Plan européen : la France ne doit pas être mise en curatelle !

par Nicolas Ravailhe

Mur De Berlin, Galerie De Côté Est, Berlin, Allemagne

Habemus réponse européenne à la crise sanitaire ?
 
Les ministres européens des finances ont décidé d’un plan de plus de 500 milliards d’euros pour couvrir les dégâts économiques de la crise sanitaire. De nombreux observateurs s’accordent pour affirmer que cette réponse européenne est nécessaire mais pas suffisante. En l’espèce, considérant les modalités de ce plan européen, il est aussi possible de considérer que c’est à la fois trop et trop peu. Les ministres des finances ont, en effet, (re)découvert la loi de Lavoisier en l’appliquant à l’économie :
 
«  rien ne se perd, rien ne crée, tout se transforme » !
 
Les questions qui se posent sont donc : pour qui ? et comment ? Aucun Etat du Nord ,« les riches », ne perdra en prêtant. Aucune solution nouvelle, aucun rééquilibrage économique entre Etats n’est créé face à l’ampleur du défi. Des dettes publiques accrues affaibliront davantage les Etats vulnérables « du sud ». Le concert de louanges entendu à l’issue de la réunion des ministres européens des finances est assez anxiogène, particulièrement pour la France.
 
Aucun montant financier n’est supprimé des budgets européens, aucun nouveau n’est apporté, notamment, par les pays « riches du nord » ou la BCE (émission de monnaie), les structures existantes sont mobilisées et des lignes budgétaires sont modifiées :

– 240 milliards d’euros en provenance du Mécanisme Européen de Stabilité (MES), lequel est financé par les Etats et les marchés : quel intérêt ? Même pour l’Italie et l’Espagne qui y trouveront des financements de longue durée moins coûteux que sur les marchés, ce n’est pas sans risque, en particulier pour leur pacte social. La déclaration sur l’absence de conditions macro-économiques est un leurre. Pour rembourser, ces pays devront faire des choix drastiques. Contrairement à la Grèce, ils pourront donc choisir l’arme qui se retournera contre eux. La polémique a d’ailleurs commencé entre l’Italie et les Pays-Bas sur le périmètre de cette intervention financière devant être limitée aux dépenses de santé. 

–  200 milliards de la Banque européenne d’investissement (BEI), laquelle est financée par les Etats et des levées de fonds : quel intérêt de détourner des prêts destinés à des investissements rentables et innovants vers le financement des conséquences de la crise sanitaire ? A ce stade, on ne connait pas encore le mécanisme d’octroi de ces prêts. Il manifeste que ces prêts devront aussi être remboursées. Par qui et comment in fine ? Cela risque d’être encore plus difficile ou rude si l’Europe renonce à aider ses acteurs innovants et cela pour sauver les marges d’entreprises peu créatrices de valeurs ? L’innovation est pourtant essentielle pour couvrir demain les dettes contractées aujourd’hui.
Un nouveau « déjà-vu » de gaspillage d’argent public, comme en France avec le C.I.C.E, est donc en préparation.  

–  100 milliards d’euros ponctionnés dans le budget de l’Union européenne, lequel est financé en très grande partie par les contributions des Etats : dans l’urgence, on comprend la nécessité. Au-delà, il faut bien être conscient des risques consistant à « déshabiller » des politiques utiles, de nouveau dans l’innovation, pour couvrir des dépenses de gestion de crise. Sauf à en profiter pour modifier les « usines à gaz » et « à consultants » lors de la programmation budgétaire 2021 – 2027, nous devrons être vigilants pour ne pas hypothéquer l’avenir de nos économies qui continuent à évoluer dans des champs compétitifs féroces.   
 
La France ne doit pas être mise sous curatelle.
 
En l’absence d’annulation et/ou de mutualisation de dettes, comme d’apports financiers nouveaux, cette décision européenne fait effectivement consensus. Les Etats reprennent donc les contributions allouées à l’UE sous forme de subventions et en quasi-totalité de prêts. Ils le font pour eux-mêmes et aussi entre eux. Cette dernière réalité, éloignée de toute vision altruiste, n’est pas sans danger pour l’UE. La récente crise grecque nous renseigne sur le fonctionnement du Mécanisme européen de stabilité (MES). En Grèce, il décidait de tout. En droit, cela porte un nom : la tutelle.
 
