La guerre économique

par Philippe Baumard et Christian Harbulot


Rappel des définitions

« La guerre économique est l’expression majeure des rapports de force non militaires. La survie d’un pays ou d’un peuple tout comme la recherche, la préservation et l’accroissement de puissance en sont les principaux éléments déclencheurs ». Christian HARBULOT

« La compétition économique est désormais planétaire. La conquête des marchés et des technologies a pris la place des anciennes conquêtes territoriales et coloniales. Les armes s’appellent innovation, productivité, taux d’épargne, consensus social et degré d’éducation. Les défenses se nomment droits de douane, protections monétaires et entraves au commerce international. Les combattants, Japon, États-Unis, Europe, Chine, Russie, mais aussi tiers-monde, s’affrontent sans merci ». Bernard Esambert 

Définition du dictionnaire Larousse

Lutte armée entre États. (La guerre entraîne l’application de règles particulières dans l’ensemble des rapports mutuels entre États ; elle commence par une déclaration de guerre ou un ultimatum et se termine par un armistice et, en principe, par un traité de paix qui met fin à l’état de guerre.)

Lutte entre des groupes, entre des pays qui ne va pas jusqu’au conflit sanglant : Une guerre économique, de propagande.

Lutte entre des personnes, hostilité : Entre lui et moi, c’est la guerre.

INTRODUCTION

Longtemps considérée comme un concept exotique par le monde universitaire, la guerre économique est train de devenir une réalité incontestable des relations internationales. Les penseurs qui stigmatisent les rapports de force entre puissances[1] ont dû s’incliner devant l’évolution très démonstrative des relations internationales. Aux actes de portée géopolitique (arme du gaz utilisée par la Russie pour renforcer son statut de puissance, remise en cause de la suprématie monétaire du dollar par l’Iran) se sont ajoutés des faits de nature géoéconomique (tensions diplomatiques sur la question des ressources entre la Chine et le Japon, politique protectionniste affichée par les Etats-Unis à l’encontre de la Chine dans le domaine de l’industrie solaire). Ces différents faits soulignent l’intérêt d’une grille de lecture des affrontements assimilés à la guerre économique.

Le début du XXIe siècle est marqué par une remise en cause de la vision positive du développement héritée des révolutions industrielles et de la pacification relative découlant de la mondialisation des échanges comme l’ont laissé entendre la plupart des économistes libéraux. Dans le même ordre d’idées, la Pax Americana officialisée par la disparition de l’URSS à l’origine du mythe de la fin de l’histoire[2] fait place à une multipolarisation des risques d’affrontement, en raison de la limitation progressive des ressources, des tensions croissantes sur la question de l’énergie, des crises structurelles du monde occidental provoquées par la désindustrialisation et de la volonté de conquête commerciale des nouveaux entrants. De facto, nous entamons une longue période de tensions en tout genre dont le suivi ne pourra pas se limiter à un discours lénifiant sur la recherche de croissance.

Etudier la guerre économique[3] implique de passer du non dit au dit, ce qui est un exercice difficile compte tenu de la volonté quasi universelle des belligérants de masquer la nature de leurs affrontements non militaires.

LES PRINCIPES FONDATEURS DE LA GUERRE ECONOMIQUE

L’Histoire de l’humanité est marquée depuis son origine par deux étapes essentielles : la priorité accordée à la survie et l’opposition entre sédentarisation et nomadisme. La situation de survie a été une situation prédominante pour la plus grande partie de la population mondiale jusqu’au début des révolutions industrielles. Elle a donné lieu à des recours, souvent systématiques, à la violence.

La violence et la survie

Sans parler de guerre économique, étant donné le niveau d’un affrontement surtout individuel donc limité sur le plan collectif, la survie est une des étapes structurantes de la nature des affrontements économiques. L’opposition entre peuples sédentaires et peuples nomades a entraîné des affrontements réguliers comme le démontre la genèse de la vieille Russie[4] :

 « La steppe russe est le prolongement des steppes d’Asie et se fond sur la steppe hongroise. Ce continent de steppes –de la mer Jaune au lac Balaton- est peuplé de nomades qui, depuis la préhistoire, franchissent d’énormes distances, à la recherche de pâtures. Venus des profondeurs de l’Asie, les nomades déferlent par vagues sur la steppe. Ils en chassent les habitants qui, à leur tour, occupent les pâtures de peuples plus faibles. »

