La DRSD et le renseignement d’intérêt économique

par Alexis Deprau,

Juriste droit public et contentieux chez Inria

Grand Frère, Surveillance, D'Affaires, De Sécurité

La Direction du renseignement de la sécurité « assure […] un rôle central en matière de contre-ingérence économique, constituant le pendant de la DGSI pour les entreprises relevant du secteur de la défense. A ce titre, elle est en relation avec la DGSE s’agissant des menaces et enjeux du secteur »[1].


Si le renseignement intérieur s’attela, dans les années 1960, à une protection du patrimoine économique et industriel de la Nation des sites sensibles non militaires, ce fut à la Sécurité militaire d’assurer cette protection des sites sensibles militaires contre les agents étrangers. Pour exemple, à la Foire internationale de Bordeaux, dans les années 1980, cette Direction militaire surveillait les Chinois présents pour tout photographier et filmer[2].

La référence explicite de la protection du patrimoine est observée avec l’arrêté du 22 octobre 2013, car ce service de renseignement comprend une Sous-direction de la contre-ingérence, dont la mission tend « à l’élaboration et au contrôle des mesures de sécurité relatives à la protection des installations militaires et industrielles de défense »[3], avec pour exemple la surveillance du salon du Bourget pour protéger les entreprises françaises présentes contre toute tentative d’espionnage industriel[4].

A l’image de la lutte contre l’espionnage industriel appliquée par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) consistant en de l’information et de la surveillance, la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) eut aussi ce rôle pour ce qui concerne le milieu industriel de la défense, concernant en 2012, plus de 2 000 entreprises[5] : « rôle d’information, de conseil et de contrôle, mais aussi rôle d’identification, d’anticipation sur le moyen terme sur le positionnement de nos supports classifiés »[6].

Pour effectuer son travail, la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense est appuyée par le Service de la sécurité de défense et des systèmes d’information de la Direction générale de l’armement (DGA/SSDI), qui va traiter les dossiers d’habilitation des industriels nécessitant un avis de sécurité pour des habilitations allant du « confidentiel défense » au « secret défense », ce qui a  représenté en novembre 2011 « environ 2 000 entreprises pour un volume de 4 000 contrats d’un montant annuel de quelque 10 millions d’euros ». Plus encore, et « dans le cadre de sa mission de contre-ingérence, la DRSD contribue directement, en liaison avec la Direction générale de l’armement, à la politique de protection du potentiel scientifique et technique de la Nation (PPSTN), lorsque ce dernier intéresse la défense ; cette action s’inscrit dans un cadre interministériel et suppose une coordination avec le SGDSN et avec le Service de l’information stratégique de la sécurité économique (SISSE) »[7].

Si les industries liées à la défense doivent avoir un officier de sécurité en leur sein, la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense s’est adaptée avant la privatisation des industries de défense. Ces industries « étaient toutes contrôlées financièrement par l’Etat, la situation était simple : la DPSD disposait d’un bureau à la Direction générale et de tous les pouvoirs d’enquête. Aujourd’hui, nul PDG, désormais sous l’autorité de ses actionnaires, n’accepte une telle situation. La DPSD doit donc s’adapter, notamment en suivant les évolutions du capital des entreprises liées à la défense et de leurs sous-traitants, en entretenant des liens étroits avec les directeurs sécurité de chacune de ces entreprises, voire en plaçant un ancien à ce poste. Et surtout en réorganisant son implantation territoriale, et en la calquant sur la carte des pôles de compétitivité, ces zones géographiques où doivent s’organiser la collaboration entre universités, entreprises et pouvoirs publics dans différents secteurs high tech »[8

Dorénavant, un inspecteur du renseignement et de la défense intervient en se déplaçant dans les entreprises concernées[9]. Le rôle d’information et de conseil de la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense à l’égard des entreprises s’effectue sous le pilotage du Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale (SGDSN), notamment dans les entreprises et industries de taille modeste ne disposant pas de dispositif de sécurité adéquats[10]. Pour cela, cette Direction organise des simulations d’attaques informatiques ou des séminaires et essaie de favoriser le rapprochement continuel entre les entreprises et ses antennes locales[11].

La contre-ingérence économique touche enfin à la question de la surveillance du partenariat. Pour un cas concret, et « dans la perspective d’un éventuel partenariat et suite à un salon international, un groupe étranger souhaite visiter un des établissements d’une société française en lien avec la défense. Le site abrite une zone à régime restrictif (ZRR), dans laquelle sont détenus des savoir-faire innovants et sensibles relevant du potentiel scientifique et technique de la Nation (PSTN). Alerté par l’officier de sécurité de l’établissement, le Service mène des investigations préalables à la visite de la délégation étrangère. L’analyse des informations recueillies permet d’identifier en son sein des personnes animées d’une volonté manifeste de captation de savoir-faire et, par ailleurs, connues pour leurs liens avec des services de renseignement étrangers. Des mesures de protection appropriées sont donc mises en place… »[12].

