Guerre économique et stratégie de sécurité nationale

Par Olivier de Maison Rouge

Avocat – Docteur en droit

La stratégie de sécurité nationale est une approche très américaine. Concept de sciences politiques que n’aurait pas renié Julien Freund, elle est à la fois souple et pragmatique.

Si nous dénonçons souvent les agressions dont l’Europe est trop souvent victime des américains, il faut leur reconnaître un vrai savoir-faire en matière d’affirmation de puissance où précisément la doctrine de sécurité nationale contribue à cette suprématie économique.

Aussi, comme l’affirmât Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères à propos des rapports entre la France et les Etats-Unis d’Amérique « amis, alliés, mais pas alignés », sommes-nous en mesure de nous inspirer pour l’Europe en général, et la France en particulier, de tels fondamentaux qui nous ont longtemps échappés (à moins qu’ils n’aient été auparavant confondus, puis effacés au même titre que la Raison d’Etat).

I – SÉCURITE NATIONALE ET INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES

Qu’est-ce que la sécurité nationale ?

Le principe même de sécurité nationale est essentiellement une approche conceptuelle relevant des sciences politiques, sans définition juridique, mais davantage empirique.

Elle repose cependant sur un consensus visant à la sécurité de la nation, dans toutes ses dimensions essentielles : bien-être de la population, paix sociale, Justice, sécurité intérieure, permanence des activités névralgiques, stabilité et expansion économiques, défense, etc. Elle se donne pour objectif de réduire les menaces contemporaines identifiées et d’y répondre le cas échéant par l’offensive.

Par conséquent, selon l’acception américaine dont les Etats-Unis ont été des précurseurs modernes, le concept de défense nationale dépasse largement le seul cadre de la défense militaire et des armées.

L’appréciation extensive du principe permet d’intégrer tous les risques majeurs à l’échelle de la nation, dans toutes leurs dimensions, dès lors qu’ils sont susceptibles d’affecter la stabilité et l’équilibre du pays, à la fois intérieur mais aussi extérieur. C’est donc aussi la raison pour laquelle, l’instar du PIB (production sur el territoire national) qui diffère du calcul du PNB (volume d’affaires enregistrés sous le pavillon français), la sécurité nationale se veut plus large que l’approche plus restrictive de sécurité strictement intérieure.

Sécurité nationale et sécurité économique.

Or, à l’inverse de la conception américaine, la France a limité le principe de sécurité nationale quasiment au seul domaine de la défense. L’article L. 1111-1 du code de la défense (premier article du code), définit : « La stratégie de sécurité nationale a pour objet d’identifier l’ensemble des menaces et des risques susceptibles d’affecter la vie de la Nation, notamment en ce qui concerne la protection de la population, l’intégrité du territoire et la permanence des institutions de la République, et de déterminer les réponses que les pouvoirs publics doivent y apporter. L’ensemble des politiques publiques concourt à la sécurité nationale ». Cela exclue par conséquent toute autre approche, dans tout autre domaine, en particulier économique ou intérieure.

Quant à lui, l’article L. 111-1 du code de la sécurité intérieure énonce : « La sécurité est un droit fondamental et l’une des conditions de l’exercice des libertés individuelles et collectives. L’Etat a le devoir d’assurer la sécurité en veillant, sur l’ensemble du territoire de la République, à la défense des institutions et des intérêts nationaux, au respect des lois, au maintien de la paix et de l’ordre publics, à la protection des personnes et des biens. ». il n’est pas précisément fait mention de sécurité à caractère national.

Cela étant, en application de l’article L. 811-1 du code de la sécurité intérieure, le renseignement participe pleinement à la notion de sécurité nationale, dans la mesure où les services sont chargés d’identifier les risques pesant sur les intérêts fondamentaux de la Nation (tels que définis sous l’article 410-1 du code pénal).

En ramenant la conception de sécurité nationale au seul secteur – ou presque – de la défense, la France s’est donc largement écartée de l’approche américaine et semble – provisoirement veut-on croire – s’être éloignée de la profondeur et de l’étendue de la véritable stratégie de sécurité nationale telle que définie aux les Etats-Unis.

II – LA SÉCURITÉ NATIONALE DANS LE DROIT FRANÇAIS

De la conception économique américaine de la stratégie de sécurité nationale…

Les Etats-Unis ont en effet intégré sans complexe l’économie à leur stratégie de sécurité nationale, estimant qu’elle participe à la stabilité et à la prospérité nationales, à travers l’accès aux ressources indispensables (ou rares), la sûreté des voies commerciales, la protection des services et réseaux numériques … Cette question de la stratégie de sécurité économique avait été intégrée dès 1947, à l’occasion de la création du Conseil de sécurité nationale.

Pour sa part, en 2015, le président Barak Obama n’a pas hésité à déclarer qu’en application du principe de sécurité nationale, les USA devaient poursuivre des intérêts permanents à savoir la sécurité intérieure et de leurs alliés, une économie forte dans un système international sécurisé, le respect de valeurs universelles et un ordre mondial établi sur des règles internationales (National Security Strategy, 2015 – introduction).

L’analyse de la stratégie de sécurité nationale annoncée par Donald TRUMP, le 16 décembre 2017, montre également une mainmise constante sur l’économie, faisant tout d’abord le constat d’une « nouvelle ère de compétition entre les nations » au cours de laquelle le président américain annonce le réveil des Etats-Unis. Cette conquête affichée se manifeste à travers les principes de sécurité économique et de compétitivité érigées au rang de sujet de sécurité nationale, et de préservation de l’avance technologique face aux prédateurs étrangers ; la Chine est d’ailleurs clairement désignée de concurrent stratégique, tandis que les Etats-Unis prônent, pour leurs alliés, « la paix à travers la force ».

… A un concept français récent

La France s’est donc volontairement affranchie de cette approche étendue et il faut attendre 1994 pour qu’un premier livre blanc évoque la question de sécurité nationale, dans un sens exclusivement militaire cependant, suite à la réorientation stratégique des armées après la fin de la guerre froide.

Néanmoins, en 2008, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, le vocable de « sécurité nationale » tend à intégrer les politiques de sécurité intérieure, les relations internationales et les questions économiques (Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, 2008). C’est dans cet esprit qu’a été adopté l’article L. 1111-1 du Code de la défense ci-dessus et qu’a été institué un Conseil de défense et de sécurité nationale (CDSN), mais où la sécurité économique est encore un grand absent.

Si la France a désormais les lettres, il lui manque encore l’esprit.

Or, si l’on considère que la sécurité nationale est un acte relevant du Politique (au sens noble de « chose de la cité ») vu comme « l’activité sociale qui se propose d’assurer par la force, généralement fondée sur le droit, la sécurité extérieure et la concorde intérieure d’une unité politique particulière en garantissant l’ordre au milieu de luttes qui naissent de la diversité et de la divergence des opinions et des intérêts. C‘est l’activité historique par laquelle les hommes organisent leur cité. Elle est variable et adaptée aux circonstances » (Julien FREUND, L’essence du politique, thèse, 1965).