Perspectives pour renouer le « numérique » avec la justice sociale »

Justice, Communauté, Copains, Globe

par

François Soulard – plate-forme Dunia.
Michel Volle – économiste, Institut de l’iconomie.

Le cheminement que nous avons entrepris sur un mode schématique soulève bien plus d’enjeux que ce que le terme transfuge du « numérique » ne laisse supposer. Sous l’effet de l’informatisation et en l’espace de quelques décennies, les rouages fondamentaux du raisonnement économique se sont transformés : la fonction de production, la répartition des ressources initiales, la nature des produits, le fonctionnement du marché, l’utilité et la définition des prix.

Le régime de concurrence monopolistique s’est déployé sur le marché mondial. À proportion du degré d’informatisation de chaque activité humaine, il introduit une économie du risque maximum, ultra-capitalistique, structurée par l’innovation, dans laquelle s’élargissent les modalités de guerre économique. Ces modalités remettent au premier plan la dialectique entre l’échange et la prédation, entre l’État de droit et la féodalité.

De ces mutations a émergé une matrice économique de la conception et de la compétence. L’emploi a changé de nature. La frontière entre l’industrie et les services a disparu. Le monde tend à s’organiser en pôles et en réseaux tandis que les chaînes de valeur se ramifient en partenariats ou sous-traitances complexes. La géographie productive des territoires est remodelée dans la mesure où le développement des centres métropolitains contraste avec l’inertie des périphéries.

Si une poignée d’acteurs entrepreneuriaux et publics ont su s’investir lucidement dans l’informatisation, une majorité continue néanmoins sur la pente de l’inefficacité et de l’instrumentalisation prédatrice. Ces deux variantes, dont les causes sont à la fois physiques, culturelles, cognitives, politiques et économiques, concourent à nourrir les ambivalences qui s’observent en matière d’impact sur la justice sociale.

La nouvelle matrice économique véhicule des dynamiques structurelles capables de favoriser spontanément la liberté, l’équité, la construction des relations, la redistribution du sens et des connaissances, la citoyenneté, la durabilité. Toutefois, l’absence d’orientation et d’appropriation philosophique des enjeux l’amènent à se diriger dans des directions contradictoires et sans autre pilote que celui du volontarisme ou des rapports de force. L’entrée du concert des Nations dans un monde multipolaire y contribue fortement.

En absence d’orientation, nous estimons qu’il est nécessaire d’engager un effort de construction stratégique. Les acteurs et les sociétés ont besoin de se représenter de quelle manière l’économie informatisée peut sortir de sa crise de transition et développer son efficacité au vu de la réalité intime du système technique et de l’univers qu’il fait advenir. Une telle démarche de représentation a vocation à orienter les décisions, contenir les comportements prédateurs et fédérer les volontés autour d’un horizon commun. Pour les auteurs de ce texte, elle s’est cristallisée autour de la notion d’iconomie. Mais bien d’autres démarches sont à entreprendre en rapport avec les soubassements géoculturels, les luttes et les valeurs de chaque société.

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