Chronique des années de guerre économique (i)

Le monde économique connaît aujourd’hui un chaos – que l’on voudrait croire sans précédent –qui traduit incontestablement un basculement majeur d’un hégémonisme unipolaire vers une bipolarisation des puissances mondiales ; cela à moins que l’Europe ne parvienne à imposer une 3ème voie géostratégique, ce dont nous sommes loin faute d’ambition en la matière. En juillet 2018, le président américain désignait d’ailleurs comme ennemis : la Chine, la Russie, mais encore l’Europe.

Dans ce contexte pour le moins prégnant, Donald Trump, qui ne manque pas d’intuitions, a manifestement compris cette évolution[1]. C’est la raison pour laquelle, il renforce ses positions face à l’affirmation de la puissance asiatique. En même temps, il réduit le rôle de « gendarme du monde » de son pays comme en témoigne le retrait annoncé le Syrie, la volonté de voir les pays européens de financer davantage l’OTAN, etc. Ce faisant, ayant rompu avec les menées impérialistes des faucons démocrates (et néoconservateur de l’administration Bush fils), il avance en nationaliste. N’a-t-il pas déclaré en septembre 2018 à la tribune de l’ONU « l’Amérique choisira toujours l’indépendance et la coopération à la place de la gouvernance mondiale, du contrôle et de la domination ».



Le primat du politique sur l’économie

Un fait capital doit selon nous être relevé : le retour du politique. Tandis que la globalisation de l’économie a conduit à une standardisation contrainte toujours plus intense des rapports commerciaux sous toutes ses forces (financiers, bancaires, fiscaux, juridiques, etc), avec un discours affiché d’autorégulation par l’économie (renvoyant au dogme d’Adam S et de la main invisible), les états reviennent à la manœuvre et prennent davantage la barre. La politique impose à nouveau son primat sur les affaires économiques. Ainsi, Donald Trump tente-t-il de dompter les GAFAM pour mieux les assouvir et les mettre en ordre de marche dans la compétition numérique engagée contre la Chine. De la même manière, il tente d’écarter Huawei et ZTE des marchés publics, les stigmatisant en les accusant de développer des technologies permettant de pratiquer l’espionnage digital. Il favorise ainsi l’industrie nationale au détriment d’entreprises étrangères.

Nous nous éloignons donc davantage des guerres commerciales ancestrales (encore que la guerre de l’Opium ne soit pas loin) – guidées par les seules considérations douanières et tarifaires – pour entrer dans le champ de la guerre intégrale, où tous les leviers sont utilisés pour renforcer les positions économiques des états et de leurs fleurons industriels et commerciaux.

L’extraterritorialité du droit américain qui a conduit à sanctionner lourdement les banques européennes (Deutsche bank, BNP Paribas, Crédit agricole, Société Générale), ou à démanteler des groupes industriels (Alstom, Alcatel, etc), a été une arme redoutable, faute de contre-mesure. Le ministère de la Justice américaine a été directement partie prenante dans ces situations de soumission économique et financière.

L’affrontement douanier n’est toutefois pas absent de ces conflictualités ; ainsi Donald TRUMP a-t-il engagé un bras de fer avec les économies productrices d’acier et d’aluminium, relevant de manière significative les droits de douanes sur les importations.

Pour sa part, le dirigeant chinois Xi Jinping, dont l’économie a toujours été dirigée, a appelé ses compatriotes à avoir « le courage de livrer jusqu’à la fin des batailles sanglantes contre leurs ennemis » (discours du 20 mars 2018). D’ailleurs, le fait que la Chine ait résisté au modèle économique globalisé imposé par l’OMC a valu le courroux et l’opprobre du Président américain (qui dénonce pour sa part tout autant la même institution).


L’affaiblissement des structures de dialogue et d’arbitrage internationales

Car un autre fait saillant de cette époque tumultueuse, réside dans la faillite – ou à tout le moins – la carence des institutions internationales. L’OMC se voit dénoncée de part et d’autre et les américains, qui ont pourtant longtemps été les bénéficiaires des décisions, bloquent volontairement la désignation des arbitres de l’instance de règlement de différends commerciaux, depuis lors neutralisée par le stock d’affaires à trancher.

