Pour une approche européenne offensive face à l’extraterritorialité du droit américain

Par Nicolas Ravailhe

Livres De Droit, La Bibliothèque

Afin de se protéger d’attaques économiques ciblées et violentes en provenance d’autres continents, principalement de l’extraterritorialité du droit américain, l’Union européenne (UE) dispose d’un arsenal juridique limité et surtout inopérant sur un plan pénal.

En effet, l’UE possède un monopole pour agir sur le plan commercial avec comme moyen le règlement 654/2014 ayant trait à l’exercice de ses droits pour faire respecter les règles du commerce international. L’approche européenne est donc plus défensive qu’offensive.

L’UE a également tenté d’adapter sa législation en adoptant une loi de blocage en 1996, le règlement 2271/96, modernisé en 2018 lors des sanctions américaines infligées à l’Iran. Plusieurs travaux ont montré le caractère inefficace de ces dispositions, en particulier ceux réalisés par le Sénat en France.

En outre, une autre réglementation européenne fait grand bruit à Washington, le règlement EMIR, (European market and infrastructure regulation). La portée de ce texte adoptée en raison du Brexit pourrait avoir un impact outre-Atlantique, ce qui a fait réagir avec véhémence les Etats-Unis.

Dans un autre registre, les Etats-Unis d’Amérique considèrent que le règlement général sur la protection des données (2016/679) comporterait un caractère extraterritorial. En la matière, on peut être légitimement dubitatifs face à cette posture d’esprit.

La non-action de l’Union Européenne

Ainsi, nous devons admettre que l’UE ne met pas en œuvre des moyens d’action, principalement une justice pénale, comparables à ceux déployés par les autorités américaines. Les Etats-membres conservent d’ailleurs la compétence pour exercer les actions répressives.

Il est pourtant légitime de se poser cette question récurrente : « si les Etats-Unis peuvent le faire, pourquoi pas l’Union européenne dont l’objet est de « mutualiser » les moyens d’action pour que les Etats membres soient plus forts ensemble sur la scène internationale ? »

Effectivement, il est concevable de considérer que rien ne l’interdirait. Surtout, la création récente d‘un parquet européen ouvre des espaces très intéressants. Prise sur le fondement des dispositions de l’article 86 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), cette décision émanant d’un groupe d’Etats pionniers prend corps via une structure institutionnelle très liée avec les justices nationales.

L’article 83 du traité TFUE, relatif à la coopération judiciaire européenne en matière pénale, dispose que le Parlement européen et le Conseil peuvent définir des infractions pénales et des sanctions, notamment en matière de « … corruption, contrefaçon de moyens de paiement, criminalité informatique et criminalité organisée ».

Nos capacités à réagir

Cette liste au demeurant suffisante pour commencer à armer l’UE face aux pratiques agressives d’Etats, d’entreprises et de toute autre organisation de son continent ou d’ailleurs peut être étendue sur décision unanime du Conseil. En l’espèce, il est loisible de constater que les lois fondamentales de l’UE permettent d’agir.

Elles sont d’ailleurs complétées par la directive 2017/1371 relative à la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union au moyen du droit pénal. L’étendue des objectifs est clairement définie : « la protection des intérêts financiers de l’Union non seulement concerne la gestion des crédits budgétaires, mais s’étend aussi à l’ensemble des mesures portant atteinte ou menaçant de porter atteinte aux avoirs de l’Union, ainsi qu’à ceux des Etats-membres, lorsque ces mesures sont pertinentes pour les politiques de l’Union ».

L’Union européenne limite ses actions au périmètre des infractions inhérentes à ses budgets (les recettes, dont la TVA en cas de préjudice d’au moins 10 millions d’euros, et les dépenses) et à ses avoirs.

Il est toutefois à noter que la définition « d’agent public » auteur ou complice d’une éventuelle infraction englobe les agents de l’UE, des Etats membres, mais également « tout agent national d’un Etat tiers ». De surcroît, dans les dispositions des articles 9 et 10, les personnes morales ne sont pas oubliées avec des dispositions pouvant conduire à la « fermeture définitive » et au « gel ou à la confiscation ».

De plus, il est même prévu un embryon d’extraterritorialité : « un État membre informe la Commission lorsqu’il décide d’élargir, dans l’une des situations suivantes, sa compétence à l’égard des infractions pénales visées aux articles 3, 4 ou 5 qui ont été commises en dehors de son territoire ». Certes, l’énumération est ensuite assez limitative à l’instar du paragraphe « b) l’infraction a été commise au profit d’une personne morale établie sur son territoire ».

La création attendue d’un parquet européen

Ces premiers dispositifs permettront d’agir plus avant mais on peut déplorer que leur champ d’infractions soit trop réduit. Ils posent néanmoins des bases et font déjà « jurisprudence » afin de montrer qu’il est possible d’aller encore plus loin. La création du parquet européen, étroitement associé aux parquets nationaux, constitue un contexte très favorable.

La directive 2017/1371 sera révisée, au plus tard, à partir d’éléments d’analyses effectuées par la Commission européenne en 2022 et 2024. En conséquence, il est opportun de préparer dès maintenant cette révision pour « muscler » les moyens de l’UE.

Une autre démarche peut consister à s’appuyer sur les éléments un peu diffus mais intéressants de ce texte afin de modifier d’autres législations et/ou de demander qu’un processus législatif européen connexe soit enclenché.

Réviser ou initier une législation nécessaire à la protection de nos intérêts économiques doit être une priorité. Comme le font les Etats d’Amérique. … C’est un choix qui relève des Européens, une question de volonté et de rapports de force entre eux, ni plus, ni moins !