Les opérations d’influence sur le billet de banque durant la crise du Covid-19

Argent, Croître, L'Intérêt, Enregistrer, Investir

par Laurence Descloix, MSIE 37 de l’Ecole de Guerre Economique.

La crise sanitaire du Covid-19 a été marquée par une attaque de la réputation du billet de banque de la part de ses concurrents directs et indirects ; ce bout de papier fiduciaire que tout le monde connait et manipule a été montré du doigt et accusé de transmettre le coronavirus. Son mode d’utilisation de main en main le rend susceptible de véhiculer des agents pathogènes, nous allons voir comment cet aspect a déclenché un tsunami informationnel à son encontre au démarrage de la crise.

Le billet de banque en chiffres

Le billet de banque, l’argent liquide, ou le cash est le produit manufacturé le plus échangé dans le monde avec plus de 500 milliards d’unités en circulation et des dizaines de milliards d’échanges tous les jours.

Depuis le XIXe siècle, ce produit universel est fabriqué en masse : 160 monnaies, plus de 1000 dénominations, 156 milliards de billets imprimés annuellement par des imprimeries nationales (85%) et privées (15%).

La Chine est le plus gros producteur (21%), suivi par l’Inde (12%), les Etats-Unis (6%) et les pays de l’Euro zone (2%).  Ces chiffres sont corrélés aux populations mais également aux modes d’utilisation qui diffèrent selon les pratiques culturelles.  

Malgré un côté archaïque, le billet bénéficie d’une bonne image et d’une certaine confiance de la part des populations. C’est un bien public à la portée des personnes bancarisées ou non bancarisées représentant 1.7 milliards de personnes dans le monde 

Le billet est également un moyen de communication qui diffuse les symboles et les valeurs des pays.

Le billet a été un mono produit pendant des dizaines d’années sur le marché de la monnaie, il connait encore une légère croissance mais voit arriver de plus en plus de concurrents dématérialisés : applications de paiement sur mobile, système de carte avec ou sans contact, crypto monnaies, monnaie digitalisée qui sont bien armés et motivés pour s’emparer de parts de marché voire de le substituer complètement.

La crise sanitaire du Covid-19 et l’accusation portée contre le billet de banque

Le Covid-19 est déclarée officiellement pandémie par l’OMS le 11/03/20. Une semaine avant cette annonce, du 2/03/20 au 8/03/20, plusieurs médias mainstream anglo-saxons vont véhiculer à travers le monde une information diffamatoire concernant l’implication du billet dans la transmission du Coronavirus.

Le 1er média à communiquer sur le sujet est le Telegraph (2/03/20) qui a rapporté les propos de l’OMS, en disant en résumé que le billet de banque serait un vecteur de transmission du coronavirus et que dans le contexte de crise sanitaire son utilisation serait donc dangereuse pour la santé des populations ; tout en préconisant l’utilisation plus sûre des moyens alternatifs de paiement – (« dirty banknotes may spreading coronavirus, use contact less »).

L’information est ensuite reprise par plusieurs journaux : The Sun le 3/03/20 et le Daily Mail le 8/03/20 (Stop touching Cash !).

Cette information à l’encontre du billet va se répandre très vite dans le cyber espace via Internet et les réseaux sociaux : principalement Facebook et Twitter.

L’OMS : (WHO) Organisation Mondiale de la Santé, c’est 194 états membres et organisations collaboratrices en réseau.

Son objectif est d’amener tous les peuples des Etats membres au niveau de santé le plus élevé possible. Son rôle est de procurer des informations, des conseils et donc de l’influence. Elle bénéficie d’un canal de communication aisé pour toucher le monde entier, c’est une estrade mondiale. Son image est globalement bien appréciée par les populations.

Les 2ers contributeurs sont les USA (15%) et la fondation Bill et Melinda Gates (10%), fondation qui fait entre autres la promotion du « développement de systèmes de paiement numériques en faveur des plus démunis » concurrent du billet.

Revirement tardif de l’OMS

Le 09/03/20, soit une semaine après la 1ere alerte médiatique, Madame Fadela Chaib, porte-parole de l’OMS, corrige et conteste fermement et publiquement les informations rapportées par les médias cités précédemment; elle écrira dans un communiqué officiel – en utilisant une police de caractère bien marquée – « le billet N’EST PAS responsable de la transmission du virus » tout en rappelant les gestes barrières et les moyens de paiement sans contact.

En termes de communication, le « mal » est fait pour le billet de banque qui se retrouve pointé du doigt et stigmatisé dans un contexte incertain de crise.

Il est bien difficile de savoir si l’erreur vient des médias ou de la communication mal maitrisée de l’OMS ; dans tous les cas, le message infondé comme quoi le billet de banque est dangereux pour la santé des humains est passé dans les esprits des utilisateurs pendant plusieurs jours. Ce sera l’étincelle de la bataille contre le billet.