Ce ballet guerrier entre les « barbares » de l’Est et les populations des cités de l’Ouest nées du commerce fluvial et terrestre entre la Baltique et la Mer Noire, durera plusieurs siècles et jouera un rôle déterminant dans la construction de l’espace géopolitique russe. Dans le même ordre d’idées, l’histoire de la Chine ancienne est marquée par les invasions répétitives des peuplades nomades turco-mongoles. La première mouture de la guerre économique découle de ce lien dialectique entre l’accumulation de richesse du sédentaire et l’incursion rapide du nomade en territoire étranger, dans le but de faire du butin.

Ressources et territoires

La question des ressources est au cœur de la problématique du développement des civilisations. Au XVe siècle avant JC, les pharaons du nouvel empire[5] avaient besoin de trois ressources naturelles : le bois d’œuvre pour la construction des monuments et des bateaux, le cuivre et l’étain dont l’alliage sous forme de bronze était utilisé à l’époque pour fabriquer les outils et les armes. Les routes commerciales maritimes (Méditerranée, Manche, Baltique) et terrestres (route de la soie, route de l’étain) devinrent des sources d’affrontement récurrent.

La progression de l’humanité entre l’Antiquité et l’époque moderne élargit le champ spatial du processus d’affrontement économique. C’est ainsi que la piraterie devint un véritable levier de puissance. Attirés par les gains du commerce triangulaire[6], les pirates anglais furent les précurseurs guerriers de la future marine royale britannique. Sur mer comme sur terre, les belligérants intégrèrent la dimension économique à leur stratégie militaire et diplomatique. A la sortie du Moyen Age, certains monarques recoururent à l’arme économique[7] pour soutenir l’action militaire. Dans sa lutte prolongée contre Charles Le Téméraire, Louis XI mobilisa sa flotte pour perturber l’approvisionnement de la Flandre, propriété de la maison de Bourgogne, en grains et en hareng. Le roi de France exerça aussi une pression sur les banquiers pour les dissuader de financer l’effort de guerre de son rival et encourage la création de foires à Lyon pour diminuer les rentrées d’argent des foires de Genève, plaque tournante des routes marchandes entre l’Allemagne, l’Italie, et la Bourgogne.

Les dynamiques conflictuelles liées à la colonisation

La constitution des empires est indissociable des processus de colonisation qui jalonnent l’Histoire de l’humanité. Les affrontements militaires qui en découlent sont très fortement corrélés aux enjeux économiques. La colonisation est la matrice de création des empires qui servent notamment à assurer la mainmise sur les richesses minières et les ressources et sur les circuits commerciaux. La capture et l’exploitation d’êtres humains constitue l’une des manifestations les plus voyantes des rapports de force générés par la recherche du gain. Comme le précisent si bien les deux professeurs de New York University, Jane Burbank et Frederik Cooper[8] : «En Grande Bretagne, en France et dans certaines régions des empires portugais et espagnols, ce fut l’esclavage qui rendit l’empire lucratif et l’empire qui rendit l’esclavage possible. » La guerre économique est présente dans toutes les phases de développement de la colonisation, qu’il s’agisse de la dynamique d’expansion de l’empire romain ou des phases de construction des empires maritimes européens à partir du XVIème siècle.

Les Hollandais avaient jeté les bases d’un empire marchand à partir d’une dynamique privée. VOC était une société par actions issue des alliances matrimoniales de groupes familiaux et provinciaux. Mais la vocation privée de la VOC ne lui permit pas de faire face aux velléités guerrières des empires espagnols et portugais qui cherchaient à s’accaparer le contrôle du commerce des épices en provenance de l’archipel indonésien. Elle dut greffer sur sa démarche commerciale les mécanismes de conquête armée, inspirés du modèle portugais.

En 1699, la VOC était la plus grande force économique privée du monde et elle disposait d’une force militaire conséquente de quarante navires de guerre et de dix mille soldats. La Grande-Bretagne entra en conflit avec elle, pour briser sa stratégie monopolistique sur le commerce entre les Amériques et l’Asie. L’agressivité commerciale de la Compagnie anglaise des Indes Orientales l’amena progressivement à adopter une posture politico-militaire sur le sous-continent indien. Elle dut recruter des troupes locales afin de mener des opérations armées contre les souverains régionaux qui contestaient son hégémonie. La montée en puissance du cadre militaire de la colonisation résulta aussi de la rivalité qui opposait les différents empires européens.

