Emmanuel Macron veut réinventer le Nucléaire : Décryptage

par Grégoire de Warren (MSIE 36 de l’EGE)

Extrait de l’intervention du Président de la République.

« Premier objectif : faire émerger en France d’ici 2030 des réacteurs de petite taille avec une meilleure gestion des déchets »

Ce projet évoqué par le Président a déjà été annoncé par un communiqué (I) du CEA le 17 septembre 2019, le projet est amorcé, Il n’est donc pas nouveau. Si c’est un projet innovant, il est destiné à l’exportation et ne répond pas au besoin d’électrification de la France de demain. Il faudrait plus de 220 réacteurs SMR pour remplacer le parc des 56 réacteurs en fonctionnement (900 et 1300 MW). Contre 44 réacteurs EPR de 1500 MW

« Pourquoi  ce sujet ? Pour produire de l’électricité.

Pour produire de l’électricité nous avons une chance, c’est notre modèle historique : le parc installé, le nucléaire » L’Etat a confirmé deux ans plus tôt le début de la déconstruction  du parc au travers la PPE,  à commencer par la centrale de Fessenheim qui fît l’objet d’un décret administratif de fermeture, alors que le niveau de sureté des deux réacteurs était qualifié de très performant.  Ainsi comme l’a écrit  l’ASN dans son rapport de 2020 (II): «  La fin de l’activité de production du site de Fessenheim s’est fait avec un niveau de performance très satisfaisant en matière de sûreté, en ligne avec les bons résultats obtenus par le site depuis plusieurs années. Le nombre d’événements significatifs déclarés au cours de la période de production des réacteurs a été en-dessous de la moyenne du parc et il a été constaté le maintien d’une très bonne qualité d’exploitation des réacteurs jusqu’à leur arrêt définitif ».

Des travaux parlementaires (III) ont également démontré que la fermeture était infondée sur le plan de la sureté, contreproductive sur le plan du territoire et de l’industrie, un gâchis pour la collectivité sur le plan financier.

L’enjeu réel des EPR

« J’aurais l’occasion de revenir dans les semaines qui viennent sur l’opportunité de construire de nouveaux réacteurs (…) Le Président évoque les 200 000 salariés du nucléaire, la production décarbonée « du nucléaire, du parc hydraulique et de notre base installée ».

Déclaration qui semble destinée aux industriels et à toute la filière, pour faire oublier le message précédent : « Attente d’un rapport RTE pour prise de décision » Lequel rapport (publié le 25/10/2015)  (IV) démontre en tout point l’avantage concurrentiel et technologique de construire de nouveaux EPR. Selon le rapport rendu public, de tous les scénarios étudiés par RTE, (Sans qu’aucun de ne soit oublié) 14 nouveaux EPR est le scénario à la fois le plus économique et le plus sûr technologiquement.

Ce dernier rapport confirme le bien fondé du nucléaire, un doute sur les orientations possibles avait fait craindre la filière lorsque RTE et l’AIE avaient publié un précédent rapport  (V).  Ce dernier faisait état d’un possible outil de production 100% EnR, précisant toutefois « sous conditions très strictes ». Lesquelles conditions étaient détaillées, et il devenait évident à la lecture des recommandations de RTE, qu’elles  ne pourraient être mises en œuvre d’ici 2050, compte tenu de l’ampleur et de la complexité des défis de toutes sortes (Développement technologique encore suffisant, besoin considérable de ressources et de surfaces foncière, opposants de plus en plus nombreux face à l’accaparement des surfaces par les fermes éoliennes, refonte totale de notre système d’acheminement d’électricité, dépendance à de nombreux facteurs tels que l’interconnexion, …) Et le choix moral et politique de condamner une filière fiable et nationale (nucléaire) au profil d’une filière qui n’est pas française (EnR).

Cette déclaration aura jeté un trouble et ajouté de l’incertitude.

Pour bien mesurer la difficulté  qui s’ensuivrait d’abandonner notre production  nucléaire par d’autres technologies en majorité EnR, nous recommandons d’étudier les deux rapports de la Société Française d’Energie Nucléaire  (VI) dont celui commandé auprès de   Compass Lexecon (VI). Le dernier rapport RTE corrobore ce que la SFEN et d’autres  démontraient déjà il y presque 3 ans.

Le faux fuyant des Energies Renouvelables

Remplacer le nucléaire par des EnR est une vue de l’esprit qui ne s’inscrit dans aucun scénario plausible à l’horizon 2050. (Ce qui ne remet pas en cause la nécessité d’une part d’EnR dans la production, pour diversifier et répondre à des besoins décentralisés des réseaux ou augmenter en pointe, ce qui est déjà le cas.)

