Transformer le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation en programme européen d’intelligence économique

par Nicolas Ravailhe

Comme souvent, tout part d’une bonne intention. En 2006, face aux ravages de la mondialisation dans nos territoires, l’Union européenne (UE) a créé le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation (FEM).

Ce programme européen doté aujourd’hui de 150 millions d’euros par an permet de cofinancer 60% des coûts d’aides destinées à des travailleurs ayant perdu leur emploi. 4 critères alternatifs permettent de l’activer : – une hausse substantielle des importations dans l’UE, un changement radical dans le commerce de biens ou de services dans l’UE, un recul rapide de la part de marché de l’UE dans un secteur ou une délocalisation d’activités vers un Etat non-membre de l’UE.

L’Union européenne, qui n’a pas de politique industrielle à l’exception de quelques volets du programme de recherche et développement « Horizon Europe », au demeurant ouverts à ses concurrents internationaux, et qui conserve une politique de concurrence souvent néfaste pour son industrie, tente de soigner les conséquences au lieu de traiter les causes. 

Avec quelle efficacité ?

L’intervention du FEM n’est possible que lorsque 500 travailleurs au moins ont été licenciés. Même en intégrant l’impact de la sous-traitance, ce Fonds ne peut donc agir que sur les dégâts générés par de très grandes entreprises … qui sont souvent à l’origine des effets de la mondialisation.

En effet, nous marchons sur la tête. C’est l’arrosé qui « arrose » l’arroseur. A quoi bon prendre l’impôt des européens pour financer la casse sociale de ceux qui la déclenche ?

Quelques exemples sont révélateurs. 1,6 millions d’euros viennent d’être octroyés à la suite des licenciements décidés par Carrefour Belgique, lequel groupe aurait d’après la presse déjà reçu 2 milliards d’euros de CICE en France et supprimé 2 500 emplois, sans compter les autres dispositifs qui lui seraient accessibles comme le crédit impôt recherche.

Il n’est pas nécessaire de discuter des choix de grands groupes de distribution européen, même s’ils étaient utiles à l’expansion de l’économie européenne, pour observer le caractère déplacé des montants versés au titre du FEM.

En outre, le rapport sur les activités du FEM en 2017 et 2018 révèle que 3,5 millions d’euros ont été dépensés à la suite des licenciements opérés par Microsoft. Qui pourra croire que cette grande entreprise américaine, pas fondamentalement au bord de la faillite, ne pouvait pas assurer la reconversion – légitime et nécessaire – de ses salariés ? 

De plus, l’UE ne s’estime pas compétente et dotée de fonds suffisants pour intervenir partout en Europe où la mondialisation est à l’origine de destructions d’activités industrielles. Avec 150 millions d’euros par an, il est manifeste qu’elle ne dispose que de moyens dérisoires pour répondre aux besoins de reconversion des travailleurs de toute l’Europe.

Le FEM n’intervient donc que sur des sinistres massifs ayant un impact sur l’économie d’un territoire. Même si on accepte la logique actuelle, que dire aux PME et TPE innovantes, à leurs salariés, qui sont autant affectés par la mondialisation ? 

Il est déroutant de constater que plus de 10 ans après sa création, l’UE conserve un outil inadapté. Pourtant, aucune entreprise n’est responsable en la matière, pas plus que les traités fondateurs de l’Europe. Les lobbies entrepreneuriaux n’ont pas été très demandeurs de ce Fonds et aucune entreprise n’en perçoit les montants. Ce sont les décideurs européens qui ont conçu et voté la création du FEM, à destination de quelques territoires et salariés sans effet dynamique pour l’économique européenne.

Et quels effets pervers ?

Le FEM encourage les comportements économiques pervers. Qui est responsable de la mondialisation destructrice d’activités en Europe ? Forcément les entreprises qui la pratiquent et les décideurs qui l’encouragent activement et passivement.

Par ce type d’intervention économique et sociale, l’UE alimente le fait de « déshabiller » ses tissus industriels pour « habiller » ceux situés sur un autre sol que le sien.

