Contrat du siècle en Australie : L’Europe comme pivot des réactions françaises ?

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Par Nicolas Ravailhe

A la suite de la dénonciation du contrat de vente des sous-marins français en Australie, plusieurs personnalités françaises tentent de réagir sur la scène européenne. Il en ressort des tentatives pour faire payer aux parties prenantes de l’accord « Aukus » (Australie – Royaume uni – USA) leur « forfaiture ».

Est-il possible d’aller plus loin que le très symbolique rappel des ambassadeurs ? Comment organiser une réponse crédible et efficace ?

Le traité de non-prolifération nucléaire une piste à considérer ?

La première des pistes émane d’un observateur avisé en Europe. En fin connaisseur des questions nucléaires, il a fait observer qu’une action inhérente aux dispositions du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) gagnerait à être engagée.

En l’espèce, la France pourrait agit seule. Toutefois, sur ce sujet sensible, elle gagnerait à mobiliser l’UE et/ou ses Etats membres, en arguant que les dispositions de l’article IV du traité TNP ne sont pas respectées par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie. En effet, la vente ou l’acquisition de sous-marins militaires n’est par définition pas conclue à des fins pacifiques :

  •  Aucune disposition du présent Traité ne sera interprétée comme portant atteinte au droit inaliénable de toutes les Parties au Traité de développer la recherche, la production et l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques, sans discrimination et conformément aux dispositions des articles premier et II du présent Traité.
  •  Toutes les Parties au Traité s’engagent à faciliter un échange aussi large que possible d’équipement, de matières et de renseignements scientifiques et technologiques, en vue des utilisations de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques, et ont le droit d’y participer. »

Pourquoi torpiller l’accord de libre-échange UE-Australie ?

Par ailleurs, L’Union européenne est en négociation pour conclure un accord de libre -échange commercial avec l’Australie. L’idée de son torpillage est alors apparue évidente dans l’esprit de bon nombre d’acteurs de l’influence en Europe. 

La question mérite d’être posée… à la condition d’être en mesure d’évaluer nos intérêts. Il ne faudrait effectivement pas ajouter à la perte d’un contrat de 50 milliards d’euros un sabordage d’autres intérêts économiques.

En effet, contrairement à ses relations commerciales au sein de l’UE et avec la Chine, la France réalise en Australie un excédent commercial positif, de 2 milliards d’euros en 2020, répartis entre plusieurs secteurs d’activités.  

En quoi l’accord de libre-échange UE – Australie permettrait-il d’augmenter cet excédent ? A contrario, menacerait-il des secteurs économiques jusqu’alors protégés en France par l’absence d’accord de libre-échange ?

Comment est-ce évalué en France ? Au sein de l’Etat ? Avec nos territoires, compétents en matière de développement économique ? Avec des filières économiques ? Des entreprises très présentes en Australie ?

Un accord de libre-échange est un acte de guerre économique !

Affirmer comme toujours en Europe qu’un accord de libre échange est une opération « gagnant – gagnant » relève de la tromperie. Un traité commercial est un acte de guerre économique. Certes, comme la guerre qui a ses lois, ces traités organisent les règles de la compétition. Cela s’appelle l’intelligence juridique, une des composantes des stratégies d’intelligence économique.

En Europe, nous sommes habitués à des signatures de contrats favorables en valeur absolue. L’Europe est la première puissance commerciale au monde et réalise des excédents commerciaux importants avec plusieurs Etats.

Ces données masquent souvent des arbitrages entre des intérêts européens divergents, qu’ils émanent d’Etats, de filières ou d’acteurs économiques. Par exemple, « un grand classique » : augmenter les ventes de voitures allemandes en dehors de l’UE contre un renoncement à défendre des productions agricoles.

Les filières économiques et les entreprises sont à la manoeuvre même si ce sont les pays qui négocient et accompagnent la mise en oeuvre des accords en usant de leur puissance. Le gagnant espère consolider ses positions et le challenger tente d’y voir une opportunité pour rattraper ses déficits commerciaux.

Ainsi, négocier et optimiser l’application d’un accord de libre-échange demande une organisation militaire. Existe-t-il en France une structure compétente pour procéder à ces évaluations, à cette impérative organisation et à la projection de nos intérêts économiques ? Et appréhender un rapport de force avec nos partenaires-concurrents européens en fonction des intérêts de chacun en Australie ?

Il nous faudra répondre à cette question avant de considérer l’opportunité d’essayer de « plomber » ou non l’accord de libre-échange quasiment « ficelé » avec l’Australie. La question se posera également très vite avec la discrète reprise des négociations entre l’UE et les Etats-Unis… Quant à la Grande-Bretagne, avec un excédent commercial européen d’environ 120 milliards d’euros en 2020, personne ne songerait remettre en cause l’accord post Brexit comme possible réponse à Aukus !