Des cryptoanarchistes à la révolution blockchain

Chronologie d’une guerre informationnelle asymétrique pour proposer un nouveau système financier mondial décentralisé

par Zied Brini, diplômé de l’Université de Dublin.
IT Program Manager, Consensys

Crédit : Benjamin Calméjane pour ConsenSys. Librement inspiré du logo des Daft Punk « Alive 2007 »

Le 31 octobre 2008, un dénommé Satoshi Nakamoto, dont l’identité reste encore inconnue aujourd’hui, publie un livre blanc (en anglais : white paper) intitulé « Bitcoin : un système de paiement électronique pair-à-pair » (Nakamoto, 2008).

La raison d’être de Bitcoin est de résoudre le problème de la double dépense (Chohan, 2021), à savoir ne pas avoir besoin d’une tierce partie pour certifier une transaction d’échange de valeur entre deux individus ou organisations. Bitcoin se base sur un registre public et décentralisé, à savoir qu’à la fois personne et tout le monde contrôle l’information (donc distribué sur des milieux d’ordinateurs), qui est réconcilié via un mécanisme cryptographique complexe, et qui récompense les valideurs des transactions du réseau, ou mineurs, via la distribution de Bitcoin (Nakamoto, 2008). Ce mécanisme de validation a donné lieu à une nouvelle technologie de stockage et de transmission de données : la chaine de blocs ou blockchain.

L’apparition du protocole Ethereum en 2015 (Ethereum Foundation, 2021a), notamment de la fonctionnalité des contrats intelligents (en anglais : smart contract), a permis de créer un nouveau paradigme dans lequel les échanges d’informations et/ou d’actifs peuvent se faire complètement pair-à-pair ouvrant la perspective d’un monde avec beaucoup moins d’intermédiation que le système traditionnel.

Ces jours-ci, les actualités concernant la blockchain, le Bitcoin, les cryptomonnaies et autres sujets relatifs font partie du paysage médiatique grand public.

  • Des leaders économiques sautent le pas pour accepter les cryptomonnaies comme mode de paiement, telles que Tesla (Musk, 2021), PayPal (PayPal, 2020), Visa (Castillo, 2020) et d’autres.
  • Des industries forment des consortiums utilisant la technologie Blockchain, en particulier le protocole Ethereum, pour échanger de l’information de manière sécurisée, tel que Komgo pour le financement des matières premières (Wass, 2019) ou Covantis, pour le transport de matières agricoles (Ledger Insights, 2021).
  • Au 28 mars 2021, en équivalent de capitalisation boursière (en anglais : market cap), Bitcoin est 8e mondial, entre Alphabet (Google) et Facebook pour une capitalisation totale de plus de 1000 milliards de dollars américains. Quant à Ethereum, sa capitalisation totale est de 195.27 milliards de dollars, se situant à la 62e place mondiale, devant des groupes tels que McDonald, Citigroup, Shell ou encore Volkswagen (CompaniesMarketCap.com, 2021).
  • Toujours au 28 mars 2021, plus de 41,22 milliards de dollars américains étaient immobilisés dans la finance décentralisée (Banner, 2020), comparée à 16,456 milliards au 30 décembre 2020, représentant une hausse de plus de 150% de valeur monétaire qui est passée du monde financier traditionnel au monde des cryptomonnaies (DeFi Pulse, 2021). À titre de comparaison, au 30 mars 2020, il y avait « seulement » 631,637 millions de dollars immobilisés dans la finance décentralisée (DeFi Pulse, 2021).
  • Enfin, les banques centrales s’intéressent de près au potentiel de la technologie blockchain, via notamment les projets de monnaies digitales de banque centrale, en particulier en Asie du Sud-Est (Chine, Hong-kong, Thaïlande), afin de faciliter les paiements transfrontaliers (Ledger Insights, 2020), ou encore en France avec les expérimentations de la banque centrale et de groupes bancaires tels que la Société Générale (Buchvarov, 2020).

