Crise des vaccins « Covid » : pas de résilience sans souveraineté économique !

Par Nicolas Ravailhe

La crise des vaccins anti-COVID disponibles révèle une impitoyable guerre économique entre les Etats membres de l’Union européenne ainsi qu’avec les pays tiers, en particulier le Royaume-uni.

Des enjeux politiques, juridiques, économiques et de communication

Face à la pénurie de vaccins disponibles, l’Union européenne entend procéder à un contrôle des exportations des vaccins produits sur son sol par l’entreprise AstraZeneca. Ce laboratoire britannico-suédois est soupçonné par l’UE d’avoir privilégié le Royaume-uni au détriment de l’approvisionnement européen. 

Les autorités britanniques ont immédiatement répliqué en dénonçant une violation de l’accord Brexit à peine conclu, notamment concernant l’Irlande de nord.

Sous réserve de dispositions particulières dans l’accord Brexit, l’UE serait fondée à agir ainsi. Cette «  pierre d’achoppement » dans la relation UE – Royaume-uni montre l’agacement des Européens face au pragmatisme et à l’habilité des britanniques qui ont su agir vite dans leur intérêt pour capter la production européenne de vaccins financés par l’UE – cf. infra -.

Alors que seuls quelques députés européens avaient pu consulter les contrats conclus avec les entreprises pharmaceutiques, sans moyens de communication pour éviter les fuites, nous avons assisté à un revirement de la Commission européenne qui a rendu public le contrat signé avec AstraZeneca. L’objectif est de démonter que l’UE ne peut pas être lésée ainsi.

Du droit à la maitrise de l’information

Il ressort des dispositions des articles 34 et 35 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) qu’il ne peut y avoir « d’interdictions ou de restrictions d’importation » entre les États membres. Ces règles de droit sont similaires dans les accords de libre-échange conclus avec des pays tiers.

Toutefois, en vertu des dispositions de l’article 36, la « protection de la santé » peut faire exception. Rappelons qu’une situation similaire s’était présentée au début de la crise COVID quand l’Allemagne avait décidé d’interdire dans l’UE et ailleurs les exportations de matériel médical (masques, respirateurs …). La France, ne pouvant pas exporter ce qu’elle ne produit plus, avait décidé de réquisitionner les stocks constitués sur son territoire. 

Si en droit, le sujet peut faire débat dans l’interprétation et la portée des dispositions des traités, nous sommes davantage en présence d’un enjeu autre : une bataille de l’information.

L’Allemagne à la manœuvre

En effet, l’Allemagne est accusée par plusieurs parlementaires européens de sensibilités politiques différentes, principalement des Italiens de droite et des Irlandais de gauche, d’avoir rompu la solidarité européenne par une commande de vaccins directement effectuée auprès de BioNtech – Pfizer.

Ainsi, par une technique de contre-feu, l’Allemagne chercherait à détourner l’attention vers la manœuvre britannique de contournement du contrat signé par l’UE avec AstraZeneca. En l’espèce, les autorités britanniques peuvent être « mises en cause » pour avoir fait « habilement » pression sur un de leurs laboratoires. On ne peut évidemment pas leur reprocher un défaut de solidarité européenne puisqu’ils ont décidé de s’en émanciper.

Or, il semble désormais bien établi que l’Allemagne aurait procédé à des commandes directes de vaccins auprès de BioNtech – Pfizer en plus des quotas qui lui sont alloués dans le cadre de la commande commune européenne.

Les autres États européens s’en seraient tenus à une commande commune européenne pour « jouer collectif » ou, faute de moyens financiers, afin de pouvoir être servis, plus vite et en plus grandes quantités, en payant cher.

Puis, est-ce en réponse aux affirmations médiatiques européennes contre le Royaume-uni ? La BBC dans son édition « news world » a diffusé des interviews pour relater la condamnation par l’OMS des restrictions à l’export décidées par l’UE et dire que l’Allemagne avait procédé à une commande de vaccin BioNtech – Pfizer dissociée de celle effectuée par l’Europe.

Sur ce dernier point, une des explications données tiendrait au fait que le ministre fédéral allemand de la santé aurait des visées politiques dans le cadre des prochaines élections fédérales et qu’à ce titre, il aurait cherché un leadership personnel à travers cette commande.