L’imbrication de la guerre et de l’économie

Les guerres révolutionnaires et napoléoniennes, s’échelonnant entre 1792 et 1815, accentuèrent le poids de l’économie dans l’évolution des rapports de force entre les pays impliqués dans cette succession de conflits dominés par des jeux d’alliance. Les répercussions économiques des blocus pesèrent à ce propos lourdement dans les changements stratégiques de la France et de la Russie. Pour la première fois dans l’Histoire, la guerre économique devint globale avec l’apparition des deux systèmes de blocus mis en place par les belligérants : blocus maritime de l’Angleterre envers la France, blocus continental[9] de la France pour bloquer les exportations britanniques vers l’Europe. Auparavant, les actions de blocus n’avaient porté que sur des villes portuaires. L’originalité des deux Blocus est la volonté réciproque des Français et des Anglais d’utiliser les mesures de rétorsion économique à un niveau stratégique pour aboutir à une issue favorable dans le conflit. C’est d’ailleurs ce qui se produisit mais pas forcément dans le sens souhaité par Napoléon Ier, puisque  le retrait de la Russie du « Système Continental » voulu par la France déclencha la campagne de Russie, si funeste à l’empire napoléonien.

Cette imbrication de la guerre et de l’économie donna naissance aux premiers mécanismes de guerre économique qui se prolongèrent dans le temps de paix.  A la fin du XVIIIe, la France sort très affaiblie sur le plan industriel par l’effort de guerre consenti lors des guerres révolutionnaires contre l’Europe des monarchies. Napoléonconfia à un scientifique, Jean-Antoine Chaptal[10], la mission de trouver les moyens de dynamiser l’industrie française et de la protéger des menaces commerciales britanniques. Cette volonté de redressement productif demandait un rattrapage en termes d’innovation. Napoléon voulait tout savoir sur les points forts et les points faibles de l’économie britannique et il confia cette mission à une Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale (SEIN) qui orchestra le dispositif d’observation des découvertes d’Outre Manche. Ayant pris quinze à vingt ans de retard dans le savoir technique, les manufactures françaises durent impérativement combler ce handicap par tous les moyens, y compris en recourant aux pratiques illégales de contrebande de machines

La création des structures dédiées à la guerre économique

La première guerre mondiale fit naître des débats sur la manière de gérer l’hypothèse d’une d’une victoire militaire sur le plan géoéconomique, une fois la paix revenue. Le résultat de cette réflexion en Allemagne parut en 1915 sous forme d’un ouvrage qui peut être considéré aujourd’hui comme l’esquisse d’un manuel de guerre économique. Il fut traduit en français sous le titre provocateur deplan de guerre commerciale de l’Allemagne[11]. Dès les premières lignes du sommaire, le ton est donné: « tout commerce est une guerre, le monde est un champ de bataille ».

Dès qu’ils prirent connaissance de l’ouvrage d’Herzog, les Américains le firent traduire et le diffusèrent très largement. Le ministre américain du ravitaillement, M. Herbert Hoover, futur Président des Etats-Unis, indiqua dans une préface figurant dans la version américaine du livre que la menace d’affrontement économique était clairement perçue en ce début de siècle : « Non contente de la suprématie militaire, nous voyons l’Allemagne intriguer pour la suprématie commerciale, avec cet insolent dédain du droit d’autrui, et ce recours à la mauvaise foi qui a caractérisé toute sa politique depuis Frédéric Le Grand ».

La première guerre mondiale[12] officialisa le principe de l’arme économique dans la manière d’aboutir à un résultat. Dès 1914, la prise de conscience  sur la longueur éventuelle du conflit poussa les puissances impliquées à concevoir une démarche de guerre économique comme en témoigne cette note française[13] pour l’attaché militaire des Etats-Unis à Paris:

« Au lendemain de la bataille de la Marne, le haut commandement, en présence de la forme nouvelle que prenait la guerre, a compris que celle-ci serait longue et qu’il ne suffirait pas de combattre l’ennemi sur le seul champ des opérations militaires, mais qu’il importait de l’atteindre chez lui dans ses forces vives. Réduire les disponibilités des armés ennemies en matériel, affaiblir moralement et physiquement l’ensemble de la population, en la privant des matières premières nécessaires à son industrie, en arrêtant son commerce, en bloquant ses finances, en atteignant même son ravitaillement alimentaire, telles sont les idées maîtresses qui ont présidé à l’organisation de la guerre économique.»

