Bilan(s) et prospective(s)

2022/ 2023

Proposé par Robin de Ricqlès

20 janvier 2023

L’année 2022 qui vient de s’écouler a été particulière, car
celle-ci n’aura pas été une énième année contenant des signaux précurseurs
d’évènements majeurs, mais le théâtre de leurs réalisations. Le conflit
d’Ukraine a été un accélérateur et un révélateur de réalités géostratégiques et
économiques, qui confirment la multipolarité croissante du globe.

 L’ère « post-Guerre froide  » semble bel et bien
avoir vécu, où le XXIe siècle ne semble décidément pas ressembler à ce qui
avait été envisagé après l’effondrement de l’URSS en 1991.

Le modèle de gouvernance autocratique est revenu en force sur le
devant de la scène où, pour la première fois depuis la matrice soviétique,
l’ordre mondial basé sur les démocraties occidentales vient à nouveau être
concurrencé par un modèle alternatif crédible : l’autocratie.

Un front commun entre des puissances comme la Fédération de Russie
et la République Populaire de Chine viennent ouvertement défier les
démocraties, tout en déployant des opérations de séductions vers des États
non-alignés.

Car contrairement à la Guerre Froide, l’économie mondiale est
régie par les paradigmes du libre-échange, où les dépendances inter-États
induisent des relations de forces complexes et à plusieurs niveaux.

Enfin, il s’agit de tirer, après 10 mois de guerre, les leçons de
l’invasion russe de l’Ukraine, pendant que les deux armées sont bloquées par la
Raspoutitsa. Les deux camps reconstituent leurs forces, et préparent des
offensives au printemps.

Moscou a en effet subi de sérieux revers et échoué à remplir ses
objectifs initiaux – à savoir de prendre Kiev – mais ce serait commettre une
grave erreur que de sous-estimer les capacités industrielles et militaires des
forces armées russes.

Après ce bilan, l’ambition de ce rapport est de mettre en lumière
des dimensions centrales pour l’année 2023 sur lesquelles porter une vigilance.
Ce rapport ne pouvant être exhaustif de chaque évènement qui fera cette année,
il ne pourra couvrir chaque région du globe.

L’accès à l’information pour tous illustre son immense complexité
de lecture et d’analyse.

La première dimension sera justement le statut incontournable que
jouera l’information en 2023.

L’Occident est continuellement attaqué par des opérations
d’influence face auxquelles il doit répliquer et se montrer offensif sur le
terrain informationnel qu’est le numérique.

Les autocraties ne cessent de mettre en exergue les contradictions
entre les discours et les actions des démocraties : essayez de justifier
de la tenue, pourtant légitime, d’un tribunal international des crimes
de guerre en Ukraine, quand aucun n’a été conduit sur ceux d’Irak ou
d’Afghanistan malgré leur documentation.

La simple évocation de ce type d’argumentaire est redoutable,
contribuant à une perte de crédibilité de l’Occident face à ce monde
multipolaire, où tout est fait pour de le dépeindre comme un hypocrite.

Les conflits sont de plus en plus de nature hybride afin d’éviter
ce que les militaires nomment « le seuil d’engagement ». Les actions
hostiles ne sont plus uniquement conscrites aux actions militaires, mais
économiques, d’information ou culturelles.

La conflictualité cognitive sur l’esprit ne prendra pas fin.

Une seconde sera bien sûr la République Populaire de Chine face à
la République de Chine de Taiwan.

Le président Xi Jinping annonça à nouveau en 2022 la possibilité
du recours à l’invasion armée pour annexer prochainement l’île de Taiwan. La
promesse d’une réunification est en effet un des points de prestige de sa
présidence. L’Armée de Libération Populaire (APL) est en pleine ascension
capacitaire et s’entraine pour mener précisément ce type d’opérations.

Beaucoup d’analystes, en incluant l’auteur de ses lignes, avaient
sous-estimé à tort la survenue de la guerre d’Ukraine, car ceux-ci avaient jugé
le contexte comme trop défavorable pour une invasion, donc trop précoce.

Il est important de tirer les leçons de cette erreur où un même
constat d’une précocité peut être fait avec la RPC. Son armée n’a pas, elle non
plus, atteint son plein potentiel pour une invasion, mais ne pourrait-elle pas,
elle aussi, passer à l’offensive dès 2023 pour tirer profit d’un Occident trop
occupé et militairement réduit par son soutien à l’Ukraine ?

Une troisième sera la situation économique mondiale.