« Nous devons réinvestir pour être à la pointe de la technologie de rupture dans ce secteur, cela passe par une série de famille technologique, il ne m’appartient pas ici de les trancher (…) nous devons nous préparer à des technologies de rupture profonde du nucléaire, la première qu’on appelle les SMR, (…) beaucoup plus modernes et beaucoup plus sûrs ».

Il est incohérent d’opposer la sureté des REP qui plus est des EPR2, avec la sureté des SMRs. Les réacteurs de forte puissance telle que les EPR, AP1000, APR1400, ABWR et VVER sont soumis à des évaluations internationales et font l’objet d’une normalisation de leurs niveaux de sureté. (Ces études sont conduites par le MDEP (Multinational Design Evaluation Programme). Ellesbénéficient du retour de 50 années d’expérience. Il y avait 443 unités en fonctionnement dans le monde fin 2019,  il y a une forte augmentation des référentiels et critères sureté post Fukushima. (Y compris sur les sécurités passives et actives des réacteurs existants.)

Un rapport complet du MDEP détaille les avancées des travaux, il est édité annuellement pour le public et les professionnels. L’Autorité de Sûreté Nucléaire (l’ASN) et la Nuclear Regulatory Commission (NRC) sont à l’initiative de ce programme qui intègre maintenant toutes les autorités de sureté nucléaire du monde.

Laisser filer le temps pour la décision du lancement des EPR2 offre un avantage concurrentiel à nos adversaires industriels. Westinghouse multiplie les initiatives dans l’Est de l’Europe : En République Tchèque (accord avec CEZ), en Pologne avec l’ouverture d’un centre global de services, en Ukraine où Energoatom envisage de solliciter des crédits américains pour construire un AP1000. (Westinghouse)

« Les technologies pour mieux gérer nos déchets, certaines sur lesquelles nous commençons à avancer, certaines que nous n’imaginons même pas »

Le projet-phare de gestion des déchets, concernait le réacteur Astrid. Il s’agissait d’une technologie de rupture qui permettait de « fermer » la boucle du combustible. (Très peu de déchets ultimes.) Le réacteur Astrid dans lequel a déjà été investi 1Mds€, a été abandonné sans que les chambres parlementaires n’en aient  été informées, et sans qu’aucune justification officielle ne soit rendue publique de la part de l’Etat. Cette décision est en contradiction totale avec les déclarations du  gouvernement de vouloir réduire les déchets. Plus incohérent encore, le CEA laissait entendre que les travaux engagés et numérisés pourraient être utilisés à l’horizon 2100…. Ce qui est tout à fait fantasque compte tenu de la rapidité des avancées technologiques et de l’évolution exponentielle du monde dans lequel nous vivons.

Cette décision a été prise  contre l’avis même des parlementaires et du Sénat. l’OPECST (L’office parlementaire d’évaluation des choix  scientifiques et technologiques) le souligne dans son rapport   « L’énergie nucléaire du futur et les conséquences de l’abandon du projet de réacteur nucléaire de 4e génération Astrid ». (VIII)

Le rapport pointe également les incohérences et les rapporteurs ne parviennent pas à comprendre ces choix, ni Qui  officiellement a décidé d’interrompre le programme.

La commission parlementaire pointe aussi la tergiversation et le non-respect de la loi par l’Etat, au sujet de l’application de la gestion des déchets radioactifs.

De nombreuses questions demeurent sans réponse, ce qui démontre un manque de vision politique, à moins que ce soit un manque de transparence des choix qui seraient déjà  faits ?  Toujours est-il que la posture de l’Etat  ne permet pas à la filière de bâtir une stratégie de croissance  en France, compétitive à l’international, alors même que les énergies fossiles  se développent y compris en Allemagne, et que les adversaires de la France se lancent sur tous les programmes technologiques du nucléaire (REP, SMS, RNR, TWR….). C’est le cas  des acteurs des GAFAM, dont l’objectif est de nous prendre des parts de marché et de nous affaiblir sur nos propres domaines de compétence. Exemple : Bezos Expedition avec General Fusion. (TWR. Technologie des surgénérateurs –Super Phénix fut l’un des précurseurs, puis condamné par l’Etat en 1997 pour des raisons électorales et dogmatiques)Ou Tera Power qui est soutenu par Bill Gates, le Congrès et Général Electric,  lancés dans  la recherche du SMR au sodium. (Le compétiteur d’Astrid, abandonné par l’Etat français en 2019)

L’arrêt du réacteur Astrid   (IX) est un très mauvais signal qui fera pour longtemps, douter  nos partenaires de la fiabilité de la France à conduire un projet industriel majeur et sur le long terme.  Cela avantage nos compétiteurs sur les marchés émergeant internationaux, là où se situent les axes de croissance, les plus grands besoins à venir  de réduction de l’impact carbone, et les grands partenariats industriels.