De même, les américains ont quitté l’UNESCO à effet du 1er janvier 2019, conduisant à son impuissance, faute de subvention nécessaire. La contribution des USA au budget de l’ONU a également baissé de 28% à 25%, ce qui génère un déficit de 220 millions USD la conduisant à la paralysie.

Mike Pompeo, ancien directeur de la CIA et nouvel homme fort des relations internationales au sein de l’exécutif américain a déclaré le 6 décembre 2018 à Bruxelles : « notre administration quitte donc légalement ou renégocie des traités, des accords commerciaux et d’autres accords internationaux obsolètes ou nuisibles, qui ne servent ni nos intérêts souverains, ni ceux de nos alliés. »

Avec la même ténacité, Donald Trump a renforcé sa zone d’influence naturelle sur l’Amérique du Nord, en dénonçant dans un premier temps, puis renégociant à son avantage le traité de l’ALENA, dans un second temps, on sans brutalité pour ses partenaires.

De son côté, la Chine a marqué ses positions stratégiques avec une façade maritime défensive, constituée du « collier de perles » et un axe continental offensif avec sa « nouvelle route de la soie ».

Dès lors, chaque bloc affirme sa sphère dominante.


Renouveau du patriotisme économique

Tout cet ensemble concourt à une mainmise renforcée du champ politique sur le monde des affaires, où géopolitique et géoconomie se confondent. Désormais deux camps se dessinent, chacun essayant de dénouer les alliances de l’autre (comme les Etats-Unis jouent avec la Corée du Nord). A l’image de cette guerre froide économique, les arrestations pour faits de cyberespionnage et compromissions de secrets d’Etats ont connu plus que jamais un regain inattendu.

Cette période provisoire demeure marquée par un acte satisfaisant : Donald Trump est le président de la paix militaire. Il soutient bien évidemment très activement son complexe militaro-industriel – bien qu’ayant conduit James Mattis à la démission – en poussant les européens à participer davantage aux coûts de l’OTAN (autre institution internationale en déclin). L’Alliance atlantique demeure néanmoins le meilleur vecteur commercial des produits et standards militaires américains (en témoigne le choix de la Belgique pour le F-35 en remplacement du F-16 au détriment du Rafale). Il annonce le retrait des troupes du territoire syrien.

Un dernier fait notable doit être relevé, confirmant notre propos : dans cette compétition économique de plus en plus frontale, les entreprises obéissent toujours plus à des intérêts nationaux.

C’est en partie ce que nous enseigne l’affaire Carlos Ghosn. Sans connaître précisément les dessous de l’affaire, ni même l’étendue des faits qui lui sont reprochés, il s’avère qu’il incarnait, jusqu’à la caricature, le modèle de l’homme d’affaires globalisé. Or, l’industrie automobile demeure un secteur essentiel pour les états producteurs (ne serait-ce en raison du nombre d’emplois mobilisés). Tandis que le groupe VW-AUDI tendait à devenir le numéro 1 mondial, il a succombé sur l’affaire des logiciels d’émissions de gaz truqués. La fraude est patente, elle suffit à discréditer un concurrent (outre les pénalités financières payées aux Etats-Unis)[2]. Concernant l’alliance industrielle Renault-Nissan-Mitsubishi, l’éviction de son dirigeant français par les japonais de Nissan traduit cette volonté de « renationaliser » le groupe, désormais économiquement redressé et en passe de devenir le numéro 1 et dont l’accusation de corruption du président de l’organisation des JO de Tokyo serait la réponse du berger à la bergère). Longtemps rendues à la globalisation, les entreprises retrouvent une part de leur nationalité.


Olivier de Maison Rouge,

Avocat, docteur en droit, auteur de « Penser la guerre économique, bréviaire stratégique » paru chez VA Editions, en février 2018.



[1] Lire à cet effet : GHEZ Jérémy, Etats-Unis : déclin improbable, rebond impossible, VA Editions, 2018

[2] Lire à ce propos : https://portail-ie.fr/short/1428/lecole-de-guerre-economique-publie-letude-les-dessous-de-laffaire-volkswagen