L’idée de posséder une monnaie numérique échangeable de pair-à-pair n’est pas née avec l’apparition du Bitcoin. Cette dernière est la résultante d’années de collaboration de groupes de recherches et d’activistes qui se sont penchés sur ce sujet pour pallier à différents problèmes du système financier actuel, tel que l’inaccessibilité aux services financiers dans certaines régions du monde, les limites technologiques de l’infrastructure bancaire actuelle (procédures de réconciliation interbancaire notamment) ou encore tout simplement se soustraire du système financier d’aujourd’hui en continuant à développer les solutions techniques pair à pair et cryptées de bout en bout.

Les cryptoanarchistes

Avant de définir le terme de cryptoanarchiste, il est pertinent de revenir un instant sur la définition d’anarchie.

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Un des précurseurs de l’idée d’anarchie est Pierre-Joseph Proudhon (Hermet, Badie, Birnbaum, et Braud, 2010) qui a théorisé ce concept en 1840 :

« Anarchie, absence de maître, de souverain, telle est la forme de gouvernement dont nous approchons tous les jours, et que l’habitude invétérée de prendre l’homme pour règle et sa volonté pour loi nous fait regarder comme le comble du désordre et l’expression du chaos » (Proudhon, 1840).

Avec l’émergence de la cryptographie informatique et le développement de mécanismes de chiffrement tel que l’algorithme de chiffrement Rivest-Shamir-Adleman (RSA) en 1977 (Rivest, Shamir, et Adleman, 1979) ou le logiciel Pretty Good Privacy (PGP) en 1991 (Zimmermann, 1999), des communautés de cryptographes se forment et réfléchissent à des conceptualisations de gouvernance par les réseaux et contenus informatiques.

En 1985, un des premiers papiers scientifiques à traiter de la faisabilité d’absence de contrôle extérieure dans le monde immatériel est publié par le cryptographe David Chaum dans son article intitulé « sécurité sans identification : des systèmes de transaction pour rendre Big Brother obsolète » (Chaum, 1985). Dans cet article, Chaum aborde notamment les concepts d’argent numérique anonyme et de systèmes de réputation pseudonymisés.

Thimothy C. May, ingénieur-informaticien de métier et chef scientifique chez Intel dans les années 80-90 et qui s’identifiait comme libertarien (May, 1992a), a été le précurseur et le leader du mouvement des cryptoanarchistes, qui a vu le jour en 1988 et s’est formalisé autour d’un manifeste publié en novembre 1992 (May, 1992b) intitulé « un spectre émerge dans le monde moderne, le spectre de la crypto-anarchie ».

Dans ce manifeste, May explique la façon dont les progrès informatiques et cryptographiques à venir permettront à des individus et des organisations d’échanger de manière électronique et totalement anonyme. Selon lui, la cryptographie est une révolution égale à celle de l’imprimerie qui « a modifié et réduit (…) la structure du pouvoir social », les méthodes cryptologiques modifieront la nature des entreprises et l’ingérence du gouvernement dans les transactions économiques (May, 1992b). Dans cette convergence, il évoque et spécule en amont sur les formes de surveillances étatiques (notamment de la NSA) et sur l’interventionnisme futur de l’État dans le contrôle des technologies cryptographiées.

Janin Grandne du Journal du Coin, dans sa chronique « Philosophie & Blockchain », analyse que Timothy C. May avait prédit bien avant Edward Snowden ou l’affaire Cambridge Analytica que « l’avènement de l’ère numérique donnerait un pouvoir considérable aux gouvernements ». Elle y explique également que quand la pensée anarchiste cherche à s’abolir de l’État, les cryptoanarchistes cherchent à s’en protéger dans le cyberespace (Grandne, 2018).

Ce manifeste est probablement le premier texte public d’importance qui prend parti sur le monde immatériel et de sa gestion et qui propose une alternative radicale comparée à ce qu’il y avait d’existant au début des années 90.

Un second manifeste majeur sera publié en 1993, le « Manifeste d’un Cypherpunk ».

Cypherpunk

En 1992, ce même Thimothy C. May, accompagné de deux autres informaticiens Eric Hughes et John Gilmore, fonde un groupe de travail, les Cypherpunks, pour continuer à collaborer sur les suites de son manifeste.

