De l’argent en échange de mesures de réforme – ou chantage à l´abandon de la souveraineté ?

La communication envers les pays donateurs dans la crise de l´Euro.

par Benedikt Sütter, avocat ,Juriste Land de Hesse.

La crise financière de 2007 / 2008 a révélé une divergence éclatante dans la stabilité des finances publiques entre les États membres de l´euro. Les pays les plus industrialisés qui ont formé les pays clés traditionnels de l´industrialisation et de l´unification européenne ont pu résister à l´effondrement économique et la perte des revenus fiscaux qui en a résulté. Les pays périphériques et notamment de l´Europe du Sud qui ont longtemps profité (au niveau des administrations étatiques et des grandes entreprises associées à l´appareil d´État ou aux banques étroitement liées au système des  banques centrales) des taux d´intérêt bas qui leur ont permis de s´endetter à des conditions qui, autrefois, étaient réservées aux pays plus riches. Mais la crise financière avait comme résultat l´effondrement de la base économique et, par conséquence, la base de calculs des créanciers. De plus, l´arrêt immédiat de l´activité d´octroi de crédit a sapé la stratégie de croissance continue malgré le manque d´une base industrielle par des investissements ininterrompus financés par des crédits. Une stratégie de croissance keynésienne atteint ses limites dès que le flux monétaire des crédits est interrompu. Cette situation était aggravée par le fait que la crise financière était à l´origine une crise de l´évaluation des biens immobiliers qui ont servi d’assurance, celle-ci garantissant les crédits qui étaient nécessaires pour maintenir la croissance en vie a perdu sa fonction, ce qui a encore réduit la volonté du système bancaire de continuer l´octroi de crédit.

Mais à ce moment, le développement était déjà trop avancé : l´engagement des banques créancières, d’origine nord-européenne et ouest-européenne, a rendu le scénario d´une faillite des pays en difficulté inacceptable. Cela aurait signifié la dépréciation de plusieurs milliards d´euros, notamment pour les banques françaises qui avaient acquis la plus grande somme de titres de créances des pays faibles, desquels une dépréciation aurait eu comme conséquence l´effondrement du système bancaire français.

Comme laisser les économies, notamment du sud de l´Europe, et les banques européens faire faillite n´était pas une option, il fallait sauver débiteurs et créanciers avec des fonds de tierces personnes. Ce sauvetage devait poursuivre un double but :

  1. Réellement combler les trous financiers qui se sont révélés pour prévenir l´insolvabilité accrue.
  2. Signaler aux marchés financiers internationaux que les membres forts et solvables vont protéger les faibles ce qui permettra à ces derniers de revenir sur les marchés pour se refinancer.

Support des finances grecques par les pays plus forts

Le premier but pourrait seulement être achevé par un transfert réel de moyens financiers. Cela veut dire que des moyens monétaires en propre (=pas de financement par crédit) devaient être transférés des personnes ou des pays qui avaient la possibilité, aux institutions grecques qui ne le pouvaient pas. Comme la base financière de la population grecque n´y aurait pas suffi, la possibilité d´augmenter les impôts n´était pas une solution envisageable. Il restait donc la possibilité de directement accéder à la richesse nationale (expropriation des individus et privatisation des biens communs).

Le ministre des finances, Iannis Varoufakis, « Rocker » des ministres européens et connu pour ces propositions radicales, a évoqué que le recours à la participation des personnes grecques les plus fortunées (particulièrement le groupe des « oligarques ») comme une source de revenu envisageable. Dans sa biographie, il racontera que c´était une des raisons pour lesquelles les élites le détestent, et cela pourrait être aussi une raison pour son départ.