Le Ministère de la Guerre français organisa en 1915 un système dédié au renseignement économique. Une Section de Contrôle fut créée et dirigée par un civil Jean Tannery[14], conseiller référendaire de 2e classe à la Cour des comptes. Cette section dut organiser la collecte d’informations nécessaires en amont de la mise en œuvre des actions de guerre économique :

  • Identification des axes de ravitaillement allemands et étude des dispositions à prendre pour arrêter ce ravitaillement.
  • Suivi de l’organisation et du développement des industries de guerre allemande.
  • Préparation des plans de destruction des centres industriels.
  • Rédaction de listes d’entreprises en relation avec l’ennemi.
  • Mise en place des restrictions et des contingentements.
  • Contrôle des flux financiers dans le but d’empêcher les relations financières de l’Allemagne avec l’extérieur.

Au début de la seconde guerre mondiale, le Premier Ministre britannique, Neville Chamberlain, créa en septembre 1939 un Ministère de la guerre économique qui eut des attributions comparables aux structures élaborées pendant la Première guerre mondiale. En juillet 1940, Winston Churchill donna à ce Ministère une option très offensive, en lui adjoignant un nouveau service, le Special Operations Executive, chargé des opérations de sabotages sur le continent et de l’incitation au soulèvement et à la résistance dans les territoires occupés par les armées allemandes. La notoriété de ce nouvel organisme fit passer au second plan les aspects spécifiques à la guerre économique. Ce Ministère arrêta son activité après la défaite de l’Allemagne nazie.

Si l’imbrication de l’économie et de la guerre rendit visible pendant quelques décennies la problématique de la guerre économique, la seconde partie du XXe siècle l’a rendue invisible pour plusieurs raisons :

  • La guerre froide obligea les Etats du Bloc de l’Ouest à taire ou masquer leurs différends économiques au profit d’une volonté d’affichage idéologique unitaire face au Bloc communiste.
  • Les Etats-Unis, nouvelle superpuissance mondiale, ont repris à leur compte la stratégie d’influence britannique mise en œuvre pour lever les barrières protectionnistes en Europe continentale. Les textes sur le libre échange et la libre concurrence sont devenus la grille de lecture officielle de la réalité économique du monde politique occidental. Les rapports de force économiques entre puissances sont passés sous silence ou sont considérés dans le monde universitaire, en particulier par la très grande majorité des économistes libéraux, comme des anomalies peu représentatives de la relation concurrentielle des entreprises.

La recherche d’une grille de lecture sur la guerre économique implique de se pencher simultanément sur l’évolution des mécanismes de conquête (territoriale et commerciale) et sur les méthodes d’accroissement de puissance des Etats.

Les conquêtes commerciales ont commencé à supplanter les conquêtes territoriales au cours du XIXe siècle. Contrairement à la conquête territoriale effectuée le plus souvent par le recours à la guerre traditionnelle, la conquête commerciale vise à accroître la puissance d’un Etat par l’élargissement de sa sphère d’influence sur des marchés extérieurs.

Historiquement certaines puissances n’ont pas hésité à débattre presque publiquement de l’expansion nécessaire à leur survie. C’est notamment le cas du Japon et de l’Allemagne qui ont posé à plusieurs reprises la question de leur espace vital en termes de conquête territoriale ou de conquête commerciale.

LE CHANGEMENT DE PARADIGME DE LA GUERRE ECONOMIQUE

Les méthodes de contrôle et de domination économique élaborés par les empires coloniaux subirent une mutation sous l’effet de la suprématie géopolitique, militaire et commerciale que les Etats-Unis vont assumer aux lendemains de la seconde guerre mondiale. Contrairement aux méthodes coercitives appliquées par les empires coloniaux sur leurs possessions territoriales, les Etats-Unis instituent un nouveau modèle d’expression de la puissance économique sur la base du principe suivant : une superpuissance qui cherche à dominer un pays allié sur une question économique ou culturelle doit chercher le meilleur positionnement en amont au sein de la hiérarchie des valeurs, des règlements et des arbitrages de l’économie de marché.