Dans un État aussi organisé que l’Allemagne, un telle décision ne peut pas relever de l’opportunisme politique d’un ministre. En la matière, il est utile de rappeler que l’Allemagne nous a déjà fait ce coup lors de son vote en faveur du maintien de l’autorisation du glyphosate dans l’UE afin de servir les intérêts économiques de Bayer : STOP !

Détourner l’attention est une pratique habile, courante et coordonnée

Outre l’attaque portée par la présidente de la Commission européenne, Mme van der Leyen,  contre la « perfide Albion », la chancelière fédérale allemande, sans doute consciente du risque lié à cette initiative désolidarisée des Européens, est allée plaider à Davos en faveur d’une solidarité internationale en matière de vaccins au profit des Etats du tiers monde les plus démunis.

Notons que plusieurs chaines de télévisions françaises ont relayé l’information en boucle, sans se soucier du suivi effectif de l’annonce, ni relever la contradiction avec une stratégie nationale outre-Rhin bien différente. 

La réalité cachée par ces joutes de communication est que l’Allemagne a pu accroitre son approvisionnement en vaccins en raison de l’exercice de sa souveraineté économique, laquelle a été utilisée pour financer directement (sans passer exclusivement par l’UE) BioNtech, entreprise allemande, désormais cotée au Nasdaq.

Et, pendant que cette guerre de l’information fait rage entre l’Allemagne et le Royaume-uni  par UE interposée, la France, moins bien approvisionnée que ses deux États voisins en vaccins, est comme « un lapin dans les phares ». 

Fidèle à une tradition réputée être gauloise, notre pays s’entretue sur des questions de logistique. A quoi bon confier notre organisation logistique au cabinet McKinsey – au coût de 2 millions d’euros par mois et en affaiblissant, par là même, le savoir-faire des services de l’Etat, alors que notre pays ne dispose pas de vaccins suffisants faute d’en produire et d’exercer sa souveraineté économique sur les entreprises productrices.

Ainsi, l’Europe – on ne peut pas lui en faire le reproche – est un jeu de puissance des États. La France s’arrime au concept d’une UE protectrice sans y défendre ses intérêts. De nouveau, cela déséquilibre l’UE qui fait donc l’objet d’attaques ciblées.

Pourtant, malgré la gravite et la complexité de la crise sanitaire, dès son apparition, la réaction européenne est à souligner.

L’Europe a été réactive en payant la R&D et assumant les risques d’industrialisation

Moins de trois mois après l’apparition de la crise Covid, l’Union européenne a financé la recherche & développement de l’ensemble des vaccins. Tel a par exemple été le cas de l’industrialisation du vaccin BioNtech, associé ensuite avec Pfizer.

L’Europe en avait la compétence et les moyens, nul ne peut lui reprocher qu’elle ait fait son  « boulot ». On pourra même saluer sa réactivité comme la pertinence des programmes de la DG recherche (RTD) de la Commission européenne utilisés.

En effet, ces derniers ont été conçus bien avant la crise Covid et ils se sont révélés adaptés à la situation. La Banque européenne d’investissement, appuyée par la Commission européenne, a donc octroyé un prêt de 100 millions d’euros à BioNtech en juin 2020

En ce sens, les programmes européens utilisés ont permis de financer la recherche mais aussi – point essentiel – son industrialisation. Cette dernière a trouvé un montant adéquat, sous une forme adaptée, et avec une couverture des risques qui s‘est étendue jusqu’au risque inhérent à l’exploitation du vaccin. Difficile de faire plus ! 

Cela a permis aux entreprises pharmaceutiques d’avancer vite. BioNtech et Pfizer comme les autres en ont bénéficié. Le secteur privé a donc vu ses coûts et ses risques de développement être supportés par la résilience de la décision européenne : une dépense publique.

En l’espèce, c’est à dire dans l’urgence et face à un drame sanitaire, l’utilisation de l’impôt des citoyens des États européens à cette finalité n’apparait pas critiquable. A défaut, nous n’aurions pas de vaccins. 

Toutefois, suite à la décision de Pfizer d’augmenter sa facturation inhérente au nombre de doses potentielles contenues dans les flacons de vaccins – cf.  la polémique ouverte entre 5 et/ou 6 doses – et face au retard de vaccination en Europe lié à l’absence de vaccins, il y a lieu de s’interroger.

Pourquoi certains États membres comme des pays tiers ont-ils pu contracter avec BioNtech – Pfizer et être servis que la commande commune européenne ne soit honorée ?

