapport sous la pression de certains États arabes opposés aux Frères musulmans (points 128-132).

C’est une hypothèse tout à fait crédible, compte tenu du fait que les Frères musulmans sont un acteur secondaire dans l’écosystème islamiste du pays. Ce lobbying expliquerait également pourquoi le gouvernement Cameron n’a déployé aucun effort sérieux pour contrer toute forme d’influence islamiste dans le pays, y compris celle des Frères musulmans.

Si les Frères musulmans occupent un rôle plus important dans l’écosystème islamiste français que dans celui britannique, reflétant la majorité respective arabophone et sud-asiatique de la migration vers les deux pays, il se pourrait bien que la singularisation des Frères musulmans dans les deux rapports soit due à la même raison : satisfaire le lobby des pays arabes se sentant particulièrement menacés par cette organisation.

Autrement, les rapports britannique et français utilisent tous deux une approche fondée sur les concepts d’« islam politique » par opposition à un « islam prétendument quiétiste » et au « salafisme », compris comme une sorte d’alternative aux Frères musulmans, ignorant complètement la théocratie iranienne et minimisant les réseaux islamistes d’Asie du Sud.

L’expression « islam politique » est dénuée de toute signification analytique. Toute religion possède une dimension politique, et le catholicisme, qui possède son propre État, en est sans doute le plus grand exemple. Autrement, il n’existe pas d’unité politique entre les adeptes de l’islam, tout comme il n’existe pas d’unité politique nécessaire entre ceux qui professent d’autres religions.

Ce qui devrait être évident pour notre establishment occidental, c’est que la réponse naturelle à un islam conservateur hautement politisé est un islam politique ouvert d’esprit. La stigmatisation de l’« islam politique » en tant que tel joue en faveur de ceux qui veulent faire de leur lecture de la religion la seule alternative possible et concevable.

Le canular salafiste

Appliqué à l’islam, le salafisme peut se traduire par intégrisme, fondamentalisme ou traditionalisme. Cependant, il ne peut être attribué à une obédience spécifique dans un contexte historique particulier, car ses origines sont enracinés au Moyen Âge.

Aujourd’hui, l’expression est couramment utilisée pour souligner que des organisations comme les Frères musulmans ne sont pas tout à fait fanatiques, car il en existe d’autres qui le sont beaucoup plus, le cas le plus connu étant celui d’Al-Qaïda, qui s’est séparée des Frères musulmans, les considérant comme trop modérés.

Les dissensions au sein des mouvements musulmans ont été répandues tout au long de l’histoire, et l’argument de la nécessité d’une réforme, rapprochant la foi de ses origines, est peut-être le plus largement utilisé pour justifier les ruptures, à l’instar de ce que nous pouvons observer dans l’histoire chrétienne.

L’usage répandu d’un double langage au sein de la foi (relevé par le rapport Jenkins-Farr comme caractéristique des Frères musulmans, par exemple, au point 39) signifie que ces dissensions varient considérablement entre l’apparence et la réalité.

Le rapport Courtade-Guyette utilise le terme « salafisme » d’une manière qui s’inscrit dans la tendance contemporaine, laissant entendre que le mouvement des Frères musulmans est plus modéré que l’islam prôné par l’Arabie saoudite. Dans le glossaire et certaines parties du texte, le salafisme apparaît comme un adjectif similaire à celui du wahhabisme, tous deux politiquement attribués à l’Arabie saoudite.

Depuis que le prince Mohammed ben Salmane a publiquement désavoué son pays de l’obédience wahhabite – une démarche qui a été durement critiquée par le seul État wahhabite restant, le Qatar – le terme « wahhabisme » a été largement remplacé par « salafisme » pour désigner ceux qui ont un discours plus fanatique que les islamistes traditionnels, trahissant l’intention de s’opposer à l’Arabie saoudite plutôt que de se référer à une école de pensée spécifique.

La réalité est qu’Al-Qaïda en tant qu’organisation est sans aucun doute plus proche des Frères musulmans que du prince héritier saoudien, d’un point de vue politique significatif, et l’utilisation de ce vocabulaire ne sert qu’à brouiller cette réalité.

Comme le montrent les talibans afghans, il est toujours possible d’aller plus loin dans le combat islamiste. Autrement dit, on peut toujours devenir plus salafiste que l’organisation intégriste établie, mais cela ne signifie pas que l’organisation d’origine n’est pas elle-même salafiste.

Contredisant le ton du rapport, les conclusions admettent cependant (page 64) que :

Derrière une stratégie mêlant dissimulation, recherche de légitimité et victimisation, le mouvement des Frères musulmans français, dont la stratégie transactionnelle est aujourd’hui hybridée avec des courants fondamentalistes (salafisme, tabligh, déobandi), semble poursuivre avec persévérance depuis 4 décennies les mêmes visées.