Ce qui est sûr c´est que Varoufakis a démissionné après que son plan pour laisser la Grèce sortir de l´Euro est été rejeté par les acteurs internationaux. Le « Grexit » aurait signifié que le surinvestissement dans la Grèce, qui a artificiellement augmenté la valeur des biens, aurait dû être déprécié, ce qui aurait tout bonnement nuit aux créanciers bancaires mais aussi aux propriétaires de ces biens (qui ne sont certainement pas les citoyens ordinaires, si on regarde les statistiques de distribution des biens). 

Il restait donc la population grecque et les États forts sur qui s’appuyer pour obtenir les moyens financiers nécessaires. Ce qui est essentiel, c´est le fait que les moyens économiques nécessaires ne pourraient plus être générés par la création de crédit, car c´étaient les institutions de crédit eux-mêmes qui étaient surendettés. Dès lors, il fallait recourir aux personnes ou institutions capables d’apporter des moyens monétaires basées sur leurs capacités propres.

Ce recours a été mis en place par des crédits à la Grèce de plus que 270 milliards d´Euro, assurés par la garantie des États forts (particulièrement la France et l´Allemagne). Ces moyens étaient de la monnaie « vraie », car ils étaient garantis de la population imposable et solvable.

Le deuxième but était de rassurer les marchés inquiets. Ce but pourrait seulement être atteint par une garantie crédible des emprunteurs auxquels les créanciers croyaient. Les emprunteurs pourront en dernier ressort compter sur la population des pays riches car, de nouveau, les institutions de crédit (notamment en France) étaient près de la faillite eux-mêmes. Mais pour que l´État grecque puisse revenir sur les marchés, ces garanties auraient dû être accordées en faveur de l’État grecque (et pas, comme en-dessous, en faveur des bailleurs).

Mais les contrats européens posent un problème : Il est hautement disputé entre les juristes le financement et la présomption de responsabilité entre les États. En plus, l´ambiance générale était déjà très tendue à cause de l´adoption du projet de loi précipitée concernant les aides instantanées. La solution (qui perdure encore aujourd´hui) c´est la garantie de la banque centrale européenne d´accepter inconditionnellement les obligations du gouvernement grec. Cela a permis aux banques d´acheter les obligations du gouvernement grec et de les échanger contre de l´argent sonnant et trébuchant en les déposant à la banque centrale européenne. Mais cette procédure seule aurait instamment causé une baisse dramatique de la valeur de l´Euro, ce qui a pu être empêcher par une garantie basée sur le pouvoir achat réel en faveur de l´Euro. Donc au lieu d’émettre une garantie en faveur de l´État grec (ce qui est interdit), les États forts ont émis une garantie en faveur de l´Euro.

Communication envers les créanciers

Le transfert des moyens monétaires et l´émission des garanties en faveur de l´Euro a posé des grands problèmes aux acteurs européens, car il y avait une forte opposition de la population, et pas seulement en l´Allemagne et en France.

L´émission des garanties en faveur de l´Euro exigeait de la classe politique de soutenir l´Euro inconditionnellement. Dans ce contexte, il est compréhensible qu´autour des années 2011-2015, les déclarations officielles des gouvernements européens ont strictement lié la survie de l´Euro à la survie de l´Union Européenne et de la paix en Europe. L´ancien Ministre des Finances allemand Theo Waigel a commencé une présentation pour une banque privée près de Francfort avec les mots qu´il fallait sauver l´Euro quel qu´on soit le prix parce qu´il fallait éviter la guerre entre la France et l´Allemagne.

Dans la conscience publique, il y a une phrase de la chancelière qui est devenu un symbole : « Si l´euro échoue, l´Europe échoue. » Le Président français l´a repris à sa manière : « Derrière la convergence, il y a la paix. Je ne reviendrai jamais sur ce choix. »

Alors que les garanties en faveur de l´Euro constituent une question assez abstraite, le transfert direct des moyens financiers indiquait beaucoup plus concrètement qu´il s´agissait d´un transfert du pouvoir d´achat des forts aux faibles. Cette impression n´a pas pu être dissimulée par des explications trop complexes concernant le fait que l´économie (notamment allemande) pourrait profiter d´un faible taux de change, ce qui constitue un bon support à l´exportation. Ainsi l´opposition publique était très forte parce que « l´honnête homme » se sentait trompé (voir aussi les commentaires au-dessous de ce lien).