Les politiques de sécurité économique

Le durcissement de la compétition mondiale amena les Etats-Unis à prendre en considération les affrontements économiques de manière quasi officielle. La première puissance économique du monde se sent légitime pour officialiser au cours des années 90 une politique de sécurité économique qui est déjà amorcée depuis les années 70 avec l’instauration de la section 301[15] du Trade Act de 1974 et la super[16] et spéciale 301 [17]de l’Omnibus Trade and Competitiveness Act de 1988. Les autorités américaines prirent le prétexte de lutter contre la concurrence déloyale subie par les entreprises américaines dans certaines parties du monde. Si l’expression « guerre économique » n’est pas citée dans les textes officiels, les commentaires de certains représentants officiels du pouvoir exécutif américain soulignaient un durcissement des positions dans leur analyse des échanges commerciaux. Carla Hills[18], représentante pour le commerce de 1980 à 1993 l’exprima à sa manière par l’expression inversée de la carotte et du bâton : « Nous ouvrirons les marchés étrangers avec une barre à mine où cela est nécessaire, mais avec une poignée de main toutes les fois où cela est possible ».

En dépit des contestations de nombreux Etats, cette réglementation unilatérale n’a pas été abrogée. Les Etats-Unis l’utilisent désormais comme moyen de pression à l’égard de l’organe de règlement des différends de l’OMC. Le représentant du Département d’Etat[19] fut tout aussi explicite en commentant le dossier du gazoduc entre la Thaïlande et la Birmanie : « La compagnie Total a essentiellement pris la place de Conoco et décroché un contrat qui aurait été très profitable à Conoco. Nous voulons punir les entreprises qui auront ce genre d’attitude à l’avenir ».

Les lois Torricelli (1992), Helms-Burton (1996) et D’Amato (2001) complètent ces mesures de rétorsion commerciale en bloquant l’accès aux pays hostiles aux Etats-Unis afin d’empêcher les concurrents des entreprises américaines de gagner des marchés dans ces zones. A l’exception de Cuba, objet d’un embargo américain depuis 1962, les pays mis en cause par ces lois pétrole comme l’Irak, la Libye, l’Iran et le Nigéria disposaient d’importantes ressources de pétrole.

L’administration Clinton compléta ce dispositif législatif par la création en 1993 du Conseil Economique National[20] travaillant en étroite relation avec le Conseil National de Sécurité. Le secrétaire d’Etat américain Warren Christopher précisa l’importance de la démarche : « la sécurité économique américaine devait être élevée au rang de première priorité de la politique étrangère ».

Plusieurs pays suivirent l’exemple américain à des degrés divers. C’est d’abord la France qui créa en 1995 un Comité Pour la Compétitivité et la Sécurité Economique présidé par le Premier Ministre Edouard Balladur. Ce comité eut une existence éphémère. En revanche, des mesures de sécurité économique furent pérennisées sous la direction du Ministère de l’Intérieur. Dès la première présidence de Vladimir Poutine, le Kremlin renforça le rôle de certains organismes d’Etat dans la protection du patrimoine économique et sensibilisa les gouverneurs des Etats de la Fédération de Russie à cette nouvelle mission. La Chine s’est engagée également dans cette voie au cours de la dernière décennie.