Le Tabligh est peut-être la plus grande organisation musulmane au monde. Son interprétation de l’islam est très fondamentaliste (on peut donc le qualifier de salafiste) et il se spécialise dans l’endoctrinement. Il ne constitue donc pas une alternative aux Frères musulmans ni à toute autre organisation vouée à un programme social, économique ou politique.

Le Deobandi est une tradition fondamentaliste qui a débuté à Deoband, dans le nord de l’Inde, dans la seconde moitié du XIXe siècle et qui perdure encore aujourd’hui, avec un impact significatif dans la partie nord de l’Asie du Sud et ayant influencé de manière critique les talibans, entre autres.

Il n’y a aucune contradiction entre être membre des Frères musulmans, être salafiste, passer par le centre d’endoctrinement Tabligh et suivre une école de pensée déobandie. Cette dissimulation vise précisément à faire croire aux étrangers que les Frères musulmans sont plus modérés que les autres formes d’islamisme.

Le parallèle avec le Komintern

L’observation la plus frappante du rapport Courtade-Guyette est l’établissement d’un parallèle entre l’organisation internationale des Frères musulmans et le Komintern (page 29), établissant ainsi indirectement un parallèle entre l’islamisme et le communisme.

Parler de l’islamisme sans un mot sur la théocratie iranienne, c’est comme parler du communisme sans mentionner l’Union soviétique, et comparer l’organisation maladroite et chaotique des Frères musulmans au Komintern est tout à fait absurde.

Le rapport exagère considérablement l’importance des Frères musulmans au détriment d’autres groupes, et ce n’est là qu’un exemple. Dans d’autres cas, le rapport va bien plus loin dans cette direction.

Selon le rapport (page 17), « En décembre 1953, Saïd RAMADAN organisa à Jérusalem le « Congrès islamique de Jérusalem » pour la Palestine, au cours duquel fut établi le principe de solidarité mondiale contre le sionisme. » Le rapport ne fournit aucune référence pour étayer l’existence d’un tel congrès, qui est introuvable. Les auteurs du rapport pourraient-ils penser que certaines revendications orales du clan Ramadan doivent être prises au pied de la lettre ?

Dans ce contexte, il aurait été logique de se référer à la Conférence islamique de Jérusalem, qui a été convoquée le 4 septembre 1931, par le président de la Société du Califat de l’Inde, Shawkat Ali, à l’occasion du principal rassemblement islamique international à Jérusalem et du lancement de l’opposition islamiste au sionisme. Cependant, cela aurait souligné que le mouvement du Califat, plutôt que les Frères musulmans, était le mouvement islamiste le plus important de l’époque.

Outre la surestimation traditionnelle de l’importance doctrinale d’Al Banna et de Qutb au sein du mouvement islamiste, le rapport se distingue par ses multiples citations de membres du clan Ramadan. Cependant, à l’heure actuelle, il est peu probable que ce clan joue un rôle significatif au sein des Frères musulmans.

Le rapport évoque la création de l’une des premières organisations islamistes en France, l’Association des étudiants musulmans de France, en 1963, à l’initiative d’un « réfugié » indien, Mohammed Hamidullah. Il ne précise toutefois pas si cette initiative n’était pas liée aux Frères musulmans.

Alors que les Frères musulmans peuvent difficilement être considérés comme un « Komintern musulman », j’ai attiré à plusieurs reprises l’attention sur le pamphlet de Maulana Maududi de 1927, « Jihad en Islam », que j’ai décrit comme inspiré du Manifeste du Parti communiste.. Son œuvre est plus significative que n’importe quel classique original des Frères musulmans. En 1941, Maulana Maududi fonda la plus importante organisation islamiste de l’ex-Inde, la Jamaat-e-Islam. Il exerça une influence déterminante sur Ruhollah Khomeini et Sayed Qutb.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que les trois dirigeants islamiques cités ici – Shawkat Ali, Mohammed Hamidullah et Maulana Maududi – sont originaires de l’Inde d’avant l’indépendance. Bien que leurs programmes politiques soient différents, leur message partage un trait culturel commun.

Le casse-tête qatari

Le rapport Courtade-Gouyette, tout en ignorant complètement la menace iranienne, examine en détail l’utilisation des Frères musulmans par le gouvernement turc, dans le contexte de sa nostalgie du califat. Cette préoccupation est sans aucun doute justifiée lorsqu’elle est correctement placée dans son contexte.

