Les conséquences du Brexit : l’Irlande, nouveau cheval de Troie du Royaume Uni en Europe ?

Par Olivier de MAISON ROUGE

Avocat (Lex-Squared) – Docteur en Droit

Qu’il soit utile de mettre le monde en réseau, ne signifie pas que l’on puisse habiter ce réseau comme un monde.

Régis Debray[1]

« I want my money back ! » telle était l’antienne répétée à l’envi par Margaret Thatcher quand elle s’en prenait à l’Europe.

Aujourd’hui le Brexit est consommé et sans doute bientôt acté.

Mais à regarder les choses de plus près, le fantasque Boris Johnson – souvent présenté comme un populiste dont il épouse sans réserve le style – n’est-il pas davantage un libéral thatchérien, ou plus simplement un pur britannique, consanguin hostile au continent européen ?

Vers un néo-Commonwealth ?

Nation commerciale et thalassocratique, la Grande-Bretagne n’a jamais cessé de l’être en dépit de la casse industrielle vécue durant les années de globalisation.

Cela se dessine précisément avec le futur découplage, qui privilégie toutefois l’île britannique, par un marché de dupes savamment joué dont elle sort peut-être vainqueur face à l’Union Européenne.

En premier lieu, signant en substance l’arrêt de mort de l’alliance européenne – est-ce là encore une mort cérébrale ? – la Grande-Bretagne se tourne davantage vers les Etats-Unis, où Boris Johnson voit en Donald Trump un alter ego (plus d’ego que d’alter cela étant)[1], mais renforce aussi ses liens historiques avec le Commonwealth, ce qui rapproche les intérêts et savoirs-faires financiers du royaume anglo-saxon de la place asiatique et pacifique.

Ulster, Gibraltar nordique ?

Concernant l’Union Européenne, il en est autrement. S’il s’agit de faire chambre à part désormais, le business prévaut. Pour ce faire, le Royaume-Uni va jouir de l’une de ses singularités pragmatiques dont elle est coutumière.

A l’instar de Gibraltar, maillon stratégique et porte d’entrée britannique vers l’Afrique, l’Ulster sera-t-elle le cheval de Troie de la « perfide Albion » ?

Comme révélé par Patrice Cahart[2], ancien directeur général adjoint des douanes, inspecteur général des finances honoraire, l’accord négocié par Boris Johnson, avec le consentement de l’Irlande (qui jouit déjà avec les GAFAM d’un dumping fiscal), la frontière entre Ulster et le reste de l’Irlande sera de toute évidence très poreuse.

L’importation de marchandises hors UE via Belfast serait un contournement des barrières tarifaires européennes, à son détriment exclusif (jusqu’à 40% de droits non perçus) et au bénéfice partagé de la Grande-Bretagne (qui recevrait des taxes réduites) et du pays exportateur hors UE qui choisirait de passer par l’Ulster pour s’économiser les taxes européennes.

De même, les exportations européennes vers l’Ulster seront incontrôlables, car il sera toujours impossible de distinguer réellement les marchandises destinées à la consommation de l’Irlande (restant par principe dans le marché intérieur de l’Union Européenne) de celles qui seraient destinées à des pays hors Union Européenne.

Il se créera ainsi une forme de dumping douanier, où les intérêts UE seront inévitablement lésés. Là où le Trésor britannique s’enrichira, l’UE verra sa politique douanière bafouée. Le vœu de Margaret Thatcher en sera donc exaucé post-mortem…


[1] Evinçant les liens privilégiés noués par les USA avec l’Allemagne, qui fut longtemps le Cheval de Troie américain au sein de l’Union Européenne.

[2] In Le Figaro, 10 novembre 2019.



[1] Debray R. Eloge des frontières, Gallimard, NRF, 2010.