L’impérieuse nécessité d’accélérer le mouvement

« Pour y parvenir nous devons ouvrir le jeu très vite, avec 1 Mds € d’ici 2030 et en lançant très vite des premiers projets très clairs (…) Il faut avancer plusieurs projets sur des familles technologiques très différentes, et il faut essayez d’accélérer pour avancer dans ces projets » Améliorer toujours la sureté en baissant les coûts et réduire les déchets ».

Nous confirmons qu’il est important d’accélérer le développement de ces réacteurs qui restent destinés à l’export et qui ont à ce titre, toute leur place dans la filière nucléaire française. Ils pérennisent notre savoir-faire des conceptions modulaires. Il ne faut donc pas en effet les négliger. Néanmoins ces réacteurs ne se substitueront pas à horizon 2050 à des unités REP de 1300 MW qui ont façonné le réseau en France, sauf  quelques  unités de démonstrations pour leur fiabilité. Qui plus est, le montant de 1Mds à échéance de 2030 ne répond pas aux besoins de développement rapide d’un outil industriel destiné à concurrencer les nombreux projets de SMRs en cours dans le monde.

Il est difficile de comprendre ce qui a été décidé. Rien n’est moins clair : Abandon d’une technologie, sous-investissement dans une autre, étude sur l’opportunité de remplacer  le nucléaire sans qu’il soit dit par quoi, différé des annonces, déclarations contradictoires, …

Pourtant  il existe une réalité qui exige une prise de responsabilité de la part de l’Etat : l’effet de falaise, inexorable, à compter de 2035 :

« Comme l’explique l’étude de la SFEN dans son rapport d’Avril 2019 : En 2050, plus des 3/4 du parc nucléaire existant (51 GWe) aurait atteint 60 ans et, – à l’exception de Flamanville -, les réacteurs restants seraient arrêtés d’ici 2062,  •   La dynamique de baisse du nucléaire serait particulièrement brutale dès 2039 avec l’arrêt en moyenne de 4 GWe/an jusqu’en 2050 ».

Il est important de préciser  que ces chiffres ne prennent pas en compte le fait que la PPE prévoit l’arrêt de 14 tranches 900 MW d’ici 2035. Soit une baisse de 25 % de notre production actuelle avant 2050, avec une perspective de 25% d’augmentation de notre consommation d’ici 2050 (Selon le rapport RTE)

« La période 2030-2035 est une période pivot en matière de capacité nucléaire disponible. Dans les années qui viennent, l’approvisionnement électrique sera soumis à des aléas aujourd’hui difficiles à prévoir, comme une possible hausse de la consommation d’électricité, la stratégie de nos voisins européens (sortie du charbon en Allemagne, incertitude sur le parc nucléaire en Belgique, en Suisse ou en Espagne), ou le rythme de déploiement des nouvelles énergies renouvelables, des CCS et des capacités de flexibilité du réseau. La prolongation du parc nucléaire français, socle de l’approvisionnement français, est en mesure de protéger la France contre ces aléas. (…) Il pourrait donc falloir jusqu’à une quinzaine d’années entre le moment où la décision de construire sera prise, et la mise en service du premier réacteur. On voit que, pour garantir la mise en ligne d’un premier réacteur en 2035, la France est déjà en retard ».

Cette prise de responsabilité de la part de l’Etat est d’autant plus attendue, qu’il existe bien une contraction des ressources planétaires, des incertitudes sur les matières premières, des tensions géoéconomiques et géopolitiques. Tous des facteurs indépendamment ou mis bout à bout pourraient conduire à une perte de capacité rendant la France inopérante et complétement dépendante.

Notes

I : https://www.cea.fr/presse/Pages/actualites-communiques/energies/nuward-smr.aspx

II : https://www.asn.fr/l-asn-informe/actualites/region-grand-est-bilan-2020

III : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-dvp/l15b4515_rapport-information#_Toc256000023

IV : https://assets.rte-france.com/prod/public/2021-10/Futurs-Energetiques-2050-principaux-resultats_0.pdf

V : https://assets.rte-france.com/prod/public/2021-01/RTE-AIE_synthese%20ENR%20horizon%202050_FR.pdf

VI : https://www.sfen.org/sites/default/files/public/atoms/files/note_avril_renouvellement_du_parc.pdf

VII: https://new.sfen.org/wp-content/uploads/2020/06/Etude-Compass-Lexecon-SFEN-2020.pdf

VIII : https://www2.assemblee-nationale.fr/content/download/352761/3474798/version/2/file/Rapport+futur+nucléaire++V15.pdf

IX : https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/nucleaire-apres-l-abandon-du-projet-astrid-des-parlementaires-s-alarment-de-l

X : https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/nucleaire-edf-donne-la-liste-des-centrales-qui-vont-arreter-des-reacteurs-1164755