Marchés publics : Peut-on les flécher pour favoriser la production française ?

L'Argent, Pièce De Monnaie, Investissement, D'Affaires

par Mohamed Gareche

Juriste en droit international public et de l’Union européenne, analyste en relations internationales, consultant en intelligence économique à échelon international.

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Il est tout à fait possible d’orienter l’impôt des Français, collecté par les administrations publiques, afin de favoriser la production française. Ceci est réalisable puisque c’est légal et que cela nous permettrait de dégager des marges de manœuvres considérables en matière économique dans nos territoires.

La légalité de la mesure

Tout d’abord, il s’agit de différencier la favorisation des entreprises françaises de celles qui produisent en France. Cette nuance a des répercussions juridiques conséquente puisque la première assertion induit une discrimination contrairement à la seconde.

Rappelons que la France est membre de l’Union Européenne ainsi que de l’Organisation Mondiale du Commerce. Les deux organisations internationales et par conséquent leurs droits, auxquels la France a consenti, interdisent la discrimination entre Etats. C’est la raison pour laquelle réserver les marchés publics français aux entreprises françaises est illégale puisque discriminatoire. En revanche, les attribuer aux sociétés qui produisent en France est juridiquement possible.

En effet, lorsque nous regardons la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics, les Etats membres de l’Union Européenne ont la pleine licence d’insérer, conformément à leurs droits internes, différentes clauses, notamment sociales ou environnementales, dans les marchés publics. Par ailleurs, la Cour de Justice de l’Union Européenne a estimé le 17 novembre 2015 (affaire C-115/14) qu’un pouvoir adjudicateur avait le droit de mettre en place le respect d’une clause sociale comme par exemple l’exigence d’un salaire minimum dans son marché public.

Par conséquent, en matière de commerce international libéralisé et surtout face à des Etats qui appliquent différents dumping (social, fiscal, environnemental), la France a la possibilité d’agir directement dans l’économie pour, à minima, protéger ce qui reste de son tissu industriel et à maxima le revivifier. L’impôt, l’argent public, l’argent du contribuable français peuvent ainsi créer un cercle vertueux permettant la création d’emploi.

Les marchés public comme outil offensif pour redynamiser nos secteurs économiques.

La commande publique s’est établie à près de 87,5 milliards d’euros en 2018 selon la Banque des Territoires (qui appartient à la Caisse des Dépôts). Elle détaille que les montants du secteur des travaux ont atteint en 2018 27, 8 milliards, celui du secteur des services 32,5 milliards, celui de l’ingénierie 9,5 milliards et celui des fournitures à hauteur de 12,8 milliards.

Injecter de telles sommes est considérable pour l’économie française. Une des stratégies pour favoriser les circuits courts et recréer notamment notre tissu industriel consiste ainsi à flécher les commandes publiques vers des entreprises produisant in France. Ceci grâce à l’inclusion de clauses sociales et environnementales dans les marchés publics.

Cela dit, on peut s’étonner, malgré une progression, que la part des marchés publics contenant des clauses sociales et environnementales, en 2018, ne s’établissaient, respectivement, qu’à hauteur de 17,4 % et 18,6 %.

« L’Etat ne peut pas tout ». C’est ainsi que Lionel Jospin s’est exprimé en septembre 1999 lors d’un plan de licenciement de l’usine Michelin. Depuis, les commentateurs, analystes, politiques, économistes et autres défenseurs du retrait de l’Etat utilisent cette phrase pour justifier que le marché peut se réguler tout seul. Que l’Etat ne peut pas intervenir dans l’économie au risque de perturber le jeu de la concurrence et par conséquent néfaste pour la création d’emploi. 7

Or, il a été prévu dans les textes des traités de l’Union Européenne, qui ne sont pas apparentés à la doctrine du socialisme français de Jean Jaurès, que lorsque les acteurs privés sont défaillants dans un marché donné, alors l’intervention de l’Etat, à condition d’agir comme un « investisseur avisé », est permis afin de pénétrer le marché. Par conséquent, il est totalement logique, normal et naturel de considérer que l’Etat peut intervenir dans l’économie notamment lorsqu’elle est sinistrée.

Eu égard à l’érosion dans nos territoires de nos usines en raison de la mondialisation, une approche offensive serait, d’une part, d’augmenter le montant de la commande publique et la part des clauses sociales et environnementale de telle sorte à privilégier les circuits courts et, d’autre part, abreuver par un contenu régulier et simple les adjudicateurs nationaux et territoriaux de telle sorte à les former et à inclure ces clauses.

En attendant que le plan de relance soit voté, réorienter la fiscalité des Français et des entreprises permettrait d’accroitre le budget des marchés publics de telles sorte à avoir une forme de « second plan de relance ».