L’obsession pour les aspects organisationnels particuliers des Frères musulmans conduit cependant à un manque total d’attention pour des organisations comme Jamaat-e-Islami, idéologiquement indiscernable des Frères musulmans et occupant un espace politique similaire en Asie du Sud.

Cette perspective biaisée permet aux mêmes autorités françaises qui observent avec inquiétude la montée de l’islamisme à l’intérieur et dans le voisinage immédiat, d’ignorer les conséquences du coup d’État d’août 2024 au Bangladesh, dominé par le Jamaat-e-Islami.

Après l’Iran, le Qatar constitue la deuxième omission géopolitique la plus importante du rapport. Son rôle historique dans le financement des Frères musulmans est reconnu. Pourtant, suite à l’accord d’Al-Ula de fin 2021, le rapport précise que tout soutien qatari aurait été suspendu (page 28). Suite à l’accord franco-qatari, un contrôle strict des mouvements financiers aurait été instauré, empêchant le financement des Frères musulmans (page 29).

Cependant, de manière contradictoire, les conclusions affirment que le Qatar utilise des instruments financiers immobiliers pour financer les Frères musulmans, sans référence à un calendrier précis (page 64).

Le rapport n’examine même pas le financement direct qatari des universités, des sports et autres activités culturelles, ni son influence sur les politiciens, ce qui contraste fortement avec les inquiétudes de l’opinion publique dans des pays comme les États-Unis. Ce mépris total pour ce qui constitue le principal instrument politique d’influence des politiques internationales occidentales est intrinsèquement lié au point de vue occidental qui considère la question dans les limites de la pensée conservatrice traditionnelle : la question du djihad étant confinée à la culture migratoire ou à la foi musulmane.

Le fait de fermer les yeux sur le généreux Qatar est une caractéristique commune des politiques occidentales actuelles, particulièrement évidentes aux États-Unis (indifféremment dans les administrations Biden et Trump) qui donnent au Qatar – le principal sponsor financier de l’islamisme droitier dans le monde entier, le statut de plus proche allié tout en combattant en même temps les effets de cet islamisme sponsorisé.

Les multiples « Qatargates » qui se propagent dans le monde occidental – c’est-à-dire l’influence dissimulée, voire la capture, de l’Émirat sur le cadre politique occidental – devraient être au centre des préoccupations de tout rapport s’intéressant à l’influence islamiste.

Le Qatargate européen mérite une analyse approfondie, car il répond aux préoccupations fondamentales de la France, telles qu’elles sont exposées dans le rapport. Cependant, le Qatargate israélien est le plus révélateur au niveau international.

Indépendamment des détails du Qatargate israélien impliquant des pots-de-vin présumés à des membres du cercle intime du Premier ministre israélien et des accusations réciproques entre lui et l’ancien chef de la sécurité intérieure israélienne, le Premier ministre du pays a reconnu avoir permis au Qatar de financer le Hamas depuis 2018.

La prise de l’Europe

Le rapport souligne avec justesse la dimension européenne du phénomène, en concentrant ses observations sur les pays voisins comme la Grande-Bretagne, considérée comme la plus touchée, ainsi que sur l’Allemagne et la Belgique, cette dernière étant un pays où les Frères musulmans et d’autres organisations islamistes ont une présence beaucoup plus critique, avec un impact significatif en France.

Le rapport se concentre sur le financement européen d’une organisation de façade des Frères musulmans (ENAR) intégrée dans un soi-disant « Réseau européen antiraciste » et sur le fait que ce financement a continué même après que la France a interdit la section française épousant ouvertement l’idéologie suprémaciste religieuse.

La Belgique est à juste titre pointée du doigt pour avoir permis le contournement de la loi française, permettant à l’organisation interdite « Collectif contre l’islamophobie en France » de se transformer en « Collectif contre l’islamophobie en Europe ». L’organisation de façade des Frères musulmans continue donc d’animer ENAR selon cette procédure. Le rapport ne souligne cependant pas que les institutions européennes financent cette organisation depuis des décennies, la présentant même parfois comme une représentation des points de vue européens. Les autorités européennes ont également omis de souligner que les mesures prises par la France contre l’organisation étaient fondées sur son atteinte aux valeurs de la Convention européenne des droits de l’homme.

Si le rapport évoque l’affaire ENAR, il ne mentionne pas le Qatargate européen, un scandale beaucoup plus vaste et révélateur, auquel j’ai consacré une certaine attention.