Les Etats membres ou pays tiers qui n’ont pas supporté les risques et les coûts de développement / industrialisation intégralement assumés par l’UE ont-ils payé plus cher les vaccins et/ou y a-t-il d’autres raisons, des « jeux de puissance » ?

Pourquoi l’Union européenne n’a-t-elle pas sécurisé plus avant son approvisionnement et une solidarité internationale avec les pays les plus pauvres, au moment du financement public de l’industrialisation des vaccins ?

L’Europe est résiliente mais sans souveraineté économique

Si les juristes sont faillibles, cette situation ne relève pas de leur responsabilité. Dans cette crise, l’Europe s’est voulue résiliente. Elle a ajouté ce terme à ces stratégies. En revanche, l’UE n’exerce aucune souveraineté économique.

La raison est économico-historique. La puissance commerciale de l’UE, c’est-à-dire des Etats du nord, serait menacée par le concept. La notion de souveraineté économique a été retirée à leur demande du programme européen « invest EU ». En effet, si nous faisions œuvre de souveraineté économique européenne, pour des intérêts communs, alors cela aurait des conséquences dans les relations économiques des puissances exportatrices du nord de l’Europe avec des pays tiers. Par conséquent, l’UE bien controlée, s’abstient d’être souveraine.

Dans cette crise COVID, l’ampleur des aides et prêts de l’UE est révélatrice. De même, le risque assumé par la puissance publique a été déterminant.

Dès lors que les soutiens publics européens sont essentiels pour contribuer à trouver un vaccin et tout autant pour l’industrialiser, l’UE est fondée à exiger que des entreprises réalisant de grands profits œuvrent autrement. Protéger et soigner l’humanité sur des critères autres que des ratios financiers et des jeux de puissance de certains Etats membres ou pays tiers parait nécessaire.

Telle est une nouvelle démonstration – s’il en était besoin – que payer vite en toute connaissance de cause, sans souveraineté économique, est sciemment bien imparfait (sauf pour le salut de quelques Etats membres).

Le problème reste entier. La future stratégie industrielle de l’UE développe des concepts intéressants mais insuffisants.

De même, l’arrivée de nouveaux programmes européens, comme dans le cadre du conseil européen de l’innovation, initie des embryons de souveraineté par des prises participations de l’UE en capital et par des mécanismes juridiques de protection de la souveraineté économique européenne.

Même graduellement et par thématique, il est nécessaire d’aller plus vite. A titre d’exemple, il n’est plus envisageable de dépenser des millards de subventions et prêts en financement de R&D et processus d’industrialisation sans sécuriser en Europe les développements et la commercialisation, pour tous, et en lien avec les politiques publiques adoptées.

Sans « casus belli », sans rapport de force entre États, rien ne se fera.

La France a un rôle central et historique à jouer

La France, particulièrement exposée à la pénurie de vaccins en ce début de campagne vaccinale, doit agir pour sauver le projet européen. C’est une question de salut et d’intelligence économique qui, pluridisciplinaire à finalité de souveraineté, montre plus que jamais sa pertinence. Il n’est pas possible d’abandonner une souveraineté nationale sans acquérir une souveraineté européenne juste et efficace. 

A défaut, la France devra dénoncer progressivement les règles commerciales européennes  avec des pays tiers, comme celles du marché intérieur, qui menacent sa souveraineté économique. Israël, le Royaume-uni ou l’Allemagne montrent qu’être ou non dans l’UE ne fait pas de différence pour être servi plus vite et/ou mieux. Des vaccins au matériel médical, notamment les masques, les exemples sont légion.

L’Europe n’est évidemment pas responsable de tout en matière d’abandon de souveraineté économique en France. Néanmoins, les cadres juridiques et économiques de l’UE constituent des freins pour réparer les errements et les trahisons du passé, comme pour faire face aux démantèlements et aux cessions d’actifs de l’État dont nous avons besoin pour sécuriser et développer notre économie.

Comme nous l’avons écrit au début de la crise COVID, il est très risqué de ré-industrialiser en France une production de masque médicaux sans en sécuriser la commercialisation via la commande publique. C’est exactement ce qui s’est produit puisqu’en raison des directives européennes, les marchés publics en France servent essentiellement des productions étrangères au pays.

Bis repetita. A l’appui des travaux des promoteurs de l’intelligence économique, dont les principaux sont les fondateurs de l’epge.fr, il faut accélérer la formation et l’accompagnement en matière d’intelligence économique en France et en Europe, en mettant davantage  l’accent sur les enjeux inhérents aux stratégies européennes.