La réponse européenne apportée aux demandes de solidarité européenne par l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Belgique et France est un peu différente. Ces Etats pensent avoir évité la tutelle étant donné l’absence de « macro-conditionnalité » dans l’octroi des prêts.
Ainsi, ces Etats échappent effectivement à l’humiliation de la « tutelle ». La diplomatie allemande a même utilisé le terme « d’absence d’instrument de torture ». Comprendra qui voudra concernant les pratiques antérieures du MES …  En revanche, ils seront placés dans sa version – en apparence – allégée : la curatelle. Les « Etats du sud », durement frappés par les conséquences économiques du Covid 19, auront le choix des modalités de remboursement mais dans une palette identique à celle de la situation grecque.
 
Les prêts devront être remboursés. Sans croissance et sans « torpiller » l’économie des autres Etats européens ou d’Etats tiers avec des excédents commerciaux : comment faire ?  Si aucune condition macro-économique ne s’imposera pas face à une autre, elles seront néanmoins obligatoires… mais « au choix » : confiscation de l’épargne des classes moyennes ? vente des actifs de l’Etat avec appauvrissement collectif accéléré à la clef ? laisser des prédateurs contrôler nos entreprises ? Réduction des dépenses publiques ? lesquelles ? La protection sociale ? La défense ? …
 
Les critiques s’expriment déjà sur la gouvernance des 3 structures de gestion des fonds proposés : MES, BEI et Commission européenne comporte au sommet, pour toutes les 3 institutions, une personnalité de nationalité allemande. Le système est donc bien verrouillé et il ne faut donc pas s’attendre à sortir de « l’orthodoxie habituelle ». Il a déjà été rappelé que : « par la suite, les États membres de la zone euro resteront déterminés à renforcer les fondamentaux économiques et financiers, conformément au cadre de coordination et de surveillance économique et budgétaire de l’UE… ». Précisons que ces impératifs européens n’ont pas été imposés à la France. Plusieurs présidents, gouvernements et parlements successifs les ont approuvé. Il serait contre-productif de feindre de les découvrir et d’accuser nos partenaires européens comme il est naïf de faire croire qu’ils ne s’appliqueront pas.
 
Alors, quel est l’intérêt pour la France de recourir à ces prêts ?
 
Le pays fait face à une crise précédent qui demande de mobiliser des moyens massifs. Est-ce judicieux et nécessaire d’emprunter avec ces contraintes ? Cela reste à démontrer surtout quand on peut être financé seul à coût réduit. Quant à la BEI : idem, le financement de l’innovation en moins ? Les financements alloués par la Commission n’étant qu’un tour de passe-passe budgétaire dans lequel l’UE rendra aux Etats l’argent qu’ils lui avaient versé. De surcroît, on peut craindre un effet pervers. Cette solution proposée par les ministres des finances – dont l’unique utilité est de réduire le coût des intérêts d’emprunt pour les Etats dont la signature est faible – bloque la recherche d’autres solutions. Quelle perte d’opportunité ! Les Etats « riches » du nord de l’UE sont les premiers à bénéficier du marché intérieur européen. Leur crainte qu’il soit affecté est grande. Nous ne sommes donc pas sans marge de négociation …
 
Comment peut-il en être autrement ?
 
A défaut de solidarité des Etats qui ne veulent pas perdre les « gains » engrangés dans le marché intérieur » sur le dos des autres Etats, il existe peu d’alternatives. Avec :
 

– un déficit commercial annuel de 30 millards d’euros dans le marché intérieur et de 30 milliards d’euros avec la Chine ;
 
Rappelons que l’UE a pour objectif central de protéger les règles compétitives du marché intérieur. Qu’en outre, elle dispose de l’exclusivité des compétences en matière de négation commerciale internationale. L’Allemagne étant excédentaire avec la Chine et les Pays-Bas étant déficitaires mais afin de revendre ensuite dans le marché intérieur, il est illusoire d’espérer davantage de protection européenne sans négociations fermes à Bruxelles.
 

–  une contribution nette annuelle de 8 à 9 milliards d’euros au budget de l’UE ;
 
Rappelons également que toute augmentation des recettes du budget européen, en l’état des mécanismes de contribution, aggravera cet état de fait et donc la dette publique française.
La France peut-elle contribuer financièrement ? Assurément non sauf à mettre en péril des politiques publiques déjà très affectées comme cela a été le cas dans le secteur de la santé.
 
Qui voudrait anéantir le projet européen en France n’agirait pas autrement ! Pour le sauver, la France doit refuser d’être placée inutilement en curatelle et œuvrer à la solidarité européenne. Un rapport de force de puissance à puissance doit s’exercer.
La France a des alliés. Son rôle est central.