Le terme Cypherpunk est un dérivé des termes anglais « cipher » (chiffrer) et cyberpunk, un genre dystopique de la science-fiction. Il sera créé par Jude Milhon, hacktiviste et auteure, membre fondatrice des Cypherpunks (KryptoSphere, 2020).

De là, une liste de diffusion électronique publique est utilisée entre 1992 et 1999 pour amener le mouvement jusqu’à 2000 membres (Cryptoanarchy.wiki, 1999).

En 1993, Eric Hughes publie le « Manifeste d’un Cypherpunk » dans lequel il explique que la vie privée ne se définit pas comme le secret, mais comme le « pouvoir de se révéler sélectivement au monde […] lorsqu’ils le souhaitent et seulement lorsqu’ils le souhaitent » et que la vie privée doit faire partie d’un contrat social, d’où la promotion de l’usage de masse de protocoles informatiques prônant l’anonymat (Hughes, 1993).

« Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que les gouvernements, les entreprises ou d’autres grandes organisations sans visage nous accordent la vie privée de leur bienfaisance.

(…)

Nous devons défendre notre propre vie privée si nous nous attendons à en avoir. Nous devons nous unir et créer des systèmes qui permettent des transactions anonymes.

(…)

Nous, les Cypherpunks, sommes dédiés à la construction de systèmes anonymes. Nous défendons notre vie privée avec la cryptographie, avec des systèmes de transfert de courrier anonyme, avec des signatures numériques et avec de la monnaie électronique »

(Hughes, 1993).

Les Cypherpunks ont structuré leurs actions sur cinq volets principaux :

  1. Développement logiciel, tel que les messageries cryptées, ou le projet Tor ;
  2. Matériel informatique ;
  3. Panels d’experts et contributions aux consultations publiques ;
  4. Actions judiciaires ;
  5. Désobéissance civile.

Des membres déclarés du groupe des Cypherpunk ont aussi publié plusieurs livres pour délivrer leurs messages, dont certains avec une certaine notoriété, tels que le livre de Julian Assange « Cypherpunks : la liberté et le futur d’Internet » (Assange, Appelbaum, Muller-Maguhn, et Zimmermann, 2012).

Enfin, les Cypherpunks sont apparus dans les médias de masse dès les années 90, comme en première page de la revue spécialisée Wired, telle qu’illustrée ci-dessous.


Crédit : Couverture de Wired (mai/juin 1993)

Bitcoin, l’héritier vedette des Cypherpunks

Bitcoin n’est pas la première tentative de monnaie digitale pair à pair. Depuis la première conceptualisation par David Chaum en 1985, des tentatives comme le Bit Gold par Nick Szabo (cryptographe et chercheur en contrats digitaux et devises) et le b-money par Wei Dai (ancien membre du groupe de recherche en cryptographie à Microsoft), deux Cypherpunks, ont été des inspirations pour Satochi Nakamoto, créateur de Bitcoin (Nakamoto, 2010).

Autour de la genèse du Bitcoin apparaissent également Hal Finney, Cypherpunk et récipiendaire du premier Bitcoin, grâce à sa contribution technique sur le projet Bitcoin (revue du code source et audit sécurité sur la partie Blockchain) (Dillinger, 2017), Adam Back, Cypherpunk, qui a conceptualisé un des mécanismes de consensus (hashcash – proof of work) des transactions sur un registre décentralisé (Nakamoto, 2008), et Gavin Andresen, Cypherpunk et responsable technique du projet Bitcoin pendant plusieurs années (Shubber, 2014).

De plus, la création du Bitcoin, fin 2008, n’est pas anodine sachant qu’elle se produit peu de temps après la crise financière de 2007.

En effet, le premier bloc ou bloc genèse de Bitcoin comporte aussi un message de Nakamoto qui est le titre de la couverture du Times du 3 janvier 2009 intitulé : « le chancelier au bord d’un second plan de sauvetage pour les banques », le chancelier faisant référence au ministre britannique des Finances de l’époque, Alistair Darling (Bitcoin Wiki, 2021).

