Ingérences étrangères, une proposition de loi qui risque de rater la moitié de la réalité !

Par Arnaud de Morgny

Demain, le 22 mai sera discutée au Sénat la proposition de loi « visant à prévenir les ingérences étrangères en France ». Cette proposition de loi suit la procédure accélérée et a déjà été adoptée par l’Assemblée nationale le 27 mars 2024. C’est-à-dire que soit le Sénat adopte le même texte que celui de l’Assemblée et le texte sera définitivement adopté mais cela est peu probable car la commission des lois du Sénat a apporté de nombreuses modifications au texte issue de l’Assemblée (https://www.senat.fr/leg/ppl23-596.html) et c’est ce texte qui sera débattu demain. Soit le Sénat adopte un texte modifié et alors une commission mixte paritaire sera convoquée.

Cette proposition de loi trouve un écho particulier eu égard aux tentatives d’ingérence qui ont été dénoncées lors des émeutes en Nouvelle-Calédonie ou de la manœuvre dite Doppelgänger (création de faux sites de presse en Europe dont en France (https://www.courrierinternational.com/article/le-mot-du-jour-doppelganger-la-propagande-russe-dans-de-faux-medias-francais)) pour ne citer que les plus connues.

Cependant il y a un angle mort majeur dans cette proposition de loi : les pays membres de l’Union européenne ne sont pas considérés comme des puissances étrangères pouvant pratiquer l’ingérence. En effet c’est ce qu’il ressort de l’art 1 al. 22 qui édicte que  ” Sont des mandants étrangers, au sens de la présente section :” 1° Les puissances étrangères, à l’exclusion des États membres de l’Union européenne ;”

or l’EGE a  démontré que l’Allemagne pratiquait l’ingérence en particulier dans le domaine de l’énergie nucléaire (https://www.ege.fr/actualites/rapport-dalerte-ingerence-des-fondations-politiques-allemandes-et-sabotage-de-la-filiere-nucleaire-francaise) pour ne citer qu’un seul exemple.

Partir du principe qu’au sein de l’Union européenne, il n’y aurait que coopération bienveillante et de bon aloi est une erreur d’analyse majeure et évacue au moins la moitié du sujet des ingérences en France, du moins en l’état de mes connaissances.

Un autre point d’interrogation concerne l’article 4 (nouveau c’est-à-dire ajouté par la commission des lois du Sénat) alinéa 22. Il est fait mention « d’une entreprise » pour justifier de l’augmentation des maxima de peines. En revanche, il n’est pas envisagé d’ingérence économique par exemple quand un mandataire (d’une puissance étrangère) va débaucher des personnels d’une entreprise française au bénéfice d’une entreprise étrangère. Cela pose bien sûr les difficultés de définition d’une entreprise française ou étrangère. À ma connaissance, il n’y a pas de définition juridique d’une entreprise française, il serait bon que cette proposition de loi s’attache à cette définition. On pourrait déduire de l’article 4 alinéa 1 qu’il ne s’agirait que d’entreprise ayant des activités ayant trait « aux intérêts fondamentaux de la Nation, au fonctionnement ou à l’intégrité de ses infrastructures essentielles ou au fonctionnement régulier de ses institutions démocratiques » mais comme il traite d’une modification du code monétaire et financier en donnant une définition de l’ingérence dans ce code, cette interprétation n’est pas évidente. A défaut c’est laisser au pouvoir exécutif une très (trop) grande marge de manœuvre.

Cette proposition de loi peut améliorer l’arsenal juridique face aux ingérences étrangères ne serait-ce qu’en créant une base légale pour d’éventuelles sanctions. Cependant les deux points soulevés amputent celle-ci d’une grande partie de son efficacité.