Rôle et implication du citoyen dans la collecte d’informations sur des sujets stratégiques

Labyrinthe, Solution, Perdu, Problème, Défi, Jeu

par Maëlle Calmard, Director of International development Easy Metric

Le 20e siècle a vu l’émergence de conflits où les morts sur les champs de batailles ont laissé place à des « morts » économiques et sociétales. Les guerres actuelles se déroulent désormais par écrans interposés. Le renseignement est devenu une arme de destruction massive pour qui sait s’en servir.

Cette arme est-elle uniquement le fait de professionnels du renseignement, à l’instar des services spécialisés ou bien le citoyen « de base » a-t-il encore un rôle à jouer dans la collecte de l’information ?

Gouvernement et Citoyens : l’impossible confiance ?

Le rôle croissant que joue l’Internet dans nos vies, la digitalisation galopante des métiers et des entreprises ainsi que la mondialisation accélérée de l’économie redéfinissent les règles du jeu pour les responsables politiques et l’exercice de la démocratie. Dans le célèbre roman de George Orwell, «1984 », qui décrit une société totalitaire où l’État a la mainmise sur la population ne semble plus être une simple fiction. 

Toutes les organisations de gouvernance qu’elles soient totalitaires ou démocratiques tentent d’utiliser le levier du patriotisme pour exiger l’adhésion du peuple à des activités de collecte de l’information censées, en filigrane, prouver son amour pour la patrie.

Mais pour y parvenir, il est nécessaire d’établir une relation de confiance réciproque. Dans les démocraties occidentales la liberté d’expression est garantie, le citoyen se sent libre de s’exprimer et de penser. Il se sent protéger par les institutions gouvernementales qui lui assure protection et liberté dans ce domaine.

Un modèle qui convient à la majorité de la population. Illusoire ou non, la confiance est établie, le patriotisme peut alors constituer un formidable levier de mobilisation des citoyens.

Mais plusieurs exemples dans l’actualité ont démontré que le patriotisme peut conduire également à une forme de « trahison » avec notamment certains citoyens qui se transforment en lanceurs d’alerte, patriotes contrariés, dont le sentiment de patriotisme exacerbé n’a pas résisté à certaines politiques de surveillance de masse de la population.

Ces scandales très médiatisés ont dès lors détérioré la relation réelle ou non, consentie ou non, de confiance entre les gouvernements et leurs citoyens. La méfiance s’est alors installée faisant prendre conscience aux gouvernements qu’ils ne pouvaient pas demander n’importe quoi à leur peuple.

Le risque d’instrumentalisation du lanceur d’alerte

La loi 2016-1691 du 9 décembre 2016 dite « loi Sapin » a créé un statut pour les lanceurs d’alerte et leur a ainsi offert un régime protecteur. Selon le rapport annuel du défenseur des droits, la loi Sapin  » a permis l’émergence d’une prise de conscience du rôle que chacun peut jouer dans le développement des signalements et dans la moralisation de la vie publique. En sont exclus, les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de l’alerte défini par le présent chapitre.  » (Article 6).

En se drapant sous de bonnes intentions, vis-à-vis, de ses concitoyens le gouvernement français, comme bon nombre d’autres gouvernements, n’est pas toujours prêt à accepter que des lanceurs d’alerte qui sont dans ce cas d’espèce, deux journalistes et fondateurs du média DISCLOSE (Mathias Destal et Geoffrey Livolsi), puissent révéler au grand jour des informations classifiées « Confidentiel défense ».

En Mai 2019 le média Disclose fait état d’une fuite d’un rapport rédigé le 25 septembre 2018 par la DRM (Direction du renseignement Militaire) intitulé « Yémen-situation sécuritaire ». Ce dernier explique, à l’aide de tableaux, comment les armes vendues par la France à l’Arabie Saoudite et aux Émirats Arabes Unis tuent des civils au Yémen. Informations jusque-là niées par le Président de la République Mr Emmanuel Macron et son Ministre des Armées Mme Florence Parly.

A la suite de ces révélations, le 14 mai 2019, les journalistes de Disclose seront auditionnés par la Direction Générale du Renseignement Intérieur (DGSI). Ils feront objet d’une enquête préliminaire pour « compromission du secret de la défense nationale ». Il faudra attendre neuf mois pour que le procureur de la République classe l’enquête préliminaire ouverte contre les deux journalistes.

