LancetGate : quel rôle pour la DGSI?

Chimie, Couronne, Coronavirus, Cure, Maladie

Par Franck Bulinge, professeur des universités à l’IUT de Toulon.

La « machine de guerre commerciale » de GILEAD suit a priori le modèle général de l’industrie pharmaceutique. Elle comporte un « bataillon » d’influence qui utilise les techniques classiques du marketing et agit au niveau du public et des professionnels de santé, ainsi qu’un « bataillon » de lobbying qui travaille au niveau des instances décisionnelles (OMS, agences publiques de santé, ministères de la santé, Commission européenne, laboratoires de recherche publique, etc.).

La prise en compte des opération d’influence

L’activation du réseau d’influence et de lobbying est permanente, le dispositif agissant à la fois comme agent de promotion et comme système de défense immunitaire face à un éventuel agresseur. Cela se traduit principalement par des prises de positions en faveur de l’entreprise et de ses produits, éventuellement par des initiatives plus ou moins coordonnées de défense active contre l’adversaire (prises de position, attaques, contre-attaques).

La dynamique de défense s’organise autour des liens d’intérêts tissés par l’entreprise pharmaceutique, mais également autour de l’engagement et de l’engouement des laboratoires partenaires, où chacun défend naturellement les couleurs de l’entreprise dans la dynamique concurrentielle des équipes de recherche, au regard des enjeux scientifiques (publications, notoriété, récompenses). Ce soutien passe par osmose dans les réseaux que fréquentent ces chercheurs et notamment dans les comités et commissions ad hoc où se côtoient mandarins de la recherche, pontes de la médecine, conseillers politiques, directeurs d’agence ou ministres du gouvernement.

 A un stade plus avancé de la guerre commerciale, il peut être nécessaire d’engager les « forces spéciales » comme des unités de guerre de l’information, pour accomplir des missions de ce qu’on appelle PsyOps (opérations psychologiques). Il est alors fait appel à des officines spécialisées capables de monter des opérations ponctuelles destinées à déstabiliser l’adversaire, conquérir les cœurs, convaincre l’opinion, retourner une situation, provoquer une décision. Les techniques utilisées dans ce genre d’opérations sont la manipulation et éventuellement la subversion.

La guerre subversive du professeur Didier Raoult

Dans l’affaire qui oppose le professeur Didier Raoult et l’IHU Méditerranée à l’entreprise GILEAD, il ne semble pas que le « camp de GILEAD » ait eu recours à la subversion. De fait, dans le cas des grandes firmes pharmaceutiques, le travail « subversif » est fait en amont et de manière progressive et incrémentale via le lobbying et la pénétration des cercles de pouvoir. On notera au demeurant, que la subversion est généralement une arme du faible au fort puisqu’elle vise à déstabiliser le système par un mouvement de masse contre le pouvoir et sa structure.

En revanche, on peut dire que Didier Raoult utilise les techniques de subversion face à un adversaire qui a réussi, selon lui, à se fondre dans les structures du pouvoir. C’est d’ailleurs à partir de ce constat qu’il a lui-même déclenché cette guerre de l’information, le 25 février 2020, en contrant la promotion du Remdesivir par « l’opération chloroquine » (vidéo de l’IHU : « Coronavirus : fin de partie ! »).

Cette guerre subversive perturbe, puis déstabilise l’adversaire de Raoult, à travers le conseil scientifique et le comité CARE, auxquels participent notamment Yasdan Yasdanpanah et le consortium REACTing de l’INSERM, favorables au Remdesivir. Cette stratégie est payante puisqu’elle conduit le pouvoir exécutif à inclure l’HCQ dans l’essai Discovery.

Cette première victoire est néanmoins sabotée par le choix de l’équipe Discovery (dirigée par Yasdan Yasdanpanah) de ne pas appliquer le « protocole Raoult » dans cet essai. Raoult augmente alors la pression en produisant des articles controversés pour lesquels il n’hésite pas à arranger les résultats, selon Hervé Seitz, chercheur au CNRS. Dans la guerre subversive, la fin justifie les moyens. S’ensuit la visite du président Macron à l’IHU et la décision de conduire un essai selon le protocole Raoult au CHU de Montpellier.

La tentative d’encerclement cognitif du professeur Raoult

Dans cette guerre qui prend de l’ampleur au fil des semaines et où le corsaire Raoult a engagé corps et âmes son navire, l’IHU Méditerranée, on constate une montée en puissance des « bataillons de GILEAD ». Au lobbying pro-Remdesivir, s’ajoutent aux prises de positions spontanées des tenants du Remdesivir, la mise à l’écart, le déni, les rumeurs, enfin les attaques contre l’HCQ et Raoult, et jusqu’à leur mise à l’index. On cherche non seulement à interdire l’HCQ mais on tente de surcroît une manœuvre d’intimidation contre Raoult, soudain menacé de radiation du conseil de l’ordre des médecins, voire de poursuites judiciaires. A ce stade, toute la panoplie de la guerre informationnelle est déployée, chaque camp rendant coup pour coup à ses adversaires.

Lancetgate : l’ombre fatale de GILEAD ?

C’est dans ce contexte que survient l’affaire dite du Lancetgate qui représente l’indice le plus probant d’une opération de manipulation potentiellement conduite par une officine spécialisée pour en finir avec l’HCQ. Dans cette affaire, on ne peut, en effet, qu’écarter l’hypothèse d’une initiative personnelle de la part de Surgisphere, société fantoche dirigée par un escroc et qui émerge spontanément sur le champ de bataille au moment le plus propice. Trop de coïncidences nous ramènent à une opération coordonnée et financièrement coûteuse pour ne pas exclure le scénario d’une simple escroquerie scientifique.

Dès lors, l’ombre du caméléon devient évidente et l’on ne peut écarter pudiquement sa présence en criant au complotisme. Il reste qu’attribuer publiquement l’opération à GILEAD relèverait à juste titre de la diffamation ou de la dénonciation calomnieuse. L’analyste de renseignement et d’intelligence économique se contente alors de qualifier de « probable » l’implication de GILEAD dans cette opération, sans qu’il soit possible d’établir la preuve formelle de ce qui relève de son intime conviction.

Mais en matière de renseignement, un faisceau d’indices cohérents suffit en principe à convaincre le décideur politique d’un risque réel d’opération d’ingérence dont le coût sanitaire et politique pourrait être fatal. De fait, le ministre de la santé a sauté sur ce piège tendu pour décider l’arrêt des essais sur l’HCQ. On peut évidemment s’interroger sur cet empressement et sur les motivations réelles du ministre Veran.

Que savait la DGSI ?

Mais une autre question se pose, toute aussi grave : qu’ont fait les services de renseignement intérieur en charge de la contre-ingérence économique ? Un avis ou une alerte ont-ils été rendus concernant la probabilité d’une opération d’intoxication pouvant nuire aux intérêts de la nation voire à la sécurité nationale vu le contexte social actuel ? Dans la négative, la responsabilité de la DGSI serait sérieusement engagée. Dans l’affirmative, il reviendrait au Premier ministre Édouard Philippe, lui-même spécialiste du lobbying, de répondre d’une décision politique très grave du ministre de la santé, basée sur une manipulation dont il aurait été informé.