Le Manifeste

Ecole de Pensée sur la Guerre Economique

La guerre économique est un sujet resté longtemps ignoré par le monde académique. Une explication simple peut être donnée sur ce constat : les traces écrites n’existent quasiment pas. Contrairement à la guerre militaire dont la bibliographie et les travaux de recherche ont atteint une masse critique accessible aux chercheurs, les affrontements économiques entre puissances, Etats et entreprises n’ont pas donné lieu à des retours d’expérience, des témoignages et encore moins à des théories. A titre d’exemple, la problématique de l’enrichissement par le recours à l’esclavage comme force productive est restée un sujet tabou dans l’analyse des fondements de l’économie de marché.

Il est pourtant évident que l’esclavage, acte de violence primaire et de domination sociale, a joué un rôle prédominant depuis l’essor des premiers empires de l’antiquité jusqu’au développement des nouveaux continents comme l’Amérique au XIXè siècle.A ce titre, la guerre économique n’a jamais pu être présentée comme une« guerre juste » puisqu’elle révélait un processus de conquête territoriale ou commerciale qui visait à soumettre des peuples à une logique de domination fonctionnelle par le biais de l’accès aux ressources, au contrôle des échanges commerciaux et par la domination monétaire et financière exercée sur les pays dépendants ou soumis.

A cette première explication s’ajoutent les conséquences de l’affrontement idéologique qui opposa le monde capitaliste occidental au monde communiste oriental. La solidarité interne imposée aux membres des deux blocs ajouta une couche supplémentaire d’omerta et d’omission sur le jeu des acteurs. Parler des divergences d’intérêts de puissance en termes économiques à l’intérieur du Bloc de l’Ouest revenait à donner des arguments de poids à la propagande du Bloc de l’Est.

L’effondrement de l’URSS a changé la donne. Pour ne pas subir le même sort, la Chine communiste a tiré les enseignements des modèles japonais et coréen du Sud pour inventer une nouvelle forme d’accroissement de puissance par l’économie. Les résultats foudroyants obtenus en moins d’un quart de siècle ont bouleversé l’échiquier mondial de la mondialisation des échanges. La politique « protectionniste »de Donald Trump n’est ni plus ni moins que l’officialisation d’un concept qui a commencé à être formalisé en France à la fin des années 80. Des signes avant-coureurs avaient pourtant balisé le terrain. Lorsque Bill Clinton a doté son pays d’une doctrine de sécurité économique, c’était déjà à l’époque pour contrer un pays asiatique comme le Japon qui s’était hissé au deuxième rang de l’économie mondiale par une volonté de conquête initiée dès le milieu des années 50. Les traités commerciaux transpacifique et transatlantique souhaités par l’administration Obama, correspondaient à une tentative indirecte de containment de la progression commerciale de la Chine à travers le monde.

Enfin, il faut ajouter une autre explication : le grand malaise des économistes avec la question de la violence dans le champ économique. Ils l’ignorent totalement, prétendant qu’elle est le monopole du politique. Partant de ce constat, ils sont incapables d’expliquer, donc de mathématiser, les affrontements économiques. Car les pratiques offensives de certains acteurs (Etat, entreprise, ONG, individu…) ne rentrent pas dans des équations et des algorithmes. Pour les comprendre il ne faut pas se contenter de fréquenter les bancs de la fac, les grands salons ministériels ou les colloques internationaux. Il faut aller sur le terrain au contact des entreprises et se confronter à la face noire du commerce.

En 2018, il est devenu difficile de nier l’évidence. Le faire par l’incantation sur la nécessité de la défense du multilatéralisme ou de la défense du libre échange ne change rien au problème de fond. C’est la raison pour laquelle les auteurs français qui ont écrit depuis un quart de siècle des ouvrages sur la guerre économique ont décidé de créer une école de pensée afin de sortir d’une nouvelle forme de somnambulisme, fortement pénalisante en termes d’approche des multiples qui fragilisent les relations internationales. Pour contenir les excès de la guerre économique et analyser avec lucidité les rapports de force économique, il est devenu nécessaire de penser autrement et de sortir du confort de pensée dans lequel nous nous sommes habitués à analyser l’évolution du monde depuis des décennies.

La volonté de créer une école de pensé sur la guerre économique est née d’une convergence d’idées entre cinq auteurs qui échangent sur ce sujet depuis de nombreuses années.

A la fin des années 80, Christian Harbulot a initié une réflexion sur la guerre économique à partir d’une grille de lecture des politiques d’accroissement de puissance par l’économie. Son approche était très différente de Bernard Esambert qui considérait la guerre économique comme un élément stimulant pour l’économie mondiale. Cette démarche l’a conduit à rédiger plusieurs ouvrages sur les différentes formes que pouvaient prendre les « machines de guerre économiques » ainsi que sur la nature des affrontements informationnels qui opposent les parties prenantes.

Dans la continuité des travaux de Christian Harbulot, Nicolas Moinet rédige une thèse qu’il soutient en 1999 sur le technoglobalisme japonais et sur le lien entre l’intelligence économique et l’innovation. Il introduit l’étude des rapports de force économiques dans les sciences de l’information et de la communication. Son titre de professeur des universités lui a permis de légitimer ses travaux sur le renseignement économique auprès du CNRS.

Au début des années 2000, Ali Laïdi utilise sa qualité de journaliste pour se lancer dans des recherches sur des cas de guerre économique, qui lui permettent de rédiger plusieurs ouvrages de référence. Il finalise en 2009 une thèse sur « la guerre économique dans les relations internationales : La France à la recherche d’une doctrine d’intelligence économique »

De son côté, Eric Delbecque, après avoir passé une thèse d’histoire des idées politiques se consacre au sein de l’IERSE puis de l’INHESJ à l’analyse des doctrines de sécurité économique et s’investit depuis cinq ans dans différents projets opérationnels relatifs à la sûreté des organisations (notamment le risque terroriste), dans le monde industriel et culturel. Il est aussi l’auteur de nombreux ouvrages sur l’intelligence économique et la sécurité nationale.

Olivier De Maison Rouge est aussi titulaire d’une thèse de sciences politiques. Ce juriste s’est spécialisé sur les relations entre le Droit et l’usage de l’information dans la compétition économique. Il est l’auteur d’ouvrages juridiques de référence,notamment sur le secret des affaires.

Cette école de pensée de de la guerre économique a pour objectif de nourrir la problématique et de l’enrichir par des apports conceptuels ainsi que par la formalisation de nouvelles de grilles de lectures destinées aux différents publics qui ont besoin de comprendre et d’analyser la nature des affrontements économiques.Ses membres ne prônent pas la guerre économique. Ils souhaitent apporter un éclairage sur les questions qui enveniment de manière croissante les relations internationales.Loin d’adoucir les mœurs par le commerce, le modèle économique dominant ne fait que les durcir en minant les ressorts du développement et en repoussant chaque jour un peu plus les limites de l’exclusion. »