La question épineuse du blé ukrainien

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Par Valéria Faure-Muntian

L’Ukraine est le 4ème exportateur de céréales au monde et le 5ème exportateur de blé.

La Russie est le 3ème exportateur de céréales au monde et le 1ème exportateur de blé.

Quand la Russie décide de faire la guerre à l’Ukraine, la sécurité alimentaire mondiale en est menacée.

Quels sont les freins à l’exportation, aujourd’hui ? Quels en sont les enjeux pour les années à venir ?

Le blé russe, n’est pas sous sanctions occidentales !

Vladimir Poutine accuse l’occident de la flambée des prix des céréales en général et du blé en particulier. D’une part, il les impute aux sanctions économiques occidentales imposées en raison de l’invasion de l’Ukraine, d’autre part à la constitution par ces mêmes pays des stocks au-delà de l’habituel.

Ces allégations sont fausses, en effet, aucun fait extérieur n’empêche la Russie d’exporter. De plus, l’Union Européenne prévoit une augmentation de 30% de ses capacités d’exportation.

Par ailleurs, Vladimir Poutin joue sur les nerfs des pays dépendants des exportations russes, comme l’Egypte et la Turquie pour les obliger à se positionner vis-à-vis du conflit déclenché en Ukraine. En effet, le président russe a déclaré à plusieurs reprises que son pays fournira uniquement les « pays amis de la Russie ».

Qu’en est-il de l’Ukraine ? Plusieurs facteurs empêchent l’Ukraine d’exporter

Tout d’abord, rappelons-le, les terres agraires ukrainiennes se trouvent principalement au sud-est du pays, au plus près des combats qui font rage actuellement. Avant 2014 le moyen d’exportation privilégié était le port de Marioupol, ville située au sud-est du pays avec l’accès à la mer d’Azov. Après l’annexion de la Crimée par la Russie et la création du pont reliant les deux territoires, l’usage du port aux fins d’exportation est devenu impossible.

L’Ukraine a dû se réorganiser. Les deux défis à surmonter étaient les infrastructures routières et ferroviaires inadaptés au transport de telles quantités de marchandises et le besoin d’un nouveau port maritime pour continuer à exporter. En 2018, une partie des céréales germaient encore dans les conteneurs, faute de locomotives pour les emmener vers l’ouest à Odessa, devenue le nouveau port d’exportation. Malgré les difficultés, l’Ukraine a investi dans les infrastructures afin d’y faire face.

Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 fevrier 2022, de nouvelles difficultés apparaissent. Le port d’Odessa n’est plus exploitable. En effet, l’armée russe a miné la mer afin d’empêcher les ukrainiens d’exploiter cette voie pour des raisons militaires et commerciales. L’armée ukrainienne a miné les accès à la mer Noire pour se protéger des offensives russes par voie maritime.

Il reste la route et les chemins de fer. Mais là encore, la chose n’est pas aisée. Au-delà des difficultés évidentes de sécurité du transit sur le territoire en guerre, l’Ukraine rationne le carburant afin de donner la priorité à l’armée. Et même si les quantités étaient suffisantes, le prix du carburant, payé par les agriculteurs désireux d’exporter est prohibitif. Les producteurs de céréales privilégient donc l’usage des carburants pour la récolte, quand ils peuvent y accéder.

Quant aux chemins de fer, les normes ukrainiennes, sont celles de l’ex-URSS, très différentes de la Pologne et la Roumanie. En effet, l’écartement des voies, plus large en Ukraine, nécessite le changement de bogies aux frontières. Parfois la taille du matériel roulant entraine un déchargement complet pour changer de conteneurs.  Le transfère des marchandises en est fortement ralenti et perturbé.        

Par ailleurs, l’Ukraine a toujours été considérée comme une menace pour les acteurs de l’agriculture européenne. Ce point de vue a été renforcée par l’accord d’association de 2014. Pour mémoire, c’est cet accord d’association qui avait entrainé l’ingérence russe et la suspension de sa signature par le président ukrainien, la révolution de Maïdan.  

« En 2017-2018, l’abondance et la qualité des récoltes céréalières des pays de la mer Noire continuent de peser sur les cours mondiaux malgré une consommation record. La concurrence internationale induite par cette offre limite les exportations françaises vers les pays tiers et maintient les prix en France à un niveau bas malgré la qualité reconnue de son blé.

« Dans les faits, il s’agit bien d’une concurrence, admet une source ministérielle. L’Ukraine et la France sont deux pays producteurs et sur les mêmes produits. L’Ukraine exporte vers des marchés également clients de la France et cela pose problème aux filières. Il y a une préoccupation importante en France qui s’exprime par rapport à ce grand pays. » »

Il ne faut pas négliger également l’inquiétude polonaise en la matière. La Pologne a augmenté significativement sa capacité de production et d’exportation de blé ces dernières années. Elle fût le seul en 2020 à être en hausse.

Le passif agricole entre l’Europe et l’Ukraine

L’invasion russe en Ukraine a certes fait évoluer les mentalités et la solidarité européenne n’est pas à remettre en question. Cependant, un passif aussi lourd entre l’Europe et l’Ukraine sur la question agricole ne s’efface pas en un clin d’œil. Surtout pas en période d’instabilité des flux et des prix, en pleine récoltes des mois de juin et juillet.

Les déclarations politiques en matière de sécurité alimentaire ne suffisent pas. Il ne faut pas oublier que les producteurs sont des chefs d’entreprises et non des mécènes. Pour assurer la sécurité alimentaire mondiale il faut assurer la logistique des exportations, sécuriser les transactions et assurer l’arrivée des productions aux consommateurs qui en ont besoin. Et là l’investissent pérenne des institutions telle que l’Union Européenne est primordiale.

En effet, chaque agriculteur ukrainien se bat, seul aujourd’hui pour trouver une porte de sortie et un acheteur au prix qui lui permet de payer son carburant pour la récolte, les semences et les produits phytosanitaires. Les agriculteurs européens quant à eux ne souhaitent pas voir le marché européen envahi par la production ukrainienne.