Les parties représentant la majorité des populations ont finalement consenti aux aides primaires sous une condition qui leur a permis de justifier les dépenses massives : la condition était que la Grèce accepte qu´une commission d´experts (la « Troika ») surveille la mise en œuvre de réformes qui étaient jugé nécessaires par les États donateurs.

Cette argumentation est utilisée par les gouvernements et les médias quand les aides à la Grèce sont attaqués. Pour ne pas prêter le flanc aux reproches que les milliards d´euros d´aides étaient une sorte de « cadeau » sans contrepartie, on répond que les aides ont toujours été liés aux réformes. De plus, les aides supplémentaires sont toujours soumises à des conditions d’octroi portant sur certain niveau de réformes. Il y a même un plan par étapes selon lequel chaque tranche d´aide est déboursé après que la Troïka ait constaté le progrès nécessaire des réformes. Cela donne la possibilité de montrer au public qu´il s´agit d´un processus bien contrôlé par les États donateurs. Cela ne crée pas seulement l´impression que tout va dans une direction raisonnable et qu´il s´agit d´un bon investissement au lieu d´un gaspillage d´argent, mais donne aux bienfaiteurs aussi un sentiment de satisfaction que leur don force la Grèce à l´abandon partiel de leur souveraineté nationale, ce qui est considéré comme une bonne orientation. En plus, les dépenses sont présentées comme des investissements raisonnables en disant que la mise en place des réformes aura pour effet de redresser l’économie et le remboursement des crédits. 

Les effets réels

Une grille de lecture permet uniquement que la stratégie de communication soit expliquée et ses causes soient démontrées. Dans ce cas-là, la communication a pour but de promettre des conséquences positives d´une action justifiée, mais il faut aussi évaluer si les résultats promis se sont vérifiés. Démontrer que les effets promis ne se produisent pas risque par conséquence délégitimer la stratégie de communication.

Mais si on regarde les faits, il se forme une image peu réjouissante pour ceux qui ont cru en l´affaire. Bien que des différentes réformes aient été mises en œuvre, les effets promis ne se produisent pas de la manière espérée par les créanciers. Le programme de « restructuration » par les bureaucrates de Bruxelles, appuyé par les milliards d´aides, n’a créé que peu de croissance économique et le taux de chômage n’a pu être réduit que de peu (mais reste à un niveau de seulement 5 %, sous le niveau de chômage en États-Unis pendant la Grande Dépression).

Mais étonnement, l´endettement de l´État grec n´a que peu changé malgré les subventions élevées. Les calculs de la Banque des Règlements Internationaux montrent que la montant de l´endettement envers les créanciers internationaux (y inclus les banques européennes) a été réduite d’un tiers du montant total des subventions, ce qui soulève une question : où se trouvait le reste ? Les lois des flux de paiements internationaux permettent de conclure  que les moyens ont été utilisés pour un tiers pour des achats de la population grecque à l´étranger (donc pour la consommation) et un autre tiers a été utilisé pour la satisfaction des créanciers nationaux (auquel cas les moyens financiers restent en Grèce et disponibles pour la consommation intérieure).

Il est fort probable que la résistance de la population des États donateurs ait été inconciliable si on lui avait expliqué que seulement un tiers des fonds dépensés aurait été utilisé pour le sauvetage des banques, elles même se trouvant dans les pays qui ont dû mettre à disposition ces fonds. Il est également fort probable que la population grecque n’ait pas accepté la décision de sa classe politique d´abandonner sa souveraineté en échange d´une réaffectation des fonds en faveur de banques étrangères et de créanciers grecques sans effet notable sur le niveau de vie et d’endettement au profit de majorité de sa population.