La guerre des accents, signe récurrent de révolution politique et sociétale

Statue De Bouddha, Statues De Pierre, Parler, Écouter

par Catherine Delahaye

MSIE35 de l’Ecole de Guerre Economique

Lors de la séance publique de l’Assemblée nationale du 26 novembre 2020, la proposition de loi n°159 « visant à promouvoir la France des accents » a été adoptée en première lecture. Selon les motifs exposés par Christophe Euzet, député Agir ensemble de l’Hérault, rapporteur de la Commission des lois, cette proposition de loi entend promouvoir la diversité de prononciation de la langue française en prohibant les discriminations par l’accent (glottophobie) constatées tout particulièrement dans les fonctions impliquant une expression publique.

Selon les dispositions de cette proposition de loi, ce nouveau critère de discrimination est introduit dans le Code pénal où le coupable encourt jusqu’à trois ans de prison et 45.000 euros d’amende, par exemple en cas de refus d’accéder à un bien ou un service. Il est également inscrit dans le Code du travail qui précise les critères spécifiques aux relations de travail et dans la loi de juillet 1983 portant droits et obligations dans la Fonction publique où des sanctions disciplinaires pourront être prononcées.

Comment la République française en est-elle arrivée en 2021 à légiférer pour faire accepter la diversité des accents de la langue française ? La glottophobie n’est-elle rien d’autre qu’un exemple de plus du même phénomène : le dénigrement d’autrui, peu importe le prétexte, dans le but unique de se montrer meilleur qu’autrui ? Est-ce une réelle discrimination ou la simple expression d’une différence mal ressentie ?

Un retour à la définition juridique s’avère utile : « constitue une discrimination la situation dans laquelle une personne, en raison de certains critères (origine, religion, sexe, âge, etc.), est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est dans une situation comparable. Au-delà de tout ressenti discriminatoire, toute distinction n’est pas une discrimination (une différence de situation peut justifier une différence de traitement) ; une inégalité ne trouve pas obligatoirement son origine dans une discrimination (inégalités socio-économiques par exemples) ; enfin, un propos raciste ou sexiste ne suffit pas pour conclure à une discrimination (cela peut être une injure relevant de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse). »

Jean Lassalle, député opposé à ce projet de loi, déclarait à l’Assemblée nationale : « En fin de compte, nous en sommes arrivés, si l’on songe à l’accent des banlieues, au fait que presque tout le monde parle avec un accent. Allons-nous devoir légiférer pour tout le monde sauf pour trois arrondissements parisiens ? »

Dès les origines de la langue française est apparue concomitamment une différenciation puisque parler français correctement signalait son appartenance à la classe sociale dirigeante. Pour autant, ce phénomène de différenciation ne semble pas aujourd’hui aussi massif que l’indiquait Christophe Euzet dans son exposé des motifs puisque d’après une étude IFOP de janvier 2020,[1] la discrimination par l’accent ne concernerait que 16% des Français alors que la moitié des Français estime parler avec un accent. Il n’en est pas moins vrai que la bataille pour la reconnaissance de cette discrimination se livre de manière visible depuis quelques décennies sur deux échiquiers : le politique et le sociétal.


[1] En janvier 2020, un sondage IFOP révélait qu’un Français sur deux estime parler avec un accent. Sur ces 33 millions de Français, 27% essuient des moqueries, « souvent » ou « de temps en temps », dans leur vie quotidienne. Ce pourcentage grimpe à 60% dans les régions où l’accent est très prononcé.  11 millions de Français estiment avoir été discriminés à cause de leur accent. Dans l’exposé des motifs, Christophe Euzet précise que « 36% des cadres disent avoir été discriminés dans leur emploi ou dans leur carrière parce qu’ils prononcent le français avec des intonations un peu dissonantes. Ce phénomène est massif, et pourtant il est ignoré. »

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