L’OMS a ouvert la brèche en créant une voie royale pour l’entrée en action des concurrents aux billets de banque.

Le billet a été fragilisé par un effet d’annonce ;  ses adversaires qui veulent prendre des parts de marché vont profiter de cette aubaine pour continuer le travail entamé en attaquant avec des armes informationnelles et des actions offensives.

Les bénéficiaires potentiels d’une défiance potentielle à l’égard du billet de banque

Les concurrents au billet sont de plusieurs types : les monnaies digitales, les crypto monnaies, les cartes de crédit et tous les systèmes de paiement sans contact (carte, mobile, montre, et autres supports). Ils ont en commun de vouloir prendre des parts de marché, d’être digitalisé, d’appartenir à la Fin-Tech et d’être prêts à conquérir le monde avec leur offre produit selon des stratégies de substitution bien préparées.

Les forts ont une posture opportuniste, ils sont prêts et organisés. Leur discours offensif fait partie de leur offre produit. Ils vont faire bloc ensemble en utilisant plus ou moins les mêmes moyens d’attaque, les mêmes éléments de langage autour de la peur dans leur communication, ils vont amplifier les craintes contre le billet.

Tim Cook (CEO de Apple) a dit clairement dans un message officiel que les systèmes de paiement sans contact resteront grâce au Covid ; La publicité pour l’application Apple Pay sur le site d’Apple annonce très clairement « safer than touching buttons and exchanging cash »; le levier de la peur est très efficace et ce malgré l’absence de preuve.

Des Banques encouragent les populations à se mettre au cash-less

Quelques banques nationales encouragent ouvertement le paiement sans cash (Inde, Indonésie, Géorgie…). A titre d’exemple, la Bundesbank en Allemagne a affirmé que le paiement sans contact était une mesure de prévention de la transmission du virus (Burkhard Balz membre du directoire de la BBK en octobre 2020, soit 6 mois après le début de la pandémie)

Cette position s’explique car le paiement sans cash permettrait de diminuer les couts d’exploitation des banques qui doivent payer la fabrication, les transports sécurisés, le stockage et le remplacement des billets.

Des affiches sur les terminaux de caisse (en France, Pays-Bas etc…) font encore à ce jour la promotion du paiement sans contact en y associant de façon ambiguë le logo Covid 19. Cela peut être considéré comme de la manipulation cognitive et de la désinformation car il n’y a pas de lien direct prouvé entre le Covid 19 et le billet de banque.

Le groupement des cartes bancaires s’est organisé et a influencé les décideurs pour relever avec succès et rapidement les plafonds de paiement à 50€ dès mai 2019 (en France et dans d’autres pays).

Le Directeur Général de Swiss Payement association fait la publicité de cette mesure : « Nous sommes très heureux de pouvoir apporter notre soutien au personnel de vente et aux consommateurs de la crise du coronavirus en ce que des montants plus élevés peuvent également être réglés à la caisse sans contact grâce aux décisions fondamentales des organisations de cartes et de l’engagement des entreprises du secteur ».

Des acteurs de la fin Tech vont profiter de la polémique autour du Covid 19, pour intervenir dans les médias et faire la promotion de l’inclusion financière via la monnaie numérique dans les zones où la distribution de cash est compliquée.   

La contre-attaque des professionnels du billet de banque

Les professionnels de la filière du billet de banque (papetiers, imprimeurs, fabricants d’ATM, transporteurs de fonds, fabricants de machines) sont depuis longtemps confortablement installés sur un marché ancestral qui ne connait qu’une concurrence « intérieure » à leur métier de base. L’inconvénient est que la tranquillité et la sécurité ne les ont pas poussés à s’organiser entre eux en cas d’attaque de l’extérieur: ils sont faiblement coordonnées et satellisés.

Face à l’attaque surprise, les professionnels de la filière du billet de banque vont adopter une posture défensive en ripostant par la présentation de contre-analyses qui va prendre du temps, des semaines voire des mois (présentation courant de l’été 2020), et pendant ce temps « la rumeur » infondée continue sa propagation comme le virus.

Les analyses de laboratoires indépendants démontreront que le billet n’est pas un véhicule particulièrement privilégié du virus en comparaison d’autres surfaces ; mais ces études ne prouveront pas non plus que le billet est 100% inoffensif (Etudes mandatées par la BCE, BRI, l’institut Robert Koch).

Les informations scientifiques ne sont pas très efficaces car elles dépendent surtout de la manière dont les parties prenantes vont s’en servir. Cela demande un effort pour les analyser, les interpréter et les présenter sans grand retour sur investissement. Dans le cas de figure de la pandémie actuelle, elles confirment simplement « qu’on ne sait pas grande chose sur la propagation de ce virus ».   De plus, le contexte scientifique autour du Covid-19 n’a pas bonne presse étant donné les diverses polémiques qui ont vu le jour depuis plus d’un an.