En un mot, ce scandale est crucial pour trois raisons importantes :

i C’est la preuve de la capture d’institutions européennes essentielles, principalement au sein du Parlement européen mais aussi au sein de la Commission européenne ;

ii. Il montre comment le Qatar peut utiliser des véhicules dissimulés tels que les soi-disant « Fondations pour une société ouverte » pour financer ses opérations ;

iii. Le scandale a été largement occulté ou détourné vers des aspects secondaires dans l’opinion publique, et il n’a donné lieu à aucune analyse ni à aucune correction de cap.

S’il y a vingt ans, lorsque les institutions européennes ont commencé à financer les organisations écrans des Frères musulmans connues sous le nom d’ENAR, on pouvait faire des capacités de dissimulation de l’organisation islamiste la question cruciale, l’insistance à continuer à le faire malgré les éclaircissements apportés par les autorités françaises, montre que le problème principal vient des institutions européennes elles-mêmes plutôt que du secrètisme de l’organisation islamiste.

La mise en place

Si les autorités françaises veulent poursuivre avec succès la piste du « Komintern » évoquée dans ce rapport, elles pourraient s’inspirer du remarquable roman de Vladimir Volkoff, « Le Montage ».

Outre un lien initial subjectif et émotionnel à une cause, un pays ou une foi – élément qui peut justifier l’adhésion d’une population musulmane migrante à des organisations comme les Frères musulmans – les complots comme celui décrit par Volkoff impliquent tromperie, influence, cupidité et d’importants quiproquos politiques, comme l’Union soviétique luttant pour les intérêts de la classe ouvrière.

Les contreparties politiques actuelles sont quelque peu plus extrêmes que celles de l’ère soviétique. Selon une blague largement répandue à l’époque, le communisme soviétique se caractérisait comme un système dans lequel « ils prétendent nous payer un salaire honnête et nous prétendons faire une journée de travail honnête ». Dans le ton critique de la blague, il y a la concession que le système n’était pas dur avec les tâches professionnelles de ses citoyens.

À ma connaissance, personne dans aucun pays à majorité musulmane ne considère sérieusement les islamistes autrement que comme des membres d’extrême droite ou simplement des ultraconservateurs. Il est donc surprenant de voir comment cette extrême droite peut devenir populaire au sein de la gauche sociologique ailleurs. Autrement dit, le quiproquo actuel est plus extrême que celui de l’ère soviétique et il est répandu dans pratiquement tous les coins du monde occidental.

Le quid pro quo est particulièrement aigu en France, où une force politique perçue à l’extrême gauche de l’échiquier politique apparaît la plus proche de l’échiquier politique islamiste, tandis qu’à l’inverse, les forces perçues à l’extrême droite de l’échiquier politique apparaissent comme leurs critiques les plus importantes.

Sans une réflexion approfondie sur ce quiproquo, il est impossible de clarifier la « saisie » actuelle et de percevoir correctement la menace djihadiste. Mounir Sartouri, député européen français d’origine marocaine, a vu le rapport davantage comme un outil de stigmatisation des migrants que comme un véritable instrument de lutte contre l’islamisme. Son avis est tout à fait significatif car il ne peut pas être considéré comme proche des Frères musulmans.

Conclusions

Le djihad moderne, tel que défini par Maulana Maududi, est une idéologie totalitaire visant la conquête mondiale, menaçant les valeurs et les règles humanistes qui guident nos sociétés. Cette idéologie se nourrit d’une lecture intégriste de la foi musulmane, sans toutefois s’y limiter. Plusieurs acteurs étatiques et non étatiques ont adhéré à cette idéologie, la suivant de différentes manières.

Confondre la foi musulmane avec sa manipulation par le projet du djihad moderne est un mauvais service rendu à tous ceux qui s’opposent à ce projet. Rien ne permet de supposer que les musulmans d’Occident soient nécessairement des adeptes du djihadisme, tout comme rien ne permet de supposer que les non-musulmans ne puissent pas être utiles au djihadisme.

S’engager auprès de la population migrante en Europe qui se trouve être musulmane est une nécessité, et cet engagement n’est pas nécessairement lié à des questions non religieuses.

Sur les questions religieuses, les interlocuteurs occidentaux doivent éviter d’être manipulés par les islamistes qui se prétendent modérés et « préviennent la radicalisation ». Les Frères musulmans constitueraient un rempart contre les salafistes, le clergé chiite iranien un autre obstacle à l’extrémisme sunnite, ou encore, comme de nos jours, un soutien à Al-Qaïda et aux talibans, la stratégie idéale pour contrer l’État islamique.

Notre système politique commet sa plus grave erreur en abandonnant l’étude de l’Islam à ceux qui veulent le manipuler, en laissant leurs concepts et leur raisonnement prendre le dessus sur les efforts visant à affronter le djihadisme.

Bruxelles, 28.05.2025