L’impact des stratégies économiques d’accroissement de puissance

Il existe désormais un déséquilibre entre les dynamiques de puissance des nouveaux entrants et la manière dont le monde occidental s’est habitué à gérer sa puissance économique sans rivaux véritables. Les nouveaux entrants ont comme priorité la conquête des marchés extérieurs pour financer leur politique d’accroissement de puissance alors que les pays du monde occidental ont dissocié la problématique de puissance (principalement militaire et diplomatique) des logiques de guerre économique  passées sous silence depuis le milieu du XIXe siècle.  La politique de déréglementation initiée dans le monde occidental accentue ce paradoxe. Les champions nationaux sont démantelés en Europe alors que les nouveaux entrants bâtissent leur compétitivité en misant sur le potentiel de consortiums financés par des banques contrôlées directement ou indirectement par le pouvoir politique du pays. Ce type de fonctionnement est incompatible avec le système compétitif du monde occidental. Il en découle un déséquilibre concurrentiel qui affaiblit les pays industrialisés qui ont découplé la question de l’accroissement de puissance de la problématique de la compétition économique. Un tel déséquilibre est renforcé par l’importance prise par la finance dans le fonctionnement de l’économie de marché occidentale. Les marchés financiers influent sur la définition des enjeux stratégiques dans la mesure où les politiques ont pris l’habitude de substituer le court terme aux critères temporels de construction et de préservation de la puissance.

BIBLIOGRAPHIE

Esambert Bernard, La guerre économique mondiale, Paris, Olivier Orban, 1991.

Crouzet François, La guerre économique franco-anglaise au XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 2008.

Gauchon Pascal, Le Monde, manuel de géopolitique et de géoéconomie, Paris, PUF, 2008.

Harbulot, Christian, Techniques offensives et guerre économique, réédition, Paris, éditions de La Bourdonnaye, 2012.

Harbulot Christian, La main invisible des puissances, éditions Ellipses, Paris, 2007.

Huissoud Jean-Marc, Frédéric Munier, La guerre économique, Rapport Anteios, Paris, Puf, 2010. Laïdi Ali, Aux sources de la guerre économique, fondements historiques et philosophiques, Paris, Armand Colin, 2012.


[1] Badie Bertrand, L’impuissance de la puissance, Paris, Fayard, 2004.

[2] Fukuyama Francis, La fin de l’histoire et le dernier homme, Paris, Flammarion, 1992.

[3] Harbulot Christian, Comment travailler sur l’absence d’histoire, chronique du 7 novembre 2012, www.lesinfluences.fr.

[4] Heller Michel, Histoire de la Russie et de son empire, Paris, Champs, collection histoire, 1999.Page 55.

[5] Grandet Pierre, Les pharaons du Nouvel Empire : une pensée stratégique (1550-1069 av JC) Paris, éditions du Rocher, 2008.

[6] Le commerce triangulaire découle des premières phases de la colonisation des Amériques. Il recouvrait le trafic d’esclaves entre l’Afrique et le continent américain ainsi que les échanges commerciaux entre ces colonies et l’Europe.

[7] Favier Jean, Louis XI, Paris, Fayard, 2001. Page 754.

[8] Burbank Jane et Cooper Frederik, Empires, De la Chine ancienne à nos jours, Paris, Payot, 2011.Page 246.

[9] Le blocus a été effectif dans les pays alliés à la France et dans les pays occupés par ses troupes (Italie, Espagne,  Hollande, Basse-Allemagne, Danemark).

[10] Chaptal occupa à la fois les fonctions de ministre de l’Intérieur et de ministre de l’Industrie.

[11] Herzog. S, Le plan de guerre commerciale de l’Allemagne, Editions Payot, Paris, 1919.

[12] Soutou Georges-Henri, L’or et le sang, les buts de guerre économiques de la Première guerre mondiale, Paris, Fayard, 1989. Page 566.

[13] Revue Historique des Armées, Paris, n°4, 2001.

[14] Bourlet Michaël, Guerres mondiales et conflits contemporains, Jean Tannery (1878-1939) à l’origine de la guerre économique, Paris, PUF, 2004.

[15] La section 301 permet aux Etats-Unis de s’opposer aux barrières commerciales qui pénalisent les exportations américaines.

[16] La super 301 vise l’ensemble des pratiques déloyales recensées par le représentant américain au Commerce (Office of United States Trade Representative).

[17] La Spéciale 301 a été conçue pour protéger les entreprises américaines contre la violation de leur  propriété intellectuelle par des concurrents étrangers.

[18] Evon Jacob, Serge Guillon, En finir avec la mondialisation déloyale, Paris, La Documentation française, janvier 2012

[19] Claude Revel, Isabelle Pedron Liou, La diplomatie exportatrice des Etats-Unis, Observatoire du Marché

International de la Construction, Paris, 1997.

[20] Il devait à l’origine s’appeler Conseil National de Sécurité Economique mais les pays européens firent savoir que cette dénomination était trop agressive.