Même si l’identité du créateur de Bitcoin reste un mystère, sa création a une empreinte significative du mouvement des Cypherpunks, qui se revendiquent pour la plupart du cryptoanarchisme, et pour certains, du mouvement libertarien. L’utilisation d’un pseudonyme comme « Satochi Nakamoto » est de lors une essence pertinente de la pensée cryptoanarchiste.

Le Bitcoin et ses informations dérivées peuvent être interprétés comme une offensive informationnelle asymétrique dirigée contre le système financier actuel, avec comme support des moyens simples et limités, à savoir quelques ordinateurs et des heures de codage face à une entière industrie bien établie.

La banque centrale européenne (BCE) a statué en octobre 2012 que le modèle de Bitcoin tient sa racine théorique de l’école autrichienne d’économie, particulièrement des théories de Friedrich von Hayek qui plaide en faveur de la complète libération de la fabrication, distribution et gestion de la monnaie pour mettre fin aux banques centrales (European Central Bank, 2012) dans son livre « La dénationalisation de la monnaie » (Hayek, 1976).

Une mobilisation digitale et décentralisée

Bitcoin a été d’abord échangé au prix de 0,0008 dollar américain l’unité (Williams, 2021) pour atteindre un record de 60.743,04 dollars américains l’unité le 14 mars 2021 (Statista, 2021).

Comment alors une monnaie numérique sans aucun contrôle étatique réussit à atteindre une croissance exponentielle et une adoption de plus en plus importante auprès d’individus et d’acteurs institutionnels et privés ?

Un des premiers éléments de réponse se trouve dans le concept même de monnaie et de devise.

Moulaga

Selon Merriam-Webster, la monnaie est « quelque chose généralement accepté comme moyen d’échange, une mesure de la valeur ou comme un moyen de paiement » (Merriam-Webster, 2021a).

La monnaie « doit posséder six caractéristiques : divisible, portable, acceptable, rare, durable et stable en valeur » (Hill, 2013).

Une devise est « quelque chose (comme des pièces de monnaie, des billets de trésorerie et billets de banque) généralement accepté comme moyen d’échange » (Merriam-Webster, 2021b).

Il existe deux types de devises : les matières premières et les monnaies fiduciaires ou fiat. La différence entre les deux est que les matières premières, telles que l’or, ont une valeur intrinsèque alors que les monnaies fiduciaires n’en ont pas. Elles sont seulement une représentation de la valeur basée sur une valeur totale perçue du pays. Le papier que constitue le billet de 20 euros ne vaut pas 20 euros.

Depuis la fin de l’utilisation de l’étalon-or, la seule valeur d’une monnaie fiduciaire est le niveau de confiance qu’elle possède et qu’elle entretient. L’absence de confiance en une monnaie fiduciaire s’est vue notamment lors de scénarios d’hyperinflation au Zimbabwe (depuis 2000) ou au Venezuela (depuis 2013).

Ainsi la confiance dans l’utilisation, la crédibilité et dans la valorisation permet à des individus ou groupe de former des monnaies numériques et décentralisées tant que le mécanisme fonctionne sur un accord commun, sans avoir besoin nécessairement d’une tierce partie qui certifie les transactions.

La force de la communauté peut apporter un deuxième élément de réponse.

#HODL, Twitter et les mèmes

La firme de recherche Gartner, une des références de l’industrie des technologies de l’information, célèbre pour sa courbe de « hype de l’innovation » (dérivée de la courbe de Rogers) considère la Blockchain comme une innovation technologique puisqu’elle publie chaque année un rapport dédié de son évolution et de ses nouveautés (Litan, 2021).

Partant du principe que Bitcoin, blockchain, Ethereum soient des innovations technologiques, il semblerait que leurs adoptions suivent un schéma classique d’adoption des innovations tel que théorisé en 1962 par Everett Rogers dans « Diffusion de l’innovation » (Rogers, 2003) et illustré ci-dessous :

Crédit :
 (anonymous, 2014)
– publié par Wikimedia Commons

La grille de lecture proposée s’appuie sur la proposition schématique du cycle de diffusion de l’innovation présentée ci-dessus. Chaque catégorie du cycle de diffusion de l’innovation est définie ici (Pham, 2021).