Le think tank Cash Essentials a créé le mot Dactylchromatophobia qui est littéralement la peur de toucher l’argent pour appuyer le fait que cette polémique tient plutôt de croyance que de faits prouvés.

Des précautions médiatisées qui vont favoriser le doute

Certaines Banques Centrales (La Banque de Corée, La FED, La Bank of China par ex) ont adopté des mesures de prévention pour répondre au principe de précaution, tout cela a été très médiatisée par des vidéos, journaux, FB… pour montrer à leur population et au monde les actions de stérilisation, de nettoyage et de mise en quarantaine des billets pour protéger les populations.

Ces actions qui avaient pour fonction de rassurer la population ont également maintenu le spectre de la responsabilité de la propagation du virus par le billet de banque.

Les banques centrales n’ont pas toutes adopté les campagnes de nettoyage. Cette différenciation n’a fait que favoriser la persistance du doute concernant le billet dans les esprits.

Certains pays comme la France ont utilisé l’arme juridique pour freiner la perte de vitesse du cash. La Banque de France a envoyé un courrier officiel aux commerçants pour rappeler les règles du commerce: elle a rappelé qu’il était interdit de refuser des espèces sous peine de sanction pénale. Le billet doit permettre de continuer à faire marcher le commerce.

Une tentative d’organisation de front avec un appel à l’aide !

En France, les secteurs de la monnaie, des imprimeurs, des distributeurs automatiques, du transport de sécurité ont demandé à tout le monde de défendre l’argent liquide. Ils ont joué sur les vulnérabilités des utilisateurs avec l’espoir de réveiller les consciences en alertant les organisations sociétales.

Les associations de consommateurs tapent sur l’argent numérique selon plusieurs angles d’attaque :  

  • Alerte contre les dépendances techniques qui enfermeront les utilisateurs.
  • Mise en garde contre les risques d’exclusion des populations non bancarisées (un ex d’une association de SDF qui a fait pression sur une société de transports en Belgique)
  • Sensibilisation de l’opinion publique sur le droit à la confidentialité et la discrétion des données grâce au billet de banque.  (Cashmatters.org)

Sur twitter des hashtag ont été fortement utilisés #CashIsSafe, #CashIsAlive #CashIsNotDead pour relayer les informations pour la protection du billet de banque et permettre à chacun de s’exprimer (professionnel ou non) en espérant les effets boules de neige du retweet.

Il est intéressant de noter que la Suède a connu une vague de protestations contre l’abandon de la pratique du billet de banque. En effet la Suède est un des rares pays au monde à avoir tenté d’imposer le cashless. Les réactions de la population suédoise mériteraient d’être étudiées scientifiquement sous forme de la mise en place d’une veille des professionnels du billet de banque afin de tirer des leçons et de mieux se préparer pour plus tard.

Une solution pour redorer la réputation du billet de banque

Des professionnels de la fabrication des billets de banque (papetiers et imprimeurs) qui avaient développé des techniques et un savoir-faire de protection microbienne des billets à la suite des précédentes crises sanitaires (H1N1 2009) sont alors montés au créneau. Ils ont profité de la crise pour lancer sur le marché leur produit traité anti-virus, ils ont accompagné la solution innovante par des communiqués très percutants dans la presse spécialisée dès l’annonce de la pandémie (cash currency news), c’était le « perfect timing » pour répondre aux craintes des gouvernements avec une offre produit adéquate.

L’anticipation nécessaire des crises

Nous avons assisté à une véritable guerre de l’information durant les premiers mois de la crise : une lame de fond informationnelle qui a fragilisé par surprise le billet, une brèche a été amorcée et les professionnels du billet ont tenté de la colmater tant que possible sans être bien armés.  

Les crises vont se répéter et si les professionnels du monde fiduciaire ne fédèrent pas leur force, ne préparent pas de stratégie de riposte cohérente, n’anticipent pas mieux les prochaines attaques, par ex par des fortifications juridiques (normes, législations communes) ou l’aide des organisations sociétales, il sera bien difficile de résister à l’avancement et la pénétration des concurrents qui utilisent la méthode des petits pas en bloquant tout retour en arrière.

Le bilan de la crise ne présente paradoxalement pas de recul du billet de banque dans les transactions, mais attention cette résilience apparente peut être le fruit d’un phénomène comportemental de thésaurisation dans les temps incertains de crise. Il faudra attendre la sortie complète de la crise pour savoir si le comportement des populations a été modifié et si le billet a réellement perdu des parts de marché face aux supports digitaux.

Le basculement à une monnaie digitale ou électronique entrainera inévitablement une dépendance technologique des utilisateurs et des Etats, cela est bien pointé du doigt par les organisations sociétales qui commencent à se développer dans toutes les régions du monde.