Surtout, la DRSD s’occupe du rachat des entreprises françaises liées à la défense par des entreprises étrangères, comme la Direction de la surveillance du territoire avait alerté la prise de contrôle de la société Gemplus, en 2002. Ici, la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense a eu à traiter l’affaire du 2 février 2004, quand le ministère des Armées avait lancé un appel d’offres pour sécuriser les réseaux informatiques : une solution fut proposée par la société Thalès associée à la société Baltimore, cette dernière étant spécialisée dans les logiciels de chiffrement pour sécuriser les communications électroniques. Seulement, Baltimore avait été elle-même rachetée par One Equity Partners (OEP), un fonds d’investissement très largement suspecté de « mener des missions pour le compte du gouvernement américain », ce qui conduisit à un grave problème de sécurité touchant au potentiel économique et scientifique, puisque la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense n’avait rien détecté à l’époque[13].

Il y a donc un travail discret mais complet de contre-ingérence qui est effectué par ce service de renseignement, beaucoup moins célèbre que la Direction générale de la sécurité extérieure ou la Direction du renseignement militaire. Mais peut-être est-ce là le point de la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense, qui, aujourd’hui, peut totalement assumer son rôle de membre de la communauté du renseignement[14].

Au-delà de la menace importante représentée par l’espionnage politique classique, les services de renseignement, mais aussi les autres services de l’Etat, doivent s’adapter à l’évolution des menaces[15].

Au final, la protection des industries françaises et du patrimoine économique et scientifique, des avancées ont pu être observées. Pour autant, il semblerait encore aujourd’hui que la lutte contre l’espionnage industriel ne soit pas une menace prioritaire, ne visant que des menaces à court terme et nécessitant une réponse dans l’urgence. Comme l’a constaté Christian Harbulot à ce propos, « l’orientation des missions de renseignement français a été fortement marquée par la tendance du pouvoir politique à privilégier les menaces asymétriques. La polarisation des missions de renseignement sur les besoins d’ordre sécuritaire et la gestion des crises internationales a relégué au second plan les autres facteurs de menaces » [16].

Des avancées qui restent en premier lieu timides, tant que la sécurité économique n’est pas une politique publique proactive et à part entière. Elles sont en second lieu relatives car, comme le concède Christian Harbulot : « si l’essaimage de l’intelligence économique au sein de l’appareil d’Etat est devenu une réalité durable, les mesures prises depuis 2003 sont principalement défensives. Aucune démarche n’a pour l’instant abouti sur le plan offensif. Autrement dit, le pouvoir politique ne sait toujours pas formuler dans les instances compétentes une ligne claire en matière de doctrine de puissance »[17].

Gageons que la guerre économique soit officiellement reconnue, quitte pour cela, à « s’affranchir de ‘l’écueil incantatoire’ qui se retrouve très souvent à la lisière de la mise en œuvre des politiques publiques de sécurité »[18].



[1]BAS (P.), Rapport relatif à l’activité de la Délégation parlementaire au renseignement pour l’année 2017, 12 avril 2018, p. 51.

[2]FALIGOT (R.), Les services secrets chinois. De Mao à nos jours, Nouveau monde éd., Paris, 2010, p. 455.

[3]Arr. du 22 octobre 2013 portant organisation de la Direction de la protection et de la sécurité de la défense, JORF, n°270, 21 novembre 2013, texte n°13, art. 4 4°.

[4]http://www.leparisien.fr/espace-premium/actu/le-salon-du-bourget-est-aussi-un-nid-d-espions-18-06-2015-4870945.php

[5]URVOAS (J.-J.) et VERCHERE (P.), Rapport d’information en conclusion des travaux d’une mission d’information sur l’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement, Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, n°1022, Assemblée nationale, 14 mai 2013, p. 172.

[6]Général Jean-Pierre BOSSER, Directeur de la DPSD, in ADAM (P.), Commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, compte rendu n°54, 13 février 2013, p. 9.

[7]ADAM (P.), Rapport relatif à l’activité de la délégation parlementaire au renseignement pour l’année 2016, 2 mars 2017, p. 45.

[8]JUNGHANS (P.), Les services de renseignements français, Ed. Edmond Dantès, collection « De l’ombre à la lumière », Paris, 2006, p. 26-27.

[9]Général Jean-Pierre BOSSER, Directeur de la DPSD, in ADAM (P.), op. cit., p. 9.

[10]HESSENBRUCH (P.), Les entreprises de défense sous surveillance, Armées d’aujourd’hui, n°384, novembre 2013, p. 36.

[11]Ibid.

[12]Plaquette de présentation de la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense.

[13]JUNGHANS (P.), op. cit., 2006, p. 25.

[14]Voir sur le sujet du droit du renseignement économique : de MAISON-ROUGE (O.), Le droit du renseignement : Renseignement d’Etat – Renseignement économique, LexisNexis, Paris, 2016.

[15]Voir sur le renseignement face aux différentes menaces : DEPRAU (A.), Renseignement public et sécurité nationale, thèse pour l’obtention du doctorat, Université Paris II Panthéon-Assas, 2017.

[16]HARBULOT (C.), « Le renseignement au service de la puissance », pp. 201-208, in KIRSCH (H.) (dir.), La France en guerre économique. Plaidoyer pour un Etat stratège, Vuibert, Paris, avril 2008, p. 206.

[17] HARBULOT (C.), op. cit., avril 2008, p. 206-207.

[18]PARDINI (G.), « Guerre économique, politiques publiques et renseignement », Cahiers de la sécurité, n°14, octobre-décembre 2010, p. 115.