L’inflation a fait son retour à l’échelle mondiale et ne semble
point s’être achevée avec l’année 2022. Les indicateurs économiques de ce
début 2023 font redouter aux analystes une récession vers la moitié/fin
d’année, conjointe à une forte inflation résiduelle.

Les USA ont confirmé grâce à la FED être à l’initiative des
politiques économiques mondiales, où l’augmentation des taux d’intérêt pour purger
le marché des liquidités semble pour l’instant réussir… mais en entrainant à la
baisse les marchés US comme ceux de la tech et de l’immobilier, conjointement à
des plans de licenciement massifs.

Pour 2023, rien ne semble indiquer une inflexion de la politique
monétaire de M. Jerome « Jay » Powell, au risque d’entrainer une
récession qui serait, elle aussi, d’une envergure mondiale.

L’usine du monde qu’est la RPC a ouvert en grand les vannes de la
contamination afin d’immuniser « naturellement » sa population, pour
pouvoir relancer au plus tôt son activité industrielle. Pour stimuler cette
reprise, Pékin suit le chemin inverse de la FED où une inflation moindre lui
permet d’abaisser ses taux d’intérêt pour stimuler la consommation de ses
ménages et de ses entreprises. De plus, le PCC a consenti à lever une partie de
ses restrictions qu’il avait imposé à son secteur des technologies et du
numérique, véritables locomotives de la croissance chinoise.

La date exacte de cette reprise est encore inconnue, mais on pourra
en voir les premiers signes d’une reprise durable à partir de mars/avril 2023,
le temps pour la RPC d’avoir surmonté son épidémie.

Se pose aussi la question de l’énergie, où le prix du pétrole et
du gaz ont été sur toutes les lèvres. L’alignement de l’OPEP avec la RPC et la
Fédération de Russie a démontré une assurance nouvelle des pays pétroliers où
l’Arabie Saoudite s’est offerte le luxe d’humilier le président Biden lors de
sa visite. Ceux-ci se tournent également vers l’Asie, où ils ne soutiennent pas
la politique de sanctions conduite par l’Occident contre la Fédération de
Russie. Il est donc probable de s’attendre à une autre année où le prix de
l’énergie sera en dents de scie.

Une quatrième est l’évolution du confit ukrainien.

Les souffrances de l’Ukraine ne semblent malheureusement pas près
de s’achever. La Fédération de Russie est parvenue à mieux résister aux
sanctions économiques et matérielles que prévu, où elle a réussi à relancer sa
production industrielle militaire à plein régime. L’Ukraine est consciente de
sa situation complexe et a commencé à obtenir, ce qu’elle réclamait depuis des
mois, des blindés lourds modernes occidentaux.

Très mobile pendant les premiers mois, il est à redouter que le
conflit s’enlise. Si les grandes offensives du printemps n’apportent pas de
changement de tendance, il restera la table de négociations, qui n’a pu à ce
jour aboutir : les demandes ukrainiennes et russes ne sont acceptables par
l’autre, car elles reposent sur des points inflexibles pour les deux parties.

De plus, un enlisement pose la question du soutien des populations
occidentales. Galvanisées par une partie de la presse – celle-ci a été aussi
contre-productive qu’inexacte – car n’a cessé de prédire au cours des derniers
mois une victoire ukrainienne proche.

La prolongation possible du conflit, simultanément à une crise
économique, risque d’entrainer une forte lassitude des populations de
l’Occident.

Enfin, la dernière dimension traite des points de tension
2022/2023.

Les USA et la RPC sont conscients des paradigmes du piège de Thucydide. Toutefois,
aucune des deux ne semble également avoir renoncé à ce statut de première
puissance mondiale, risquant bel et bien ce télescopage.

Comme l’a écrit Henry Kissinger en fin d’année 2022, les points de
tensions qui s’accumulent sur la planète constituent des poudrières. L’emploi
de rhétoriques guerrières et l’usage de démonstrations de forces sont
réellement préoccupants : une erreur malvenue pourrait mettre le feu aux
poudres et risquer un emballement militaire graduel.

La grille de lecture de la théorie de Spykman ne cesse d’être
pertinente, où la zone géographique du Rimland demeure la localisation des zones de tensions
clés de 2022, ainsi que celles qui peuvent le devenir en 2023.

La Turquie face à la Grèce ; la stabilité du Liban ; l’évolution
de la Syrie; le chaos de la Libye; la révolution iranienne; L’Inde face à
l’alliance Chine-Pakistan; L’Algérie face au Maroc ou encore les relations
entre les deux Corées sans évoquer Taiwan.
 

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