Le cas de Marc Echinger s’inscrit aussi dans ce type d’interrogation. Le fait de soulever des questions intéressantes dans l’affaire Areva ne donne pas un chèque en blanc pour formaliser des attaques qui sont décriées par d’autres. Le fait de se présenter comme un  » chevalier blanc », ne signifie pas qu’on a obligatoirement raison. S’adresser au Département de la justice américaine pour faire respecter les droits de l’homme ou lutter contre la corruption est une approche qui écarte sans autre forme de débat la suspicion qui plane sur l’usage du Droit par la démocratie américaine. Les Etats-Unis d’Amérique sont considérées aujourd’hui comme la principale puissance qui utilise éventuellement le Droit comme un instrument de pression géopolitique ou géoéconomique sur ses adversaires mais aussi sur ses alliés. Se tourner vers elle pour réclamer justice revient à nier une telle évidence.

Des ONG d’origine française intentent des procès en civil ou en pénal contre des banques ou des entreprises françaises dénoncées pour avoir des activités dans des pays qui commettent des crimes contre l’humanité. Ces combats qui peuvent apparaître comme très légitimes, ne sont pas exempts d’autres formes de combat plus invisibles, auxquels de livrent certaines puissances pour en déstabiliser d’autres par l’entremise de ces actions en justice. Or aucune ONG ne prend la parole sur cet aspect non négligeable du problème…

La pression des cultures patriotiques étrangères

La France ne vit pas dans une bulle qui met sa population à l’abri des réalités extérieures. Les anciens pays du Bloc communiste ont développé une culture patriotique à la fois défensive et offensive. Après l’effondrement du système soviétique, la Russie a subi une perte de cohésion de sa population. Sous les différents mandats de Vladimir Poutine, l’Etat a érigé un modèle patriotique pour contrer les différentes formes d’ingérence étrangère. En Chine, la loi sur le renseignement votée en 2017 (Article 17 prévoit que toute organisation ou entreprise chinoise « doit soutenir, assister les services de renseignement et coopérer avec eux »). Bernard Carayon ne maque pas de rappeler que « Tout chinois, qu’il soit membre du parti communiste ou non, est de fait le collaborateur obligé des services de renseignement de son pays ». Une telle posture n’est pas sans conséquences comme le démontre ce reportage de la télévision RTS sur la question de l’ingérence chinoise en Suisse. La majorité des dix communes vaudoises a su résister à une demande chinoise par rapport à une polémique sur le Tibet.

Mais dans le monde occidental, il existe aussi des cultures patriotiques qui ont à la fois un volet défensif et offensif, au-delà du champ strictement géopolitique et militaire. Sur le continent nord-américain, elle est résumée par cette formule : « une entrepris est américaine lorsqu’elle sert les intérêts des Etats-Unis d’Amérique ». Sur ce point précis, le patronat n’a pas encore changé de logiciel comme le démontre le débat soulevé en interne. Une des premières questions évoquées dans le groupe de travail crée sur la souveraineté, portait sur la difficulté pour identifier la pertinence du critère de nationalité des entreprises. Bref, on est encore à se demander si cela a du sens de parler d’une entreprise française. L’écart entre la réalité de la guerre économique et la perception affichée par une majorité du monde patronal est encore abyssal. Cette situation de faiblesse a des répercussions non négligeables au sein de la société française.

L’inertie française en matière de patriotisme

L’urgence est de réfléchir sur la manière d’assumer et de partager une nouvelle approche du patriotisme, en particulier dans le domaine économique.  Mais il existe une vraie défiance entre les gouvernements et les citoyens. Quelle serait les moyens à mettre en place par le gouvernement afin que la confiance soit restaurée dans ce sens ?

En France, une proposition de loi a été déposé le 25 mars 2021 par une sénatrice communiste, Marie-Noëlle Lienemann ; proposant une stratégie nationale et internationale d’intelligence économique afin de se « protéger » face aux grandes puissances internationales agressives. L’implication des territoires est un enjeu majeur au même titre que la formulation d’un nouveau processus d’unité nationale qui dépasse très largement un processus de communication par le biais des réseaux sociaux. Comme le disait dernièrement Nicolas Ravailhe lors de la conférence de presse du collectif Reconstruire, il est de se pencher sur la question « pourquoi avons-nous perdu le sens du combat pour la défense de l‘intérêt général aussi bien au niveau de l’Europe que pour la France intramuros.