De 2009 à 2013, ce sont surtout les innovateurs (premiers clients d’une nouveauté dès leur sortie, principalement des individus sensibles à la cause Cypherpunks et des amateurs en cryptographie) qui acquièrent et minent des Bitcoins (récompense d’un membre de la Blockchain Bitcoin qui met sa puissance de calcul à disposition du réseau pour valider les transactions).

Le 18 décembre 2013, sur le forum Bitcoin du site de référence Bitcoin Talk, un membre pseudo nommé GameKyuubi a publié un message simple, intitulé « I AM HODLING – JE GARDE » qui va probablement catalyser la communauté Bitcoin et contribuer à l’arrivée de primo-adoptants (adoptent rapidement un produit innovant).

Crédit : Bitcoin Talk

Ce participant explique que sa stratégie d’investissement en Bitcoin est simplement de ne pas les vendre et de les garder, car dans un jeu à somme nulle, seuls les courtiers gagnent de l’argent (GameKyuubi, 2013).

Sur le titre de son billet d’humeur, GameKyuubi fait une faute d’orthographe en anglais : hodl au lieu de hold pour le verbe garder. Ce message a été lu 793.671 fois et a eu un impact majeur dans les communautés crypto et Blockchain, au point d’en devenir un des termes d’argot iconiques de l’écosystème Bitcoin (Wong, 2017).

En 2018, lorsque le bitcoin chute de 20.000 dollars américains pour finir à 3.800 dollars américains en décembre de cette année-là, #hodl devient une des stratégies pilier des investisseurs de Bitcoin, arguant que les détenteurs de Bitcoin, fervents croyants du potentiel de la Blockchain, ne devraient pas revenir aux monnaies fiduciaires, mais se doivent d’adopter une vision à long terme afin de voir l’avènement d’un système financier décentralisé (Assouline, 2018). Un pied de nez au système de finance traditionnel, où en temps de panique, ne pas vendre et faire preuve de solidarité peut faire gagner une bataille contre les courtiers (Kaminska, 2017).

Les deux modes de communication utilisés pour cette offensive informationnelle ont été les plateformes en ligne tels que Twitter, Reddit, Telegram, 4chan ou encore les mèmes, jouant sur cette culture digitale teintée d’humour bien distinct déjà maitrisé par les cryptoaficionados pour accroitre et éteindre son influence à de nombreuses autres communautés en ligne. Il semblerait que cette stratégie fonctionne pour le moment puisque le Bitcoin a survécu à son hiver 2018, de nombreux investisseurs, certains médiatiques, ont déclaré publiquement acquérir et utiliser les cryptomonnaies, le terme Bitcoin est régulièrement mentionné dans la pop culture occidentale (CentrumCoin, 2019) et l’actualité des cryptomonnaies fait partie intégrante de la presse économique traditionnelle.

Ainsi, la technologie Blockchain suit la tendance de l’arrivée des primo-adoptants. Le cabinet Gartner confirme que 2021 marque la fin de son « creux de désillusion » (diminution d’intérêt pour une technologie après une hype – engouement) pour atteindre une évolution stabilisée et régularisée et d’ici quelques années, son « palier de productivité », donc une adoption de masse (Litan, 2021).

Dans cette bataille informationnelle asymétrique initiée par les cryptoanarchistes jusqu’à aujourd’hui, il semblerait que Satoshi Nakamoto et ses suiveurs ont acquis un positionnement offensif remarquable face au système financier traditionnel dans cette lutte entre le « faible » (Cypherpunks) et le fort (système financier traditionnel).

La création et la valorisation d’une monnaie numérique décentralisée ne faisant donc plus partie du domaine utopique, l’écosystème de la Blockchain et des cryptomonnaies a pour ambition de rebâtir complètement le système financier de manière digitale et décentralisée, partant du postulat que désormais, Internet est partout et qu’il faut repenser complètement la manière de gérer et d’échanger les flux monétaires. Cela est une nouvelle fois un exemple probant que « l’avantage est systématiquement à l’attaquant » (Harbulot, 2021).

