La France au pied du mur… de la guerre économique

Amérique, La Chine, Guerre, Usa, Discussion, Scandale

par Christian Harbulot, Olivier de Maison Rouge, Éric Delbecque, Ali Laïdi, Nicolas Moinet

« Il y a une guerre contre le coronavirus et aussi une guerre économique et financière. Elle doit mobiliser toutes nos forces. » Bruno Le Maire 17 mars 2020

Depuis cette déclaration, les paroles ont du mal à se concrétiser en actes. Et l’annonce de la fermeture de Bridgestone à Béthune relance un débat qui n’a jamais été mené autrement que par petites touches. Et pour cause. Car quelle est réellement la vision stratégique du pouvoir exécutif, en l’occurrence du président de la République, pour définir la reconstruction de la puissance industrielle de la France ?

Les sempiternelles lamentations sur les contraintes imposées par l’Union Européenne ne sont plus recevables devant la réalité qui s’impose désormais à nous tous. A moins de reconnaître notre perte d’influence au sein des instances…

De fait, le monde se divise désormais en deux camps : ceux qui gouvernent à court-terme et ceux qui déploient des stratégies de moyen et long terme.

Les court-termistes ne pensent qu’à travers le marché et la recherche rapide de profit. C’est ce mode de pensée qui a considéré la Chine comme le nouvel eldorado. Les conséquences de cette approche opportuniste du monde ont été révélées partiellement par la crise résultant de la covid-19 (pénurie de masques, de respirateurs, de lits et même de tests…).

Emmanuel Macron croit encore pouvoir faire rebondir notre pays par une amélioration de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) ou en renforçant le dialogue au sein de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE). Comment maintenir sérieusement un tel cap à l’heure où la direction du Parti Communiste chinois annonce son intention de prendre le contrôle du secteur privé chinois ?

Le président omet ainsi l’essentiel, c’est-à-dire la finalité stratégique d’une politique d’accroissement de puissance par l’économie.

Les court-termites, qui se présentent souvent comme les promoteurs de la mondialisation « heureuse », ont privilégié la recherche de profit sans se soucier des conséquences sociales provoquées par un tel choix :

  • Les risques induits par certaines délocalisations industrielles ;
  • Les menaces créées par certains transferts de technologie ;
  • La non prise en compte des notions de moyen et long terme dans la conduite d’une guerre économique entre puissances, à l’image de celle qui se développe entre les Etats-Unis et la Chine.

Que propose Emmanuel Macron pour que la France évite la double dépendance de la France ? Celle qui dure depuis 1945 à l’égard d’un allié américain de plus en plus intolérant et celle, nouvelle et croissante, à l’égard d’une Chine qui, sous la férule de XI Jinping, prétend diriger le monde. Si la stratégie du « en même temps » s’applique très bien à ce cas de figure, elle s’avère totalement improductive si elle ne repose pas sur une véritable et profonde pensée stratégique en matière d’affrontements économiques. Sans doctrine forte et claire, le « en-même temps » nous entraîne dans le mur.

Dans le passé, la droite, la gauche, et plus généralement l’ensemble de la classe politique française, ont été incapables de fournir une réponse crédible à cette belliqueuse mondialisation. Sous le prétexte et l’alibi faciles des contraintes européennes.

Dès lors, nous nous retrouvons dans une impasse. Certes Thierry Breton, Commissaire européen au marché intérieur et à l’industrie, multiplie les déclarations intéressantes. L’Union Européenne commence à élever légèrement le ton par rapport à la Chine. On n’attend qu’elle en fasse de même et assume le rapport de force avec l’allié américain qui menace les entreprises européennes des pires sanctions en Iran mais également celles engagées dans la construction du gazoduc Nordstream 2. Le verbe européen ne constitue pas pour autant une réponse à la hauteur des défis à venir.

Comme semble le découvrir, la Deutch Bank, nous sommes entrés depuis bien longtemps dans l’âge du désordre. Il temps d’en prendre conscience car cette situation n’est pas que passagère. La gestion des affaires courantes ne suffit plus à faire face aux problèmes que notre pays va devoir affronter sur deux fronts vitaux :

  • Le front extérieur où s’entremêlent les questions géoéconomiques et géopolitiques ;
  • Le front intérieur où continue à se déconstruire notre tissu industriel, auxquelles s’ajoutent les menaces sociétales multiples.

On attend donc du Président de la République la formulation d’une pensée stratégique qui sorte des sentiers battus.

En 1958, le général De Gaulle a eu cette audace. Il a été le premier chef de l’exécutif de la IVème puis de la Vème République à vouloir réduire la dépendance de la France et relancer l’économie française à travers des grands projets industriels. Il a imposé cette politique à un patronat souvent hostile et qui a paralysé en partie sa volonté d’agir, notamment dans l’industrie informatique.

En 2020, tout reste à faire. Mais qui sera à la hauteur de ce défi qui engage l’avenir de la France et plus largement de l’Europe ? De toute évidence, seul le collectif peut nous permettre de sortir de l’impasse. Et si la course présidentielle qui s’amorce est un moment clé pour aborder enfin la question de la souveraineté économique, il peut être aussi le pire en enfermant le débat dans des postures partisanes.

C’est pourquoi, nous, fondateurs de l’Ecole de Pensée sur la Guerre Economique, n’appartenons à aucune faction et refusons toute récupération politicienne, d’où qu’elle vienne. Si nos travaux doivent nourrir la réflexion de tel ou tel Think tank ou encore alimenter le programme de tel ou tel parti, nous n’apporterons aucun crédit au positionnement électoral des candidats. Notre travail se veut transpartisan et de niveau stratégique, privilégiant une vision par-delà droite et gauche et laissant les querelles claniques aux professionnels des urnes.

Nous avons conscience de notre contribution est plus que jamais d’actualité, dans un monde incertain. Nous savons que cette contribution est susceptible d’être reprise par des nationalistes populistes ou d’être stigmatisée par les partisans de la mondialisation libérale et de la déconstruction des civilisations. Mais notre réflexion dépasse ce cadre réducteur et c’est pourquoi nous ne cautionnerons aucun camp. L’indépendance intellectuelle est la condition de la liberté stratégique. Notre seul parti, c’est notre patrie nationale et européenne.