Considérant que le FEM est mobilisable en cas de « hausse substantielle des importations dans l’UE », qu’une multinationale a intérêt à produire dans des pays à faible coût de salaire pour optimiser ses marges, lui proposer que le contribuable européen finance une partie de la casse sociale qu’elle aura engendrée afin d’augmenter sa rentabilité financière … peut être assimilé à une invitation à pratiquer le vice.

De surcroit, un autre critère d’intervention du FEM est fondé sur une analyse consécutive à une « délocalisation vers des pays non-membres de l’UE ». Le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation paye la casse en Europe pendant que d’autres fonds européens aident, certes pour des motifs différents, les pays destinataires des transferts d’activités industriels.

En règle générale, les délocalisations sont effectuées vers des pays à bas coût de main d’œuvre, donc des Etats peu développés que l’UE aidera via des accords de partenariats et d’autres fonds, le dispositif GSP+ (lequel est redoutable car il facilite la pénétration de nos marchés) … Il est déjà inconcevable de financer les débats sociaux d’une entreprise qui délocalise afin de mieux revenir sur nos marchés, mais qui vérifie que chaque intervention du FEM ne produise pas un effet de « vases communiquant » entre plusieurs dispositifs européens ?

Enfin, l’utilisation du FEM est permise en cas «  de changement radical dans le commerce de bien et de services dans l’UE ». Comment s’assurer que ce critère ne soit pas la résultante de délocalisations intra-UE à moyen ou à long terme ?

Il est largement reconnu que des fonds européens de cohésion, au taux de co-financement européen de 85 % des coûts d’un projet et aux montants importants en valeur absolue, ont conduit à des délocalisations d’activités industrielles d’Etats européens non-éligibles à ces programmes vers ceux qui l’étaient.

Outre ce qui précède, déjà de nature à déclencher des réactions négatives, un extrait du rapport sur l’utilisation du FEM en 2017 et 2018 mentionne que « L’aide offerte a contribué à renforcer l’estime de soi des bénéficiaires, qui ont ensuite adopté une approche plus volontariste dans leur recherche d’emploi. Le FEM s’est également révélé efficace ».

A ce stade, tout commentaire devient presque superflu pour un salarié compétent et motivé qui a perdu son emploi pour des raisons totalement étrangères à sa personne et ses aptitudes professionnelles.

Un besoin d‘Europe utile et efficace.

Comme l’affirmait le Professeur Léon Schwartzenberg, grand médecin et qui fût député européen, il faut dire la vérité au malade. Pour protéger le projet européen, on ne peut pas taire les problèmes qui deviennent visibles à l’œil nu.

L’Europe ne se situe plus dans la dynamique des années « 1980 ». Elle est exposée sur des terrains de guerres économiques en son sein et dans ses relations avec des pays tiers, puissants et très actifs en l’espèce. Transformer un dispositif qui incarne une décadence européenne est une nécessité. Il est temps d’agir pour que la prochaine programmation de fonds européens post 2020 affecte cette somme supérieure à un milliard d’euros, le montant du Fonds européen d’ajustement à la mondialisation sur la période de programmation de 7 ans, à des missions utiles et efficaces.

Ainsi, l’Union européenne pourrait se doter très rapidement d’un programme européen d’Intelligence économique à vocation industrielle. Afin de donner aux Européens estime et confiance envers l’Europe, la création d’une agence européenne exécutive d’intelligence économique pour l’industrie aurait une portée aussi opportune que les programmes Erasmus.

L’intelligence économique a atteint une dimension opérationnelle incontestée. Concrètement, les territoires et les tissus économiques et sociaux, PME, TPE, ETI… auront accès des outils d’analyse et de décision pluridisciplinaires. Leur gouvernance est en demande d’appropriation de méthode et d’informations essentielles concernant les menaces et les opportunités économiques de leur environnement.

Depuis Zun Tzu et l’art de la guerre, il est établi qu’une armée aveugle ne sert à rien. Sciences, Technologies, géopolitique, droit, finance… tout participe de la guerre économique. L’Europe doit se doter des moyens nécessaires à sa défense et à sa prospérité.