2020-2021 : l’avènement de la finance décentralisée (DeFi)

L’ambition de la finance décentralisée est de créer un système qui est nativement numérique, ouvert à tous et sans intermédiation (Banner, 2020 ; Stachtenko, 2020).

La plupart des applications DeFi utilisent Ethereum, protocole qui ambitionne de devenir l’infrastructure sur laquelle la finance de demain se reposera (Murphy et Kruppa, 2019), grâce à la fonctionnalité de « contrat intelligent ». Cette fonctionnalité technologique permet d’automatiser des procédures d’intermédiation et de réconciliation sans pour autant compromettre les vérifications sécuritaires validées lors d’une transaction bancaire du système traditionnel.

Selon la fondation Ethereum, les bénéfices de la finance décentralisée sont appréciables à travers les limites du système actuel :

  • « Certaines personnes ne sont pas autorisées à ouvrir un compte bancaire ou à utiliser des services financiers.
  • Le manque d’accès aux services financiers peut empêcher les gens d’être employables.
  • Les services financiers peuvent vous empêcher d’être payé.
  • Vos données personnelles constituent une charge cachée des services financiers.
  • Les gouvernements et les institutions centralisées peuvent fermer les marchés à volonté.
  • Les heures de négociation sont souvent limitées aux heures ouvrables d’un fuseau horaire spécifique.
  • Les transferts d’argent peuvent prendre des jours en raison de processus humains internes.
  • Il y a une prime aux services financiers parce que les institutions intermédiaires ont besoin de leur commission.
DeFi Finance traditionnelle
Vous détenez votre argent. Votre argent est détenu par des entreprises.
Vous contrôlez où va votre argent et comment il est dépensé. Vous devez faire confiance aux entreprises pour ne pas mal gérer votre argent, comme prêter à des emprunteurs risqués.
Les transferts de fonds s’effectuent en quelques minutes. Les paiements peuvent prendre des jours en raison des processus manuels.
L’activité de transaction est pseudonymisé. L’activité financière est étroitement liée à votre identité.
La DeFi est ouverte à tous. Vous devez faire une demande pour utiliser les services financiers.
Les marchés sont toujours ouverts. Les marchés ferment parce que les employés ont besoin de pauses.
Elle repose sur la transparence — tout le monde peut consulter les données d’un produit et inspecter le fonctionnement du système. Les institutions financières sont des livres fermés : vous ne pouvez pas demander à voir l’historique de leurs prêts, un enregistrement de leurs actifs gérés, etc. »

(Ethereum Foundation, 2021b)

En juin 2020, il était estimé qu’un tiers des plus importants investisseurs institutionnels possédaient des cryptoactifs tels que Bitcoin (Kharif, 2020).

En août 2020, la plus grande banque américaine, JPMorgan Chase, réalise un investissement stratégique majeur (50 millions dont 20 millions de dollars américains directement par JPMorgan Chase) et un transfert de technologie chez ConsenSys (Quorum, solution technique de JPMorgan Chase transférée à l’équipe technique de ConsenSys), leader du secteur de la Blockchain créée par Joseph Lubin, un des co-fondateurs du protocole Ethereum (Allison, 2021). Le but de la manœuvre est de laisser la partie infrastructure à ConsenSys et de concentrer les efforts de la banque pour la création de nouveaux produits adaptés à la finance décentralisée (Allison, 2021).

Le 29 mars 2021, Visa annonce l’autorisation des règlements de transactions en cryptomonnaie, la US Dollar Coin ou USDC, via le protocole Ethereum, ce qui accélèrera la circulation des cryptomonnaies sur le réseau Visa (Kmieliauskas, 2020).

Le lendemain, PayPal annonce que les clients américains de la plate-forme pourront désormais payer en cryptomonnaie (Reuters, 2021).

Ces annonces ne sont que quelques exemples du type de nouvelles très régulièrement publiées depuis ces 6 derniers mois, affichant l’enthousiasme croissant des leaders de la finance mondiaux pour la décentralisation et le momentum d’introduction et de changement de paradigme dans le monde de la finance. Certains acteurs, tels que JPMorgan Chase, font le pari que l’intermédiation ne sera plus le cœur de leurs activités et donc qu’il faille réinventer leur métier de demain.

Si une des ambitions de la finance décentralisée était de faire bouger les lignes, elle a tout au moins réussi à se faire un nom auprès des leaders du secteur. Cependant, à quel point les grandes banques de ce monde sont prêtes à refondre le système actuel et à s’inspirer des théories politiques et économiques des Cypherpunks ? Il est vrai que la majorité des institutions financières reconnaissent la valeur technologique des cryptomonnaies, le fait de rendre une monnaie programmable et donc de réduire les carences de l’infrastructure actuelle. Néanmoins, il demeure aussi des questions d’enjeux règlementaires et macroéconomiques auxquelles les banques et les banques centrales s’interrogent aujourd’hui.

Monnaies numériques de banques centrales (MNBC)

Une MNBC est une monnaie fiduciaire numérique émise par une banque centrale et compatible avec des réseaux Blockchain ou non. Clémence Maquet du Siècle Digital définit une MBNC comme « une pièce de monnaie, dont la valeur serait représentée par un code crypté au moyen d’un algorithme, à la place de son matériau » (Maquet, 2020).

La Banque des règlements internationaux à Bâle en Suisse estime qu’en 2020, 80 % des banques centrales étaient impliqués, sous une forme ou une autre, dans des projets liés aux MNBC (Gross, 2020).

Cependant, par nature, les MNBC sont centralisés et ne suppriment pas nécessairement l’intermédiation puisqu’elle se fie aux banques pour les distribuer (Maquet, 2020).

Pour illustrer cela dans un contexte de guerre économique, la Chine a pour ambition de « devenir le premier acteur mondial Blockchains pour 2035 » (Beijing Municipal Bureau of Government Service and Management, 2020).

  • La Chine a créé sa propre infrastructure nationale blockchain, le Blockchain Service Network, interopérable avec plusieurs protocoles blockchain dont Ethereum (Xinhua, 2019).
  • Ant Group, branche finance du groupe chinois Ali Baba est le leader incontesté des applications blockchain en Chine (Desombre, 2021).
  • Les expérimentations Blockchain effectuées avec d’autres banques centrales d’Asie du Sud-est (Ledger Insights, 2020) laissent présager une intégration des projets Blockchain à l’initiative des routes de la Soie (Otieno, 2020).
  • Le 27 novembre 2020, deux jours après l’élection du président américain Joseph Biden, le président chinois Xi Jinping a plaidé pour un renforcement de la coopération avec les pays de l’ASEAN dans la construction d’une route digitale de la soie (Otieno, 2020).

La stratégie chinoise en matière de blockchain est un exemple de la façon dont les banques centrales peuvent envisager d’utiliser cette innovation technologique, à savoir pallier les carences de l’infrastructure actuelle, mais garder le contrôle sur l’émission et la circulation de la monnaie, en opposition avec les idéaux des Cypherpunks.

L’essence même de la technologie Blockchain et du Bitcoin est le concept de décentralisation, à savoir qu’à la fois, personne et tout le monde contrôle l’information.

Entre les MNBC et les ambitions technologiques des États, le message des Cypherpunks semble faire face à de la résistance de la part des acteurs étatiques et il n’est pas certain qu’une stratégie d’offensive informationnelle basée sur Twitter et les mèmes suffisse à convaincre Xi Jinping des bienfaits de la décentralisation prônés par les Cypherpunks.

Conclusion

La guerre informationnelle des Cypherpunks se trouve désormais à la croisée des chemins. Il est indéniable qu’en un peu plus d’une génération, les théories de départ des quelques cryptoanarchistes ont fait du chemin pour être connues du grand public et adoptées par certains.

Cependant, la popularité grandissante de ces nouvelles technologies attise les appétits de leaders mondiaux avec des intérêts bien différents les uns des autres, tels qu’illustrés avec l’exemple de la Chine mentionné précédemment.

Il sera intéressant d’observer l’évolution de la pensée des Cypherpunks auprès du grand public, si elle se dirige vers une décentralisation de masse ou alors si les acteurs majeurs de la finance vont essayer de maintenir le système actuel. Révolution ou réforme.

#HODL